Mobiles de guerre et buts de paix

Mobiles de guerre et buts de paix
Revue des Deux Mondes6e période, tome 41 (p. 815-840).
MOBILES DE GUERRE
ET
BUTS DE PAIX


Les questions pratiques de peuvent être résolues qu’à l’aide de moyens pratiques et ce n’est pas avec des phrases qu’on peut obtenir ce résultat.
(Appel du président Wilson à la Russie, juin 1917.)


« Il semblait, à entendre les sectateurs des dogmes nouveaux, que la démocratie conduirait les peuples à la fraternité et que le système des nationalités fonderait la paix universelle. La démocratie, loin d’adoucir les mœurs, les a rendues plus rudes ; elle a développé l’égoïsme et non l’abnégation dans les cœurs. Le système des nationalités a déjà provoqué et provoquera plus de guerres que ne l’ont fait autrefois les querelles religieuses et que ne le font de nos jours les ambitions des rois. Les convoitises des nations sont plus âpres, leurs triomphes sont plus hautains, leurs mépris sont plus insultans que ceux des princes ; ils soulèvent aussi des ressentimens plus amers et plus durables. L’homme n’est plus atteint dans un principe abstrait, l’Etat ou la royauté, il est atteint dans son sang et dans sa race ; les passions qui n’agitaient autrefois que quelques individus gagnent la masse du peuple, et elles deviennent d’autant plus terribles que les esprits dont elles s’emparent sont plus bornés. » C’est en ces termes, singulièrement sagaces et prophétiques, qu’en 1875, dans la conclusion de sa Guerre Franco-Allemande, — celle de 1870-1871, — Albert Sorel jugeait les conflagrations modernes, après avoir opposé aux promptes réconciliations entre belligérans qui suivirent les campagnes de Crimée, d’Italie et de Sadowa, les irrémédiables rancœurs léguées par le traité de Francfort.

Un seul trait manque à ce tableau vivant : ni les événemens auxquels avait été mêlé Sorel, ni sa vaste érudition historique et littéraire ne lui avaient permis d’entrevoir le caractère essentiel que n’allaient pas tarder à revêtir, et qu’ont revêtu en effet, les luttes de peuple à peuple. On se battait autrefois pour des querelles de préséance ou de prestige, des règlemens de succession ou de frontières stratégiques ; plus récemment, pour des idées, ou religieuses ou politiques. On combat aujourd’hui pour la vie matérielle elle-même, pour les moyens de se l’assurer aussi certaine et aussi large que possible. Dans le temps précis où, vers la fin du siècle dernier, l’internationalisme scientifique, juridique ou socialiste accaparait la plupart des penseurs et des meneurs de l’opinion publique de l’univers entier, se développait partout aussi un système de concurrence économique qui faisait des ouvriers et des cultivateurs de chaque État les ennemis latens et irréconciliables de leurs rivaux des États voisins. Mais, tandis qu’on leur enseignait complaisamment à devenir « consciens » de leurs droits, on s’appliquait à les entretenir dans la somnolente inconscience, non pas seulement de leurs devoirs, mais surtout de leurs besoins réels.

La guerre présente est survenue. Elle s’est prolongée au-delà de toutes les prévisions ; elle a accumulé les deuils et les ruines ; son cancer rongeur a successivement gagné toutes les parties du monde. Et, pourtant, l’on ne saurait dire que tous les yeux soient encore dessillés. Le trop célèbre socialiste Scheidemann, dans le Vorwaerts du 7 avril 1916, a eu beau proclamer que les ouvriers allemands devaient souhaiter la victoire du Kaiser pour éviter la ruine de l’industrie germanique et, partant, leur propre misère, peu de personnes ont discerné, bien moins encore ont osé professer, que cette victoire déterminerait précisément les mêmes désastres chez les peuples de l’Entente.

Telle est cependant la stricte vérité. Depuis tantôt vingt ans, les préoccupations d’expansion économique n’ont pas cessé de dominer, et dominent encore à cette heure, les conceptions politiques de l’Allemagne. A cet égard, les socialistes d’outre-Rhin, fussent-ils minoritaires, ne se distinguent que par des nuances imperceptibles des pangermanjstes les plus outrés et des gouvernans les plus mielleux de Berlin. Les alliés doivent opposer aux prétentions et aux appétits de l’ennemi un programme, une volonté et des moyens adéquats, s’ils ne veulent compromettre leur destin sans recours.


I

Les avertissemens n’ont pas manqué de la part de l’Allemagne. « De nos jours, disait en 1897 le docteur Michaëlis, aujourd’hui chancelier de l’Empire, alors simple lecteur à l’école de droit de Tokio, de nos jours, ce n’est que sur le terrain économique que se fait la guerre, et notre développement économique est enrayé par l’Anglais. » Plus catégorique, et plus menaçant aussi, était le prince de Bülow, quand, le 15 novembre 1906, parlant comme chancelier au Reiçhstag, il proclamait que, contrairement à l’opinion communément répandue, l’expansion commerciale de l’Allemagne était susceptible d’amener les plus grands conflits et d’engendrer la guerre, voire d’entraîner le monde dans une conflagration générale. C’est en 1913, enfin, qu’un économiste teuton[1]écrivait : « La guerre prochaine aura pour but le remaniement économique du monde : la bataille la plus grave par ses conséquences sera celle qui, postérieurement à la cessation des hostilités, se livrera autour du tapis vert pour la conclusion de nouveaux traités de commerce. »

On pourrait multiplier indéfiniment ces témoignages. Ceux-là sont suffisans. Mais, de notre côté, en Angleterre comme en France, ou bien on ignorait ces coups de canon de semonce, ou bien on se refusait à y voir autre chose que des manifestations d’opinions individuelles, tout au plus des accès de bluff pangermaniste.

La foi était si grande alors, et si aveugle, dans le progrès rapide et indéfini de l’humanité, dans la propagation bienfaisante des idées pacifistes, dans l’efficacité souveraine des liens commerciaux et financiers qui se nouaient et se resserraient chaque jour entre les diverses nations, qu’on négligeait les faits les plus patens, ceux-là surtout dont l’observation attentive eût démontré aux plus récalcitrans l’inéluctable fatalité qui conduisait l’Allemagne, et par elle l’univers, à la guerre, et à la guerre la plus formidable et la plus impitoyable qui se soit jamais vue.

Dans sa récente plaquette, Pourquoi nous nous battons, M. Ernest Lavisse a tracé d’un burin saisissant la transformation radicale et le prodigieux essor économique de l’Allemagne en ces dernières années : d’agricole qu’elle était pour les quatre cinquièmes de sa population, et ce, avec un appétit se satisfaisant mal d’un sol pauvre, elle est devenue puissance industrielle, grâce aux énormes richesses charbonnières et métalliques de son sous-sol. Ses progrès, sous ce rapport, déjà rapides de 1870 à 1895, sont devenus « vertigineux » dans les quatre lustres qui ont précédé la guerre : c’est dans ce court. intervalle en effet que sa production annuelle de houille a passé de 79 à 177 millions de tonnes, celle de fonte de 5 400 000 a 17 617 000, son commerce général extérieur de huit milliards de francs à 24 milliards et demi. Et comme, malgré l’accroissement de sa population, elle était hors d’état d’absorber la totalité de cette énorme quantité de richesses, force lui était, pour soutenir son train industriel, de chercher des déversoirs à son trop-plein[2].

