Mundaneum (p. V-XXV).


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La Conception du Monde
Généralités et vue d’ensemble


Le Monde à nos yeux se présente comme une multiplicité et une variété.

Pour pouvoir penser, agir sur lui, être simplement ému par lui, il nous le faut énumérer, dénommer, décomposer, classer, mesurer, recomposer, faire ou voir faire avec ses éléments des composés nouveaux. Placé devant le panorama des choses, expression la plus générale pour désigner tous ces éléments particuliers dont se constitue l’ensemble, nous percevons des substances, des êtres, des phénomènes, envisagés soit en eux-mêmes, soit dans des milieux. Être connaissant, sentant, agissant, notre Moi, ainsi constitué et perçu directement par notre conscience, pose immédiatement l’opposition entre ce qui est lui et non lui, entre le moi sujet et le moi objet. L’un agit sur l’autre ; il y a action réciproque. Mon moi personnel, ma personnalité me fait considérer parmi les choses au dehors de moi, d’autres êtres et, selon que je les « anime » à mon image ou à celle d’autres types, je les tiens ou pour des personnes ou simplement pour des individualités et des entités.

Les réalités extérieures nous présentent la Nature (le ciel, l’air, l’eau, la terre) ; l’Homme avec les sexes, les races et les classes ; la Société où la population groupée en nations ou en associations œuvre ensemble sur un territoire, y fait naître et organise une vie qui s’étend à la Santé, à l’Économique, au Social, au Politique, aux rapports Intellectuels et Religieux.

Cependant, tout se meut : par suite tout change et rien ne demeure constamment stable. Aussi, après avoir reconnu et posé la substance, toutes les classes de la substance, sommes-nous forcés d’y ajouter le Mouvement. Celui-ci sous toutes ses formes : pour l’objet et les choses objectives, comme pour le sujet et quant à celui-ci pour ce qui se passe en lui : idées (représentations), sentiments, volonté d’action. Le pourquoi et l’effet du mouvement, nous le dénommons l’énergie (force et faculté, passant de la puissance à l’acte), nous l’opposons à la matière, acceptant même de l’en distinguer partout, spirituellement comme corporellement (comme forme et comme matière). Les choses sont étendues et occupent un Lieu, tout au moins se présentent à nous comme telles. Qu’il existe objectivement et indépendamment de ce qui l’emplit (contenant et contenu) ou bien au contraire qu’il n’existe que des choses étendues, pour la commodité du langage tout au moins, nous devons à côté des termes substance et mouvement en poser un troisième, Espace. C’est tout le développement selon la géographie, sur la terre, l’astronomie descriptive dans le ciel. Et les choses considérées de même manière, mais sous le point de vue de leur position différente dans l’espace physique ou mental, par suite du mouvement dont elles sont animées, se présentent ainsi dans une succession de moments distincts, ce que, par généralisation et abstraction, nous appelons le Temps. C’est tout le développement selon l’Histoire, cosmogénie, géogénie, évolution de l’homme et des sociétés et de leurs civilisations.

Substances, Mouvement, Espace, Temps sont ainsi les quatre catégories les plus fondamentales qui constituent pour nous le Monde. Ces catégories ne sont pas séparables mais simultanées. Ce sont des points de vue sous lesquels notre esprit capable de distinguer les choses est forcé de le faire, car il est lui-même successif (discursif). Ainsi toute la réalité du monde est à la fois substance et mouvement dans un espace et dans un temps.

Cependant l’opposition du sujet et de l’objet et les caractères propres au sujet quand il s’agit de l’homme, posent le problème de la connaissance (sujet connaissant à la manière d’un miroir qui reproduit en réfléchissant : in-formé, con-scient). Le détachement de la connaissance du sujet même qui connaît, pour devenir une représentation mentale (ou idée) de plus en plus autonome et tendant à une équation de plus en plus parfaite avec l’objet connu, pose un autre problème.

Cette équation n’est jamais parfaite à raison même des limitations de l’esprit humain ; elle n’est pas la même pour tous les esprits à raison des différences personnelles d’ordre physique, intellectuel et moral entre les individus (équation personnelle). D’autre part l’esprit ne se borne pas à connaître ; il analyse, combine et calcule mentalement. Il se sert à cet effet de concepts représentatifs des réalités elles-mêmes.

