Rabbin Simon Levy
Féret, Maisonneuve. (p. 138-167).


CHAPITRE VI

DESTINÉE HUMAINE. — DOGME DU MESSIE


En interrogeant au précédent chapitre la doctrine chrétienne pour savoir sa pensée sur la dignité humaine, nous l’avons trouvée en défaut, tant à cause du dogme de la prédestination qu’elle enseigne, que par suite de l’obligation où elle met chaque individu de croire à la divinité de Jésus, s’il veut être relevé d’un prétendu état de dégradation morale. Cependant nous l’avons reconnu, et nous ne cesserons de le dire : d’admirables accents de bonté, d’indulgence et de générosité envers le semblable, sont sortis de la bouche de Jésus et de celle des apôtres, et ont été portés, par les derniers surtout, à des populations parmi lesquelles le Judaïsme de cette époque possédait peu ou point d’adeptes. Nous applaudissons à ces accents avec d’autant plus de chaleur que la religion juive qui les a inspirés, n’a eu qu’à gagner à être ainsi montrée aux nations les plus lointaines sous ce côté humanitaire. Mais nous ne pouvons, en définitive, qu’y voir une inconséquence. Quoi ! des hommes que vous déclarez demeurer sous la domination du diable parce qu’ils ne croient pas au Rédempteur, des hommes qui, par l’absence de cette foi qu’ils ne sont pas les maîtres de se donner[1], sont réprouvés ici-bas et seront damnés dans l’autre monde, vous les déclarez en même temps vos frères, vos prochains ! Cela est charitable, mais cela n’est pas logique. Et pouvoir être d’accord avec ses principes, n’est déjà pas chose si insignifiante. Car craignez que, dans un siècle ou dans un autre, il ne s’élève un théologien au cœur sec, à l’esprit rigoureux, qui, poussant votre mauvais principe jusqu’à son extrême limite, ira faire brûler Michel Servet en place publique ou dresser le tribunal de l’Inquisition en face de vos saints autels.

Eh bien, cette même inconséquence avec laquelle le Christianisme met l’égalité entre des hommes parfaitement inégaux au point de vue de son dogme, cette inconséquence nous la retrouvons chez lui à propos du problème de la destinée humaine. Sans se soucier le moins du monde de savoir si, placé sous le regard d’une Providence qui le fait devenir ce qu’elle veut qu’il soit, l’homme peut ou non marcher librement à sa fin, le Christianisme affirme que nous avons tous une destinée à accomplir. Sans aucun doute, notre existence a un but final, et nous dirons tout à l’heure quel il est. Mais avant de déterminer ce but, de marquer cette destinée, d’en indiquer la nature, il n’est pas indifférent de savoir si nous sommes ou non poussés en avant par une volonté qui n’est pas la nôtre, si nous sommes des personnes, en réalité maîtres de nous-mêmes ou esclaves d’une puissance supérieure, ouvriers libres et intelligents ou instruments aveugles et passifs, en un mot, si nous sommes rivés fatalement à une chaîne le long de laquelle nous nous traînons depuis le commencement jusqu’au terme de notre vie, ou bien si nous sommes en possession d’une franche et complète indépendance. Car, que me sert-il d’apprendre quelle est ma destinée, si je suis persuadé d’avance qu’il ne tient pas à moi d’en avancer ou d’en retarder l’accomplissement ? Dès que toute initiative m’est ôtée pour me diriger dans ma marche, il m’importe fort peu de savoir où je vais, ni où je dois aller. Je m’abandonne négligemment à l’œil qui voit pour moi, à l’intelligence qui réfléchit à la place de la mienne, à la volonté qui agit au-dessus de ma tête et à la main qui me guide, sans me soucier, sans m’inquiéter vers quelle direction, ni sur quelle route je dois porter mes pas. Ne me sentant pas de responsabilité, j’aime déjà ne pas dépenser d’efforts ; j’en dépenserais, d’ailleurs, que ce serait en pure perte. N’ayant rien à acquérir par moi-même, je ne tente rien ; je me laisse flotter à tous les vents. De me perfectionner, de me développer, cela ne peut même pas me venir à l’idée. J’accepte la vie telle quelle. J’en use comme elle s’offre à moi. La position qui m’a été faite une fois je m’y tiens. Élevé au despotisme, je demeurerai despote. Né dans la fange, j’y croupirai le restant de mes jours. C’est là, me dirai-je, ma destinée. Il paraît que c’est de cette manière que je dois servir les desseins que le Créateur a eus sur moi. La résignation sera ma plus belle, mon unique vertu ; l’énergie et l’activité mes moindres soucis.

Cette apathie se trouve si naturellement au bout de la conviction que Dieu mène tout dans le monde, peuples et individus, qu’il s’est rencontré une religion qui l’a élevée au rang d’un article de foi. N’est-ce pas de la bouche de Mahomet qu’est sortie cette énervante prière : « Fais, ô notre Seigneur, que nous soyons résignés à ta volonté ! que notre postérité soit un peuple résigné à ta volonté[2]. » N’est-ce pas encore lui qui a ajouté ces paroles significatives : « Quiconque désire un autre culte » que la résignation à la volonté de Dieu (Islam), ce culte ne » sera point reçu de Dieu[3] ? » Et on sait ce que résignation veut ici dire ; elle se traduit fidèlement par impossibilité de sortir de la sphère où vous êtes placé, ou d’échapper au sort qui est fixé sur votre tête. « Faut-il aller à la guerre ? Courez-y sans crainte de la mort, car quand même vous seriez resté dans vos maisons, ceux dont le trépas était écrit là-haut seraient venus succomber à ce même endroit[4]. » « Vous trouvez-vous au combat ? Lancez hardiment la flèche ; ce n’est pas vous qui faites partir le trait, c’est Dieu ; ce n’est pas vous qui tuez l’ennemi, c’est Dieu[5]. « Êtes-vous dans l’erreur ? vous y demeurerez toujours, car Dieu ne dirige plus celui qu’il a une fois égaré[6]. »

Dieu partout, l’homme nulle part, voilà ce qu’est la résignation dans le Coran. A quoi bon alors donner des ailes à votre pensée pour vous procurer de nouvelles vérités ? A quoi bon vous fatiguer à la recherche d’inventions utiles ? Ce qui doit arriver arrivera, un peu plus ou un peu moins de science de votre part ne peut ni en hâter ni en arrêter la réalisation. L’immobilité est ce qui vous convient le mieux. Tout viendra en son temps sans que vous preniez la peine d’y concourir.

Mieux avisé que le Mahométisme, le Christianisme a su s’arrêter sur cette pente qui, de toute espèce de fatalisme, mène droit à la prostration morale, à l’inertie de l’esprit. Son dogme de la prédestination lui créait à cet égard les mêmes écueils que ceux sur lesquels l’Islamisme s’est échoué. Entre dire que l’homme va fatalement à sa fin, et dire qu’il est prédestiné à y aller par telle voie et non par telle autre, quelle différence y a-t-il ? Pour la doctrine chrétienne, il s’ajoutait même un écueil de plus : c’est la rupture qu’elle déclare exister entre l’homme et Dieu depuis le péché originel. Mahomet glisse là-dessus presque sans s’y arrêter, tandis que l’Église insiste sur cette rupture avec une obstination telle qu’on voit bien qu’elle en fait la pierre angulaire de son édifice religieux. Exclure de toute communication avec le Créateur celui qui n’a pas consenti à se réconcilier avec lui par l’intermédiaire de Jésus, c’est évidemment ce qui ressort de l’enseignement des docteurs chrétiens les plus autorisés ; presque tous ne brodent que sur ce canevas, du moins est-ce là le fond de toutes les prédications de l’apôtre Paul qui substitue si volontiers la foi à la Loi.

