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CHAPITRE II

Féminisme et Féminisme.


Avant d’entrer plus avant dans le vif de notre sujet, il faut s’entendre sur ce mot « Féminisme », qui a donné lieu à diverses interprétations et à beaucoup d’erreurs. C’est un néologisme élastique qui, avec le temps, se resserrera dans sa juste limite.

Et tout d’abord :

Qu’est-ce que le Féminisme ?

C’est une révolution morale ; c’est une tentative des femmes vers le mieux ; c’est un ferment révolutionnaire qui a bouleversé leurs consciences, et qui fait sourire des hommes au jugement étroit et borné.

Le Féminisme est aussi le terrain de revendications légitimes momentanément étouffées, ou déchirées par les ronces et les épines de théories ridiculement fausses et grotesques.

Le Féminisme peut encore être défini :

Une puissante évolution en marche de la pensée actuelle. Marche certaine, vigoureuse, que nous subirons comme nous subissons celle des lois cosmiques ; marche qui sera forcément retardée ou accélérée par les événements.

Un fleuve qui se jette à la mer ne peut être endigué : tel le courant féministe. Ce courant deviendra immense dans l’Histoire, irrésistible comme la marée, qui monte lentement, infailliblement. Les flots de ce nouvel océan se heurteront plus d’une fois contre le roc dur, puissant, afin de s’élancer plus haut que lui, pour se disperser ensuite en belles et douces gerbes d’écume,

Le Féminisme est un fluide ubiquitaire. Il a pu sourdre en silence à travers les âges afin d’amener l’évolution actuelle, évolution économique comme le sont les autres évolutions de l’Humanité. Nier le grand mouvement contemporain serait absurde. Mais l’instant n’est pas venu de s’en féliciter ou de s’en attrister. Pour tout esprit libre d’idées de polémique, dégagé de préjugés, discret de conclusions futures, l’heure qui va sonner est grave ; elle comporte, dans les champs vastes et inconnus de l’avenir, des choses incalculables.

Pour la saine compréhension des lignes suivantes, il faut (en attendant que le mot ait acquis sa juste valeur) diviser le Féminisme en deux parties :

1o Le Féminisme « sectaire » ;

2o Le Féminisme « rationnel ».

Examinons brièvement le premier afin de l’éliminer une fois pour toutes de ces pages, où il n’a que faire.

Qu’est-ce donc que le Féminisme « sectaire » ?

C’est l’aberration indispensable de toute évolution à sa genèse, aberration inhérente à l’infirmité du jugement humain.

Le Féminisme « sectaire », c’est le pendule qui, au début, s’élance violemment vers l’extrême limite de son oscillation. Dans son essence propre, le Féminisme « sectaire », de par l’exagération du fougueux élan de la première heure, dépasse le but : il retarde ainsi la marche vers la perfection de sa cause, l’avènement du nouveau règne. Un génie, un grand penseur, qui fut aussi un grand croyant, a dit : « Ce sont les catholiques qui font le plus de tort au catholicisme[1] » ; mot profond, qui trouve ici son juste parallèle : ce sont les Féministes qui font le plus de tort au Féminisme.

L’émancipation de la Femme est une idée qui date des temps les plus lointains. Or, l’Idée, chez les peuples, parcourt lentement un chemin pénible… En France, où nous tiendrions tout particulièrement à lui faire honneur, nous y parvenons moins qu’ailleurs ; oh ! pour une raison bien simple : toujours on en parle, jamais on n’y pense !

M. Louis Chabaud cite comme « précurseurs » du Féminisme, Mmes de Maintenon, de Genlis, Campan. Si ces dames revenaient sur terre — ce dont Dieu les préserve — je crois qu’elles répudieraient avec indignation ce titre de « précurseur de la révolution féminine ».

Certes, elles servirent la cause, mais en éducatrices seulement, et ne furent jamais que le très pâle reflet de leur grande devancière, Héloïse.