Les communications des hommes entre eux au sujet des choses pratiques de la vie, et aussi de leurs idées, de leurs sentiments, de leur volonté, a conduit au langage. L’expression de chaque concept donne lieu au terme correspondant du vocabulaire, les relations entre les termes donne lieu à des procédés d’expression qui constituent la grammaire. Plus haut et plus général, les relations des concepts entre eux donnent lieu à la logique. Appliquée à un ordre de connaissance et à la mise en ordre de ses éléments, la logique donne lieu à une Science. Enfin l’ensemble des sciences aboutit à la connaissance du Monde en sa totalité. Le langage prend les deux aspects extérieur et intérieur. Il n’est pas inné ; il s’acquiert ; ses acquisitions correspondent à celles des connaissances ou idées et bientôt, entre la parole intérieure et la parole extérieure, s’établit un parallélisme parfait, sous réserve des déviations causées par les erreurs, les oublis ou les mensonges, ou l’impuissance de s’exprimer complètement.

Cependant, le langage tend à se fixer en des formes matérielles et conventionnelles, c’est la graphie : dessin, hiéroglyphe, alphabet, écriture. Son produit est le document et dans leurs ensembles, les documents doivent être tenus comme une représentation conventionnelle du Monde. Le Monde s’offre donc aux hommes vivant en sociétés sous ces quatre modalités : Monde réel (Réalité), Monde connu (Pensée), Monde exprimé (Langage), Monde graphisé (Document). Ces quatre modalités du même Monde sont interdépendantes. En principe, en toutes leurs parties, elles devraient concorder parfaitement. En fait, il y a décalage, inexactitude et incomplétude de l’une à l’autre. La Pensée ne connaît pas tout, le Langage n’exprime pas tout et le Document n’enregistre pas tout. Mais ils y tendent ou doivent y tendre.

L’activité de l’homme ne prend pas seulement la forme de la connaissance. Les besoins matériels doivent être satisfaits. Au degré inférieur, la pensée connaissante, à peine existante, sert déjà à cette fin ; mais la première manifestation de l’être c’est son action, ici automatique et se produisant en réflexes, là réfléchie et consistant en actes volontaires.

Toutes les substances, tous les êtres, tous les ensembles d’êtres ou milieux sont en relation d’action et d’interaction les uns avec les autres. Mais l’homme est par excellence un créateur, non pas qu’il fasse de rien, mais il combine et il amalgame les choses de telle manière qu’il est producteur de choses nouvelles. Le Document est une production et il correspond à l’aspect connaissant de l’homme.

Les produits humains qui correspondent à la connaissance sont les documents. Les produits qui correspondent à l’activité sont tous les fabricats matériels, les produits proprement dits, qu’il soient des substances alimentaires, vestimentaires ou de constructions, ou qu’ils soient des produits matériels ou encore des moyens de produire (outils, outillage, machines).

Au sentiment de l’homme correspond un troisième ordre de production, les œuvres d’art. Sans doute, c’est notre esprit qui introduit des distinctions aussi nettes, et qui les appelle de noms différents ; dans la réalité objective et mentale, il est bien certain que tout est plus flou, coexiste dans une certaine mesure, provient l’un de l’autre, se réalise en s’interpénétrant. Il est utile cependant, il est nécessaire de poser ces différenciations, ces entités, ces classes. C’est l’unique moyen pour notre esprit de voir dans la réalité autre chose qu’une multitude et une poussière.

Arrivée là de sa réflexion sur le Monde, et d’ailleurs tout le long du chemin qu’elle parcourt, la Pensée accomplit un processus de classification et de mesure intégrale. Autant elle constate des limitations dans les corps physiques et dans le corps humain lui-même auquel elle est liée, autant elle se sent libre et dégagée dans le domaine de ses spéculations. Raisonnement et imagination, alimentés par les perceptions et la mémoire, y œuvrent constamment. C’est la vie intellectuelle. Mais ayant une fois saisi la graduation, le degré, dans les êtres et dans les choses, l’esprit pense selon des échelles qui situent les degrés en une chaîne continue. Celle-ci part d’un point conventionnel de base ou de niveau (le zéro ou 0) et s’élève de degré en degré jusqu’à l’illimité de l’infiniment grand ou bien s’abaisse mêmement vers l’infiniment petit (+ , — ). L’échelle ainsi constituée s’applique à la quantité et à la qualité ; elle implique grandeur dans l’un comme dans l’autre cas, et elle s’applique aux quatre catégories de la substance, du mouvement, de l’espace et du temps.