Or, que signifie, que peut signifier le mot destinée pour celui qui n’a plus aucun rapport avec Dieu ? Ce n’est apparemment pas de notre corps que l’on veut parler, quand on nous invite à marcher à notre fin. Notre corps a en lui-même son but final qui n’est pas différent de celui de tous les autres corps organiques. On s’adresse donc à notre âme. Mais là, nous rencontrons aussitôt l’intelligence, le sentiment et la volonté, facultés qui n’ont pas leurs correspondantes sur la terre. Au ciel seul, ou, pour parler plus philosophiquement, au-dessus des régions matérielles de l’Univers, se trouve un Être qui en possède de semblables, plus parfaites encore que les nôtres, puisque les nôtres n’en sont qu’une image, et qu’elles ne deviennent vraiment grandes et belles que lorsqu’elles cherchent à s’en rapprocher chaque jour davantage. Mais comment tenteraient-elles ce noble effort si réellement un abîme existait entre Dieu et nous par la rupture due au péché originel ? Le Christianisme, après avoir creusé cet abîme, a beau venir ensuite le combler en restituant Dieu à notre âme par le moyen de la rédemption. Il n’y réussira qu’à moitié. Ce ne sera jamais d’une destinée humaine qu’il pourra être question. Ce sera tout au plus d’une destinée chrétienne, de laquelle seront nécessairement exclues toutes les âmes qui n’auront pas foi en Jésus et en sa mission rédemptrice.

Ainsi, de quelque côté que nous nous tournions, soit que nous envisagions le Christianisme dans ce qu’il enseigne de la prédestination appliquée au genre humain tout entier, soit que nous le considérions seulement au point de vue de son opinion sur ceux qui demeurent en dehors de l’Église, nous ne voyons plus la destinée humaine être autre chose pour lui qu’une abstraction. Ici, elle disparaît sous un fatalisme vainement mitigé, là, elle trouve la mort dans son germe, par suite de l’impossibilité où sont les facultés de notre âme de communiquer avec Dieu. Le chrétien, lui, que Jésus a remis en rapport avec la divinité, voit d’avance son rôle tracé dans les événements où il est appelé à devenir acteur ; quant à l’infidèle, il n’a qu’à se résoudre à laisser s’éteindre une à une toutes ses aspirations vers l’infini ; tout motif de développement manque à son âme séparée, par son prétendu état de chute, du principe qui seul est capable de l’éclairer, de l’inspirer, de lui donner la nourriture dont elle a besoin pour se perfectionner de jour en jour.

Et malgré cela, la doctrine chrétienne affirme hautement et de la manière la plus positive, que l’homme a une destinée à remplir. Elle ne laisse pas échapper une occasion d’attirer nos regards sur un parfait modèle qu’elle propose à notre imitation et dont elle place le siège dans un monde où nous ne pouvons arriver que par les puissances immatérielles qui sont en nous. Certes, elle est à nos yeux dans une erreur coupable, elle commet un sacrilège quand elle se prend à personnifie ce modèle et à lui donner pour sujet un homme divinisé. Pour nous, Israélites, ce modèle ne peut se rencontrer qu’en Dieu seul. Mais, son erreur à part, elle invite, comme nous, le genre humain à se perfectionner, à donner cours à ses aspirations vers l’infini, à creuser le champ de la science pour lui faire produire les précieux fruits qu’il recèle dans son sein, à s’approprier toutes les richesses de l’art si capables d’ennoblir le sentiment, à moissonner constamment dans le domaine de la vérité, parce que ce domaine est une terre sacrée, la partie la plus digne de notre âme. Seulement, quand on l’écoute parler de la sorte, on ne peut se refuser de crier à l’inconséquence. On se demande instinctivement où l’homme courbé sous la loi de la prédestination, prendra et la liberté d’action et l’initiative de résolution, et l’énergie de caractère nécessaires pour entreprendre de s’élever et pour se maintenir dans une sphère aussi haute. On se demande encore où sera la sanction morale, où sera la responsabilité, où sera le châtiment pour celui qui préférera la satisfaction des sens à la recherche de la vérité, et qui prétendra se justifier par sa foi à la prédestination ? Heureusement que chaque chrétien n’examine pas d’aussi près les conséquences possibles du système dont il s’est constitué l’adepte et le champion, et voilà ce qui a permis au Christianisme de rester, pendant des siècles, la religion d’une suite de générations qui se sont fait du progrès une règle invariable, sans s’inquiéter de savoir si l’immobilité ne leur aurait pas plutôt convenu, comme étant plus en accord avec leurs croyances religieuses.

Au fond, nous ne faisons donc pas au Christianisme un crime de son inconséquence. Nous sommes au contraire très heureux de l’avoir vu s’y jeter. Une des plus belles faces du Judaïsme a été ainsi mise en lumière par lui, car c’est sans contredit à la religion-mère qu’il a emprunté cette idée du développement indéfini, dont il fait une loi à l’espèce humaine. Rien de ce genre n’existait chez les païens dont il entreprit d’opérer la conversion ; chez eux tout était inertie, apathie, résignation énervante. On ne peut que féliciter la doctrine chrétienne d’avoir su rompre à temps avec les funestes suites du fatalisme des anciens peuples, lorsqu’elle en est venue à dire son mot sur la destinée humaine. Nous sommes les premiers à lui en tenir compte, et à la féliciter cordialement de l’effort qu’elle a fait pour se rejeter brusquement dans le Judaïsme, quand elle a vu que son dogme de la prédestination allait l’amener à glorifier la vie inactive et grossièrement sensuelle des nations orientales. Tout ce que nous avons voulu constater, c’est que, rigoureusement parlant, il serait permis de dénier au Christianisme le droit de parler de destinée humaine. Cette réserve faite, nous lui rendons grâce de s’être joint de bonne heure à la doctrine israélite pour dire à l’homme, qu’il a autre chose à faire que de s’occuper toujours de la satisfaction de ses besoins matériels, et que son premier mouvement, lorsqu’il arrive à se posséder dans les belles facultés de son âme, doit être de se rapprocher de Dieu, et de persister durant sa vie entière dans ce noble désir, tout en ne négligeant pas de remplir ses devoirs envers la société dont, du reste, il amènera infailliblement la sanctification par la sienne propre. Mais est-ce bien là, en effet, ce que prêche le Judaïsme ? C’est ce que nous avons maintenant à élucider pour prouver que la destinée humaine possède en lui un juste appréciateur.