Aux éclaireurs modernes de la première heure, aux Olympe de Gouge, aux Théroigne de Méricourt, etc., aux bicyclistes garçonnières contemporaines, aux étudiantes aventureuses, aux salutistes affolées, en un mot à toutes les féministes « sectaires », réservons un peu d’indulgence au milieu de notre légitime indignation ! Se jugeant trop magnifiquement douées pour ne pas se croire une entité, elles deviennent les pionniers nécessaires qui plantent brutalement et bruyamment les premiers jalons ; elles frappent dur et fort : avant de se faire entendre, ne faut-il pas crier qu’on existe ? Après le coup de gong assourdissant des avant-coureuses, viennent leurs revendications absurdes et exagérées. Elles réussissent ainsi à écarter d’elles les esprits modérés, qu’elles éloignent des réformes présentes en leur faisant chérir plus vivement les formes du Passé. Mais, je le répète, que notre sévérité soit tempérée : à de rares exceptions près, les sectaires seuls sont des convaincus. Il y aurait des pages follement drolatiques à écrire sur un état social futur où toutes les conditions féministes « sectaires » seraient réalisées.

De sa plume spirituellement ironique, M. H. Kistemaeckers nous en donne, dans ses Lettres de Jeannine, une partielle mais amusante vision. En premier lieu — cela va de soi — la démolition du mariage ; puis « les causes de cette destruction, qui se résument par les éléments de l’apophtegme suivant : vice spécialisé sous le nom d’amour, i. e. amour, distinction des sexes, alors que nous en voulons (ce sont les sectaires qui parlent) l’unification ; amour qui accentue les différences entre l’homme et la Femme alors que nous voulons les abolir ; amour qui spécialise la Femme dans ses attributs distinctifs ; amour qui entrave la marche ascensionnelle de la Femme vers ses droits, sa liberté, sa puissance : haro ! sur l’amour ! »

L’inénarrable gâchis d’un pareil état social futur nous fait reculer d’épouvante. Nous lui préférons le Féminisme sectaire de jadis, où, malgré l’aversion qu’il nous inspire, le renversement total du rôle de la Femme n’allait pas sans quelque grandeur.

C’était au temps où les femmes étaient soldats elles habitaient les rives du Thermodon, en Cappadoce, et étendaient leurs conquêtes à presque toute l’Asie-Mineure. Elles s’appelaient les Amazones (de a privatif et du grec mazos : mamelle). Dès l’enfance, on leur brûlait ou comprimait le sein droit, afin qu’elles pussent tirer de l’arc avec facilité. Pour perpétuer leur race, elles avaient un commerce passager avec les hommes des pays voisins, gardaient les filles, mais renvoyaient au père les enfants mâles. Elles eurent leurs reines et leurs héroïnes célèbres : Sphione, qui félicita Jason ; Ménalippe, qui donna sa ceinture à Hercule ; Hippolyte, qui envahit l’Attique ; Penthésilée, qui secourut Troie et fut tuée par Achille ; Thalestris, qui visita Alexandre. Ce fut une Amazone de la Scythie, Thomiris, qui fit périr Cyrus.

Au viiie siècle, la Bohême, comme les Grecs, posséda ses Amazones ; celles-ci, sous leur reine Vlasta, s’organisèrent en corporation militaire et civile. Pendant huit années, elles firent la guerre à Przemislas, duc de Bohême, exterminant ou réduisant à l’esclavage les hommes vaincus.

Encore actuellement, dans l’Afrique du Centre, il y a des tribus où les femmes, plus fortes que les hommes, exercent le commandement. Chez les Afghans se trouve une peuplade dont les femmes guerroient et chassent pendant que les hommes s’adonnent aux soins domestiques.

Le roi des Achantis, dans l’Afrique Occidentale, et le roi du Dahomey, dans l’Afrique Centrale, possèdent des régiments de gardes du corps recrutés exclusivement parmi les femmes et commandés par elles. Bien plus, en temps de guerre, et pour les exciter à la bravoure, ces gardes du corps précèdent les guerriers mâles, leur en donnent l’exemple, et se signalent par une audace et une rage de destruction extraordinaires.

Voilà un phénomène parfaitement explicable, basé sur la supériorité physique ; les temps s’accomplissent où notre orgueil masculin recevra d’autres coups !