La Substance : tout en bas de l’échelle, la substance réduite à rien, le néant ; tout en haut la substance exaltée, sublimée, en toute puissance et totalité. D’où toutes les classes d’êtres jusqu’à l’Être suprême.

Le Mouvement : en bas, la lenteur, jusqu’à l’arrêt complet et la stabilisation ; en haut la vitesse jusqu’à annihiler l’espace et le temps. D’où toutes les modalités de la statique et de la dynamique.

L’Espace : en bas, réduit jusqu’à n’être plus qu’un point mathématique et irréel ; en haut, agrandi jusqu’à n’avoir de limites en aucune direction et en aucune dimension. D’où toutes les modalités de la localisation, du loin, du près et du milieu.

Le Temps : en bas, reculé jusqu’à n’avoir pas de commencement ; en haut, prolongé jusqu’à n’avoir pas de fin. D’où toutes les modalités de la chronologie avec son passé, son présent et son futur.

L’esprit, forcément et d’un même processus, conçoit donc l’illimité en même temps que le limité, l’infini et le fini, l’absolu et le relatif, le parfait et l’imparfait.

Mais l’esprit, comme en une prison, se torture à reconnaître si sa représentation mentale correspond ou non à la réalité qu’il veut représenter. C’est l’affirmation de Dieu, aboutissement de la généralisation et de l’abstraction, clé de voûte du système qu’édifie la pensée. Dieu ayant pour attribut la toute Substance, la Stabilité, l’Ubiquité et l’Éternité, parce qu’en Dieu, ni le mouvement, ni le lieu, ni le temps n’existent, étant ceux-là des limitations. Ou c’est la négation de Dieu. C’est Dieu personne, être à l’instar de l’Homme qui lui-même aurait été créé à son image avec primauté sur la création entière ; ou c’est Dieu impersonnel, le Panthéisme, avec l’éternité transférée à la matière, laquelle serait incréée. Problèmes ultimes relatifs aux explications dernières et qui divisent en systèmes, en sectes, en religions et en églises. Problèmes traditionnels, inévitables, qui se posent à chaque génération, à chaque civilisation. Chacun, alors même qu’il demeure dans le cadre des solutions passées, les résout d’après des méthodes de plus en plus avancées qui reculent la sphère de l’inconnu et du mystère (la Théologie même, alors qu’elle déclare immuable son objet, reconnaît perfectibles ses méthodes et de plus en plus larges les voies d’accès à la connaissance de la Réalité divine).

Nos prédécesseurs immédiats se sont tirés des difficultés nées des antinomies de la pensée, d’abord avec les solutions du Kantisme distinguant les deux plans de la raison pure et de la raison pratique, du noumène et du phénomène ; ensuite avec les propositions de l’Hégélianisme, thèse, antithèse, synthèse ; enfin avec celle du Positivisme rompant avec toute « métaphysique », répudiant la recherche des causes pour se confiner dans le comment, éliminant tout finalisme pour se borner à la constatation de ce qui est. Mais maintenant le cours des événements, dans l’ordre physique et dans l’ordre mental, a forcé à reprendre les vieux problèmes. Il les a soumis à de nouvelles méthodes, elles, toujours élargies, mieux coordonnées, mieux aidées par l’observation, l’expérimentation, l’instrumentation. Aucun fait, aucun domaine n’échappe plus à l’emprise possible des méthodes. Si bien que désormais tout est déclaré, non pas connaissable, non pas soluble, mais continuellement, toujours soumise à recherche, à essai, à invention, à accroissement par conséquent, quels que soient la forme des problèmes, les desiderata de la création.

La Pensée est-elle vraie, l’action est-elle bonne, l’œuvre est-elle belle ? Des faits, les idéals Vérité, Bonté, Beauté se sont dégagés et ont été reportés en attribution à la Divinité. Mais quel fondement posséderait le monde humain, le monde de la pensée, du sentiment et de l’action, si le monde réel, naturel, est illogique, mauvais et laid ? Tandis que les penseurs tournaient et retournaient le problème, les hommes de la pratique, élevaient même leur point de vue au rang d’un système (pragmatisme) allant de l’avant toujours, toujours, partout, partout. Ils édifiaient une civilisation nouvelle, faisant appel à l’organisation, mettant en œuvre l’homme le plus éduqué et discipliné, la machine plus docile et plus puissante, le capital d’avantage accumulé et assoupli pour toutes les situations. Les réalisateurs travaillaient à faire marcher des organismes de plus en plus considérables.

