Mirages (Renée de Brimont)/Sous la lampe

MiragesEmile-Paul Frères (p. 101-102).

SOUS LA LAMPE

Du ténébreux divan où la pénombre rampe
parmi les coussins mols que frôlent mes cheveux,
je vais faire jouer, puisque ainsi tu le veux,
les diffuses clartés magiques de la lampe.

Les rideaux sont tirés sur les bruits du dehors…
J’allume. Le miroir, dans sa luisante face,
réfléchit cette flamme inquiète et fugace
dont la caresse ronge un fagot de bois mort ;

nous aimons ce miracle intime de la braise
qui s’écroule, pareille à quelque palais nain,
et qui, lorsque j’étends vers le foyer ma main,
de ses roses lueurs inégales la baise.

Et lampe, feu, miroir, font surgir tout à tour
les choses qui dormaient aux replis de la chambre,
ce collier de Beyrouth chargé de graines d’ambre,
ce paravent de laque et ce pourpre velours ;

des parfums nuancés dont s’attardent les charmes
nous viennent d’un coffret doucement entr’ouvert,
et de ce vase frêle où baignent, fleurs d’hiver,
de longs arums et des violettes de Parme ;


et nous nous sommes tus, et tes yeux vont là-bas
vers les méandres bleus du tabac que tu fumes,
et le livre s’est clos à l’heure de coutume,
le livre commencé que nous n’achevons pas ;

et tandis qu’au dehors la rumeur assoupie
ne nous apporte plus qu’un écho languissant
et que nous demeurons immobiles, je sens
ton désir, dieu nocturne et muet, qui m’épie.