Mirages (Renée de Brimont)/Rires sur l’eau

MiragesEmile-Paul Frères (p. 15-16).

RIRES SUR L’EAU

Un ourlet vague au bord des eaux,
une ombre au seuil ombreux d’un saule…
Et te voilà, sournoise et drôle,
faunesse, parmi les roseaux.

Ta silhouette grêle émerge…
Tu parais et tu disparais,
et ton rire aigu, jeune et frais,
viole le silence vierge.

Tu parais… Faunesse, où vas-tu,
sentant l’automne et les genièvres ?
Deux cornes comme en ont les chèvres
s’effilent sur ton front têtu ;

découvrant tes épaules maigres,
au soleil sèchent tes cheveux ;
tu mords, d’un coup de dent nerveux,
des châtaignes et des fruits aigres ;

du sang des raisins noirs et bleus
je vois les marques sur ta bouche…
Il me plaît que tu sois farouche,
faunesse ivre au corps anguleux.


Dans la pénombre des ramures
j’entends encor ce rire aigu…
Tes fragiles seins ambigus
ont le hâle des prunes mûres ;

tes gestes brefs sont ingénus,
tu bondis dans les hautes herbes,
tu ris, tu ris… Les vents acerbes
soufflent le long de tes reins nus ;

tu ris — que ta lèvre est camuse ! —
tu ris de t’en aller de biais,
d’avoir un ongle tors aux pieds,
des yeux glauques chargés de ruse ;

tu ris, tu ris sans t’arrêter
d’être méchante, vive et brune,
et de danser au clair de lune
avec art et simplicité…

Ah ! Faunesse enfant déjà femme
qui ne connais ni foi ni loi,
ne ris plus — je retrouve en toi
l’envers sauvage de mon âme !