Il serait par trop étrange que la religion juive que nous avons trouvée jusqu’à présent dans l’exacte vérité à l’endroit de chaque question que nous lui avons posée. sur Dieu et sur l’homme, vînt tout à coup se tromper sur la plus importante de toutes, celle qui regarde notre destinée ici-bas. Car, faut-il faire de longues réflexions pour reconnaitre que notre fin dernière n’est pas de satisfaire aux exigences du corps, et d’être en tout temps les fidèles serviteurs de ses besoins matériels ? S’il en était autrement, il faudrait avouer que nous sommes fort singulièrement constitués ; notre existence ne serait plus alors qu’une perpétuelle contradiction. Il est certain que l’homme, dans l’exercice des facultés de son âme, se sent souvent transporté en dehors de ce monde. Là, par exemple, où son intelligence se plaît le mieux, c’est dans la contemplation de l’Infini ; elle s’y trouve comme dans son élément le plus naturel ; l’Infini semble être le vrai soleil de son épanouissement ; en s’approchant de lui, elle se dilate plus qu’elle ne fait ailleurs et, sans nul doute, elle consentirait volontiers à demeurer toujours avec lui dans cette sphère où tout ce qu’il y a de matériel se dérobe entièrement à ses regards. Il en est de même du sentiment. L’homme s’arrache volontiers à tous les plaisirs faciles qu’on lui offre et il méprise et repousse bien des jouissances mondaines, quand il s’agit de leur préférer Dieu et de donner au Créateur une preuve spéciale d’amour et d’attachement. Ici encore on peut être assuré qu’il n’ira jamais demander à la terre aucun élément de bonheur, si son cœur est plein de la connaissance de Dieu. Enfin, il est de fait que notre volonté ne se trouve jamais plus libre, que lorsqu’elle se laisse entraîner vers cet Être suprême dans lequel sont réunies toutes les perfections imaginables.

Or, comment tout cela arriverait-il, si réellement notre destinée se bornait à n’avoir d’autre soin que de veiller à l’entretien et à la conservation de notre corps, et de faire de l’âme l’humble servante de ses grossiers appétits ? Est-ce que jamais dans l’animal semblables aspirations s’élèvent ? L’animal est-il jamais travaillé par aucun de ces besoins de connaître, de saisir et d’aimer ce qui se trouve en dehors et au-dessus de ce monde ? D’un autre côté, l’animal est tranquille, satisfait, après avoir contenté ses appétits sensuels, et il rencontre partout ce qu’il faut pour les apaiser. L’homme, au contraire, plus il acquiert, plus il veut acquérir. La satisfaction de ses appétits n’est pas ce qui lui suffit. Il s’élance sans cesse sur les ailes de la pensée, et là même rien ne le contente. A peine a-t-il saisi une lueur de la vérité, qu’il en veut saisir une autre encore ; sa raison devient plus curieuse, plus avide à mesure qu’elle se développe ; la connaissance appelle la connaissance, la science appelle la science, la méditation appelle la méditation. Que l’on donne à notre esprit la clé de tous les secrets de la nature, il croira encore ne rien posséder ; il élèvera tout de suite son vol vers les cieux pour pénétrer d’autres mystères, pour poursuivre d’autres découvertes. Poussés ainsi, sans trêve ni repos, par une sorte de puissance impérieuse qui se trouve au dedans de nous, vers la recherche d’objets qui ne se rencontrent nulle part sur la terre, quel dérisoire spectacle n’offririons-nous pas avec nos incessants soupirs vers l’Infini, si ces soupirs ne provenaient que de continuelles déviations de notre véritable destinée ? Existerait-il une créature plus singulière que l’homme ? De perpétuelles aspirations suivies de perpétuels mécomptes, des facultés toujours disposées à s’élancer vers d’immenses horizons et toujours condamnées à embrasser le néant, l’obligation imposée à notre âme de vivre pour le corps et le désir dont elle brûle sans cesse de s’en détacher par tous les efforts du sentiment, de l’imagination et de la pensée ; le supplice de Tantale ajouté au supplice de Sisyphe, voilà quel serait son sort ! Un mauvais génie, un génie malfaisant, aurait donc présidé à la formation de l’homme, et continuerait à se jouer indignement de lui ! Lui qui, en raison de l’excellence de sa nature et de la sublimité de son origine, devrait pouvoir cueillir des fleurs dans tous les coins de ce vaste univers, il se sentirait toujours porté à conspirer contre son propre bonheur, contre l’accomplissement de sa destinée, en s’occupant de questions dont la solution ne peut en rien contribuer à la conservation de la vie, ni à l’augmentation du bien-être matériel !

Il est donc bien évident que notre âme se sent une mission plus élevée que celle d’user toutes les puissances de ses facultés à la recherche de ce bonheur passager et éphémère, dont la terre voit tout ensemble le commencement et la fin. Si le corps ne lui suffit pas, s’il est pour elle une habitation trop étroite, c’est que son but dernier n’est pas de s’y enfermer, comme dans une prison, pour tourner sans cesse autour des mêmes occupations se rapportant toutes à des besoins purement terrestres. Sans se mettre en guerre ouverte contre lui, elle ne s’en laissera cependant pas dominer ; il ne sera pour elle ni un ami, ni un seigneur ; ce sera un compagnon, un aide ; elle donnera satisfaction à ses appétits légitimes, mais elle n’oubliera jamais que son rôle n’est pas de s’en faire l’esclave, et que c’est à un principe qui lui est bien supérieur qu’elle a pour devoir d’obéir, en essayant de s’en approcher par tous les moyens en son pouvoir, soit en s’instruisant, soit en s’ornant de belles qualités morales. Recueillir sur la terre ce qu’il faut pour entretenir notre vie animale, afin que, soutenue par la force du corps, notre âme puisse s’élever dans son monde à elle où lui apparait la suprême vérité ; nous rapprocher par degrés de cette vérité, nous attacher à elle, l’aimer par-dessus toutes choses, en un mot, faire de la connaissance de Dieu et de l’imitation des saintes vertus qui se personnifient en lui, le constant objet de nos aspirations, telle est notre destinée.

A ces traits, quoique rapidement et superficiellement esquissés, sous lesquels nous venons de présenter la destinée humaine, qui ne s’est déjà aperçu qu’il eût été impossible au Judaïsme de se tromper sur ce qui la concerne ? Ses idées sur la dignité de l’homme ainsi que sa ferme conviction que Dieu est en rapport immédiat avec chacun de nous, ne pouvaient que l’amener tout droit à inviter l’âme à se rattacher à sa source, et à se rendre chaque jour plus digne de s’unir à son Créateur. Que ce soit là en effet la pensée dominante du Judaïsme, qu’on rencontre cette pensée au fond de tous ses enseignements, c’est ce dont il est facile de se convaincre. La trace en est répandue dans tous les écrits que la doctrine israélite a produits dans le cours de son établissement à travers les siècles, et il serait même permis d’ajouter qu’elle n’a été si prodigue de prescriptions et de pratiques religieuses, que parce qu’elle a eu toujours en vue de mettre l’homme sur la voie de sa destinée, de l’y retenir et de l’y faire persévérer.