De même que la science a fait reculer les limites de l’ignorance, l’organisation a fait reculer celles du désordre. Et voilà le Monde — cette partie du monde tout au moins assigné à l’habitat humain et cette partie du milieu naturel susceptible d’emprise et de maîtrise par l’homme —, voilà le Monde lancé dans un processus d’organisation intégrale jusqu’à laisser entrevoir que l’Humanité, par des liaisons pacifiques et fécondes entre tous ses membres, deviendra un jour une unité organique, comme la Terre elle-même l’est devenue avec les cycles reliés de tous ses mouvements (Geon).

L’homme pose la Finalité. Tour à tour, il l’affirme ou la nie dans les choses elles-mêmes ; car lui apparaît ou lui échappe le but vers lequel leurs activités seraient coordonnées. Mais sa finalité, à lui et par lui, il la reconnaît. À mesure que se développe sa propre conscience, sa reconnaissance des choses, accompagnée d’une plus sûre emprise sur elle, l’homme se rend compte des immenses possibilités qui lui sont réservées pour créer de l’ordre autour de lui, un ordre ramené à lui et à ses propres fins, devenant générateur de l’outillage technique et des institutions sociales qui sont ses créations.

Une lutte est engagée : faire reculer le désordre en organisant un meilleur ordre. Lutte séculaire, millénaire, lutte à travers les civilisations dont chacune successivement succombe sous les coups du dehors, ou parce que s’épuise son propre souffle. Mais ordre relatif et mouvant, à mesure que se précisent ou se modifient les deux termes entre lesquels il intervient : l’Homme et le restant du Monde. L’un et l’autre, en constant mouvement, partant en constant changement, revêtent largement les formes d’une évolution à raison de la ligne générale des transformations qui apparaissent ni absolument discontinues, ni arbitrairement nouvelles, Nova ac Vetera.

Telle la vue la plus générale sur le Monde, ou plus exactement le cadre que peut établir l’esprit afin d’en saisir l’ensemble, après y avoir fait entrer les détails.

Un cadre s’impose, soit celui proposé ici, soit tout autre qui serait reconnu meilleur. L’important est de disposer d’un cadre pour pouvoir, soit seul continuement, ou plusieurs et tous en même temps, procéder à l’avancement et développer d’avantage, le savoir général, le sentiment d’harmonie universelle, la coopération mondiale. Le cadre est nécessaire afin de permettre aux esprits de se rencontrer ; et, par les comparaisons incessamment discutées, de réduire les antagonismes et les divergences. Le cadre revêt donc le double caractère d’être une forme et de pouvoir être un fond. Une forme, tant qu’il s’agit de poser les problèmes, et de poser les hypothèses. Un fond, quand les diverses catégories d’esprits ont exprimé ce qu’ils tiennent pour vrai, quand une majorité ou une minorité d’esprits est parvenue à se mettre d’accord à ce sujet.

Traiter du Monde (de Mundo), c’est exposer dans ses généralités essentielles l’état d’avancement de nos connaissances à l’égard des éléments principaux ; c’est dire les sentiments qu’ils font naître en nous ; c’est proposer l’action organisatrice qui en découle.

Par suite, traiter du monde c’est exposer une conception du monde (en tout temps et partout œuvre des philosophes), c’est faire concourir les arts à une expression harmonique de l’univers (de tout temps et partout œuvre des artistes) ; c’est faire se rejoindre, se coordonner les activités en un plan mondial (œuvre des réalisateurs). Semblable exposé tripartite, le livre est appelé à le présenter ; mais il n’est qu’un des modes d’expression et un mode dépassé par l’ampleur du sujet. En fait, traiter du monde exigerait un instrument de mondialisation sous le triple aspect : Nota synthetica, Emota sympathica, Acta synergica. Cet instrument a été conçu devoir être le Mundaneum.