Pour en revenir au Féminisme « sectaire » actuel, il est le prélude nécessaire de revendications qui, plus tard, deviendront justes et sensées. La mesure qui préside à l’ordre de l’univers physique est, dans l’ordre moral, non moins rigoureusement indispensable pour résoudre une question sociologique tendant au rétablissement de l’équilibre des sexes. Bien qu’ayant pris sa racine dans la générosité, le Féminisme « sectaire » est en train de disparaître : une générosité vide de bon sens nuit à une cause plutôt qu’elle ne la sert. Aujourd’hui encore, l’erreur fondamentale de la Féministe « sectaire » est de vouloir prendre la place de l’homme pour usurper le rôle de ce dernier en lui sacrifiant celui de la Femme. Immense méprise d’où découlerait un désordre indescriptible à cause d’exigences diamétralement opposées aux privilèges de son sexe et en désaccord avec l’essence même de sa féminité. Qui dit manque d’ordre, dit manque d’équilibre ; l’émancipation vulgaire abolirait du coup l’amante, l’épouse et la mère !

La Féministe de la première heure, la Féministe « sectaire », est une révoltée. C’est pourquoi le socialisme veut l’incorporer dans son mouvement. Mais si le vrai Féminisme et le socialisme jaillissent d’une source identique : le soulagement de l’Humanité, là se borne l’analogie. Leurs moyens d’y atteindre sont, comme cela sera prouvé plus loin, en flagrant délit de divergence.

Terminons cet aperçu sur le Féminisme « sectaire » en disant qu’il confond « évolution » (qui ne veut pas dire révolution) avec « agitation », et qu’il oublie que tout excès mène à la chute finale. Les revendications féminines ne s’obtiendront jamais, surtout dans notre pays, par des manifestations publiques. Elles y seront continuellement accueillies avec goguenarderie : l’estrade en plein vent est un détestable tremplin pour la cause.

Et maintenant, qu’est-ce que le Féminisme « rationnel » ?

Je ne saurais en donner une meilleure ni une plus succincte définition que celle de la devise d’une de ses Revues : « Tous nos droits, tous nos devoirs. » Pour accomplir ceux-ci, il faut obtenir ceux-là. Nous voyons la Femme se mettre à l’œuvre dès que quelques-uns des premiers lui sont acquis. Fière et sérieuse devise, qui condamne celle des Romains envers leurs esclaves : « Aucun droit, tous les devoirs, » sous laquelle, de temps immémorial, l’homme a cru devoir courber la Femme.

Le sort de cette dernière parmi les peuplades primitives, puis dans les nations plus civilisées, révèle un fait capital au point de vue de l’évolution morale de l’Humanité — sujet en dehors du nôtre, mais s’y rattachant étroitement — c’est qu’à son début terrestre l’homme ne fut pas semblable aux autres animaux : il leur fut très inférieur.

Jamais ni les mammifères ni les vertébrés ne maltraitèrent leur femelle comme l’homme maltraita la sienne.

Mais si à ce fonds de brutalité première, si à ce fonds d’égoïsme surpassant celui des brutes de la création, la Femme doit sa sujétion séculaire, il faut qu’elle sache que c’est pendant les siècles de son humiliation que germèrent sourdement en elle, dans l’ombre, les qualités et les vertus qui assureront un jour son triomphe final.

Il ne faut pas l’oublier, le Féminisme « rationnel » a pour but le relèvement du corps social par l’affranchissement de la Femme.

Je cours au-devant de l’objection spontanée : l’affranchissement complet de la Femme concourra-t-il à l’amélioration de la collectivité ?

Oui et non. — Oui, si la Femme est élevée autrement qu’elle ne l’est actuellement, si on lui apprend à être non pas un reflet, mais une énergie. — Non, si la faible éducation et l’instruction presque nulle qu’elle reçoit présentement lui sont continuées. Son affranchissement tournerait alors à un désastre qui la conduirait — avec l’homme — aux pires catastrophes.

Changer la façon d’élever la jeunesse féminine chez nous doit être tenté pour deux raisons ; premièrement, n’ayant pas encore eu recours à ce changement, on ne peut dire s’il réussira ou s’il échouera ;

Secondement, après la faillite lamentable, totale de la Femme actuelle, une formule nouvelle s’impose. Il est louable d’en faire l’épreuve. Jouet inutile lorsqu’il n’est pas pervers, la Femme nulle ou mauvaise a fait banqueroute. Il faut donc orienter différemment celle qui devra être désormais l’alliée de l’homme, non pas sa conquête.