Elle les chercha d’abord aux colonies, du côté des rares territoires sans maître que les États qui l’avaient précédée dans l’arène historique avaient laissés disponibles. Ce fut M. de Bismarck lui-même, malgré sa répulsion avérée pour les entreprises lointaines et à trop vaste envergure, qui inaugura la méthode nouvelle, mais il ne le fit qu’avec prudence et circonspection : de 1884 à 1890, il se borna à suivre les initiatives des particuliers plutôt qu’à les précéder, et il profita des rivalités qui divisaient alors la France et l’Angleterre, pour se concerter tantôt avec l’une, tantôt avec l’autre, et prendre pied, de-ci, de-là, en Afrique ou en Océanie.

Il ne subsistait guère que des bribes de territoires à recueillir par ces voies, et les indigènes en étaient vraiment par trop misérables pour fournir à l’Allemagne une clientèle en rapport avec ses besoins les plus pressans. Les dirigeans de Berlin s’en avisèrent vers la fin extrême du XIXe siècle. C’est alors que l’on vit Guillaume II, avec la hâte fébrile qui le caractérise, s’installer à Kiao-Tchéou en 1897, accomplir en 1898 son sensationnel voyage d’Orient, puis, au début de ce siècle, celui de Tanger ; s’installer et s’étendre au Togo, au Cameroun, dans le sud-ouest et l’est de l’Afrique ; poursuivre enfin avec ténacité l’accaparement par la finance allemande du chemin de fer de Bagdad. « Notre avenir est sur mer, » avait-il vaticiné, lorsqu’il voulait obtenir de son pays un gros effort pour augmenter la marine de guerre et la flotte marchande dont il disposait. De fait, il ne limitait pas ses ambitions pour l’avenir du commerce allemand aux seules entreprises maritimes et coloniales : il entendait s’assurer des réserves de terres propres à fournir plus tard à l’Allemagne les matières premières qu’elle est obligée d’acheter à l’étranger ; il aspirait aussi à inonder de la surproduction allemande les hinterlands aussi bien que les ports, les pays anciens tout autant que les nouveaux.

Cette politique d’invasion pacifique, par émigrans, par capitaux, par marchandises, finit cependant par alarmer ceux-là même qui avaient le plus de répugnance à croire au péril imminent, ceux qui faisaient confiance au libre jeu de la concurrence pour éviter les cataclysmes industriels, ceux aussi qui persistaient à ne voir en tout cela qu’une manifestation du modèle déjà catalogué et connu des rivalités économiques entre nations de l’ancien style et de la vieille école.

Alors, mais un peu tard, commença de s’ébaucher un mouvement de résistance contre la pénétration allemande en tous lieux et en tous pays : arrangemens franco-anglais au sujet du Maroc, anglo-russe à propos de la Perse, qui aboutirent à l’Entente cordiale, puis à la Triple Entente ; relèvement des droits de douanes en France, commencement d’agitation protectionniste en Angleterre ; conclusion d’une convention anglo-canadienne sur la base toute nouvelle d’une préférence douanière réciproque, etc. « Encerclement ! » clama presque aussitôt l’Allemagne. Non pas assurément, mais érection très lente, très fragmentaire, très incertaine de quelques frêles barrages contre l’épandage dans toutes les directions de cette « formidable crue de travail et de richesse[3] » qui venait d’Allemagne ; efforts encore timides pour limiter par les seuls moyens d’usage classique les effets de cette force inouïe d’expansion qui portait les Huns à ruiner méthodiquement leurs émules pour s’ouvrir des marchés et se procurer des terres de peuplement.

A la veille de la présente guerre, l’Allemagne voyait le monde se ressaisir peu à peu et préparer des défenses variées contre ses visées et ses menées envahissantes. Elle s’était déjà aperçue, aux environs de 1906-1907, qu’il avait suffi d’une crise commerciale aux États-Unis pour arrêter l’immigration de la main-d’œuvre européenne et mettre du même coup aux bords de la faillite ses plus grandes compagnies de navigation. Elle prit peur que, l’un après l’autre, chacun des grands États se fermât plus ou moins à son commerce d’exportation ; qu’un grand nombre de ses industries ne se vissent obligées de se restreindre, sinon de s’arrêter complètement. Elle appréhenda que son édifice financier tout entier n’en fût ébranlé, que ses masses ouvrières, déjà fort inquiètes de voir, depuis dix années, le prix des denrées alimentaires s’élever deux fois plus vite que le taux des salaires, ne fussent jetées par-là dans la gêne et peut-être dans la révolution. Elle se décida donc à conquérir par la force ce que l’on semblait désormais résolu à refuser à ses menaces brutales et à ses captieuses négociations. Elle se résolut à la guerre.

« Ce sont, a dit à Stockholm en juin 1917 un socialiste majoritaire particulièrement bien en cour à Berlin, le docteur David, ce sont des causes économiques profondes qui ont créé, avant la guerre, la tension belliqueuse dans les esprits. La concurrence impérialiste pour la jouissance des matières premières venant des colonies, la lutte pour les marchés et le placement des capitaux se sont particulièrement envenimées depuis que l’Angleterre s’est alliée avec la France et la Russie pour encercler l’Allemagne et empêcher le développement économique de ce dernier pays en l’isolant politiquement. »

Et, s’il était besoin d’un fait officiel pour confirmer cette appréciation si juste des choses, qu’on se rappelle et qu’on n’oublie jamais que jusqu’à la toute dernière minute, le gouvernement allemand a espéré acheter la neutralité de la Grande-Bretagne, en s’engageant à garantir l’intégrité de notre territoire continental, mais en se réservant de disposer à son gré des colonies françaises, — après quoi le reste, c’est-à-dire la France métropolitaine, eût constitué le menu tout indiqué d’un prochain repas du Minotaure[4]


II

Le conflit est maintenant déchaîné, mettant l’Europe entière au régime du fer, du feu et du sang. Comment se déroule-t-il au seul point de vue qui nous occupe ici, celui du jeu des facteurs économiques ? Quelles espérances fait-il naître chez l’ennemi momentanément triomphant ? Un bref retour en arrière est nécessaire pour bien comprendre la suite et la portée des faits qui se sont déroulés depuis le 1er août 1914.

On a vu plus haut ce qu’est devenue, surtout depuis le début de ce siècle, la merveilleuse prospérité de l’industrie et du commerce germaniques. Toutes les branches de la science, et de l’activité humaine y ont assurément contribué, mais, plus que toutes autres, celle qui est aux temps présens la clef de voûte de toute puissance économique, parce qu’elle fournit à la fois à celui qui la détient et des matériaux de construction et des chemins de fer, et des matières pour fabriquer des outils de manufacture ou des machines agricoles et du fret lourd pour les navires, et des têtes pour aménager des bateaux et les armes utiles tant sur terre que sur mer, à savoir : l’industrie minière et métallurgique. « Le charbon, a dit le Mémoire adressé au chancelier impérial par les six grandes associations économiques allemandes le 20 mai 1915, le charbon est un des moyens d’influence politique les plus décisifs : les États neutres industriels, — (témoin la Suisse et la Hollande), — sont obligés d’obéir à celui des belligérans qui peut leur assurer leur provision de combustible. » Or, la force que possède de ce chef l’Allemagne lui provient surtout de ses victoires dans ses guerres antérieures contre la France.