Les Systèmes divers


La conception du monde se trouve placée dès le début de son exposé devant trois systèmes différents qui ont manifesté leur influence au cours des siècles. Le premier système est l’enregistrement pur et simple des faits et leur enchaînement selon un ordre strictement expérimental et d’observation. C’est le système dit positif, celui de l’analyse.

Le second système, dit de la synthèse, en s’autorisant des lois de la pensée logique et en y ajoutant des données de l’intuition même, l’hypothèse, l’interpolation, le passage à la limite ; il est impatient de conclure, d’avoir des réponses même provisoires aux problèmes qui sollicitent l’esprit.

Le troisième système est celui de la pensée religieuse. Pour elle l’ordre naturel auquel peut accéder la raison est doublé d’un ordre surnaturel auquel il est accédé par la foi, c’est-à-dire par des vérités révélées.

Ces trois systèmes agissent en réagissant constamment l’un sur l’autre soit qu’ils aient à traiter des mêmes éléments et le font de manière différente soit qu’ils adoptent à l’égard l’un de l’autre l’attitude critique ou apologétique et se forcent ainsi réciproquement à s’exprimer, à préciser, à se compléter.

Trois tableaux placés en liminaire aux études de détail jettent de la lumière sur cette imbrication de systèmes. Quel que soit celui auquel l’esprit accorde son adhésion, la discussion même nécessite d’en connaître la structure. Des places logiques y doivent être faites aux données de quelque ordre soient-elles, et cela d’une manière tout d’abord formelle, indépendante de décision quant au fond.

Système I. — SYSTÈME DES SCIENCES.


De liaison en liaison, de science constituée en science constituée, la pensée en est arrivée à élaborer une classification générale des connaissances. Celle-ci toujours discutée et perfectionnée pourrait être résumée dans le tableau suivant dont les colonnes horizontales (A) indiquent les diverses sciences et les colonnes verticales (B) les faits, phénomènes et propriétés. Ceux-ci sont ramenés à leurs éléments logiquement spécifiques et irréductibles. L’objet proposé à l’étude de chaque science se présente comme un complexe des propriétés ou phénomènes de l’ordre immédiatement inférieur (genre) auquel s’ajoute le phénomène spécifique (espèce). On a fait place dans le tableau, en tête à l’Ontologie, comme science générale de l’être, à la fin à la Théologie, science de la Divinité ; l’une et l’autre sont traitées ordinairement sous le nom de métaphysique. (Théodicée.)

B. ÉLÉMENTS, PROPRIÉTÉS DES CHOSES.
A. SCIENCES Être Nombre Quantité Étendue Espace Mouvement Temps Énergie Matière Vie Pensée Socialité Divinité
Ontologie X                
Arithmétique X X              
Géométrie X X X            
Cinématique Mécanique X X X X          
Physique Chimie X X X X X        
Biologie X X X X X X      
Psychologie X X X X X X X    
Sociologie X X X X X X X X  
Théologie X X





Système II. — SYNTHÈSE DE L’ÉVOLUTION GÉNÉRALE UNIVERSELLE.


Dans ce système l’énergie est tenue pour la seule puissance cosmique, d’essence unique, éternelle et indestructible. L’énergie est considérée sous ses deux modalités fondamentales, l’une d’ordre potentielle et statique, immatérielle, intensité (durée — temps), l’autre d’ordre cinétique, matérielle, extensité (espace). Sitôt les éléments ultérieurs formés, ils subissent le déterminisme finaliste orientant toutes les parties autonomes vers la coordination fonctionnelle unitaire, ou psychisme élémentaire. L’évolution se produit. Il y a formation des Univers matériels à partir du stade nébuleux et en passant par le stade stellaire ou par un stade de condensation maximum. Le système résoud l’opposition matière esprit en douant d’esprit, d’immatérialité, le plus petit des éléments considérés.

L’évolution dès lors se développe selon les stades suivants :

A. — L’inconscience, avec trois stades. 1° Le Photon : le point matériel le plus petit possible. Ses caractéristiques sont : a) unités de lumière ; b) noyau positif de l’atome ; c) doué de souvenir ou plutôt de la mémoire ou conscience inconsciente ; d) la vibration permanente du Photon, manifestation vitale élémentaire ; e) l’ensemble des points vibrants constituant l’espace. 2° La série des atomes, de l’hydrogène à l’uranium. 3° Les corps composés à l’aide des combinaisons possibles de ces éléments.

