Hetzel (p. 24-37).

III

prospect-house


Voilà trente ans, la basse Californie, — un tiers environ de l’État de Californie, — ne comptait encore que trente-cinq mille habitants. Actuellement, c’est par cent cinquante mille que se chiffre sa population. À cette époque, les territoires de cette province, reculée aux confins de l’Ouest-Amérique, étaient tout à fait incultes, et ne semblaient propres qu’à l’élevage du bétail. Qui aurait pu deviner quel avenir était réservé à une région si abandonnée, alors que les moyens de communication se réduisaient, par terre, à de rares voies frayées sous la roue des chariots ; par mer, à une seule ligne de paquebots, qui faisaient les escales de la côte.

Len Burker avait ouvert un office.

Et cependant, depuis l’année 1769, un embryon de ville existait à quelques milles dans l’intérieur, au nord de la baie de San-Diégo. Aussi la ville actuelle peut-elle réclamer dans l’histoire du pays l’honneur d’avoir été le plus ancien établissement de la contrée californienne.

Lorsque le nouveau continent, rattaché à la vieille Europe par de simples liens coloniaux que le Royaume-Uni s’opiniâtrait à tenir trop serrés, eut donné une violente secousse, ces liens se rompirent. L’union des États du Nord-Amérique se fonda sous le drapeau de l’indépendance. L’Angleterre n’en conserva plus que des lambeaux, le Dominion et la Colombie, dont le retour est assuré à la confédération dans un temps peu éloigné sans doute. Quant au mouvement séparatiste, il s’était propagé à travers les populations du centre qui n’eurent plus qu’une pensée, un but : se délivrer de leurs entraves quelles qu’elles fussent.

Ce n’était point sous le joug anglo-saxon que pliait alors la Californie. Elle appartenait aux Mexicains, et leur appartint jusqu’en 1846. Cette année-là, après s’être affranchie pour entrer dans la république fédérale, la municipalité de San-Diégo, créée onze ans auparavant, devint ce qu’elle aurait toujours dû être, — américaine.

La baie de San-Diégo est magnifique. On a pu la comparer à la baie de Naples, mais la comparaison serait peut-être plus exacte avec celles de Vigo ou de Rio de Janeiro. Douze milles de longueur sur deux milles de largeur lui ménagent l’espace nécessaire au mouillage d’une flotte de commerce, aussi bien qu’aux manœuvres d’une escadre, car elle est considérée comme port militaire. Formant une sorte d’ovale, ouverte à l’ouest par un étroit goulet, étranglée entre la pointe Island et la pointe Loma ou Coronado, elle est abritée de tous les côtés. Les vents du large la respectent, la houle du Pacifique en trouble à peine la surface, les bâtiments s’en dégagent sans peine, et peuvent s’y ranger par des fonds de vingt-trois pieds minimum. C’est le seul port sûr et praticable, favorable aux relâches, que le littoral de l’ouest offre dans le sud de San-Francisco et dans le nord de San-Quentin.

Avec tant d’avantages naturels, il était évident que l’ancienne ville se trouverait bientôt à l’étroit dans son premier périmètre. Déjà des baraquements avaient dû être élevés pour l’installation d’un détachement de cavalerie sur les terrains couverts de broussailles qui l’avoisinaient. Grâce à l’initiative de M. Horton, dont l’intervention fut d’ailleurs une excellente affaire, une annexe fut construite à cette place. Maintenant, l’annexe est devenue la ville qui s’étage sur les croupes situées au nord de la baie. L’agrandissement s’opéra dans ces conditions de célérité, si familières aux Américains. Un million de dollars, semés sur le sol, firent germer les maisons privées, les édifices publics, les offices et les villas. En 1885, San-Diégo comptait déjà quinze mille habitants, — aujourd’hui trente-cinq mille. Son premier chemin de fer date de 1881. À présent, l’Atlantic and Pacific road, le Southern California road, le Southern Pacific road, la mettent en communication avec le continent, en même temps que la Pacific Coast Steam-ship lui assure des rapports fréquents avec San-Francisco.

C’est une jolie et confortable ville, bien aérée, d’un habitat très hygiénique, sous un climat dont l’éloge n’est plus à faire. Aux alentours, la campagne est d’une incomparable fertilité. La vigne, l’olivier, l’oranger, le citronnier poussent côte à côte avec les arbres, les fruits et les légumes des pays du Nord. On dirait une Normandie fusionnée avec une Provence.