Il est évident que la Femme future, telle que l’entrevoit le Féminisme « rationnel », ne sera nullement appréciée par une certaine catégorie masculine. Cette catégorie est majorité aujourd’hui. Elle sera minorité demain, alors que la Femme, élevée autrement, éduquera différemment ses fils, n’en faisant plus des tarés de l’Humanité comme le débauché, l’égoïste, l’oisif. Que ceux-ci — dont nous n’avons pas à nous occuper ici — se rassurent : malgré tout le progrès réalisé, la satisfaction de leurs vices trouvera toujours à être pourvue. Qu’ils nous fassent donc grâce de leurs clameurs bestiales, car les plus véhéments anti-féministes parmi nous sont ceux qui veulent avant tout que la Femme demeure la serve de leur plaisir charnel.

Un peu de réflexion montrera combien le Féminisme « rationnel » est intimement uni à la question sociale.

De tout temps l’homme a forgé des chaînes pour sa rivale, chaînes de fleurs ou de fer selon les époques. Encore en ce siècle, et malgré le réveil salutaire pour la condition meilleure de la Femme, couronner de roses la victime pour la tromper et mieux l’abattre est un procédé de l’antiquité qui n’a pas vieilli. Aussi, spoliations de tous genres, lois arbitraires, dénis de justice, etc., ont-ils fait plus d’une fois de fortes brèches dans le bastion des préjugés séculaires. Cette fois-ci, le Féminisme « rationnel » menace d’en raser les forteresses pour entrer triomphalement dans la place dans « les lois ».

J’ai vu dernièrement, dans l’atelier d’un incomparable artiste, une ébauche de la Femme entre l’Histoire et la Science.

Sur une toile aux dimensions de tableau de musée sont groupées, debout, trois figures de grandeur naturelle : d’une main, l’Histoire (le Passé) retient légèrement la Femme par son vêtement ; de l’autre, armée du glaive de la Justice, elle lui indique un cadran où va sonner pour elle l’heure d’une ère nouvelle. La seconde figure représente la Science (le Présent) posant avec calme mais fermeté son bras sur l’épaule de la Femme, tandis que de l’autre, avec un geste auguste, elle lui montre les champs immenses et inexplorés de l’Avenir. La Femme, entre le Passé et le Présent, semble percer d’un regard lumineusement doux le nouvel horizon de ses futures victoires. Son attitude est grave, son expression est noble. Les ailes éployées de l’Histoire et de la Science projettent sur elle leur ombre protectrice : cette trilogie symbolique est très belle et d’une dignité imposante.

Il est naturel que pendant les siècles où la Science fut muette, l’homme, animal incontestablement plus fort physiquement que sa compagne, se soit considéré comme supérieur à elle, qu’il se soit ancré dans une idée entièrement à son avantage. Et il l’a fait avec une ténacité d’autant plus grande que cet adversaire, dont il méprisait l’infériorité, le dominait complètement à certaines époques de son histoire, et cela, en dépit des lois promulguées contre lui.

Alors que les muscles de l’athlète domptaient jadis le monde, la force physique de l’homme (où la constitution plus délicate de la femme trouva aide et protection) possédait une valeur intrinsèque énorme. Cette supériorité ne fut que transitoire : le jour où la puissance des machines relégua la force de l’homme à l’arrière-plan, elle se trouva éclipsée par le règne de la Pensée. Même avec ce règne, tant que les lois resteront celles de la Force, notre civilisation si prônée ne sera que vantardise et barbarie. C’est dans cette nouvelle puissance intellectuelle que la Femme, agrandissant son rôle, étendra notoirement son domaine : le « machinisme » a forcé vers les carrières libérales la puissance des cerveaux.

La Science de la fin du xixe siècle nous révèle que, dans la création, l’organisation de la femelle est supérieure à celle du mâle. Les instincts de celui-ci, moins éveillés, le rendent plus rebelle qu’elle à la domestication et au dressage. Par un enchaînement de preuves ininterrompu, la science démontre l’importance de la femelle sur notre planète. De plus, cette même science s’est occupée des facultés cérébrales de la Femme. Un savant, le docteur Manouvrier, dans ses recherches d’anatomie comparative au Laboratoire d’anthropologie de Paris, prouve que le volume relatif du cerveau féminin est très supérieur au volume du cerveau de l’homme.

