Michel-Ange - L’Œuvre littéraire/Correspondance son frere Buonarotto


Traduction par Boyer d’Agen.
Librairie Ch. Delagrave (p. 129-np).

MICHEL-ANGE À SON FRERE BUONARROTO


Buonarroto, troisième fils de Ludovic Buonarotti, naquit le 26 mai 1477. Il fit le commerce des draps, dans le magasin des Strozzi, à la Porte-Rouge. Ensuite, pour son propre compte, et, grâce à l’aide généreuse de Michel-Ange son frère, il fut élu un des Bonshommes, en 1515 pour la première fois, et en 1525 pour la deuxième. Nommé au Priorat pour les mois de novembre et de décembre 1515, il occupait ce poste alors que fit son entrée solennelle à Florence le pape Léon X allant à Bologne, pour une entrevue avec le roi de France. Pour exprimer sa gratitude à ses concitoyens, le pape, par une bulle en date du 25 décembre, fit comtes palatins tous les membres de la Signoria, avec privilège de tenir notariat, de légitimer leurs bâtards et de transmettre leurs privilèges à leur descendance. Il est à noter, à ce propos, qu’aucun des descendants de ces nouveaux comtes ne s’est rappelé jusqu’à nos jours ce privilège. Le pape concéda, de plus, pour ces membres privilégiés, un supplément à leurs armoiries ; il consistait en une tête dorée avec la boule d’azur, ornée des trois fleurs de lis de France et placée au milieu des lettres LX, de couleur noire. En conséquence de cette faveur, les Buonarroti composèrent ainsi leur blason. Dans la suite, Buonarroto fut capitaine du parti guelfe en 1519, et gonfalonnier de sa compagnie en 1521. Il mourut de la peste, le 2 juillet 1525, entre les bras de Michel-Ange qui l’aimait tendrement. (Vid. Gotti, locu cit.)

I

À Prudent le Jeune, Buonarroto, fils de Ludovic Buonarroti, à Florence.
Rome, mars 1497.0000

J’ai reçu de toi une lettre qui m’a fait grand plaisir. J’y ai surtout recueilli le cas du frère Jérôme (Savonarole), votre Séraphique, qui fait dire de lui dans toute Rome qu’il est un hérétique mûr. Il faudra bien qu’à toute force il se décide à venir prophétiser un peu ici, et ensuite on le canonisera… Fra Mariano dit beaucoup de mal de votre prophète. Rien de nouveau ici, à part les 7 évêques de Carthage qu’on a faits, hier, et dont 5 ont été empalés et étranglés.

Ton,
Michelagnolo, à Rome.0000

0000(Arch. Buonarroti.)



II

Bologne, Ier février 1507.0000

Je te fais savoir que, vendredi soir, à la vingt et unième heure, le pape Jules est venu à la maison où j’ai l’atelier. Il y est resté environ une demi-heure, à me regarder travailler ; puis il m’a donné sa bénédiction et s’en est allé en manifestant son contentement sur le travail que je fais. C’est pourquoi, il me semble que nous avons grandement à remercier Dieu ; et je vous prie de le faire et de prier pour moi.

0000(Arch. Buonarroti.)



III

Bologne, 6 juillet 1507.0000

Je t’apprends que nous avons coulé la statue (de Jules II) sans trop bonne fortune pour moi, parce que maître Bernardino, soit par ignorance, soit par malchance, n’avait pas bien fondu le métal. Il serait long de t’écrire comment. Qu’il me suffise de te dire que ma statue n’est venue que jusqu’à la ceinture ; le reste de la matière, c’est-à-dire la moitié du métal, est resté dans le four où il ne s’était pas fondu ; de telle sorte qu’après en avoir fait l’extraction, il faudra détruire le moule. Je m’y résigne. Je le ferai refaire cette semaine, je coulerai de nouveau la semaine suivante et finirai de remplir la forme de telle sorte, puis-je croire, que la chose ira de mal en mieux, mais non sans bien grands tourments, fatigues et dépens.

C’est à croire que maître Bernardino aura fondu sans feu, tant j’avais confiance en lui. Ce n’est pas à dire cependant qu’il ne soit pas un bon maître et qu’il n’ait pas fait avec amour ce travail. Mais qui fait, peut mal faire ; qui ne fait rien, ne risque pas de se tromper. Et lui s’est bien trompé, à mon dommage et au sien ; mais il se l’est reproché à ce point qu’il ne peut plus lever les yeux dans Bologne. Si tu vois Baccio d’Agnollo, lis-lui ma lettre, prie-le d’en aviser San-Gallo à Rome et recommande-moi à lui, à Jean de Ricasoli et à Granaccio. Je crois que, si l’affaire va bien, dans quinze ou vingt jours, j’en serai hors et je quitterai Bologne.