J’ai montré ailleurs et n’y reviens que pour mémoire[5] que, dans notre très vieille Europe, la nature n’a réuni les deux élémens aujourd’hui nécessaires à la production du fer et de ses dérivés, — minerai et houille, — que dans le seul bassin lorrain (Thionville et Briey), complété par celui de la Sarre ; que le charbon produit par ce dernier ne suffit même plus aujourd’hui à transformer les abondantes réserves de minerai renfermées dans celui-là, et qu’il y faut encore les houilles de la Prusse rhénane, chacune de ces deux matières premières devant être transportée vers l’autre et leur fusion s’opérant soit dans notre Lorraine, soit en Prusse rhénane ou en Westphalie ; qu’avec la paix de Bâle de 1795, la France détenait la totalité de la Lorraine et de la Sarre ; que les traités de Vienne de 1815 lui ont fait perdre la moitié du charbon de la Sarre, celui de Francfort en 1871 le surplus de ce combustible et la moitié du minerai lorrain ; qu’enfin, si la « carte de guerre » de 1914 devenait par malheur la carte de la paix finale, la France ne conserverait plus rien de cet instrument de règne.

Est-ce le hasard du mouvement des armées, ou un plan d’origine exclusivement stratégique, qui a conduit l’état-major allemand à occuper, puis à « organiser, » après la triste Belgique et nos départemens du Nord, la partie demeurée française du bassin minier lorrain, la région de Briey ? Sont-ce des besoins militaires qui déterminent le même état-major à détruire de fond en comble les mines et manufactures des départemens qu’il a déjà évacués, à déménager méthodiquement par avance les outillages des fabriques qu’il devra tôt ou tard nous restituer ? Non pas, assurément : conception économique que tout cela ; volonté réfléchie d’affaiblir industriellement l’ennemi pendant et après la guerre, parce que, dit cyniquement le même manifeste cité plus haut, « on ne pourra plus trouver aucune protection dans des traités qu’au moment opportun, on (qui, on ? ) foulera de nouveau aux pieds ; » parce que l’occupation de ces régions laborieuses entre toutes de la France a privé celle-ci tout d’un coup de plus des trois quarts de ses moyens métallurgiques et l’eût livrée sans défense possible au progrès de l’invasion barbare, si elle n’était parvenue, grâce à l’aléatoire et coûteuse liberté des mers, à trouver en Angleterre et aux États-Unis les produits indispensables à son armement ; parce qu’enfin l’Allemagne qui, avant la guerre, tirait déjà de son sol et de ses usines un peu moins de la moitié de la production métallurgique totale de l’Europe, passe aussitôt aux deux tiers de celle-ci en disposant ainsi des parts revenant tant à la Belgique qu’au Nord-Est français et acquiert une incontestable prédominance sur le marché du fer et de l’acier.

Conception d’avenir, d’ailleurs, aussi bien que satisfaction d’un besoin présent. Ce que l’on a, on veut le garder définitivement. Tout le monde le sait et le dit pour la Belgique qui, au regard des Allemands, n’est que la pointe de l’épée anglaise enfoncée dans leur flanc commercial. On le dit, le sait ou le croit moins pour le Nord-Est français, quoique le même et précieux Mémoire, qui mériterait de devenir une sorte de catéchisme à l’usage des Français de tous âges, ait formellement déclaré : « Tous les moyens de puissance économique existant sur ces territoires, y compris la propriété moyenne et la grande propriété, passeront en des mains allemandes ; » à quoi il ajoute négligemment et comme une chose allant de soi, que « la France indemnisera les propriétaires et les recueillera. »

Voilà au moins qui éclaire d’une lumière suffisamment crue le véritable caractère de la mission que le « bon vieux Dieu allemand » a assignée sur cette terre au peuple qu’il a élu pour remplir ici-bas ses volontés omnipotentes d’organisation de l’univers. Voilà qui montre aux moins prévenus combien l’idéalisme germanique s’accommode avec les soucis temporels les plus terre à terre.

Mais, diront nos intellectuels, nos doctrinaires et nos mystiques de toutes écoles, socialistes naturellement compris, il n’y a là qu’œgri somnia de pangermanistes exaltés, visions de capitalistes en quête de spéculations nouvelles, mégalomanie de militaristes qui ont trop longtemps attendu la « guerre fraîche et joyeuse » et ne voient plus de bornes à leurs ébats vainqueurs… Ce serait méconnaître étrangement l’âme allemande et se ménager d’amères déceptions que de s’illusionner à ce point : ce que veulent les chefs, les troupes le désirent avec autant d’ardeur. Tout de même que jadis, le plus audacieux métaphysicien des universités allemandes savait, à l’heure voulue, quitter sa chaire pour devenir aussitôt le plus discipliné des officiers de réserve, en même temps que le plus rude à ses subordonnés ; tout de même, les démocrates allemands, à peine descendus dans la lice ensanglantée, se transforment magiquement en fermes suppôts du capitalisme national. Au vrai, le socialisme, tel qu’on le conçoit habituellement en France, est pour eux simple article d’exportation, mais, à aucun degré, remède pour l’usage interne.

Voyez plutôt. On a parlé, — et on en parlera jusqu’à solution intégrale, — de restituer l’Alsace-Lorraine à sa patrie d’élection. Non pas ! s’écrie bien vite, en août 1916, l’organe socialiste de Mulhouse, la Volkszeitung : « L’Allemagne ne le peut pas, à cause des ressources de la province d’Empire en minerai et en potasse. » Puis, à la même époque, le comité des syndicats ouvriers se réunit solennellement pour délibérer sur les « buts de guerre ; » il réclame « comme condition primordiale de la sécurité allemande, la création d’une forte position difficilement attaquable, sur le continent,. le développement nécessaire de la situation et de l’influence allemande outre-mer. » Et, tout ce fatras restant assez nuageux, un socialiste majoritaire, le camarade Leimpeters, précise deux mois plus tard dans la Glocke : « La pétition de paix répandue par les dissidens du groupe Haase-Ledebour pourrait faire croire que les socialistes allemands sont des adversaires résolus de toute annexion. Rien n’est plus faux. J’ai l’occasion de causer tous les jours avec des camarades du parti et « presque tous sans exception » sont annexionnistes : les plus ardens partisans de Liebknecht eux-mêmes ne veulent rendre ni la Belgique, ni aucun des territoires que nous occupons. Si les annexions dépendaient des membres de notre parti, on en trouverait 90 pour 100 pour les approuver. Tous ceux qui reviennent du front voteront pour, sans s’inquiéter si une telle décision serait conforme aux « principes » ou au marxisme. »

C’en est assez, assurément, pour justifier ce jugement catégorique rendu en juin 1917 par l’organe zimmerwaldien de Zurich, le Volksrecht : « La bourgeoisie allemande unanime, — si l’on fait abstraction de certains cercles pacifistes sans aucune influence politique, — est impérialiste et annexionniste jusqu’aux rangs des socialistes majoritaires. »


III

Le temps passe, cependant : ni 1915 ni 1916, ni l’écrasement de la Serbie après celui de la Belgique, ni la retraite russe de Pologne, ni la défaite de la Roumanie n’ont amené la paix victorieuse dont l’Allemagne, fatiguée de son grand effort, commence à ressentir un impérieux besoin. Qui pis est, de nouveaux alliés viennent successivement se ranger aux côtés de l’Entente, parmi lesquels la grande république de l’Amérique du Nord qui a fini par se sentir menacée dans ses traditions de liberté et d’honneur, aussi bien que dans son propre avenir économique, par l’humeur encombrante de l’Allemagne. Qu’à cela ne tienne : celle-ci s’empresse à dissimuler sa hideur trop connue sous un masque nouveau. La paix « sans annexions et sans indemnités » apparaît aussitôt à Pétrograd, puis à Stockholm, à Rome enfin. Que se cache-t-il effectivement sous ce vocable dénué de sens propre ? et comment l’interprètent ses principaux propagateurs ? Chronologie et exégèse doivent être ici minutieuses, si l’on veut saisir l’enchaînement des faits et des idées, ainsi que leur sens véritable.