Ici les textes abondent sous notre plume et nous n’avons que l’embarras du choix. Lorsque Moïse s’adressant au peuple assemblé « Écoute Israël, l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est un. Tu l’aimeras de tout ton cœur, de toute ton âme et de tous tes moyens ; tu porteras tes enfants à la connaissance de ce Dieu, tu les en pénétreras profondément ; tu leur parleras de ce Dieu toujours ; tu méditeras aussi ses commandements avec eux ; ce sera là ton entretien soit dans ta maison, soit en chemin, en te couchant et en te levant ; fais de la connaissance de ce Dieu l’ornement de ta raison ; puises-y les principes qui doivent diriger tes actions comme tes intentions ; que ta maison enfin soit le sanctuaire de la vertu et de la piété ; qu’on n’y brûle aucun encens impie, que tout y respire la sainteté[7] ». Ne trouve-t-on pas dans ces recommandations du grand législateur la preuve qu’il ne croyait à l’homme d’autre destinée que celle de se rapprocher de Dieu, et de devenir saint comme lui en l’imitant dans ce qu’il a de parfait ? Aimer Dieu, s’attacher à lui, le prendre toujours pour guide et pour modèle ; être juste et bon parce qu’il est juste et bon ; fidèle, véridique, clément et miséricordieux, parce que toutes ces qualités sont les siennes, voilà des points sur lesquels Moïse ne cesse de revenir. Il y voit la clef du bonheur, le secret de la vie, le but clairement marqué de notre existence[8]. « L’homme ne vit pas seulement de pain, dit-il ailleurs, mais encore de tout ce qui sort de la bouche l’Éternel[9]. »

C’est en s’instruisant, en se perfectionnant, en étudiant le devoir, en se pénétrant d’amour pour la justice que l’homme entre à pleines voiles dans le chemin de sa destinée. C’est en travaillant sans relâche à l’élévation de son niveau moral qu’il marche sûrement à sa fin. La vie est à ce prix, nous entendons avec le Pentateuque[10], même la vie dans ce monde-ci, c’est-à-dire, le sentiment de se savoir compté pour quelque chose dans les événements qui se passent sous nos yeux et de se posséder dans sa personnalité propre. Car, quel serait encore le rôle de celui qui, contrairement à la fin qui lui est assignée, laisserait dépérir en lui ses belles facultés en les employant uniquement à satisfaire les désirs du corps. Ce n’est point par le raffinement apporté à la satisfaction de ces désirs que l’Humanité progresse et se civilise. La civilisation s’enferme tout entière dans le domaine moral, et si nous la voyons appeler à son aide la science et l’industrie autant et plus quelquefois que la philosophie, c’est moins pour mettre à profit leurs résultats pratiques, que pour faire, à la suite de leurs importantes découvertes, un pas en avant dans l’ordre moral auquel elles confinent étroitement par un côté. Observer la marche des astres, arracher à la nature quelques-uns de ses secrets sur la formation des corps composés, et utiliser ensuite la science acquise pour augmenter le bien-être matériel des sociétés humaines, ravir au ciel la foudre pour la mettre au service des communications terrestres, c’est bien, si vous voulez, ş’occuper d’améliorations et de perfectionnements qui correspondent aux aspirations les moins nobles de l’âme. Mais en même temps quel nouvel et plus large horizon se déroule devant l’autre partie de l’âme, devant la partie intellectuelle, à la faveur de toutes les découvertes ! Dieu ne devient-il pas, pour ainsi dire, plus présent et plus compréhensible à celui qui, sortant de la spéculation pure, se met à transporter dans une machine industrielle, pour y faire l’essai d’application, un des rouages qu’il a étudiés dans la mécanique céleste ? A quelle distance de Dieu se trouve placé même cet obscur mécanicien qui forge des engrenages et commande, en pressant un ressort, à un gigantesque métier, de marcher pour donner un produit nouvellement inventé ? En est-il si éloigné qu’il ne puisse, par une pensée immédiate, se reporter vers le grand Architecte de l’Univers qui a agencé le monde d’une si admirable façon ? Non, il n’y a pas jusqu’à l’humble artiste dessinant des fleurs ou nuançant les couleurs qui n’opère son rapprochement avec Dieu. Un goût épuré vaut certainement quelque chose, et c’est, sans contredit, s’approprier une des faces de la vérité éternelle que de se complaire dans la copie du beau en maniant habilement soit le crayon, soit le ciseau, soit le pinceau. Donc, le peintre aussi bien que le sculpteur, le mécanicien pas moins que l’astronome, et tous ensemble au même titre que les philosophes, se trouvent dans la voie tracée à la destinée humaine ; ils développent tous de nobles dispositions qui se trouvent en eux. Un seul s’en écarte : c’est l’homme qui n’a jamais d’autre souci, d’autre soin que de contenter ses passions. En les laissant tourner, s’agiter avec tumulte au-dedans de lui, en les excitant encore au lieu de les réprimer, il condamne son sentiment à se dépraver, sa raison à s’obscurcir, à s’affaisser sur elle-même. Toute son âme meurt bientôt de sa mort à elle, qui est de ne plus pouvoir désormais remonter par la pensée vers Dieu, dans le sein duquel elle aurait si besoin de lire constamment les principes de la justice et du devoir, afin de s’inspirer d’amour pour la vertu.

Or, c’est précisément cet homme dissolu de mœurs et d’idées que le Pentateuque réprouve avec le plus d’énergie ; c’est contre lui qu’il a prononcé toutes ces malédictions dont la lecture est si effrayante[11]. Israël n’est tant menacé par lui de la colère céleste s’il transgresse les lois qu’il lui prescrit, que parce qu’en les transgressant il ne manquera pas de s’abandonner aux vices les plus abjects et au plus dégradant abrutissement. Le Pentateuque a prévu cela. Il a prévu que si Israël méprise, dédaigne ou seulement arrive à faire peu de cas des choses de l’esprit, il est tout près de se livrer à la folle ivresse de jouissances sensuelles. C’est pourquoi il a fait d’une part toutes ces sombres menaces de malédictions qui ne se sont, hélas ! que trop tôt réalisées (elles s’adressaient à la portion la moins éclairée du peuple), et de l’autre, ces appels réitérés à la reconnaissance envers Dieu, ainsi que ces prières qui semblent être celles d’un tendre père à son fils, de ne jamais oublier le Seigneur, de lui demeurer soumis et de faire de sa parole révélée l’objet des plus sérieuses méditations ; ces appels et ces prières s’adressaient aux nobles cœurs en Israël : « Sachez aujourd’hui et réfléchissez-y bien, que l’Éternel est Dieu ; il n’y en pas d’autre sur la terre ni au Ciel ; à lui doivent se rapporter toutes vos aspirations comme à leur principe le plus naturel, le plus vrai et le plus légitime ; que vous demande-t-il ? Un sentiment d’amour, une crainte respectueuse, une fidélité et une obéissance solides et durables. Il est votre gloire et votre Dieu[12] ». Tout ce que vous entreprenez, entreprenez-le sous son invocation, car il règne partout, il domine tout et il peut tout. Tout porte l’empreinte de sa sagesse. Soit que, astronome, vous saisissiez le compas pour mesurer les cieux ; soit que, géologue, vous enfonciez la sonde dans le sein de la terre pour en connaître les gisements différents ; soit enfin que naturaliste, vous analysiez les plantes ou disséquiez les animaux ; si, ici, votre intelligence est frappée de la contexture savante dont tout est formé ; là de la prodigieuse variété d’éléments dont tout est composé ; ailleurs de l’étonnante régularité avec laquelle tout marche et fonctionne, n’oubliez pas qu’une cause suprême a présidé à l’enfantement de toutes ces merveilles. Reportez de votre raison à votre sentiment moral quelque chose de l’admiration qui vous pénètre ; devenez meilleurs en même temps que vous devenez plus instruits ; puisez dans votre science une nouvelle ardeur à plier votre volonté à celle de Dieu, et suivez ses commandements. C’est là votre devoir, parce que c’est là votre destinée, la fin pour laquelle vous avez été créés ; « votre sagesse et votre félicité tout ensemble en dépendent[13] ».