Quant à la ville de San-Diégo elle-même, elle est bâtie avec cette aisance pittoresque, cette liberté d’orientation, cette fantaisie privée, qui est si profitable à l’hygiène, lorsqu’on n’est pas gêné par l’exiguïté des terrains. Il y a des places, des squares, des rues larges, des ombrages un peu partout, c’est-à-dire de la santé en raison directe du cube d’air, si généreusement concédé à cette heureuse population.

Et puis, si le progrès, sous toutes ses formes, ne se trouvait pas dans une cité moderne, surtout lorsque cette cité est américaine, où l’irait-on chercher ? Gaz, télégraphe, téléphone, les habitants n’ont qu’un signe à faire pour être éclairés, pour échanger leurs dépêches, pour se parler à l’oreille d’un quartier à l’autre. Il y a même des mâts, hauts de cent cinquante pieds, qui versent la lumière électrique sur les rues de la ville. Si on n’en est pas encore au lait distribué sous pression par une General Milk Company, si les trottoirs mobiles, qui doivent se déplacer avec une vitesse de quatre lieues à l’heure, ne fonctionnent pas encore à San-Diégo, cela se fera certainement dans un délai… quelconque.

Que l’on ajoute à ces avantages les institutions diverses où s’élabore le mouvement vital des grandes agglomérations, une douane dans laquelle l’importance des transactions s’accroît chaque jour, deux banques, une chambre de commerce, une société d’émigration, de vastes offices, de nombreux comptoirs, où se traitent des affaires énormes en bois et en farines, des églises affectées aux différents cultes, trois marchés, un théâtre, un gymnase, trois grandes écoles, Russ County, Court House, Maronic and old fellows, destinées aux enfants pauvres, enfin nombre d’établissements où les études sont poussées jusqu’à l’obtention des diplômes universitaires, — et l’on pourra préjuger l’avenir d’une cité jeune encore, opiniâtrement soigneuse de ses intérêts moraux et matériels, au sein de laquelle s’accumulent tant d’éléments de prospérité. Les journaux lui manquent-ils ? Non ! Elle possède trois feuilles quotidiennes, entre autres le Hérald, et ces feuilles publient chacune une édition hebdomadaire. Les touristes peuvent-ils craindre de ne pas trouver à se loger dans des conditions de confort suffisant ? Mais, sans compter les hôtels d’un ordre inférieur, n’ont-ils pas à leur disposition trois magnifiques établissements, le Horton-House, Florence-Hôtel, Gérard-Hôtel avec ses cent chambres, et sur le rivage opposé de la baie, dominant les grèves de la pointe Coronado, dans un site admirable, au milieu de villas charmantes, un nouvel hôtel, qui n’a pas coûté moins de cinq millions de dollars ?

De tous les pays du vieux continent, comme de tous les points du nouveau, que les touristes partent pour visiter cette jeune et vivace capitale de la Californie méridionale, ils y seront hospitalièrement accueillis par ses généreux habitants, et ils ne regretteront rien de leur voyage, — si ce n’est qu’il leur aura probablement paru trop court !

San-Diégo est une ville pleine d’animation, très agissante, et aussi très réglementée dans le pêle-mêle de ses affaires, comme la plupart des cités d’Amérique. Si la vie s’exprime par le mouvement, on peut dire qu’on y vit dans le sens le plus intensif du mot. À peine le temps suffit-il aux transactions commerciales. Mais, s’il en est ainsi pour les gens que leurs instincts, leurs habitudes, lancent à travers ce tourbillon, ce n’est plus vrai, lorsqu’il s’agit de ceux dont l’existence se traîne dans d’interminables loisirs. Quand le mouvement s’arrête, les heures ne s’écoulent que trop lentement !

Ce fut ce qu’éprouva Mrs. Branican, après le départ du Franklin. Depuis son mariage, elle avait été mêlée aux travaux de son mari. Lors même qu’il ne naviguait pas, ses rapports avec la maison Andrew créaient au capitaine John de nombreuses occupations. En outre des opérations de commerce auxquelles il prenait part, il avait eu à suivre la construction du trois-mâts dont il devait prendre le commandement. Avec quel zèle, on peut dire quel amour, il en surveillait les moindres détails ! Il y apportait les soins incessants du propriétaire, qui fait bâtir la maison où se passera toute sa vie. Et mieux encore, car le navire n’est pas seulement la maison, ce n’est pas seulement un instrument de la fortune, c’est l’assemblage de bois et de fer auquel va être confiée l’existence de tant d’hommes. N’est-ce pas, d’ailleurs, comme un fragment détaché du sol natal, qui y revient pour le quitter encore, et dont, malheureusement, la destinée n’est pas toujours d’achever sa carrière maritime au port où il est né !

