Calmann-Lévy (p. 38-40).
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VII

Pourtant, une heure après, Jean Barrada reparut encore, ayant l’air d’être venu ranger un de ces palans dont on se sert pour les canons.

Et, cette fois, Yves l’appela tout bas :

— Barrada, tu devrais bien me donner un peu d’eau douce pour boire.

Barrada alla vite chercher sa petite moque, qu’il portait pendue à sa ceinture le jour et qu’il serrait la nuit dans un canon ; il y mit de l’eau, qui était couleur de rouille, ayant été rapportée de la Plata dans une caisse de fer, et un peu de vin volé à la cambuse et un peu de sucre volé à l’office du commandant.

Et puis il souleva la tête d’Yves, tout doucement avec bonté, et le fit boire.

— Et à présent, dit-il, veux-tu te changer ?

— Oui, répondit Yves d’une toute petite voix, devenue presque enfantine, et qui était drôle par contraste avec sa manière de tout à l’heure.

À deux, ils le déshabillèrent, lui se laissant câliner comme un enfant. On essuya bien sa poitrine, ses épaules et ses bras, on lui mit des vêtements secs et on le recoucha en plaçant sous sa tête un sac pour qu’il pût mieux dormir.

Quand il leur dit merci, un bon sourire, le premier, vint changer toute sa figure. C’était la fin ; son cœur était amolli et redevenu lui-même. Aujourd’hui, cela n’avait pas été bien long.

Il sentait un attendrissement infini en songeant à sa mère, et une envie de pleurer ; quelque chose comme une larme vint même dans ses yeux, qui étaient durs pourtant à cette faiblesse-là… Peut-être serait-on encore un peu indulgent pour lui à cause de sa bonne conduite à bord, de son courage à la peine et de son rude travail dans les mauvais temps. — Si c’était possible, — si on ne lui donnait pas une punition trop grave, il est certain qu’il ne recommencerait plus et se ferait tout pardonner.

C’était une grande résolution, cette fois. Quand il avait bu seulement un verre d’eau-de-vie, après les longues abstinences de la mer, tout de suite sa tête partait, et alors il lui en fallait d’autres, et d’autres encore. Mais, en ne commençant pas du tout et en ne buvant jamais rien, il aurait encore un moyen sûr de rester sage.

Son repentir avait la sincérité d’un repentir d’enfant, et il croyait beaucoup que, s’il pouvait échapper pour cette fois à ce conseil terrible qui mène les matelots en prison, ce serait sa dernière grande faute.

Il avait aussi espoir en moi, et puis, surtout, envie de me voir. Et il pria Barrada de monter me chercher.