Sortons maintenant du Pentateuque pour jeter un coup d’œil dans les livres des prophètes. Nous verrons également ces derniers diriger leurs efforts vers un même point : rapprocher les hommes de Dieu. C’est là le but constant de toutes leurs exhortations. Ils n’ont pas su découvrir une plus noble fin pour l’homme, ou plutôt, c’est celle-là même que Dieu leur avait enjoint d’annoncer. Tous nos désirs, toutes nos aspirations s’arrêtent effectivement à ce seuil. Le poète, dans les élans les plus sublimes de son imagination, le philosophe dans le développement le plus vaste de sa raison, le croyant dans les espérances les plus brillantes de sa foi, ne veulent pas arriver plus haut ni rester non plus en deçà. Contempler Dieu dans ce qu’il a de parfait et se rapprocher de lui par le culte et la pratique de la vertu, c’est le suprême rêve de la poésie, comme de la religion et de la philosophie. Il n’y a pas jusqu’au sceptique qui, après s’être épuisé en vaines déclamations sur le hasard comme auteur aveugle de tout, ne vienne retremper son âme cruellement lacérée par le doute, à la source vive et toujours proche de ce Dieu qu’il a tant méconnu et même blasphémé dans son égarement passé. N’est-ce pas ce que nous apprend un écrivain biblique singulièrement hardi d’esprit, quand il nous a montré la doctrine du doute aboutir en dernière analyse à cette pensée moralisatrice : « La fin de l’homme est de craindre Dieu » et d’observer tous ses commandements[14] ».

A leur tour, les Docteurs de la Synagogue, s’éclairant des lumières jetées par la Bible sur la grave question de la destinée humaine, continuent à recommander le développement de la raison et du sentiment comme l’unique moyen d’amener l’homme à Dieu. Un des plus distingués d’entre eux exprime de la manière suivante son opinion à cet égard : « Il est évident que l’amour dont il nous est prescrit de nous pénétrer pour Dieu se mesure exactement au degré de connaissance que nous sommes arrivés à posséder de sa nature et de ses attributs. Pour parvenir à aimer notre Créateur, il faut que les plus excellentes facultés de notre âme s’occupent sans relâche de lui, fassent des recherches continuelles dans les sciences métaphysiques et essayent d’y avancer le plus possible[15] ». Déjà, avant Maïmonide, les Docteurs de la Mischnah avaient enseigné que « L’homme est né pour étudier la Loi » comprenant sous ce nom générique tout ce qui peut contribuer à élever son niveau moral et intellectuel. « C’est là sa tâche, continuent-ils, et il n’est pas libre de s’y soustraire[16] ».

Le Talmud n’est pas un partisan moins décidé de la culture de l’intelligence. « Celui, dit-il, qui cultive la science a autant de mérite que s’il aide à la reconstruction du Temple de Jérusalem[17] ». S’instruire et se perfectionner, instruire et perfectionner les autres, aimer et faire aimer la vérité, adorer Dieu et amener les autres à son adoration, c’est à quoi se résume ce que les Rabbins pensent de la destinée humaine. Aussi, rien ne les préoccupe-t-il davantage que l’instruction de la jeunesse ; ils y attachent un très grand prix. A leurs yeux, un père qui néglige de faire instruire son enfant est inexcusable ; il le détourne de sa destinée en le condamnant à l’ignorance et, par suite, le plus souvent l’esclavage des passions[18]. Et ils professaient même pour la science une si sincère admiration, un respect si grand et si profond qu’un savant non israélite leur était aussi cher qu’un pontife élevé par la naissance au trône sacré sans posséder l’instruction nécessaire à son rang. Voici textuellement ce qu’ils racontent : « Un certain grand-prêtre sortait du Temple de Jérusalem ; une foule immense se pressait sur ses pas, quand vinrent à passer par hasard deux païens convertis au Judaïsme et célèbres par leur savoir, Schemaïa et Abdalion. Aussitôt le peuple les suivit en délaissant le Pontife. Chez ce dernier se présentèrent, quelques jours après, les deux savants pour prendre congé de lui. Il ne put dissimuler son jaloux mécontentement et leur dit : Allez en paix, fils de païens ! Que les fils de païens, répliquent les deux docteurs, que les fils de païens qui marchent sur les traces d’Aron, trouvent la paix ; mais que les fils d’Aron qui souillent la mémoire de leurs ancêtres puissent ne jamais la rencontrer ![19] ».

Cependant si, jusqu’à présent, nous n’avons fait que parler de l’homme à un point de vue purement individuel, ce n’est pas qu’il soit entré dans notre pensée de séparer sa destinée de celle de l’Humanité en général. A vrai dire ces deux destinées sont identiques et se confondent, de même que se confondent l’homme et l’Humanité ne formant qu’un ensemble et étant l’un à l’autre ce que la partie est au tout et ce que le tout est à la partie. Et d’abord, que serait l’homme qui marcherait à sa fin, privé de tout rapport avec ses semblables, lesquels iraient à la leur, chacun séparément de son côté ? Pourrait-il même, ainsi isolé, atteindre jamais à sa fin ? Ne serait-il pas obligé de dépenser toutes ses forces, et, bien entendu, les forces de son âme, pour entretenir et soutenir exclusivement son existence matérielle ? Non, c’est un fait qui n’a pas besoin d’être longuement démontré : notre faiblesse d’une part, et de l’autre le sentiment que nous avons de notre destinée, nous portent naturellement à nous unir à nos semblables, à profiter des avantages qu’ils possèdent sur nous, comme à les laisser profiter de ceux que nous avons sur eux, à les appeler à notre aide dans les périls qui nous menacent, comme à partager les leurs, et à concourir à leur bien-être comme nous attendons d’eux qu’ils contribuent au nôtre. Sur tous les points du globe ce même fait se reproduit. Partout l’isolement pèse à l’homme ; il se trouve malheureux quand il n’est pas réuni à ses semblables ; il sent qu’il a besoin de son prochain et que mutuellement ils ont à se servir, à s’entr’aider pour rendre l’accomplissement de leur destinée facile, possible même. De sorte que l’on pourrait définir la société humaine : la mise en commun par tous les hommes de leurs facultés physiques et morales, pour pouvoir, en s’appuyant l’un de l’autre et en se servant l’un l’autre, arriver à atteindre avec plus de sûreté le but assigné par Dieu à l’existence terrestre. Cela ne veut pourtant pas dire que la société repose sur un contrat synallagmatique qu’il appartiendrait aux hommes de déchirer par un mutuel retrait de ce qu’ils ont ainsi mis en commun. La société n’est pas si fragile que cela ; elle est d’institution divine ; elle répond aux vues éternelles de la Providence, et toutes les trahisons et toutes les violences et toutes les révoltes réunies ne prévaudront jamais contre elle. Dieu a voulu que l’homme naquit sociable et, en même temps, il l’a mis dans la nécessité absolue de se foudre avec la société ; il a tout disposé de façon que si nous nous séparons d’elle, nous passions inaperçus dans ce monde sans qu’on fasse attention à nous, mais aussi sans que nous soyons un danger pour elle ; et qu’au contraire, si nous vivons et agissons dans le sein de la société, nous devenions quelque chose, parce qu’alors nous devenons utiles, parce que nous remplissons un rôle, parce que nous aidons à former la chaine.

