Mexique.- Situation des partis
SITUATION DES PARTIS.
La guerre, qui depuis 1812 étend ses ravages sur l’hémisphère occidental, entre les rives de Rio de la Plata et les confins de la Californie, a dû nécessairement fixer l’attention de l’Europe. Mais de tous les territoires de ce vaste continent, naguère soumis à l’Espagne, le plus favorisé du ciel comme le plus intéressant est sans contredit le Mexique. Sa tierra caliente, exposée aux feux dévorans du soleil des tropiques, dont elle offre toutes les productions, ses immenses plateaux, que la nature a dotés d’un climat délicieux et d’un sol fécond en richesses végétales et minérales, son admirable position commerciale sur les deux Océans, tout lui assure une prééminence incontestable sur les autres colonies espagnoles, où l’on chercherait en vain la même combinaison d’avantages physiques.
L’Espagne ne se dissimule pas la perte qu’elle a faite par l’émancipation du Mexique. Une nouvelle expédition, sortie des ports de la Havane, doit débarquer sur ses côtes, et en essayer encore la conquête. Quelles sont les chances de succès ? quelles difficultés aura-t-elle à vaincre ? C’est ce que nous nous proposons d’examiner. Mais il est nécessaire de jeter auparavant un coup d’œil sur les derniers événemens de ce pays qui ont élevé Guerrero à la présidence.
Par la reddition du château de San Juan de Ulloa, arrivée le 19 novembre 1825, le territoire de la république se trouvait entièrement affranchi de la présence des Espagnols, et l’année 1826 s’était écoulée au sein de la paix la plus profonde. Les Mexicains, renonçant à leur inimitié contre les naturels de l’ancienne métropole, s’étaient non-seulement réconciliés avec eux, mais en avaient même conservé un grand nombre au service de la république. Les Espagnols occupaient le tiers des emplois publics ; plusieurs étaient membres du congrès, de l’armée, du ministère, du pouvoir exécutif ; la défense des provinces et des côtes leur était confiée ; en un mot, la plus parfaite intelligence régnait entre les différentes branches de la famille mexicaine. Toutefois le refus de la part de l’Espagne de reconnaître l’indépendance de la république changea bientôt cet état de choses, et l’imprudente conduite de quelques Espagnols réveilla d’anciennes animosités, qui se seraient bientôt éteintes.
Le congrès mexicain s’était réuni le 1er janvier 1827, sous les plus heureux auspices. Le président Victoria, dans son message, le félicita de la tranquillité dont jouissait alors la nation, et de la prospérité qui résultait du développement progressif de ses institutions. Un ministre spécial, M. Camacho, venait d’être envoyé à Londres, afin de donner au cabinet de Saint-James des explications nécessaires pour la conclusion d’un traité avec la Grande-Bretagne ; le traité avec les États-Unis allait être soumis à l’approbation des chambres, et le gouvernement avait l’espoir d’en négocier un semblable avec la France. Un agent commercial de cette nation venait même d’arriver à Mexico ; mais comme il ne tenait sa commission que de l’amiral Duperré, commandant de la station française des Antilles, Victoria avait refusé de le reconnaître officiellement, avant que son gouvernement lui eût expédié des lettres de créance en bonne forme. Un envoyé confidentiel se trouvait alors à Paris, chargé de représenter les intérêts du Mexique, et le pavillon de la république était admis dans les ports de France sur le même pied que celui de France était reçu dans les ports de la confédération ; la Prusse et le Wurtemberg avaient aussi leurs consuls dans la capitale.
Cependant l’agitation causée par une lettre encyclique du souverain pontife, qui exhortait les indépendans à rentrer sous la domination de la métropole, n’était point encore calmée. Les Espagnols surtout s’en étaient prévalu, pour exciter des troubles auxquels le clergé ne fut pas étranger. Le peuple mexicain ne voulut plus entendre parler de concordat avec la cour de Rome ; les législatures de plusieurs états s’y opposèrent formellement, et celles de Durango et de Zacatécas se firent particulièrement remarquer par leur opposition. Elles adressèrent au gouvernement les remontrances les plus énergiques, et lui recommandèrent d’assumer lui-même le patronage du clergé. L’assemblée de Jalisco alla encore plus loin : elle retira au clergé la perception des dîmes, et la confia à une junte de cinq membres, dont un seul ecclésiastique. Le comité du congrès, dans son rapport sur les instructions qui avaient été données au négociateur envoyé au pape, tout en protestant de son attachement à la cour de Rome, et de son désir d’être dirigé par elle-même dans les matières de foi, déclara qu’il était opportun de nommer un conseil général, qui se réunirait tous les dix ans pour régler les points de discipline ecclésiastique, sans le concours du pape, auquel il consentait néanmoins à payer une somme annuelle, à titre de don volontaire, et non de tribut, comme le serait l’annate stipulée dans un concordat.