B. — Tropisme, carbone à volumes multiples, succède aux composés solides à tendances cristallisées.

C. — Instinct, chez les animaux, chez les artropodes, chez les vertébrés. Vie : cellule, organes, organisme ; plantes et animaux.

D. — Compréhension. Précurseurs de l’Humanité. Race du Néanderthal éteinte il y a 30.000 ans, avait compris l’usage du silex mais sous l’influence de l’époque glaciaire, lors du stade moustérien, disparaît. (Stagnation non susceptible de progrès évolutif en tant que race.)

E. — Conscience. L’homme (anthropos, psyché) apparu il y a 100.000 ans (?) et la conscience se développe sous l’empire d’une socialité plus grande, d’une technique qui extériorise l’évolution des facultés en instrumentation extérieure au corps humain (outil, machine) d’une part, langage, écriture, document-livre, d’autre part.

F. — Stade ultérieur. Dans deux directions : 1° la mutation s’opérant chez l’homme (homme futur : subconscience, superconscience : sixième sens). Instruction totale spiritualisation, intuition.

2° La société se développant en superorganisme (socion ou géon). Cerveau collectif : idéation, sentiment, volonté, mémoire.

G. — Stade de l’Univers total qui est rendu interdépendant, unifié, conscient ; la supervie universelle.[1]

Le tableau suivant résume ces données.

I. Règne
xxminéralxx
Grain d’énergie.
Électro-noyau positif.
Atome.
Corps simples.
Composés minéraux silicieux, solides et cristallins.
II. Règne
xxorganique
Composés du carbone.
Cellule
Protistes.
Algues-Végétaux.
Protozoaires.
Animaux.
Précurseurs.
III. Règne
xxhumainxx
Homme.
Sur-Homme.
IV. Règne
métahumain
Hyper-Homme (fluidique).





Système III.
ORDRE NATUREL ET SURNATUREL.


La doctrine catholique (théologie) présente cet ordre de la manière suivante.

En ordre premier vient Dieu, l’Être Incréé. Il est Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Dieu personnel et Infini, souverain, Vérité, Bonté, Puissance et Bien, omni présent et éternel a créé le monde qui comprend d’une part des êtres intelligents et libres, pouvant fixer eux-mêmes leur destinée, et d’autre part des corps et des êtres privés d’intelligence. La création (ex nihilo) est unique, finie et les pouvoirs créateurs ne sont pas délégués.

Les êtres créés sont les anges et les hommes. Il y eut une révolte des anges, la distinction dès lors en bons et mauvais anges (démons) et un état final déterminé par les termes Ciel et Enfer. Les deux catégories d’anges sont en relation avec l’homme.

Le drame de la Création est le drame de la chute et de la Rédemption. L’homme a été créé pour un état surnaturel, la vision béatifique directe de Dieu ; par la faute du premier homme, l’Humanité est tombée dans un état naturel. Les fils du premier homme furent maintenus dans cet état. Dieu le Fils se fit homme (Jésus Christ) pour racheter par son sacrifice l’Humanité tombée et rendre possible de nouveau aux hommes la jouissance de la vision béatifique (Ciel). Il a créé l’Église pour le représenter sur la Terre et sous la forme de sacrements, conférer aux hommes la grâce qui est l’effacement du péché originel et des péchés personnels.

Cette conception fondamentale commune à tous les temps du Christianisme, reçue en partie par lui du Judaïsme et de l’Ancien Testament au contact de tant de pensées antiques, conséquence de cette conception sur le monde entier de la pensée, se sont affirmées particulièrement à l’intervention de la scolastique au moyen âge, de la néo-scolastique (Néo-Thomisme) de nos jours.

Les scolastiques ont posé ainsi le problème de la connaissance. « Concilier en une vaste synthèse embrassant l’universalité des choses, les données de l’expérience sensible, les progrès communs de la raison naturelle, et les principes propres de la foi qui sont les dogmes révélés, en subordonnant l’expérience à la raison qui l’interprète et la raison à la foi qu’elle a pour but de justifier. »