« Ce fait, dit-il, fut tourné au désavantage du sexe masculin, d’après les idées reçues, si je n’eusse démontré en même temps que la supériorité quantitative et relative n’entraînait une supériorité intellectuelle qu’à masse égale du corps. Pour que la Femme soit aussi bien douée que l’homme sous le rapport du volume cérébral, il faut que ce volume cérébral soit relativement supérieur chez elle à cause de son infériorité de taille. C’est effectivement ce qui a lieu, etc. » (Mémoire paru en 1894.)

Les savants, divisés sur ce sujet comme sur tant d’autres, n’en formulent pas moins de temps à autre des aphorismes égayants ! Proudhon a écrit que « la pensée de tout être vivant est proportionnelle à sa force ». La baleine et la fourmi, l’éléphant et l’abeille lui donnent un démenti aussi comique qu’effronté ! Puis, on sait que la plupart des découvertes de notre grand Pasteur furent faites lorsqu’il était paralysé de la moitié du corps ! Autre affirmation : « Plus l’être sain est sensible, plus il est intelligent ; » d’où il découle, ô sublime logique ! que la Femme, reconnue plus sensible que l’homme, lui est cependant intellectuellement inférieure ! Contradiction exquise, d’un comique de haut goût, qui ne fait guère honneur aux psychologues, pathologues et anatomistes. Par hasard, « contredire » serait-il synonyme de « bredouiller » ? Ni eux ni d’autres ne peuvent affirmer que nos sens, tels que nous les connaissons, soient les seuls intermédiaires entre les faits extérieurs et notre intelligence ; il faut faire la part de facteurs inconnus ; le rapport de la sensibilité avec les sentiments et les idées est encore, pour nous, lettre close.

La psychologie expérimentale naît à peine… C’est à elle qu’incombera, dans les siècles futurs, la tâche d’expliquer et de démontrer non pas l’infériorité de la Femme, mais la différence intellectuelle entre celle-ci et l’homme. Aussi bien, puisque les savants ne s’accordent pas, écartons-nous de la brume de leurs hypothèses : élucidons une fois pour toutes, froidement si possible, non par la science mais par les faits, cette irritante question de l’infériorité féminine.

Le fait est brutal ; il parle haut ; avec lui aucune tergiversation.

Une chose demeure au plus haut degré frappante dans la lutte des sexes : la défense féroce de l’homme contre un adversaire dont l’infériorité (absolue et certaine pour lui) excite son mépris. Pourquoi opposer à un être aussi faible le plus meurtrier des engins, « la Loi » ? Écrase-t-on un moucheron avec une massue ? Un arsenal de guerre à ce point redoutable ne fait-il pas ressortir la puissance et non la faiblesse de l’ennemi ? Pourquoi l’homme s’ingénie-t-il à élever des barrières infranchissables contre un si piètre combattant ? Ne serait-ce pas pour enrayer, endiguer un pouvoir ubiquitaire qui le déroute et l’inquiète ?

Voilà un fait. En voici un autre. (Je l’ai dit, avec eux, aucune échappatoire.)

Malgré les difficultés énormes et de tous genres qui ont hérissé le chemin des femmes à travers les âges, un grand nombre d’entre elles se sont illustrées intellectuellement au même degré que les hommes, alors que pour ceux-ci ces mêmes obstacles n’existaient pas. Est-il téméraire d’avancer que l’effort gigantesque de ces cervelles féminines, sans atavisme intellectuel puisque les cerveaux-ancêtres n’avaient pas été enchaînés, courbés à des travaux auxquels les cerveaux masculins sont aguerris depuis des siècles — dénote chez la femme une organisation supérieure, et si perfectible qu’elle ferait honneur, s’il existait, à un troisième sexe plus fort que les deux autres ? Renversons le cas. L’homme y eût échoué parce qu’à une intelligence remarquablement développée il fallait joindre une volonté de persistance et de rigueur qui n’est pas dans le tempérament masculin.