0000(Musée Britann.)



IV

Bologne, 2 novembre 1507.
0000

Je désire bien plus que vous de m’en aller d’ici, car j’y suis dans les ennuis les plus grands et les plus extrêmes fatigues. Je n’y pense qu’à travailler, et le jour et la nuit ; et la fatigue qui me dure en est telle que, si j’avais à refaire une autre œuvre semblable, je ne crois pas que la vie pût m’y suffire, tant celle-ci est laborieuse. Je dis même que, si elle eût été confiée à d’autres mains, il lui serait arrivé malheur. Mais j’estime que les prières de certaine personne m’y ont aidé et tenu bien portant, encore que ce fût l’opinion de Bologne tout entière que je ne finirais jamais cet ouvrage.

0000(Musée Britann.)



V

Rome, 26 octobre 1509.0000

… J’apprends que Gismondo [1] compte venir ici pour dépêcher sa besogne. Dis-lui de ma part de ne pas trop compter sur moi, non parce que je ne l’aime comme un frère, mais parce que je ne puis l’aider en rien. Je suis tenu à aimer plutôt moi que les autres, et je ne puis m’accorder les choses même nécessaires. Je suis ici en grand souci et fatigue de corps, je n’ai amis d’aucune sorte et je n’en veux pas même. J’ai si peu de temps, que je ne peux manger à ma faim. C’est pourquoi ne me donne pas d’autre ennui, car je n’en pourrais supporter davantage.

0000(Musée Britann.)



VI

Rome, 17 octobre 1510.0000

J’ai reçu, hier, 500 ducats d’or que le pape m’a envoyés par le cardinal (Lorenzo Pucci, Florentin). J’en ai donné ici à Jean Balducci (banquier), 463 1/2, pour qu’ils me soient comptés à Florence et payés par Boniface Fazzi. J’ai donné l’ordre qu’ils te soient versés. Vu la présente, tu iras chez Boniface, qui te payera, c’est-à-dire qu’il te versera 450 ducats d’or. S’il ne pouvait les mettre à ta disposition avant dix jours, prends patience. De toute manière fais-toi donner cette somme, porte-la à la direction de Sainte-Marie-Nouvelle et fais-la inscrire à mon compte, comme les autres qui y sont déjà. Quand tu auras fait arranger mon compte chez le directeur, avise-moi aussitôt de la somme totale que j’ai chez lui, et ne parle de cela à personne.

0000(Musée Britann.)



VII

Rome, 10 janvier 1521. 0000

… Tu cherches donc qui voudrait te mettre en main deux ou trois mille ducats pour ouvrir, avec cet argent, une boutique. Cette bourse sera meilleure que la mienne. De toute manière, mon avis est que tu l’acceptes ; mais garde-toi d’être trompé, car on ne trouve pas aisément qui voudrait plus de bien à autrui qu’à soi-même. Tu me dis qu’un tel autre voudrait te donner aussi sa fille pour femme ; et moi je te dis que toutes les offres qu’il te fait, te manqueront, la femme excepté, quand il t’aura mis celle-ci sur le dos. De ces partis, tu en auras autant que tu en voudras. Je te dirai encore qu’il ne me plait pas de te voir te mettre, par calcul, en embarras avec des hommes beaucoup plus vils que tu ne peux l’être. L’avarice est un bien grand péché ; là où il y a péché, il ne peut y avoir bonne réussite. Il me semble que tu devrais donner de bonnes paroles et suspendre cette affaire jusqu’à ce que je voie la fin des miennes ici et me rende compte de la situation. Ce sera dans trois mois, ou à peu près. En attendant, fais à ta guise. Je n’ai pu te répondre plus tôt.

0000(Arch. Buonarroti.)



VIII

Rome, 24 juillet 1512.0000

… Je serai, en septembre prochain, à Florence, et je ferai tout ce que je pourrai pour vous, comme je l’ai fait jusqu’à cette heure. Je suis las, plus qu’aucun homme ne le fut jamais. Cette grande fatigue ne rend pas ma santé meilleure, et pourtant j’attends venir avec patience la fin si désirée. Vous pouvez bien patienter aussi deux mois, vous qui êtes dix mille fois mieux portants que moi-même.

0000(Arch. Buonarroti.)