L’évolution a commencé au lendemain de l’échec des offres insidieuses de paix formulées en décembre 1916 par les Empires centraux et dédaigneusement écartées par l’Entente, ainsi que par le président Wilson. Quiconque a pénétré l’âme allemande sait qu’elle présente un curieux mélange ou, plus exactement, une alternance synchronique de Grubheit et de Gemüthlichkeit, de grossièreté et de sentimentalité, de brutalité et de sensiblerie. Frédéric II n’a jamais pratiqué que la première de ces deux manières, tout en jouant avec nos philosophes ; Mme de Staël n’a vu et ne nous a montré que la seconde. Les diverses manifestations qui viennent d’être relatées relevaient exclusivement de la Grubheit ; avec le nouvel an de l’année courante, nous avons vu reparaître la GemÜthlichkeit.

« La guerre mondiale…, a dit alors l’onctueuse Reichspost de Berlin, est le fruit mûri par un système économique qui, au lieu d’avoir l’humanité pour idéal, ne s’est occupé que de gains à réaliser, qui a produit pour produire, qui n’a recherché que des marchés. Quand l’offre a dépassé la demande, la querelle naquit parmi les hommes et la concurrence a amené la guerre. Aussi longtemps que la pensée chrétienne restera lettre morte, aussi longtemps que les esprits ne se préoccuperont que de la matière, glorifiant par des hommes morts et des provinces dévastées la beauté des emprunts de guerre, il n’y aura pas de paix durable. » Ce langage est assurément noble. Il n’eut cependant pas d’écho dans le monde : on restait sceptique, parce que les événemens récens rappelaient à chacun que ni le christianisme, ni la Renaissance, ni l’Encyclopédie, ni la science, ni l’économie politique n’ont réussi à supprimer, pas même à tempérer les instincts de duplicité, de rapine et de férocité que Tacite a proclamé être les caractéristiques des peuplades d’outre-Rhin.

On essaya donc d’un autre procédé : la révolution russe ayant paru déterminer une fissure dans le bloc de l’Entente, on s’appliqua à élargir la fente. Pour cette besogne de salut public, on fit choix du socialiste suisse Robert Grimm, qui, détail piquant, se trouvait être le coreligionnaire de l’austère Volksrecht dont on a lu plus haut les sévères appréciations sur les tendances annexionnistes du socialisme allemand. Et ce pur zimmerwaldien reçut mandat de son compatriote helvétique, M. le conseiller fédéral Hoffmann, d’offrir aux Russes une paix séparée avec l’Allemagne, paix qui aurait pour conséquence « le rétablissement de rapports économiques et commerciaux étroits, un appui financier de l’Allemagne à la Russie pour sa restauration sans aucune intervention dans les affaires intérieures, » et, afin de ne pas fermer la porte à toute combinaison permettant aux Hohenzollern d’étendre leur puissance, « un accord amiable ( ? ) sur la Pologne, la Lithuanie, la Courlande, et le retour à la Russie de ses territoires occupés, en remplacement des régions autrichiennes envahies. »

On le voit clairement : la préoccupation économique, la volonté de s’assurer des marchés est toujours au premier plan. Mais les Russes, qui sont de grands naïfs et des mystiques invétérés, n’y voient pas malice : les menées de Robert Grimm, la propagande maximaliste de l’anarchiste Lénine, l’horreur pour les traditions « impérialistes » du tsarisme déterminent les révolutionnaires de Pétrograd à donner comme programme aux assises que le socialisme international se propose de tenir à Stockholm pour fonder les bases de la paix future, cette formule simple : « Ni annexions, ni indemnités. »

Formule simple, il est vrai, mais concise jusqu’à l’équivoque, désintéressée jusqu’à la sottise, trompeuse donc à tous égards : on.ne le voit que trop par l’interprétation qu’en ont tirée les socialistes allemands, tant majoritaires que minoritaires, dans leurs réponses officielles au questionnaire dressé par les promoteurs hollando-scandinaves de la conférence de Stockholm.

Les majoritaires d’abord, puisque aussi bien, étant les plus nombreux, ils sont les plus qualifiés à représenter l’opinion dominante chez leurs camarades en socialisme international. « Nous sommes, affirment-ils, opposés à toute saisie de territoire par la violence, » mais ils ajoutent, — et ce sont comme par hasard les conditions qui ont permis à l’Allemagne de 1871 de nous arracher l’Alsace-Lorraine avec droit d’option des autochtones : — « En cas de changemens de frontières consécutifs à un arrangement, la population en cause doit, si elle le désire, demeurer attachée à l’ancien État dont elle faisait partie, être pourvue de moyens légaux et économiques pour émigrer et décliner l’annexion. » Puis, comme il n’est pas certain que le sort des armes permette en fin de cause assez de ces changemens de frontières « consécutifs à un arrangement, » ni surtout d’assez avantageux, les majoritaires entonnent ensuite l’hymne à la libre expansion économique, qui va devenir le leitmotiv de toute la musique pacifiste d’outre-Rhin : « Aucune guerre commerciale ne devrait être déclarée après la présente guerre. Les échanges commerciaux devraient être absolument libres ; la protection, les tarifs et autres obstacles devront être complètement supprimés. »

Pour les minoritaires, — ils ne sont qu’une poignée, il est vrai, — on doit reconnaître qu’ils sont moins annexionnistes que leurs émules de la majorité, plus partisans que ceux-ci de la restauration d’une Belgique intégrale, plus enclins à chercher, à tout le moins dans un plébiscite, une solution au problème de l’Alsace-Lorraine. Mais, quand il s’agit de l’avenir économique du monde, MM. Haase et Ledebour ne se distinguent plus de MM. Scheidemann, Sudekum, Legien et consorts : « Nous exigeons la liberté la plus complète du trafic et du commerce internationaux, de même que nous exigeons que le droit d’émigrer et d’immigrer, en vue de développer les forces productives du monde et d’améliorer le rapprochement et les relations des peuples, soit exercé avec une liberté sans limite. Nous repoussons la conception de l’isolement économique et même de toute lutte économique des États entre eux. »