Notation

I. — La nécessité d’avoir toujours présent à l’esprit ce cadre et cette forme, d’en faire comme le substratum d’une conscience élargie jusqu’à l’universel, jusqu’au mondial, rend désirable de la résumer figurativement en symboles assez condensés pour que puissent être instantanément rappelés tous les termes et leurs corrélations. En de nombreuses, matières, la notation (symboles) et le diagramme (schématique) ont rendu semblable service. Ainsi en mathématique, en logique, en chimie, en géographie, en musique. En mathématique, l’algorithme a pris une puissance extraordinaire du fait de l’équation. Elle présente ses formules sous la forme d’une égalité dont les termes, tantôt sont généraux et en quelque sorte contractés et implicites, tantôt particuliers, développés et explicites. L’équation présente les termes sous une forme qui facilite son œuvre à l’esprit, en soutenant ses déductions, ses combinaisons, son calcul. Cette forme est apte à représenter toutes les transformations successives, à insérer en elle la multiplicité, ses classes et ses groupes, avec leur nombre, leur grandeur, leur fonction et leurs espèces.

II. — Le Monde, constitué des éléments que nous venons de distinguer en lui, peut être exprimé par une grande égalité, dont le premier terme soit le monde en l’unité de sa synthèse, et le second terme les divers éléments de son analyse :

MONDE =
OBJET Choses(Nature, Homme,
xxxSociété, Divinité)
Espace

Temps
SUJET Le Moi (Connaissance,
xxxsentiment, action)
Les Créations (synthèse,
xxxharmonie, organisation)
Expression
Inconnu
et
mystère


Cette formule sera plus condensée encore si on l’exprime par les premières lettres des termes :

M =
C (N + H + S + D)
E
T
M (c + s + a)
C (s + h + o)
E
(x + y)


Au lieu de lettres conventionnelles, la notation peut se faire par chiffres dont les nombres soient ou l’unité correspondante à l’ensemble ou les fractions décimales de cette unité qui correspondent aux parties ou éléments :

1 =
0.1 (0.11 + 0.12 + 0.13 + 0.14)
0.2
0.3
0.4
0.5
0.6
0.7


Puisque c’est des parties surtout qu’il est traité et que leurs symboles numériques sont tous précédés de zéro (0), une convention intervient pour simplifier la notation : la suppression partout du zéro, réservé alors pour exprimer les généralités, non seulement les généralités relatives au monde tout entier quand il est employé seul, mais les généralités propres aux diverses parties, quand il est employé à la suite des nombres propres aux parties. On a donc :

0 =
1 (11 + 12 + 13 + 14)
2
3
4
5
6
7


III. — Semblable notation a divers avantages. Elle est concise. Elle est internationale, ne dépendant d’aucune langue. Elle se réfère aux concepts et non aux mots et à leurs synonymes fluctuants. Elle marque l’ordre de suite ou de classification des concepts. Appliquée à l’exposé des données, elle en marque la succession. Par suite, la formule (l’équation) constitue le plan même selon lequel l’exposé peut se développer et les références s’y faire.[2]

On s’est borné dans l’ouvrage au développement de l’équation correspondant à ses termes principaux. Les remarques suivantes serviront à l’étude des développements ultérieurs.

IV. — Tout exposé, qu’il reçoive ou non une représentation chiffrée, procède par la mise en œuvre de trois bases : progression, combinaison, permutation. La mathématique en a fait la théorie, mais il importe de la généraliser. La progression est inhérente à la classification même des éléments et de leurs termes (ratio de la classification). La combinaison intervient chaque fois qu’une chose est dite d’une autre chose ; elle est donc à la base de tout le discours et de la proposition en laquelle il se résoud. La permutation des termes correspond à la mobilité des choses et à celle de l’esprit qui les suit dans leurs mouvements, mouvements en vertu desquels, dans la réalité objective, ou à notre point de vue subjectif ; ils sont tantôt dans un ordre, tantôt dans un autre.

La formule susdite, l’équation mondiale, en exprime la composition, la classification et partant une progression des termes (N). La combinaison des termes se présente deux à deux, trois à trois, (N à N) ; on peut la noter par un exposant indiquant le degré (Nn). La permutation, rendue explicite par des Tables, peut s’indiquer par des indices ou chiffres, placés au pied et à droite des nombres classificateurs, tandis que les exposants sont placés à droite au sommet (Nn). Ces indices devront indiquer chaque fois l’ordre de la permutation dont il sera question. Ainsi un exposé combinant le sujet (matière) avec l’espace (lieu) et le temps (époque) s’indiquera :

N(01 : 03 : 04)

Un exposé dans l’ordre non normal et permutant la base-espace avec la base-matière s’indiquera :

N(03 : 01 : 04)

Pour mieux comprendre toute cette notation, on peut comparer un élément traité quelconque, à un point (.) ; l’ensemble des éléments classé à une ligne (—) ; la combinaison des éléments entre eux, à une surface (⎕) ; leur permutation à un cube.