IX

Rome, 18 septembre 1512.0000

J’ai appris par ta dernière lettre comment le pays (florentin) était en grand péril, et j’en ai eu grande compassion. À présent, on dit que la maison des Médicis est de nouveau entrée dans Florence, et que tout s’est arrangé. Aussi bien, je crois que le danger qui nous venait des Espagnols a cessé, et je ne pense pas qu’il soit encore besoin de quitter le pays. Tenez-vous-y en paix, ne vous y faites les amis, les familiers de personne, sinon de Dieu. Ne parlez de personne ni en bien ni en mal, parce qu’on ne sait jamais la fin des choses. Ne vous occupez que de vous. Au sujet des 40 ducats que Ludovic (son père) a prélevés à Sainte-Marie-Nouvelle, je vous ai écrit, l’autre jour, une lettre pour vous dire qu’en cas de péril de la vie vous en dépensiez, non pas quarante, mais tout le reste. Hors ce cas, je ne vous donne pas la permission d’y toucher. Je vous avise que je n’ai pas même pour moi un grosso et que je suis littéralement sans chaussures et nu, et que je ne peux avoir mon reste si mon ouvrage n’est pas fini. Je souffre vraiment les plus grandes privations et fatigues. Aussi bien, quand vous auriez à supporter quelques ennuis, ne vous en rebutez point. Tant que vous pourrez vous aider de vos deniers, ne me prenez pas les miens, si ce n’est en cas de danger, comme je vous l’ai dit. Et s’il vous arrive d’avoir de grands besoins, je vous en prie, faites-le-moi d’abord savoir, s’il vous plan’.

0000(Arch. Buonarroti.)



X

Rome, 30 juillet 1513.0000

Le tailleur de pierres Michel m’a dit que tu lui as donné la preuve que tu aurais dépensé, à Cettignano, environ 60 ducats. Je me souviens que tu m’as dit aussi, à table, que tu avais dépensé nombreux ducats de ton bien. Je fis semblant de ne pas entendre, et je ne m’étonnai de rien, parce que je te connais. Je crois que tu auras marqué cette dépense et que tu en tiendras compte pour me la redemander un jour. Mais je voudrais bien savoir de ton ingratitude avec quel argent tu as gagné celui-là ; je voudrais bien savoir si tu tiens compte des 228 ducats que vous m’avez pris à Sainte-Mane-Nouvelle et de beaucoup d’autres centaines encore que j’ai dépensées à la maison et pour vous, et encore si tu tiens compte des ennuis et des peines que j’ai soufferts pour vous venir en aide. Je voudrais savoir si tu tiens compte de tout cela. Si tu avais assez d’intelligence pour connaître la vérité, tu ne dirais pas : « J’ai dépensé tant de mon bien. » Et, non plus, vous ne seriez pas venus porter jusqu’à Rome, chez moi, vos requêtes. Voyant comme je me suis comporté envers vous, au temps passé, tu devrais dire, au contraire : « Michel-Ange sait ce qu’il nous a écrit. S’il n’agit pas de même envers nous aujourd’hui, c’est qu’il doit avoir quelque empêchement que nous ignorons. » La patience eût mieux valu, car ce n’est pas bien d’éperonner un cheval qui court autant qu’il peut, et même plus qu’il ne peut. Mais vous ne m’avez jamais connu, et vous ne me connaissez pas encore. Dieu vous le pardonne, parce qu’il m’a fait la grâce de supporter ce que, ai supporté et que je supporte encore, afin que vous soyez aidés comme vous 1 êtes. Vous ne me connaîtrez que lorsque vous ne m’aurez plus.

0000(Arch. Buonarroti.)



XI

Rome, 16 juin 1515.0000

Je voudrais que tu ailles trouver le directeur de Sainte-Marie-Nouvelle, et que tu me fasses payer 4.400 ducats de ceux qu’il a à mon avoir ; parce que j’ai besoin de faire, cet été, un grand effort pour finir vite ce travail [2]. J’estime qu’ensuite je serai aux services du pape Léon X. Dans ce but, j’ai acheté peut-être 20 milliers de livres de métal, pour couler certaines statues. Il me faut de l’argent. C’est pourquoi, vu la présente, fais en sorte que le directeur te fasse payer.

0000(Musée Britann.)



XII

30 juin 1515.0000

Un de ces jours derniers, comme je passais devant la banque des Borghenni, le caissier m’a dit qu’il avait à me payer certains deniers, venus à mon adresse. Je n’ai pas voulu les toucher avant que je n’aie reçue de toi une lettre m’indiquant la quantité. J’ai écrit aussi la lettre que tu m’as demandée. Je sais qu’elle n’allait pas bien, parce que ce n’est pas ma profession d’écrire et que je n’ai pas la tête à la littérature. Rien de plus, pour aujourd’hui.