Enfin, pour couronner et consacrer cette campagne de mots et d’écrits, le Reichstag allemand, dans sa mémorable séance du 19 juillet 1917, d’où les illusionnistes ont espéré voir sortir quelque caricature du parlementarisme, mais d’où n’est sorti en effet que… M. Michaëlis, le Reichstag a voté par 214 voix de gauche et du centre catholique, contre 110 conservateurs et nationaux-libéraux, une résolution où, pour éviter les engagemens trop étroits, toutes les questions sont habilement mêlées et résolues du même coup, mais où perce la même inquiétude qui agite désormais les Allemands de toutes classes et de tous partis : « L’assemblée poursuit une paix à l’amiable, aboutissant à la réconciliation durable des peuples. Les actes de violence politiques, économiques et financiers sont incompatibles avec une pareille paix. Le Reichstag repousse également tous les plans tendant à un boycottage et à des interdictions économiques après la guerre. Seule une paix économique, avec la liberté des mers, après la cessation des hostilités, permettra aux peuples de vivre ensemble dans des relations économiques durables. »


IV

Si nombreuses et si longues qu’elles aient été, ces citations étaient indispensables pour ne point forcer ni trahir la pensée de l’ennemi, et pour dévoiler la réalité dans toute sa nudité. Elles se résument dans ces quelques lignes de la Gazette de Francfort de l’été dernier : « Les deux tiers du monde ont pris les armes contre l’Allemagne. Dans ces conditions, toute paix qui nous rendra le statu quo territorial, l’indépendance et la liberté de développement sera une paix honorable pour l’Allemagne. » Et c’est cette paix que le Vatican a faite sienne dans sa note d’août, si bien qu’à mesure que se déroule la crise et qu’on se rapproche du dénouement, nous en revenons précisément à notre point de départ : la question essentielle, la question primordiale, qui se débat avec le sang de nos enfans, c’est celle de l’avenir économique de l’Allemagne et, partant, de l’univers.

Que serait la paix qu’on nous propose par des intermédiaires et avec des modalités variées ? Tout uniment le vasselage économique des États, le servage personnel des individus à l’égard de l’Allemagne. Les pratiques antérieures du gouvernement impérial l’ont montré s’acheminant délibérément dans cette voie ; ses publicistes les plus qualifiés le révèlent résolu à reprendre per fas et nefas sa course vers l’hégémonie commerciale, dès que les circonstances le lui permettront.

Sans doute, la perspective de cette pleine liberté d’expansion revendiquée par l’Allemagne, pour elle-même et pour les autres peuples, est de nature à séduire certains de nos économistes, ainsi que quelques intérêts particuliers qui se couvrent volontiers de principes abstraits ; mais, comme le disait le célèbre Bastiat, il faut à la fois considérer « ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas » ou ce que l’on voit mal, pour comprendre ce qu’est exactement la liberté économique à la mode allemande.

Deux exemples topiques suffiront à déterminer celle-ci : l’article 11 du traité de Francfort et la méthode commerciale généralement dénommée dumping.

Chacun sait, ou à peu près, quel est cet article 11 ; ses origines et ses conséquences sont moins connues. Il a stipulé, pour aussi longtemps que devait durer le traité lui-même, c’est-à-dire à perpétuité, que la France et l’Allemagne promettaient réciproquement à leur commerce le traitement de la nation la plus favorisée parmi les cinq ou six puissances, grandes ou petites, qui les environnent ; si bien que la France ne pouvait faire aucune concession douanière à la Grande-Bretagne par exemple, ni l’Allemagne à l’Autriche-Hongrie ou à la Suisse, sans que l’autre partie contractante en bénéficiât de plein droit. Ce que l’on sait moins communément, c’est que l’initiateur de ce texte était la France elle-même, qui craignait alors et que l’Allemagne cherchât à fermer l’accès de son marché tant à nos vins qu’à nos produits de luxe, et que M. de Bismarck nous imposât la reprise des tarifs en usage avant la guerre de 1870 avec le Zollverein et ne nous privât ainsi d’une ressource fiscale utile pour protéger nos industries nationales, affaiblies par les hostilités, ou pour nous procurer les recettes destinées à rétablir notre budget déséquilibré.

Le système se défendait fort bien à l’époque où il fut instauré, mais sa perpétuité le condamnait à produire de néfastes conséquences dans une matière où tout change périodiquement, où le vrai lui-même n’est pas durable, où les valeurs sont relatives et fuyantes. Lorsque, en 1892, puis en 1910, nous voulûmes nous défendre contre l’industrie d’abord naissante, puis rapidement grandissante de l’Allemagne, il nous fallut compromettre, sinon rompre, nos bons rapports commerciaux avec nos meilleurs cliens et nos plus fidèles amis politiques. Quand, de son côté, l’Allemagne, dans un intérêt de prévoyante diplomatie, songea à accorder quelques faveurs à certains de ses voisins et alliés, elle se trouva gênée pour empêcher que la France en profitât. Seulement, plus inventive que nous, elle ne tarda pas à découvrir l’expédient utile : elle définit par de savantes « spécialisations » les produits qu’elle entendait avantager, de telle manière que leurs analogues français ne pussent pas leur être assimilés ; ainsi notamment du bétail suisse, qui, pour entrer en Allemagne au tarif réduit, devait avoir transhumé un certain temps dans la haute montagne.

Si cette ingénieuse argutie permettait à l’empire allemand d’entr’ouvrir sa porte à quelques importations politiques, elle n’agrandissait pas les débouchés qui s’offraient à ses exportations. Pour atteindre ce second objectif, l’Empire recourut à une autre méthode, celle du dumping. Cette méthode consiste essentiellement à syndiquer, tantôt par l’action concertée des particuliers, tantôt par celle de la loi, les industries similaires d’un pays, à faire en sorte qu’elles puissent vendre très cher à l’intérieur et qu’une partie du gain ainsi réalisé soit consacrée par elles à vendre au dehors à bas prix, au besoin même à perte, jusqu’à ce que leurs concurrentes soient mises dans l’impossibilité radicale de soutenir la lutte et que le marché étranger, ainsi purgé de rivaux et conquis par l’envahisseur pacifique, supporte tous les relèvemens de prix que celui-ci voudra lui imposer pour se récupérer de ses sacrifices premiers.

On aperçoit aisément toutes les complicités qui peuvent s’employer au succès d’une telle politique : celle des commerçans qui préfèrent travailler à la commission pour placer des articles d’origine quelconque, plutôt que d’exposer des capitaux dans une fabrication nationale toujours plus ou moins risquée ; celle des ménagères, pour lesquelles la recherche du bon marché est comme une loi de nature, et qui ne savent pas qu’une sage protection, avec le renchérissement qui s’ensuit, est une sorte de prime d’assurance contre les brusques et définitives hausses de prix ; celle même des administrations publiques, qui, pour tirer gloire auprès du Parlement d’économies momentanées, ne craignent pas d’exposer à la ruine les usines nationales.

Ne parlons que de celles-ci pour illustrer les merveilleux effets de semblables pratiques. On a vu, avant la guerre, les chemins de fer de l’Etat français acheter à bas prix des locomotives allemandes, avec la clause qu’ils s’engageaient à ne pas les réexporter outre-Rhin, clause qui soulignait on ne peut mieux les conditions de faveur qui leur avaient été consenties et dont ne devaient, sous aucun prétexte, bénéficier jamais les consommateurs allemands. On a vu encore nos poudreries nationales se pourvoir chez l’ennemi de certains grands vases de grès servant à emmagasiner les acides et qui leur étaient vendus moins du quart de leur prix de revient ; puis, l’industrie correspondante française étant morte, et pour cause, les mêmes poudreries obligées, la guerre survenue, d’improviser de toutes pièces sur notre territoire partiellement envahi, la fabrication indispensable de ces vases, et arrivant n définitive au même prix de revient dont l’Allemagne lui abandonnait gracieusement jadis une si large part.