Très souvent, Dolly accompagnait le capitaine John au chantier. Cette membrure qui se dressait sur la quille inclinée, ces courbes qui offraient l’aspect de l’ossature d’un gigantesque mammifère marin, ces bordages qui venaient s’ajuster, cette coque aux formes complexes, ce pont où se découpaient les larges panneaux destinés à l’embarquement et au débarquement de la cargaison, ces mâts, couchés à terre en attendant qu’ils fussent mis en place, les aménagements intérieurs, le poste de l’équipage, la dunette et ses cabines, tout cela n’était-il pas pour l’intéresser ? C’était la vie de John et de ses compagnons que le Franklin aurait à défendre contre les houles de l’océan Pacifique. Aussi n’y avait-il pas une planche à laquelle Dolly n’attachât quelque chance de salut par sa pensée, pas un coup de marteau, au milieu des fracas du chantier, qui ne retentît dans son cœur. John l’initiait à tout ce travail, lui disait la destination de chaque pièce de bois ou de métal, lui expliquait la marche du plan de construction. Elle l’aimait ce navire, dont son mari allait être l’âme, le maître après Dieu !… Et, parfois, elle se demandait pourquoi elle ne partait pas avec le capitaine, pourquoi il ne l’emmenait pas, pourquoi elle ne partageait pas les périls de sa campagne, pourquoi le Franklin ne la ramènerait pas en même temps que lui au port de San-Diégo ? Oui ! elle eût voulu ne point se séparer de son mari !… Et l’existence de ces ménages de marins, qui naviguent ensemble pendant de longues années, n’est-elle point depuis longtemps entrée dans les coutumes des populations du Nord, sur l’ancien comme sur le nouveau continent ?…

Mais il y avait Wat, le bébé, et Dolly pouvait-elle l’abandonner aux soins d’une nourrice, loin des caresses maternelles ?… Non !… Pouvait-elle l’emmener en mer, l’exposer aux éventualités d’un voyage si dangereux pour de petits êtres ?… Pas davantage !… Elle serait restée près de cet enfant, afin de lui assurer la vie après la lui avoir donnée, sans le quitter d’un instant, l’entourant d’affection et de tendresses, afin que, dans un épanouissement de santé, il pût sourire au retour de son père ! D’ailleurs, l’absence du capitaine John ne devait durer que six mois. Dès qu’il aurait rechargé à Calcutta, le Franklin reviendrait à son port d’attache. Et, d’ailleurs, ne convenait-il pas que la femme d’un marin prît l’habitude de ces séparations indispensables, dût son cœur ne s’y accoutumer jamais !

Il fallut donc se résigner, et Dolly se résigna. Mais, après le départ de John, aussitôt que le mouvement, qui faisait sa vie, eut cessé autour d’elle, combien l’existence lui eût paru vide, monotone, désolée, si elle ne se fût absorbée dans cet enfant, si elle n’eût concentré sur lui tout son amour.

La maison de John Branican occupait un des derniers plans de ces hauteurs, qui encadrent le littoral au nord de la baie. C’était une sorte de chalet, au milieu d’un petit jardin, planté d’orangers et d’oliviers, fermé d’une simple barrière de bois. Un rez-de-chaussée, précédé d’une galerie en retrait, sur laquelle s’ouvraient la porte et les fenêtres du salon et de la salle à manger, un étage avec balcon desservant la façade sur toute sa largeur, au-dessus le pignon que les arêtes du toit ornaient de leur élégant découpage, telle était cette habitation très simple et très attrayante. Au rez-de-chaussée, le salon et la salle à manger, meublés modestement ; au premier, deux chambres, celle de Mrs. Branican et celle de l’enfant ; derrière la maison, une petite annexe pour la cuisine et le service formaient la disposition intérieure du chalet. Prospect-House jouissait d’une situation exceptionnellement belle, grâce à son exposition au midi. La vue s’étendait sur la ville entière et à travers la baie jusqu’aux établissements de la pointe Loma. C’était un peu loin du quartier des affaires, sans doute ; mais ce léger désavantage était amplement racheté par l’emplacement de ce chalet, sa situation en bon air, que caressaient les brises du sud, chargées des senteurs salines du Pacifique.