Un sujet dont la dispute serait éternelle serait d’une éternelle inutilité ; tel n’est pas le cas du Féminisme. Mais encore faut-il, pour convaincre, prouver ce qui est démontré. Or, si le Féminisme réclame l’éducation intégrale — refusée depuis des siècles à la Femme — c’est parce qu’il est stupéfiant (privées d’instruction comme elles l’ont été jusqu’à ces derniers temps) de les voir déjà révéler leurs inventions dans l’industrie humaine.

Quelle plus haute preuve de l’initiative féminine, paralysée par la minorité séculaire de la femme !

C’est à la Fronde que nous devons les détails suivants ; c’est elle qui nous conduit vers ces humbles inventrices insoupçonnées. Et cependant elles ont plus d’enfants, malgré le travail de leur cerveau, que la mondaine qui bâille, figée dans son ennui et son oisiveté. Elles s’occupent autrement plus des petits que celle-ci, quand cette dernière consent à avoir… un unique rejeton !

Telle de ces inconnues a pris un brevet pour le perfectionnement des coussinets employés pour parachever les bras de poulies, roues, etc. ; telle autre remédie à la défectuosité d’un robinet tournant ; une troisième trouve l’amélioration du fer à cheval ; d’autres encore inventent, qui une teinture, qui un système d’appareils à pressoir, un appareil inhalateur, un véhicule maritime, un système pour projeter l’air sous pression à haute température ; enfin, les femmes collaborent au perfectionnement des appareils qui éprouvent la rectitude du calibre des canons d’armes à feu, etc., etc.

Nous ignorons ces choses… et bien d’autres encore. Mais, de jour en jour, l’initiative féminine, moins enfermée dans les lisières dont l’homme a garrotté la Femme, prendra de plus en plus son libre essor. Saluons, au xxe siècle, ce beau départ de la Femme !

Avant d’aller plus loin, expliquons un mot totalement répudié par le Féminisme « rationnel », un mot qui, jaillissant du cerveau de l’homme en une heure d’aveugle folie, lui a fait commettre bévues sur iniquités : ce mot, sonore et malfaisant, c’est… l’Égalité. L’explication de ces quatre syllabes est aussi simple que brève ; elles ne signifient rien, absolument rien : ce qu’elles voudraient représenter n’existe nulle part dans la nature.

Chimère de l’aberration humaine, l’Égalité, comme toutes les chimères, fausse les réalités saines et vraies. Les mêmes droits pour tous n’impliquent pas l’égalité de tous, puisque, pour chacun, un droit identique aura des effets divers. Cette répartition du droit se nomme la Justice. Il ne faut pas confondre la Justice, qui existe, avec l’Égalité, qui n’existe pas. Un esprit sain subira sans la comprendre cette loi souveraine de l’univers : « l’Inégalité, » qui n’est pas non plus synonyme d’Injustice.

Chaque fois que l’homme viole une loi de la nature, c’est à son détriment. Vouloir que la Femme soit l’égale de l’homme, c’est vouloir… l’absurde. Or, l’absurde est l’immense domaine des doctrines féministes « sectaires ». Mais si les égalités n’existent pas, les équivalences existent. Et ce sont elles que le Féminisme « rationnel » invoque, et invoque très fort. Jusqu’à quel point cette prétention est-elle justifiée ? C’est ce que nous étudierons dans le chapitre suivant. Terminons celui-ci en insistant pour que la question de l’équilibre des sexes — toujours mal posée à cause du mot néfaste d’Égalité — le soit comme suit, « L’équivalence des sexes. »

Qui dit « équivalent » dit « adéquat ». L’intelligence de la Femme est « équivalente » à celle de l’homme ; elle lui est « adéquate ». Autrement dit, elle a la même valeur, bien que cette valeur soit autre, soit différente.

Et voilà, très nettement formulée, la revendication du Féminisme « rationnel », revendication que voit éclore le xxe siècle, revendication pour laquelle il se passionnera, recherchant objectivement et scientifiquement les causes du grand mouvement féministe.

Qu’au début le mouvement s’égare, c’est inévitable ; seul, le résultat final importe.


  1. Gounod