Telles sont les interprétations, tels les usages qui complètent et éclairent la notion de la liberté des échanges, ainsi du moins qu’on la conçoit en Allemagne et qui ne lui laissent que de très lointains rapports avec le fair play, ou la lutte loyale, de l’école de Manchester.

Est-on du moins en droit d’espérer que l’Allemagne sortie de la présente guerre soit disposée à renoncer à des procédés qui, dans les années récentes, lui ont procuré, en France, en Angleterre et ailleurs, tant et de si rémunérateurs avantages commerciaux ? C’est au contraire à perfectionner son organisation de guerre économique qu’elle se prépare et s’applique déjà pour l’après-guerre militaire. Celui qui nous le dit est un personnage particulièrement qualifié, M. Walter Rathenau, directeur de l’Office impérial des matières premières.

M. Rathenau n’est point un simple fonctionnaire bien stylé par ses maîtres ; il est encore, il est surtout un grand industriel, puisqu’il préside la plus puissante société électrique d’Ailemagne, l’Allgemeine Elektricitäts Gesellschaft, ou par abréviation, l’A. E. G. Or, dans une première brochure, parue il y a bientôt un an, M. Rathenau constate que son pays a failli succomber dans la guerre actuelle, faute d’une préparation économique suffisante, et qu’en prévision de nouveaux conflits, on doit consacrer toutes les années de paix future à compléter cette préparation ; il préconise à cet effet la création de vastes entrepôts de matières premières, l’établissement d’un plan de mobilisation industrielle aussi détaillé que le militaire, avec affectation automatique de chaque ingénieur et ouvrier à tel emploi, de chaque usine à telle fabrication déterminée par avance, et, pour diriger le tout, l’institution d’un grand état-major économique sur le plan de celui de l’armée. Puis, cela ne suffisant pas encore à tracer le cadre du grand œuvre de demain, M. Rathenau achève de nous initier dans une seconde brochure, qui est celle-ci du printemps dernier : sa fortune ébranlée par la guerre, ses débouchés appauvris ou restreints, sa main-d’œuvre diminuée, ses matières premières raréfiées, l’Allemagne devra sans tarder se mettre à restaurer ses forces. « Tout homme doit travailler, nul outil ne doit chômer… Il arrivera un moment où il faudra que tout homme sain et vigoureux, incapable d’une production intellectuelle notable (qui en jugera ? ) soit contraint de prendre un métier et de contribuer à la production générale. Le pays se consolera facilement d’avoir quelques étudians ou rentiers ou collectionneurs en moins. »

C’est d’ailleurs là, non pas tant l’annonce d’un plan nouveau, que la systématisation d’une œuvre déjà engagée par le gouvernement impérial : la mobilisation civile votée par le Reichstag en décembre 1916. Et lorsque tel socialiste majoritaire se dit grand partisan de l’union douanière de l’Europe centrale, lorsque tel autre, publiciste allemand parle de bloquer économiquement la Russie, si elle refuse les « faveurs » que Robert Grimm était chargé de lui offrir, nul ne saurait désormais s’y tromper : avec des armes nouvelles mises dans la main de l’État, gouvernans, patrons et ouvriers cherchent d’un même effort, selon la pittoresque expression d’un journaliste français, Pertinax, la constitution d’un « Saint-Empire industriel, » lequel, à l’instar de son ancêtre politique, aurait, avec ou sans l’investiture du Vatican, la prééminence sur tous les autres Etats, le contrôle décisif sur leurs progrès futurs. On verrait aussitôt s’instituer « le plus pesant, le plus odieux, le plus dégradant des servages, » comme l’a judicieusement dit à la Chambre, le 7 juillet, M. Painlevé, qui n’était encore que ministre de la Guerre, et qui ajoutait en termes excellens : « Il n’y aurait plus une heure dans l’avenir où le paysan français sur son champ, où l’ouvrier français dans son atelier ne travailleraient, suivant la vieille expression, pour le roi de Prusse. »


V

Le président Wilson a senti le danger.

Dans le même appel à la nation russe, dont une phrase sert d’épigraphe à ces pages, il s’exprime ainsi :

« Naturellement, le gouvernement impérial allemand et ceux dont il se sert pour ses fins cherchent à obtenir la promesse que la guerre s’achève selon la situation ante bellum, mais c’est justement de cette situation qu’est sortie la guerre inique, et grâce à elle que la puissance du gouvernement allemand s’est développée à travers l’Allemagne et que sa domination s’est étendue également à l’extérieur. Cette situation doit être modifiée de façon telle que la guerre hideuse ne se renouvelle pas. »

Et plus loin encore :

« L’heure est arrivée où il faut ou conquérir ou se soumettre. Si les forces de l’autocratie réussissent à nous diviser, elles nous domineront. Si nous demeurons solidement unis, la victoire est certaine, ainsi que la liberté qu’elle nous apportera. Nous pourrons alors nous permettre d’être généreux, mais ne soyons jamais faibles, ni maintenant, ni plus tard, et n’omettons aucune des garanties nécessaires à la justice et à la paix du monde. »

Des garanties, certes, M. Wilson n’a point encore spécifié lesquelles, ou plutôt il n’a parlé qu’en termes généraux d’une « Société des Nations, » dont le nom, sinon les statuts et les sanctions, traîne maintenant un peu partout, voire, si l’on y regarde de près, dans la résolution du Reichstag du 19 juillet et dans la note du Vatican en août. Garanties et sanctions, c’est tout comme. On peut s’assurer que le génie américain est tel qu’il ne se contentera pas de « phrases » et s’appliquera à nous procurer des « moyens pratiques » d’atteindre notre but sans se laisser affecter par cette sorte d’hypocrite et fuligineuse logomachie qui constitue la réponse impériale au Pape du 20 septembre, et dont les inventeurs prétendent nous ramener par l’émollient du même humanitarisme aux décevantes fumigations par lesquelles les congrès pacifistes, naguère tenus à la Haye, nous ont préparés à l’usage des gaz asphyxians.

Posons tout d’abord un postulat qui nous mènera dans le sens de la conclusion nécessaire. En 1871, la Grande-Bretagne n’a pas deviné qu’une fois la France écrasée, la Manche cesserait, grâce à l’aviation et à la navigation sous-marine, de protéger son splendide isolement insulaire ; elle est en train, depuis trois ans, de réparer noblement son erreur d’alors, mais elle commence à peine à sentir ce que lui coûte et lui coûtera encore cette erreur. En 1917, les États-Unis ont compris que, si les Alliés venaient à succomber, l’Atlantique, les progrès de la science aidant, ne les protégerait pas mieux dans l’avenir que la Manche n’a protégé ces temps-ci les Iles Britanniques ; ils ont vu, encore que, si la carte de guerre de la fin de 1914 se consolidait jamais, l’Allemagne, devenue sans conteste la première puissance métallurgique du monde, s’érigerait bientôt en rivale menaçante pour l’industrie américaine. Ayant vu cela, les États-Unis ont agi. Ils pèsent ou vont peser de tout leur poids, qui n’est pas médiocre, dans la balance du conflit. Eux aussi iront « jusqu’au bout, » parce que la force des choses le veut ainsi, étant donné qu’il s’agit d’une question de vie ou de mort, au sens strict du mot, pour toutes les parties en cause.