0000(Musée Britann.)



XIII

Rome, 8 sept. 1515.0000

Tu m’écris, comme si tu croyais que j’ai plus de soucis qu’il ne convient des choses de ce monde. Eh oui ! j’ai plus de soucis pour vous que pour moi-même, ainsi que j’ai toujours fait. Je ne cours pas après les fables et je ne suis point du tout un fou, comme vous le croyez. Je pense même que vous prendrez plus de goût aux lettres que je vous ai écrites, quand quelques années seront passées dessus, que vous ne le faites à présent, si je ne me trompe. Et si je me trompe, ce n’est point chose mauvaise ; parce que je sais qu’en tout temps il est bon d’avoir souci de soi et de ses affaires. Je me rappelle que tu voulais prendre un certain parti, il y a environ dix-huit mois, plus ou moins, je ne le sais. Je t’écrivis alors que ce n’était pas encore l’heure, et que tu devais laisser passer un an, par égard pour toi-même. À quelques jours de là, mourut le roi de France. Tu me répondis ou m’écrivis ensuite que, le roi étant mort, il n’y avait plus de péril pour l’Italie, et que je n’en finissais pas avec mes fables ; enfin tu te moquais de moi. Tu vois pourtant que le roi n’est pas mort et qu’il vaudrait bien mieux pour nous que, depuis plusieurs années, vous puissiez gouverner à ma manière. Mais assez là-dessus.

0000(Arch. Buonarroti.)



XIV

15 nov. 1516.0000

J’ai appris par ta lettre que notre père Ludovic a failli mourir, mais que le médecin a dit dernièrement que le malade était hors de danger, si rien d’autre ne survenait. Puisqu’il en est ainsi, je ne me mettrai pas en route, parce que cela m’est très désagréable. Si notre père eût été en danger, j’aurais voulu le voir à toute force avant qu’il ne mourût, dussé-je en mourir avec lui. Mais j’ai bon espoir qu’il se portera bien, et je ne viendrai pas. Si, par hasard, il arrivait qu’il rechutât, — ce dont Dieu le garde et nous aussi, — fais en sorte qu’il ne manque de rien, quant à son âme et aux sacrements de l’Église. Sache par lui s’il veut que nous fassions quelque chose pour son âme. Quant aux nécessités du corps, veille à ce qu’il ne lui manque rien ; car je ne me suis jamais fatigué que pour lui et pour l’aider dans ses besoins avant sa mort. Ainsi, fais en sorte que ta femme[3] veille avec amour sur les besoins de la maison paternelle ; je l’en récompenserai, elle et tous vous autres, quand il en sera besoin. N’ayez aucune crainte d’y employer, s’il le faut, tout ce qui est à nous. Rien de plus. Soyez en paix et avisez-moi, car je suis en grande compassion et crainte.



XV

Buonarroto à Michel-Ange.
Florence, 1515.0000

Mon très cher, pour t’envoyer quelques nouvelles d’ici et, entre autres, celles de la visite de notre seigneur, c’est-à-dire le pape, je t’écris ces quatre lignes, bien que je sache qu’il t’importe peu de l’apprendre. Ce sera autant de temps gagné. Mais peut-être, à cette heure, connais-tu tout cela ?

Et d’abord comment, le 30, jour de saint André, le Saint-Père est entré dans Florence, je crois que tu le sais déjà. Cette entrée s’effectua avec grande dévotion, force rumeur de cris et jeux de balles, à laisser croire que le monde allait sens dessus dessous. Le pape était magnifiquement escorté de toute la cour et de nombreux citoyens du duché entier, chacun en bon ordre. Entre autres, on y voyait une escorte de jeunes gens choisis parmi les premiers de la République, tous vêtus de la même livrée en soie paon : armés de bâtons dorés, ils précédaient la sedia, qui était chose belle à voir. La garde pontificale et les palefreniers entouraient celle-ci, que surmontait un riche baldaquin de brocart porté par le Collège, et, autour d’elle, marchait la Signoria. Ainsi, au milieu de la foule, il fut conduit en grande vénération à Sainte-Marie-des-Fleurs et là, à l’autel majeur, se fit une cérémonie. Ensuite, de la même manière, il fut porté à la salle du Pape ; mais, avant de sortir, il donna l’indulgence plénière à tous ceux qui étaient dans l’église, et tu peux croire qu’il y en eut à la recevoir. Quand il arriva dans cette salle, le soir étant venu, toute la cour et le reste des assistants prit congé.