V. — Le langage, œuvre du temps, soit empirique et arbitraire, soit disciplinée et logique, comprend toutes ces distinctions à l’état virtuel, implicite, caché ou désordonné. La notation scientifique opère le redressement, mais devant la synthèse à opérer, il est temps que toutes les notations particulières viennent se fusionner en une notation universelle.

VI. — L’exposé du présent ouvrage a été limité à ce qu’il y a de principal ou essentiel ; sur bien des points il est simplement indicatif, faisant référence à des sources non reproduites. On a suivi l’ordre de la formule des termes dans l’équation mondiale. Les nombres de celle-ci, qui signifient des éléments, ordre et relation (et non point quantités et mesures) servent à la désignation des chapitres et paragraphes. Puisque l’exposé consiste en une corrélation des termes, toute la matière y devrait être présentée sous

la forme d’un tableau à deux entrées.
1 01 02 03 N
1 1 : 1 1 : 01 1 : 02 1 : 03 1 : N
01 01 : 1 01 : 01 01 : 02 01 : 03 01 : N
02 02 : 1 02 : 01 02 : 02 02 : 03 02 : N
03 03 : 1 03 : 01 03 : 02 03 : 03 03 : N
N N : 1 N : 01 N : 02 N : 03 N : N

L’exposé est simplifié : 1o quant aux combinaisons en ne combinant les termes que deux à deux ; 2o quant aux permutations en s’en tenant à l’ordre des éléments d’équation, ordre qui est tenu pour normal ; 3o en ne traitant des généralités relatives aux divers éléments du monde qu’une fois sous chacun de ces éléments ; 4o en tenant compte qu’il n’y a pas à traiter un élément dans ses rapports avec lui-même. En éliminant donc toutes les répétitions, le tableau d’études appliqué à la table des matières deviendrait celui-ci, ne comprenant plus que 15 termes au lieu de 35.

1
01 01 : 1
02 02 : 1 02 : 01
03 03 : 1 03 : 01 03 : 02
N N : 1 N : 01 N : 02 N : 03

Ceci, écrit linéairement prend l’ordre de classement suivant, conforme à l’ordre des sortes de nombres décimaux : 1, 01, (01 : 1), 02, (02 : 1), (02 : 01), 03, (03 : 1), (03 : 01), (03 : 02), N, (N : 1), (N : 01), (N : 02), (N : 03).

VII. — La notation est une représentation idéologique successive, discursive comme le langage. L’image en est la représentation sous une forme proprement visuelle et simultanée. Entre la notation et l’image, il y a correspondance, à la manière dont, à un moment du développement de la mathématique, la correspondance a été établie entre les symboles de l’algèbre et les figures de la géométrie. L’image du Monde a été exprimée longtemps par les allégories des artistes traduisant les comparaisons des poètes. Elle devra tendre de plus en plus à prendre la forme concrète du dessin et la forme abstraite du schéma.

On pourrait ainsi, schématiquement, représenter le total du monde donnant une vue approximative concrète des éléments en présence. On pourrait aussi, schématiquement, représenter le total du monde par une sphère dont les divers grands cercles, divisés en segments, se rapporteraient aux diverses catégories d’éléments et à leurs subdivisions, cercles et segments étant supposés projetés en un point central et s’y entrecouper pour figurer l’ensemble de leurs rapports réciproques.



  1. Sur ce système voir notamment les résumés et les travaux synthétiques d’A. Rutot, dont le mémoire : Inconscience, trophisme, instinct, etc.
  2. Semblables classification et notation sont pour la synthèse des connaissances le complément des Tables de la Classification Décimale qui, sous une forme pratique, conventionnelle et développée déjà jusqu’à 70,000 divisions, est proposée pour organiser en un ensemble et en un réseau unique la multitude et là variété des documents. Référence est à faire de l’une de ces classifications à l’autre, jusqu’au jour où, refondues, on pourra disposer d’un instrument unique applicable à la fois à la Science et à sa Documentation.