Mais, il faut le reconnaître, si triste en soit l’aveu, à cette unanimité de vues économiques nationales qui constitue, à cette heure même, la volonté allemande, ni les Alliés dans leur ensemble, ni chez chacun d’eux en particulier, la totalité de la nation n’a encore raisonné, comme le font les Allemands, les mobiles de la guerre et les buts de la paix. Partout s’est révélé un magnifique instinct patriotique qui a fait se dresser, contre l’agresseur, des peuples tout entiers, mais il semble, à certains symptômes, que la griserie des mots et l’intoxication des idées abstraites risquent d’arrêter cet élan avant qu’il soit parvenu nu terme utile de son merveilleux et douloureux effort.

Tandis que les socialistes allemands se groupent autour de leurs gouvernans et des chefs d’industries pour chercher la restauration de leurs forces nationales affaiblies dans une intensification méthodique de toutes les branches de la production humaine, les nôtres, toujours hantés d’assurer une équitable répartition des richesses avant même qu’elles existent, — telle la Confédération générale du Travail le 21 juillet, — en sont encore à proclamer qu’il vaut mieux laisser des mines inexploitées, des réseaux de chemins de fer en déficit énorme, plutôt que d’ « aliéner au profit d’intérêts particuliers une partie du domaine public, » ou de compromettre « la solution rationnelle de la crise générale des moyens de transport… qui est de faire faire retour à la nation de toutes les propriétés nationales. »

En Angleterre, les trade-unions rejettent, pour garder la vie à bon marché, les droits d’entrée sur les denrées alimentaires, mais demandent à voir les ouvriers protégés dans leur travail contre la concurrence des produits fabriqués dans les pays à salaires avilis ; les armateurs, qui ont cruellement souffert de la guerre sous-marine, sollicitent le rétablissement de l’acte de navigation de Cromwell pour fermer leurs ports à la compétition allemande, et les marins, qui ont perdu près de dix mille des leurs au jeu des torpilles, viennent de décider de ne plus s’embaucher sur des navires impériaux, et de ne plus s’employer à les charger ou à les décharger. Mais les uns et les autres paraissent redouter que trop de restrictions douanières ne viennent tantôt priver la marine britannique de son ancien et lucratif emploi de grand convoyeur international et de roulier des mers.

Ici, c’est un pays où l’agriculture domine, où l’esprit public est resté paysan et individualiste, où l’on ne s’est pas encore avisé que la prospérité nationale est désormais subordonnée à la naissance et au développement de vastes entreprises industrielles, commerciales et maritimes, et qu’elle ne dépend plus des cours pratiqués sur le marché local. Plus loin un autre, de petite ou de moyenne industrie, où l’on s’effraie de la moindre concurrence nouvelle, du plus timide effort vers la concentration ou la coordination des affaires, où l’on a été jusqu’à insinuer qu’un expédient pour la réintégration de telle province dans sa patrie perdue pourrait être de laisser le sous-sol à l’occupant actuel et de n’en restituer que la surface à son ancien maître !

Puis, brochant sur le tout, les lassantes et paralysantes querelles de doctrine qui, parce qu’un principe s’est en un temps déterminé trouvé d’accord avec les faits et les besoins du moment, et le redeviendra peut-être en des circonstances analogues, prétend faire de ce principe une sorte de lit de Procuste dont l’humanité n’aura plus jamais le droit de sortir et où la maintiendront de force les traditionnalistes irréductibles, les paresseux d’esprit et surtout le peuple, innombrable dans les vieilles sociétés, de ceux qui professent l’horreur des soins matériels, l’ignorance des chiffres et le mépris pour tout travail qui n’est pas purement spirituel…

En tout cela, où est l’idée synthétique ? où, la volonté dirigeante ?


VI

L’une et l’autre sont en germe, mais en germe seulement, dans la conférence économique interalliée de juin 1916. Il est temps que la moisson lève.

On se souvient des événemens qui provoquèrent la réunion de cette conférence : depuis plusieurs mois déjà, Allemands et Austro-Hongrois s’occupaient à préparer la Mittel Europa, c’est-à-dire l’union douanière de l’Europe centrale. Cette perspective surprit les gouvernemens de l’Entente au milieu des tâtonnemens empiriques avec lesquels ils s’efforçaient de résoudre, au jour le jour, les problèmes qui se posaient dans le monde, si nouveau et si imprévu pour eux, créé par la guerre. Leurs délégués se rencontrèrent à Paris. De cette délibération sortit une série de résolutions de principes, d’où il résultait qu’une alliance commerciale devait succéder à l’alliance militaire, si l’on voulait parer au péril, désormais évident, de la menace économique : menace plus redoutable peut-être que l’agression armée, parce que moins apparente et plus insidieuse, procédant par infiltration lente, déterminant des empoisonnemens sournois et progressifs qui ne pourraient manquer à la longue de frapper d’ataxie les forces de production de tous les non-Allemands.

On ne fit cependant que jeter les bases principales de l’union. Plusieurs circonstances s’opposaient à ce que l’on fit mieux tout d’abord et que l’ébauche se transformât en dessin achevé. L’Angleterre avait besoin de remanier tous ses rapports politiques et commerciaux avec ses Dominions et principales colonies : elle s’y occupe assidûment. La France devait commencer par mettre un peu d’ordre dans la dispersion de son industrie et de son négoce, fort mal adaptés aux troubles profonds et durables que la généralisation et la prolongation des hostilités ont apportés dans la production, la consommation et la circulation des richesses : elle s’y emploie en ce temps même, avec la lenteur qu’elle met toujours en ces sortes d’affaires, mais elle le fait pourtant. Enfin, et surtout, l’attitude des États-Unis n’était pas fixée : ils étaient encore neutres, et l’on redoutait de les molester par des arrangemens auxquels ils eussent été étrangers.

Ces obstacles ont disparu ou sont en passe de disparaître. La voie est ouverte : il faut s’y engager avec résolution, en triomphant des multiples difficultés qu’on y rencontrera encore du fait des préjugés, des routines et des intérêts particuliers. L’union des Latins, des Slaves et des Anglo-Saxons ne peut manquer d’être féconde : il existe entre eux, quoique à des degrés divers, plus d’affinités intellectuelles et morales qu’entre aucun d’eux et les hordes militarisées par les chevaliers de l’Ordre teutonique ; combinés ensemble, l’esprit déductif et imaginatif des uns, le mysticisme rêveur des autres, le réalisme opiniâtre et la conscience des troisièmes, les constitueront bien vite facteur, non pas dominateur, mais dominant de la future Société des Nations.

Cette Société, on en peut déjà discerner les traits principaux et les organes essentiels. Elle aura des tribunaux d’arbitrage pour empêcher que les conflits entre nations dégénèrent en luttes armées. Comme tous les tribunaux, ceux-là devront disposer d’une force publique en vue de procurer l’exécution de leurs décisions. Or, l’expérience prouve que, lorsque le gendarme est loin, on ne peut empêcher les assassinats, les incendies et les vols, tout au plus réussit-on parfois à les réprimer après qu’ils ont été accomplis. Il faudra donc tout d’abord multiplier les postes de police, et l’on trouvera à cet égard dans l’histoire des places de « barrière » et de « sûreté » de précieux orécédens.