C’est dans cette demeure que les longues heures de l’absence allaient s’écouler pour Dolly. La nourrice du bébé et une domestique suffisaient au service de la maison. Les seules personnes qui la fréquentaient étaient M. et Mrs. Burker — rarement Len, souvent Jane. M. William Andrew, comme il l’avait promis, rendait de fréquentes visites à la jeune femme, désireux de lui communiquer toutes les nouvelles du Franklin, qui arriveraient par voie directe ou indirecte. Avant que des lettres aient pu parvenir à destination, les journaux maritimes relatent les rencontres des navires, leurs relâches dans les ports, les faits de mer quelconques, qui intéressent les armateurs. Dolly serait donc tenue au courant. Quant aux relations du monde, aux rapports du voisinage, habituée à l’isolement de Prospect-House, elle ne les avait jamais recherchés. Une seule pensée remplissait sa vie, et, lors même que les visiteurs eussent afflué au chalet, il lui aurait paru vide, puisque John n’y était plus, et il resterait vide jusqu’à son retour.

Très souvent, Dolly accompagnait le capitaine.

Les premiers jours furent très pénibles. Dolly ne quittait pas Prospect-House, où Jane Burker venait quotidiennement la voir. Toutes deux s’occupaient du petit Wat et parlaient du capitaine John. Le plus ordinairement, lorsqu’elle était seule, Dolly passait une partie de la journée sur le balcon du chalet. Son regard allait se perdre au delà de la baie, par-dessus la pointe Island, plus loin que les îles Coronado… Il dépassait la ligne de mer, circonscrite à l’horizon… Le Franklin en était loin déjà… Mais elle le rejoignait par la pensée, elle s’y embarquait, elle était près de son mari… Et, lorsqu’un bâtiment, venu du large, cherchait à atterrir, elle se disait qu’un jour le Franklin apparaîtrait aussi, qu’il grandirait en ralliant la terre, que John serait à bord…

La vue s’étendait sur la ville entière.

Cependant la santé du petit Wat ne se fût pas accommodée d’une réclusion absolue dans l’enclos de Prospect-House. Avec la seconde semaine qui suivit le départ, le temps était devenu très beau, et la brise tempérait les chaleurs naissantes. Aussi Mrs. Branican s’imposa-t-elle de faire quelques excursions au dehors. Elle emmenait la nourrice, qui portait le bébé. On allait à pied, lorsque la promenade se bornait aux alentours de San-Diégo, jusqu’aux maisons d’Old-Town, la vieille ville. Cela profitait à cet enfant, frais et rose, et lorsque sa nourrice s’arrêtait, il battait de ses petites mains en souriant à sa mère. Une ou deux fois, à l’occasion d’excursions plus longues, une jolie carriole, louée dans le voisinage, les emportait tous trois, et même tous quatre, car Mrs. Burker se mettait quelquefois de la partie. Un jour, on se rendit ainsi à la colline de Knob-Hill, semée de villas, qui domine l’hôtel Florence, et d’où la vue s’étend vers l’ouest jusqu’au delà des îles. Un autre jour, ce fut du côté des grèves de Coronado-Beach, sur lesquelles de furieux coups de mer se brisent avec des retentissements de foudre. Puis, on visita les « Lits de Mussel », où la marée haute couvre d’embruns les roches superbes du littoral. Dolly touchait du pied cet océan, qui lui apportait comme un écho des parages lointains, où John naviguait alors, — cet océan dont les lames assaillaient peut-être le Franklin, emporté à des milliers de milles au large. Elle restait là, immobile, voyant le navire du jeune capitaine dans les envolées de son imagination, murmurant le nom de John !

Le 30 mars, vers dix heures du matin, Mrs. Branican était sur le balcon, lorsqu’elle aperçut Mrs. Burker, qui se dirigeait vers Prospect-House. Jane pressait le pas, en faisant un joyeux signe de la main, preuve qu’elle n’apportait point aucune fâcheuse nouvelle. Dolly descendit aussitôt, et se trouva à la porte du chalet, au moment où elle allait s’ouvrir.

« Qu’y a-t-il, Jane ?… demanda-t-elle.

— Chère Dolly, répondit Mrs. Burker, tu vas apprendre quelque chose qui te fera plaisir ! Je viens de la part de M. William Andrew te dire que le Boundary, qui est entré ce matin à San-Diégo, a communiqué avec le Franklin

— Avec le Franklin ?…

— Oui ! M. William Andrew venait d’en être avisé, et lorsqu’il m’a rencontrée dans Fleet Street ; il ne pouvait se rendre au chalet que dans l’après-midi, aussi me suis-je hâtée d’accourir pour t’en instruire…

— Et on a eu des nouvelles de John ?…

— Oui, Dolly.