Et tel serait l’individu éloigné de la société, tel serait un peuple s’isolant du reste de l’Humanité. Tous les peuples, tant ceux qui traversent le même siècle que ceux qui se succèdent dans le temps, sont liés entre eux par d’étroits rapports ; ils constituent ce que l’on appelle le genre humain et ont, par conséquent, la même destinée à accomplir. Comment en serait-il autrement ? L’Humanité n’étant que la somme des êtres libres et raisonnables, la fin assignée à ceux-ci pris en particulier doit être la sienne en général. Aussi, la Bible n’a-t-elle pas deux expressions pour désigner l’homme et l’Humanité : le mot Adam a cette double signification. Et c’est ainsi qu’au point de vue du Judaïsme, le genre humain ne peut et ne doit être considéré que comme un seul individu, cherchant, à travers les âges, à élargir de plus en plus le cercle de ses connaissances, à élever sa raison au plus haut point de perfection possible, à s’assurer un bel et riant avenir, en appelant à son aide les lumières et les ressources de la science et de l’industrie. Chaque nation, comme portion du genre humain, a le devoir de combattre vaillamment sur le champ de bataille de la pensée, de lutter contre l’ignorance en répandant l’instruction à pleines mains, de conjurer la misère en encourageant le travail, de soulager la pauvreté, de faire disparaître le vice en distinguant et en récompensant partout la vertu.

Il ne s’est peut-être jamais formulé sur la terre une doctrine qui, autant que la doctrine Israélite, se soit préoccupée de la destinée générale de l’Humanité. A coup sûr, elle a sur cet important sujet les vues les plus claires et les notions les plus justes. Comme nous l’avons établi, ce n’est pas seulement le développement de l’intelligence que le Judaïsme prêche, c’est encore celui du sentiment, à l’effet d’unir la morale la plus pure à la philosophie la plus vraie. Et en cherchant à élever haut le sentiment, en s’efforçant de le diriger vers Dieu, il s’est néanmoins gardé de l’exalter au point de le faire tomber dans cette sorte d’amour de Dieu qui confine au mysticisme, qui est quelquefois le mysticisme même. Ce sera son éternel honneur d’avoir eu assez de sens pratique, pour s’arrêter au bord d’un précipice où sont venues se jeter, l’une derrière l’autre, toutes les doctrines religieuses qui ont essayé, avant et après lui, de mener les hommes vers Dieu. Toutes ont invariablement abouti à faire du renoncement, du détachement de ce monde, le moyen suprême de s’attacher au Créateur, de se rapprocher de lui, de s’unir à lui par les liens de l’amour. Recommander cela, c’était évidemment enrayer la marche l’Humanité qui, en définitive, est appelée à vivre constamment dans l’espace et le temps, et n’a pas d’autre immortalité à attendre que celle qu’elle sait se donner par des institutions sagement policées.

Seul le Judaïsme a entrevu que si l’homme et l’Humanité ont la même destinée, ils n’ont pas la même destination : Se perpétuer sur la terre est le fait de celle-ci, tandis que le premier, l’homme, ira un jour continuer ailleurs sa vie d’ici-bas ; mais, aussi longtemps qu’il se trouve dans ce monde, il ne peut pas, en raison de sa qualité de membre de l’Humanité, se refuser à travailler à cette prospérité sociale qui sera l’héritage des générations appelées à l’y succéder ; il doit apporter sa pierre à l’édifice de la civilisation, sous le toit duquel viendront s’abriter tour à tour ceux qui naitront après lui, dans tous les siècles futurs. Cet édifice, nous venons de montrer de quelle manière il se construit, recevant pour base la recherche du bien-être moral et matériel de l’homme, s’étayant dans le cours de son élévation de tout ce que la pensée pourra découvrir de nouveau et d’utile dans le domaine de l’art, de la philosophie, de la science et de l’industrie, et, en dernier lieu, se couronnant de la vérité entière et pure du Dieu qui en formera comme le dôme majestueux. La terre pour point d’appui, Dieu pour terme final des aspirations et, entre les deux, pour arriver de l’une à l’autre, une existence exemple d’erreur, de vice, de péché, pleine de satisfactions et d’espérances, telle est, pour nous résumer, la destinée de l’homme et celle de l’Humanité.

Nous avons dit que le Judaïsme a le premier aperçu les grandes lignes de cette double destinée qui n’en forme qu’une au fond. Son dogme du Messie est là pour l’attester. Qu’est, en effet, ce Messie, sinon la personnification de la destinée humaine, telle que nous venons de la caractériser ? Entendons-nous sur le mot personnification. Ce n’est pas symbole que nous voulons dire, autrement nous finirions par prendre le Messie pour un simple mythe, et cela serait contraire à la croyance juive. Suivant la doctrine israélite, le Messie est bien une personne qui viendra au temps marqué, alors que Dieu aura jugé l’Humanité assez avancée dans la voie de sa destinée pour être digne de recevoir l’oint du Seigneur. Destinée et Messie, cela marche de pair, les deux sont dans la plus étroite connexité, et le Messie ne viendra que quand la destinée humaine aura fait vers son accomplissement le plus grand pas. L’oint du Seigneur, le Fils de David, aura pour mission de mener cet accomplissement jusqu’au bout, toutefois à la condition qu’il le trouve déjà en bonne voie. Cette manière d’envisager le Messie et sa mission explique de suite pourquoi Israël s’est tant obstiné jusqu’à présent et s’obstine encore aujourd’hui à affirmer que le Messie n’est pas venu. Il n’est pas venu, parce que l’erreur subjuge encore trop souvent la vérité, parce que le progrès n’a pas dissipé tous les préjugés de l’ignorance, parce que les sciences morales et naturelles n’ont pas atteint un degré assez élevé de perfection, parce qu’enfin l’idolâtrie même n’a pas totalement disparu. Israël prétend qu’il reste encore à faire au genre humain un certain nombre de pas pour toucher à cette époque désirée où, selon la parole du prophète[20] qui s’est le plus occupé de l’avènement du Messie, une paix inaltérable aura enveloppé toute la terre ; où la maison du Seigneur sera rétablie sur la montagne de Sion vers laquelle afflueront les nations, disant : Venez, entrons tous dans le temple de l’Éternel ; étudions la Loi de Dieu et suivons-en les préceptes ; que Dieu soit notre juge suprême, notre médiateur et qu’il dispose les peuples à changer leurs lances en serpettes, leurs épées en socs de charrue[21]. Que sont toutes ces brillantes espérances, sinon celles que Dieu lui-même a fondées en l’accomplissement graduel de la destinée de l’homme qui est aussi celle de l’humanité ?