Cela ne sera pas suffisant, puisque la même et combien cruelle expérience a démontré que la neutralité belge, — place de barrière d’ampleur exceptionnelle, — quoique garantie par toutes les Grandes Puissances, n’a réussi à protéger ni la France ni la Belgique elle-même contre l’assaut brusque des malfaiteurs. On sera donc très logiquement conduit à désarmer ceux-ci, et tout le monde avec eux, par avance. Mais, parvenus à ce point de la nouvelle et durable organisation de l’univers, les futurs congressistes de la paix ne devront pas oublier que Napoléon Ier, qui pourtant s’y connaissait, a échoué dans pareille entreprise après Iéna, et que, tout au contraire de ce qu’il escomptait, la limitation d’effectifs qu’il a imposée à la Prusse fut pour celle-ci l’occasion d’inventer le service à court terme et d’instituer ainsi les inépuisables réserves de soldats, où tous les pays du monde trouvent maintenant à son exemple les moyens de poursuivre la lutte.

On s’avisera donc que, ne pouvant ni ne devant distraire les hommes de leur terre natale, c’est aux armes elles-mêmes qu’il faut s’en prendre, et par conséquent, aux matières qui servent à les fabriquer, ce qui seul donnera à l’univers des garanties de paix, aussi bien militaire qu’économique, — garanties bien plus efficaces à tout le moins que le détrônement des Hohenzollern ou leur mise en conseil judiciaire par les soins d’un Parlement qui a été trop longtemps accoutumé à la servitude pour savoir comment on peut devenir et rester le maître, et qui est en réalité imprégné jusqu’à la moelle des traditions plusieurs fois séculaires des hobereaux.

Mais, diront les esprits chagrins, cette solution n’en est pas une : possédées par un autre, cet autre fùt-il quelque État neutre genre Luxembourg, les mêmes matières premières détermineront les mêmes ambitions, la même mégalomanie qu’elles ont fait naître chez leurs présens détenteurs. Sans doute : aussi cette solution n’est-elle point la solution véritable. Et, puisqu’aussi bien M. Wilson nous convie à travailler désormais, non plus pour la gloire ou la prospérité d’un peuple déterminé, mais pour celles de l’humanité tout entière, à laquelle nous devons épargner le retour de pareilles catastrophes, suivons jusqu’au bout ce raisonnement et n’hésitons pas à emprunter à l’internationalisme de toute provenance, juridique, socialiste ou autre, certains élémens de notre construction idéale.

Le socialisme réclame la nationalisation du sous-sol : dans circonstance présente, nous allons plus loin que lui, nous demandons l’internationalisation de celui de la Prusse rhénane de manière que les matières qui en seront extraites, sous le contrôle de la Société des Nations, soient employées là et en Wesphalie à fabriquer des outils de paix, non des canons et des obus, des bateaux de commerce, non des navires de guerre. Le droit des gens, de son côté, si ébranlé qu’il ait été dans ses fondemens par la guerre mondiale, nous aidera de ses enseignemens pour l’aménagement de ce contrôle collectif : celui-ci n’est pas autre chose, à tout prendre, quoique avec plus d’extension, que ce qui a été naguère inventé pour surveiller les finances des États banqueroutiers, réserver à tous les ayans droit la circulation sur les grands fleuves, ou réglementer l’exportation du sucre et, par conséquent, sa production.

Hors de là, point de salut ni de sécurité pour l’humanité en détresse. Mais, pour en arriver là, chacun doit se pénétrer, à l’arrière comme au front, de deux notions capitales. En premier lieu, nous combattons pour notre patrimoine matériel autant que pour notre héritage moral, pour notre gagne-pain autant que pour notre liberté politique et civile. D’autre part, quand nous déposerons les armes, sur un globe étrangement bouleversé et singulièrement appauvri, le souci de la vie matérielle l’emportera fatalement, et de beaucoup, sur toutes les autres préoccupations qui ont coutume d’agiter les humains.

Parmi ceux-ci, il en est, de deux catégories différentes, qui se refusent à accueillir ces vérités évidentes : les uns, qui ont une belle âme, mais un esprit court, croient encore à la vertu toute-puissante des idées pures, alors qu’elles ne sont point servies ou qu’elles sont desservies par la force brutale ; les autres ne daignent s’incliner devant les faits que lorsqu’on consent à les leur présenter sous une parure littéraire ou symbolique.

Aux esprits courts, il ne faut point apporter des argumens qu’ils pourraient attribuer à l’esprit et à l’intérêt de parti ; mais on doit leur recommander de méditer sans cesse ces paroles d’un neutre, le député socialiste suisse Oscar Rapin, prononcées en juin dernier à Lausanne :

a Dans les congrès internationaux, les socialistes allemands nous ont endormis et trompés. Ils répétaient : « Unissez-vous, « prolétaires du monde entier, et il n’y aura plus de guerre. » Et les Latins les ont crus et ont travaillé au désarmement de leurs patries, tandis que les socialistes allemands fourbissaient leurs armes et préparaient dans l’ombre le crime de trahison qu’ils ont perpétré le 4 août 1914.

« Tous les matins, les socialistes du monde entier devraient se répéter : « Souviens-toi des socialistes allemands ! »

Quant aux seconds, qu’ils aient toujours présente à leur mémoire celle des légendes des Niebelungen qui sert de thème à la Tétralogie : la possession de l’or du Rhin, de l’anneau emblématique de la richesse et de la puissance matérielle, divise les dieux contre eux-mêmes, les conduit aux pires infamies, les met aux prises avec les Géans et les Nains, leur fait renier et l’honneur et l’amour, et les mène enfin jusqu’à leur Crépuscule et à l’écroulement du Walhalla. L’ordre n’est rétabli, au ciel et sur la terre, qu’après que l’anneau mystique est revenu aux mains des nymphes jadis préposées a sa garde.

Telle est, en effet, à la considérer avec attention, la querelle pendante entre les peuples ; telle, la conclusion que lui assignent, pour une fois d’accord, et le destin et la raison. Il ne s’agit pas d’or à la vérité, mais du charbon et de la métallurgie des provinces prussiennes, dont l’alchimie industrielle moderne s’entend si bien à tirer le métal précieux. Pour les nymphes auxquelles il convient de les confier, la Société des Nations en tiendra merveilleusement le rôle. Alors, mais alors seulement, la paix pourra régner enfin entre les hommes de bonne volonté.


ANDRE LEBON.

  1. Cité par J. Reynaud, Avenir du Marché viticole, Beaune, 1916.
  2. Pour plus de détails, voir La Prospérité nationale de l’Allemagne de 1888 à 1913, par le docteur Karl Helfferich, Paris, 1917.
  3. Lavisse, loc. cit.
  4. Voir Ch. Schefer, La Politique coloniale allemande et le conflit européen, Revue des sciences politiques, 15 avril 1915.
  5. « La Guerre économique de demain, » conférence faite le 19 octobre 1916, sous les auspices de la Ligue française. Consulter surtout sur ce sujet les importantes publications de MM. Engerand, de Launay, Driault et Schefer, Maurice Alfassa, etc.