Sur ces entrefaites éclata la conspiration du moine Arénas. Ce religieux, se disant envoyé, par Ferdinand, avait formé de concert avec plusieurs autres Espagnols, un plan régulier de contre-révolution, au nom de « l’Espagne et de la Religion. » Sa levée de boucliers, toutefois, qui se termina par son arrestation et sa mort, n’eut d’autre résultat que de mettre le gouvernement en garde contre les projets des Espagnols, et de placer ceux-ci dans une position équivoque et insoutenable vis-à-vis des nationaux.
Ces derniers avaient déjà assez de haine contre leurs anciens maîtres, sans que cette conspiration vînt encore exciter de nouvelles discordes. On ne peut nier que les créoles portaient quelque envie aux immenses richesses des Espagnols, qui, par la supériorité de leurs connaissances et le genre de vie aristocratique qu’ils avaient menée jusqu’alors, s’étaient attiré l’inimitié des classes inférieures[1]. La presse aussi ne laissait pas échapper une occasion de les dépopulariser. Des articles de journaux, conçus dans les termes les plus virulens, des pamphlets satiriques, et enfin tout ce que peut inventer l’esprit de parti fut mis en œuvre pour attirer la vengeance sur les nouveaux parias politiques.
Bientôt le congrès fédéral se décida à les priver des emplois qu’ils occupaient dans l’armée, dans les douanes et dans l’administration des postes, jusqu’à ce que l’Espagne eût reconnu l’indépendance du Mexique. Ce décret, publié à Mexico le 14 mai 1827, fut accueilli avec des démonstrations extravagantes de joie de la part de la populace. Dans l’attente de voir chaque jour promulguer cette mesure, toutes les affaires avaient été suspendues, et les négocians espagnols, justement alarmés pour la sûreté de leurs personnes et pour celle de leurs propriétés, étaient plongés dans la dernière consternation. La loi fut proclamée au bruit des cloches et des décharges de mousqueterie, et, sans la présence d’une nombreuse force armée et de détachemens de cavalerie, postés au milieu des différens quartiers, il est impossible de dire à quels excès le peuple se fût livré. Les législatures provinciales suivirent l’exemple du congrès, en renchérissant toutefois sur sa sévérité ; elles adoptèrent à l’instant le principe de la loi, et l’appliquèrent avec des conditions plus ou moins dures. Ainsi, l’état de Mexico défendit à tout Espagnol de porter aucune arme sans l’autorisation du gouverneur.
Les choses en restèrent là pendant l’été ; mais à la fin de cette saison, on en vint à des actes de violence, et enfin à une persécution ouverte contre les Européens. La législature de Jalisco rendit un décret pour l’expulsion de tous les Espagnols de naissance, domiciliés dans les limites de la province, et bien que ce décret, discuté ensuite dans le sénat national au mois de septembre, fût déclaré inconstitutionnel par cette assemblée, néanmoins le zèle des états et l’activité de quelques indigènes faillirent faire triompher une mesure que le congrès, agissant au nom de la nation entière, avait réprouvée. La chambre des représentans délibéra sur l’opportunité de bannir tous les ecclésiastiques espagnols, et de confisquer leurs biens ; mais cette proposition n’obtint pas l’assentiment de la majorité. À Acapulco et dans les environs, il y eut plusieurs mouvemens populaires contre les Espagnols, qui furent obligés de chercher leur salut à bord des bâtimens qui se trouvaient dans la rade. Ici, comme ailleurs, la populace se porta contre eux à toute sorte d’excès, les poursuivit dans les rues avec des couteaux et des poignards, en poussant le cri terrible de mort aux Gachupins[2], qui avait été le cri de ralliement du prêtre Hidalgo, au commencement de la révolution.
Enfin, au mois d’octobre 1827, le gouvernement de Mexico décréta l’expulsion du clergé espagnol du territoire de la république, et ordonna que les biens ecclésiastiques dont il était détenteur fussent appropriés aux besoins des prêtres mexicains. Ce décret, rendu le 16, reçut, le 23, la sanction du conseil exécutif, qui le mit en vigueur huit jours après sa promulgation. Le même esprit d’acharnement contre les malheureux Espagnols semblait s’être emparé de tout le pays. À Oaxaca, Valladolid, Mechoacan, et dans plusieurs autres villes, le peuple demanda à grands cris leur expulsion. Quelques législatures étaient d’avis de les bannir tous indistinctement ; d’autres voulaient que cette mesure atteignit seulement les célibataires et ceux qui avaient depuis peu établi leur résidence dans le pays ; plusieurs leur permettaient de recueillir tous leurs biens, et d’autres restreignaient cette autorisation. À Guadalaxara, par exemple, il ne leur fut permis d’emporter que jusqu’à concurrence de 500 dollars. En décembre, le peuple de la Vera-Cruz se souleva contre la classe proscrite, et la législature, pour l’apaiser, se vit forcée de rendre un décret, par lequel il était enjoint à tous les Espagnols, âgés de moins de cinquante ans, qui n’avaient point porté les armes pour la cause de l’indépendance, de quitter le pays dans le délai de trente jours[3].
