Revue L’Oiseau bleu (p. 1-6).

LE DÉPART



Combien d’entre-vous, fillettes et garçonnets qui lisez la Revue de la Jeunesse, aimeraient à faire un voyage autour du monde ? N’est-ce pas qu’il serait intéressant de s’en aller sur ce globe qui mesure près de deux cent millions de milles carrés, à travers des régions dont la physionomie, les productions et les climats sont si divers d’un point à l’autre : sur ce globe qui porte l’humanité, c’est-à-dire l’étonnante variété des races humaines, différant entre elles non seulement par la taille et la couleur de la peau, mais par les usages, les langues, les croyances, et qui nous offre cependant la plus admirable preuve que ce qui est si divers peut avoir une seule et même origine ?

J’entends des milliers de voix qui me disent : « Moi, moi ! » Déjà vous croyez arrivé le moment du départ. Enfants, vous quitteriez ainsi, d’un cœur léger, vos bons parents, vos amis, votre école avec celles ou ceux qui vous y instruisent, tout, enfin, pour aller courir les aventures d’un long et périlleux voyage ! Car on a beau dire que les moyens de se déplacer ne laissent aujourd’hui que peu de dangers, il va sans dire que le risque existe toujours.

Cet empressement à partir me plaît fort ; j’y vois la preuve que vous êtes de bonne race, que vous appartenez à une nation qui a compté beaucoup de voyageurs justement célèbres, et qu’enfin vous affichez des dispositions qui montrent que vous n’avez pas peur de la vie.

Mais vous voilà songeurs ; d’ici, je distingue vos gestes d’hésitation ; et vous vous dites, tout pensifs : « N’est-il pas possible de voyager en esprit ? » À la bonne heure. Loin de renoncer au projet de vous laisser voir un peu du monde extérieur, je m’empresse de vous raconter les circonstances dans lesquelles j’ai fait mon voyage autour du globe, alors que j’avais votre âge.

Au printemps de 1895, mon père fut chargé par le gouvernement de notre province de faire un long voyage d’études. Il n’était pas seul : l’accompagnaient un ingénieur, un naturaliste et un peintre.

À douze ans, c’est bien tôt pour voyager de la sorte. Suffira-t-il de vous dire que maman n’était plus de ce monde et que papa tenait à faire lui-même, autant que possible, mon éducation. D’ailleurs, ma robuste santé allait me permettre d’accomplir ce voyage sans funestes conséquences.

J’étais décidément trop jeune pour comprendre parfaitement le but de la mission que mon père et ses compagnons de voyage allaient remplir. Mais à en juger par tous les lieux que nous avons visités et les personnages que mon père a consultés, j’en conclus que nous n’étions pas de simples touristes, et que nous ne voyagions pas toujours par les routes les plus fréquentées.

Pendant les deux années que ce voyage a duré, j’ai écrit plusieurs fois à mes tantes et à des amis qui m’avaient instamment recommandé de ne pas les oublier. À l’exemple du chef de la mission, j’ai pris des notes et des croquis. C’est de tout cela que j’aide mon souvenir aujourd’hui pour vous raconter cet inoubliable voyage.

Et maintenant que nos préparatifs sont terminés, vous riez, vous riez de bon cœur ! Mais où allons-nous ? — Sous tous les climats, à travers toutes les latitudes, par les villes et les solitudes, sur les plaines et les plateaux, à travers les exubérantes forêts et les brûlants déserts, dans les vallées et jusqu’au sommet des montagnes, emportés par la locomotive, en voiture, à dos de cheval, allant même à pied. Nous franchirons l’océan, les golfes, et nous naviguerons sur les fleuves et les lacs, tour à tour convoyés par des navires les plus variés de forme et de dimension. Parfois nous mènerons la vie que mènent les peuples dont nous visiterons les pays presque sauvages. Nous humerons les brises, nous sentirons les fleurs, nous goûterons les fruits de tous les climats. En un mot, nous ferons de la géographie vivante, en tâchant de comprendre pourquoi il y a une si grande diversité dans les choses et chez les humains.

Ces émouvants spectacles de la nature, ces souvenirs, ces notions acquises à travers le vaste Canada et chez les peuples étrangers nous apprendront à mieux aimer Dieu, auteur, maître et dispensateur de tant de merveilles.

Et voilà que chaque livraison de la Revue de la jeunesse va vous donner une tranche de ce récit, qui est fait à votre intention. Cette revue, qui veut avant tout vous être agréable et contribuer à votre instruction, n’exige en retour qu’un léger sacrifice. De temps à autre, au cours du voyage, vous enverrez à M. le directeur une mappe-monde en esquisse, sur laquelle vous aurez tracé le chemin parcouru.

Compagnes et compagnons de voyage le moment est venu de dire adieu à tous les êtres que vous chérissez. Déjà sonne l’heure du départ.