Le jour suivant, qui fut un samedi, le pape rendit visite à la Signoria, où nous fûmes tous admis au baisement du pied. Quand le gonfalonnier eut achevé son discours, nous prîmes congé et retournâmes au palais. De trois jours pleins, les sons de cloches et les feux de bombarde ne cessèrent. Il y eut bien dix grands arcs-de-triomphe dressés en plusieurs lieux ; c’était chose belle à voir, et aussi l’aguglia faite à la tête du Pont de la Trinité. La façade de Sainte-Marie-des-Fleurs était aussi très bien. En somme, il s’est fait ici fête complète, et les pauvres y ont eu quelques aumônes. On leur jetait à chaque instant de l’argent, à la porte de la salle du Pape, et celui-ci leur en a fait en outre distribuer beaucoup. Ainsi les charpentiers et les peintres ont bien vendangé. Malheureusement, le pauvre Baia (Jacobo di Corso, dit le Baia) se trouvait à parler avec un ami sur la place où Sangallo et lui avaient dressé un arc, quand, le feu de l’artillerie tirant, une bietta de fer échappée d’un carré vint le frapper au genou et lui brisa la jambe. Il a fallu la lui couper, et en quatre jours il est mort. C’est le seul accident qu’on eut à déplorer, pendant les fêtes.

Parti, le 3 décembre, pour Bologne, le pape y arriva le 8. Le 11, le roi (de France) l’y rejoignit, et, s’agenouillant, il lui baisa le pied et lui rendit obédience avec grande dévotion. Le 13, le Saint-Père chanta la messe à San-Petronio ; ce fut le jour de sainte Lucie. Le premier à lui verser l’eau sur les mains fut un grand seigneur de France, appelé monseigneur de Lanson ; le second, monseigneur de Bourbon ; le troisième, le grand maître (de la cour) du roi ; le quatrième enfin, le roi lui-même. Le soir de ce jour, le roi soupa avec le pape et lui lava les mains pour témoigner de son obédience. Toutes ces choses furent tenues comme de grandes choses, et je ne te les détaille pas parce que ce serait trop long. Puis, le 15, le roi quitta Bologne pour se rendre à Milan ; et, le i 8 du même mois, le pape s’en revint à Florence. Il y fit son entrée, le samedi 22. Le jour de Noël, il chanta la messe à Sainte-Marie-des-Fleurs, ce qui fut une belle chose ; et la Signoria vint lui faire sa cour. Quand la messe fut commencée et qu’il fallut laver les mains du pape, le premier des seigneurs à qui échut l’honneur de verser l’eau fut Giannozzo Salviati. Comme, ce matin-là, le sort m’avait choisi, je fus le second à verser l’eau aux mains du pape. Le troisième fut le duc de Camerino, et le quatrième le gonfalonnier de justice Pier Ridolfi. La messe étant finie, le pape fit à la Signoria — c’est-à-dire au palais — don d’une riche épée drapée d’or et d’argent, dans un fourreau de velours gris brodé de perles, en signe de justice, et avec grande et belle cérémonie. Et puis, le cortège des nombreux prélats et cubiculaires se reformant, nous retournâmes au palais…


21. Michel-Ange. Musée Buonarroti.
étude d’un ange du « jugement dernier »
  1. Sigismond, dernier des cinq enfants mâles de Ludovic Buonarroti, naquit le 22 janvier 1481 (style florentin). On a peu de renseignements sur son compte, parce qu’il passa sa vie loin des siens. Il allait, comme c’était alors coutume, à la solde tantôt d’un condottiere et tantôt d’un autre ; mais il n’arriva pas à laisser qrand renom dans le métier des armes. Il était au service de la République, en 1527, quand il fut choisi avec quelques troupes pour surveiller la frontière florentine, à Modigliana, où l’on craignait le passage des troupes ses, conduites par le seigneur de Lautrec. Vers 1540, il établit son domicile à Cetignano où il vécut plusieurs années ; ce qui donna à Michel-Ange l’occasion de se plaindre de lui, dans les lettres qu’il écrivait alors à son neveu Léonard, et où il exprimait son mécontentement de voir son frère faire le paysan à la campagne. Rentré à Florence vers les derniers temps de sa vie, il y mourut le 13 novembre 1555. (Vid. Gotti, loco cit.)
  2. Le tombeau de Jules II.
  3. Buonarroto, seul marié des cinq frères, avait épousé Cassandra di Bernardo Puccini en premières noces, et Bartolomea di Ghezzo délia Casa en deuxièmes. Leonardo, neveu et héritier de Michel-Ange, fut un des trois enfants nés de ce second mariage.