Mais continuons : quand Israël attend-il son Messie ? Alors que la connaissance de Dieu sera répandue sur toute la terrc ; que des croyances identiques et toutes vraies et pures auront fait des nations du globe une famille de frères ; qu’un même désir sera entré dans tous les cœurs, le désir de travailler au bien-être du genre humain ; alors enfin, que chacun se sentira porté à faire le sacrifice de ses mauvaises inclinations, soit par respect pour sa propre dignité, soit par amour pour la vertu, soit par crainte d’offenser la sainteté du souverain Créateur[22]. Qu’est l’espoir de voir arriver un jour semblable ? Une nouvelle preuve que le Judaïsme ne sépare pas son Messie de l’accomplissement de la destinée du genre humain tout entier. Aussi, et quoi que l’on en ait dit, la pensée du Messie n’a-t-elle jamais eu pour le peuple Juif aucune nuance de domination personnelle et nationale. C’est à peine même s’il aspire au retour en Palestine. Dans les prières journalières il y a des paragraphes qui, naturellement, se rapportent à la venue du Messie. Que trouvons-nous dans ces prières synagogales ? Nous allons traduire littéralement pour mettre le lecteur à même de juger de nos aspirations messianiques : « O Dieu, puisses-tu résider dans Jérusalem ta ville comme tu l’as dit, et que le trône de David y soit promptement rétabli, qu’il te plaise donc de rebâtir Sion d’une construction perpétuelle et cela bientôt, de nos jours ! »

« Que le rejeton de David, ton serviteur, pousse rapidement et que sa gloire s’élève par ton secours, car c’est en ton secours que nous espérons constamment.

» Agrée, Éternel notre Dieu, les supplications de ton peuple d’Israël, et exauce ses prières pour le rétablissement des cultes dans le parvis de ton temple ! Que ses sacrifices alors soient reçus avec bienveillance et amour de la part, et que toujours tu sois favorable à ses manifestations de piété pratique. Puissent nos yeux voir ton retour à Sion par l’effet de ta miséricorde. Sois loué, Éternel, qui rétablira le séjour de la gloire à Sion[23]. »

C’est donc essentiellement le culte de Dieu qui sera installé à Jérusalem, lors de la venue du Messie. Nous demandons moins notre restauration, à cette époque désirée, que l’affluence de tous les peuples qui viendront alors adorer le seigneur dans son Temple. Que les prêtres et les lévites y retrouvent leurs fonctions de jadis et que même Israël rentre dans sa demeure en Palestine comme autrefois ; ce serait certes le suprême accomplissement de tous nos vœux[24]. Mais d’abord, nous prions pour le rétablissement du culte de Dieu, pour le salut des nations que le Messie dominera spirituellement, afin de faire désormais régner entres elles l’union et la paix.

Avec le Messie aussi, la liberté fleurira dans le monde entier, selon cette parole bien connue du Talmud : « Il n’y aura d’autre différence entre l’époque présente et celle où régnera le Messie, que le triomphe et l’établissement universel de la liberté[25]. »

En ce jour enfin, est-il dit : « La connaissance de Dieu remplira la terre comme font les eaux du lit de la mer[26]. » « Tous les hommes, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, connaîtront et aimeront l’Éternel[27]. » Ce n’est donc toujours pas au profit d’Israël seul que se fera cette expansion de la vérité sur Dieu. Tous les peuples en jouiront et en profiteront pour marcher dans le chemin du devoir, de la justice, de l’honneur et du bon droit. La seule chose dont Israël pourra jouir alors plus particulièrement, ce sera de savoir que ses vieilles espérances pour lesquelles il fut tant attaqué, tant violenté et tant persécuté, se sont réalisées, et cela pour le bonheur commun. Alors enfin on aura pour lui un respect et une vénération que sa vieillesse, selon l’expression de Montesquieu, devrait depuis longtemps lui avoir attirés. Ce sera la réalisation de cette dernière prophétie : « Dix hommes s’attacheront au manteau d’un Juif en disant : Nous allons avec vous, car nous savons que Dieu vous guide et vous protège[28]. »

Mais il faut le savoir aussi : la venue du Messie n’altérera en rien la nature des choses, pas plus que celle des personnes. Sans doute, l’homme aura à l’époque messianique plus d’empire sur son cœur ; il étouffera plus aisément ses mauvaises tendances ; menant une vie sobre et laborieuse, il sera délivré de bien des misères, de bien des infirmités, de bien des maladies qui sont les suites inévitables de ses excès actuels. Éclairé sur les vraies conditions du bonheur, content du sort qui lui écherra, partageant son existence entre le culte de la vertu et la pratique de la piété, ne regardant plus son prochain d’un œil envieux et jaloux, il vivra en paix avec lui-même et avec les autres, et il ne se sentira plus jamais consumé du feu dévorant des mauvaises passions. Mais qu’il ne se sente plus jamais agité par elles, qu’il n’ait plus à lutter contre leurs séductions, comme d’autre part, qu’il n’ait plus à redouter du tout l’influence destructive du temps, et que les maladies et la mort se tiennent pour jamais éloignées de lui, c’est ce que l’homme ne pourra pas espérer. L’enseignement juif est là-dessus formel et catégorique : « Qu’il ne nous vienne pas à l’esprit, dit Maïmonide, d’affirmer qu’au temps du Messie les lois de la nature soient tout d’un coup modifiées. L’Univers continuera à suivre le mouvement que le Créateur lui a imprimé dès le principe. Ce qui, dans les livres des prophètes, semble témoigner du contraire, doit être pris au figuré[29] ». Sur la terre, l’homme ne saurait recevoir l’immortalité en partage. Les biens et les richesses se trouveront toujours, dans ce monde, inégalement réparties… Mais, laissons Maimonide achever l’exposé de ses idées sur l’époque messianique, idées qui font autorité dans la Synagogue, parce qu’elles sont le résumé et comme la quintessence de celles du Talmud sur le même sujet : « Ce qui sera encore assuré alors, c’est la liberté d’Israël, lequel ne sera plus arrêté dans l’accomplissement de ses devoirs, par d’injustes et cruelles persécutions. Tous les peuples s’uniront à la maison de Jacob pour adorer le Dieu éternel. Des trésors de sciences et de connaissances rempliront la terre. Une paix inaltérable y règnera. La race du Messie se succédera, de descendants en descendants, sur le trône de Jérusalem. Celui que Dieu nous aura envoyé pour nous délivrer, ne sera pas plus immortel que nous… Et ce dont nous jouirons alors, ce ne sera ni de ces grandeurs éphémères ni de ces amusements frivoles que rêvent quelques folles têtes. Le triomphe, mais le triomphe complet de la charité et de la justice, voilà le spectacle duquel nous aimerons à nous délecter. A l’époque messianique, nous aurons la satisfaction suprême d’assister à l’universelle régénération de l’Humanité, et qui sera surtout une régénération toute spirituelle donnant à la vérité plus d’empire à la vertu, plus de force et de prestige et, par suite, à tous deux, plus d’adorateurs[30] ».