— Lesquelles ?… Parle donc !

— Il y a huit jours, le Franklin et le Boundary se sont croisés en mer, et une correspondance a pu être échangée entre les deux navires.

— Tout allait bien à bord ?…

— Oui, chère Dolly. Les deux capitaines étaient assez rapprochés pour se parler, et le dernier mot qu’on a pu entendre du Boundary, c’était ton nom !

— Mon pauvre John ! s’écria Mrs. Branican, dont les yeux laissèrent échapper une larme d’attendrissement.

— Que je suis contente, Dolly, reprit Mrs. Burker, d’avoir été la première à t’annoncer cette nouvelle !

— Et je te remercie bien ! répondit Mrs. Branican. Si tu savais combien cela me rend heureuse !… Ah ! si, chaque jour, j’apprenais… Mon John… mon cher John !… Le capitaine du Boundary l’a vu… John lui a parlé… C’est comme un autre adieu qu’il lui a envoyé pour moi !

— Oui, chère Dolly, et, je te le répète, tout allait bien à bord du Franklin.

— Jane, dit Mrs. Branican, il faut que je voie le capitaine du Boundary… Il me racontera tout en détail… Où la rencontre a-t-elle eu lieu ?…

— Cela, je ne le sais pas, répondit Jane ; mais le livre de bord nous l’apprendra, et le capitaine du Boundary te donnera les renseignements les plus complets.

— Eh bien, Jane, le temps de m’habiller, et nous irons ensemble… à l’instant…

— Non… pas aujourd’hui, Dolly, répondit Mrs. Burker. Nous ne pourrions monter à bord du Boundary.

— Et pourquoi ?

— Parce qu’il n’est arrivé que de ce matin, et qu’il est en quarantaine.

— Pour combien de temps ?

— Oh ! vingt-quatre heures seulement… Ce n’est qu’une formalité, mais personne ne peut y être reçu.

— Et comment M. William Andrew a-t-il eu connaissance de cette rencontre ?

— Par un mot que la douane lui a apporté de la part du capitaine. Chère Dolly, tranquillise-toi !… Il ne peut y avoir aucun doute sur ce que je viens de te rapporter, et tu en auras la confirmation demain… Je ne te demande qu’un jour de patience.

— Eh bien, Jane, à demain, répondit Mrs. Branican. Demain, je serai chez toi dans la matinée, vers neuf heures. Tu voudras bien m’accompagner à bord du Boundary ?…

— Très volontiers, chère Dolly. Je t’attendrai demain, et, comme la quarantaine sera levée, nous pourrons être reçues par le capitaine…

— N’est-ce pas le capitaine Ellis, un ami de John ?… demanda Mrs. Branican.

— Lui-même, Dolly, et le Boundary appartient à la maison Andrew.

— Bien, c’est convenu, Jane… Je serai chez toi à l’heure dite… Mais que cette journée va me paraître longue !… Restes-tu à déjeuner avec moi ?…

— Si tu le veux, ma chère Dolly. M. Burker est absent jusqu’à ce soir, et je puis te donner mon après-midi…

— Merci, chère Jane, et nous parlerons de John… de lui toujours… toujours !

— Et le petit Wat ?… Comment va-t-il, notre bébé ?… demanda Mrs. Burker

— Il va très bien !… répondit Dolly. Il est gai comme un oiseau !… Quelle joie ce sera pour son père de le revoir !… Jane, j’ai envie de l’emmener demain avec sa nourrice !… Tu le sais, je n’aime pas à me séparer de mon enfant, même pour quelques heures !… Je ne serais pas tranquille, si je le perdais de vue… si je ne l’avais pas avec moi !

— Tu as raison, Dolly, dit Mrs. Burker. C’est une bonne idée que tu as de faire profiter ton petit Wat de cette promenade… Il fait beau temps… la baie est calme… Ce sera son premier voyage en mer, à ce cher enfant !… Ainsi, c’est convenu ?…

— C’est convenu ! » répondit Mrs. Branican.

Jane resta à Prospect-House jusqu’à cinq heures du soir. Puis, en quittant sa cousine, elle lui répéta qu’elle l’attendrait le lendemain chez elle vers neuf heures du matin, afin d’aller faire visite au Boundary.