En résumé donc, nous croyons avec la Bible, avec le Talmud, avec tous les penseurs juifs, que le Messie amènera sur la terre une ère de paix qui sera générale et durable ; que le genre humain, par le degré de perfection intellectuelle et morale qu’il aura atteint, marchera d’un pas sûr vers la félicité déjà accessible en ce bas monde, au moyen de la connaissance de la vérité et le contentement de la conscience ; que pour avoir la constante jouissance de cette félicité, l’homme aura, même après la venue du Messie, toujours des obstacles à surmonter, des faiblesses à corriger, des passions à réprimer, car les conditions de l’existence terrestre ne seront pas différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui ; la mort non plus n’aura pas disparu, puisque le Messie lui-même mourra comme tous les humains ; mais les vices et les passions seront plus facilement réprimés et évités par suite de l’empire qu’aura pris universellement la vertu ; cette dernière aura déjà, à l’apparition du Messie, remporté sa grande victoire sur le mal dans le combat de Gog et de Magog, présenté par les prophètes comme une figure, et d’où le Messie sera sorti vainqueur ; c’est-à-dire enfin, que le Messie sera lui-même la vertu triomphante, et, par son exemple, il aura appris à l’Humanité à dompter le vide pour se frayer plus sûrement un chemin vers l’Immortalité céleste ; ce chemin, nous pourrons encore le prendre ou le délaisser ; toute liberté nous sera toujours accordée pour cela ; pas plus qu’actuellement Dieu ne nous forcera à être vertueux et heureux ; seulement, d’une manière plus facile qu’aujourd’hui, nous nous trouverons sur une pente naturelle vers le bien, nous nous tiendrons plus aisément éloignés du mal, parce que, pénétrés comme nous le serons de la connaissance de Dieu, nous saurons apprécier la sainteté du devoir, et que nous aspirerons davantage, par la connaissance que nous aurons de la vérité, à nous rapprocher de Celui qui en est la source, à gagner son amour, à mériter sa protection, en nous unissant à lui par les liens les plus étroits de l’attachement du cœur basé sur le savoir de la raison.

Voilà ce que nous croyons et, en le croyant d’une foi sincère et profonde, nous sommes avec le Judaïsme et avec les vues les plus élevées d’une saine philosophie dans la voie de la destinée de l’homme, ainsi que de celle de l’Humanité tout entière. Heureuse religion que la religion israélite qui a su ainsi, au début des siècles et presque au berceau du monde, embrasser d’un coup d’œil d’aigle toute la suite des péripéties à travers lesquelles le genre humain serait appelé à marcher à ses fins, et qui a su incarner dans un peuple l’idée de la perfectibilité, de façon qu’elle survécût jusqu’à son accomplissement final, à toutes les soi-disantes manifestations du Messie !

Oui, Israël a eu la gloire d’avoir, d’une part, ouvert les espérances de l’homme vers l’avenir et son âge d’or futur, pendant que les païens n’ont su se tourner que vers le passé avec son âge d’or à jamais évanoui, et, d’autre part, d’avoir toujours su tenir bon contre tous les prétendus Messies qui ont tenté de faire disparaître ces belles espérances sans en avoir au préalable amené la réalisation. Car, en définitive, lequel des deux Messies qui se sont fait passer pour tels, aurait-il pu accepter ? La disparition des guerres, l’avènement d’une paix universelle, la pratique entière de la Loi, le règne général de la vertu, de la justice et de la vérité, tout cela, c’est l’ère messianique, et rien de tout cela ne s’est accompli à la venue de Jésus, non plus qu’à celle de Mahomet. Et c’est pourquoi le Judaïsme continue avec raison à demeurer dans l’attente de son Messie avec lequel il n’a jamais voulu confondre ni Jésus ni Mahomet, bien que le premier ait affirmé être venu consommer la Loi et la parfaire, et que le second ait prétendu n’être rien moins que le dernier des prophètes, leur sceau à tous.

Mais cette obstination à ne pas leur attribuer la qualification de Messie, a-t-elle empêché le Judaïsme de reconnaître qu’ils ont aidé tous deux au perfectionnement du genre humain[31] ? Pas le moins du monde, et son affirmation, à cet égard, est catégorique « Nous devons considérer le prétendu Messie (Jésus), aussi bien que l’autre (Mahomet) qui lui a succédé, comme ayant tous deux été destinés à aplanir la voie au vrai et futur Messie[32]. » Done, Jésus et Mahomet n’ont fait qu’aplanir la voie, la préparer, en ôter les pierres d’achoppement. Mais tout n’est pas fait. Il reste encore beaucoup à réaliser, à accomplir. C’est pourquoi IsraËl conseille toujours à l’humanité d’avoir les yeux fixés sur l’avenir qui seul contient en lui l’âge d’or, de continuer sa marche ascensionnelle vers le progrès et les améliorations de toutes sortes. Là est toute la destinée du genre humain. C’est là sa fin suprême et dernière, et c’est aussi vers ce chemin et sur ce chemin seul que se rencontreront pour Israël toutes les conditions nécessaires à la venue de son Messie.

  1. Épitre aux Romains, chap, III, IV, V et VI.
  2. Coran, chap. II.
  3. Coran, ch. III.
  4. Coran, ch. III.
  5. Coran, ch. VIII.
  6. Coran, ch. X.
  7. 6e chapitre du Deutéronome et suivants paraphrasés.
  8. Lévitique, 19, 2. Deut., 4, 4, 10, 20, 11, 22, 13, 5.
  9. Deut., 8. 3.
  10. Lévit., 18, 5.
  11. Voir Lévit., chap. XXXIII. Deut., chap. XXVIII.
  12. Deut., chap. IV, v. 39, chap. X. v. 11, chap. X, v. 21.
  13. Deut., chap. XIV, v. 6.
  14. Ecclésiastique, dernier chap., v. 13.
  15. Maimonide, Jad Hach-aka, Hilichoth, Teschoubah, chap. IX.
  16. Traité des principes, chap. II, v. 24.
  17. Traité Sanhedrin, p. 62.
  18. Traité Kidouschin, pages 29 et 30.
  19. Traité Ioma, p. 74. Maïmonide, Iad Hachsaha, Hilchoth Talmud Thorah, ch. II.
  20. Isaïe, notamment ch. 2, v. 1, 1 à 6.
  21. Voir aussi Maimonide ; sur ces versets d’Isaïe Iad Hachsaka, Hilchoth melachim, dernier chapitre.
  22. Zacharie, ch. VIII, v. 4 et ch. II v. 3.
  23. Voir les 18 formules de bénédictions quotidiennes, ou plutôt les 19 connues sous le nom de Amudah et Schemon Esré.
  24. Voir la Amidah des fêtes.
  25. Traité Sanhédrin, p. 98.
  26. Isaïe, chap. II, v. 19.
  27. Jérémie, chap. XXXI. v. 33.
  28. Zacharie, chap. VIII. v. 23.
  29. Maïmonide Iad Nachsalah Hilchoth Melachim. chap. 12.
  30. Commentaires sur la Mischnah, fin Talmud Sanhedrin. p. 128.
  31. Coran. chap. XXXIII, v. 41.
  32. Maïmonide Jad Hachsaka Hilchoth Melachim, chap. II et XII.