À cette époque (1827), les deux partis qui divisaient le Mexique prirent les noms du rit franc-maçonnique auquel chacun était censé appartenir. On sait qu’en Angleterre il y a schisme dans cette société, et qu’elle se partage en maçons d’Yorck et d’Écosse. Un parti s’intitula au Mexique el de Escocia ou Escoceses, et l’autre Yorkinos : dénominations équivalentes à celles de Wigh et de Tory, qui distinguèrent les factions politiques en Angleterre, et qui, comme ces dernières ont une application bien définie. Les Esoceses se composent en général des membres du haut clergé, qui se repentent un peu tard de la part qu’ils ont prise à la révolution d’Iguala[4] ; de l’aristocratie, des monarchistes, dont la plupart aimeraient à voir un prince de la famille de Bourbon sur le trône ; des centralistes, qui voudraient un gouvernement central et unique à la place des dix-neuf états de l’Union, et enfin des Espagnols d’Europe, à qui il répugne de se soumettre à une administration dirigée par des nationaux, dont le bigotisme et les préjugés tournent aujourd’hui contre eux. Les Yorkinos forment le parti du peuple ; il se compose des membres du gouvernement, d’un grand nombre d’Indiens et d’indigènes, et de tous les partisans sincères du système fédéral. Ces explications sont essentielles pour comprendre les évènemens survenus depuis 1827.
Le ministre du trésor, don Jose Ignacio Esteva, venait de se démettre de sa charge. Appelé peu après à celle d’intendant maritime et de commissaire-général des douanes du district de Vera-Cruz, il entra en fonctions le 25 mai 1827 ; son caractère, sa capacité et son expérience le rendaient éminemment propre à cet emploi, et il était impossible de ne pas applaudir au choix qu’avait fait de lui le pouvoir fédéral. Malheureusement les Escoceses, qui se trouvaient alors réunis en grand nombre à la Vera-Cruz, dominaient la législature de cet état, et répandaient les invectives les plus violentes contre l’autre parti, par la voie d’un journal appelé le Vera-Cruzano. Aussi à peine Esteva fut-il entré en fonctions, que cette assemblée tint une session spéciale, dans l’unique but de rendre un décret pour son expulsion de la ville. Il n’y était porté aucune accusation contre lui ; la chambre ne s’était livrée à aucun examen de sa conduite, et n’avait pas même observé les convenances les plus ordinaires à son égard. Elle avait fondé son décret sur l’allégation banale qu’Esteva professait des principes Yorkinos.
Cette décision arbitraire de la législature de Vera-Cruz souleva l’indignation de tous les indigènes. Il répugnait à Esteva de compromettre la tranquillité publique par sa résistance aux autorités, et il aima mieux s’absenter pendant quelque temps de Vera-Cruz. Sa rentrée à Mexico fut un véritable triomphe. Le peuple se porta en foule à sa rencontre, et les principaux habitans, les uns en voiture et les autres à cheval, l’escortèrent jusqu’à sa maison, protestant ainsi du respect qu’ils avaient pour sa personne, et de la douleur que leur inspirait l’acte illégal de son bannissement.
L’irritation devint si générale, que la législature de Vera-Cruz aurait dû croire qu’elle avait agi avec précipitation et imprudence. Loin de là, elle publia un manifeste, dans lequel elle alléguait, pour se justifier, la tendance pernicieuse des principes Yorkinos ; « plus dangereux, disait-elle, que ne le serait une descente de vingt bataillons espagnols sur la côte. » Les auteurs du manifeste en prirent occasion d’attaquer M. Poinsett, ministre des États-Unis à Mexico, qu’ils représentèrent comme un agent habile et hypocrite, aussi zélé pour la prospérité de son pays qu’ennemi de celle du Mexique. « C’est lui qui a conçu et exécuté, ajoutaient-ils, le projet le plus désastreux pour la république. Il a fomenté la haine parmi les citoyens, il a désuni les simples et bons Mexicains, il a établi le rit d’Yorck !… »
M. Poinsett crut devoir répondre à ces imputations, et le 4 juillet 1827, il publia un exposé de sa conduite, ainsi que de la politique des États-Unis à l’égard du Mexique. Il existait cinq loges du rit d’Yorck à Mexico, à son arrivée dans cette ville. Tout ce qu’il a fait pour elles, c’est de leur procurer, à leur invitation, des chartes du grand-orient de New-Yorck et de prendre part à l’installation de celui de Mexico. Il déclara ensuite que son gouvernement n’a cessé de manifester pour le Mexique, et pour les autres colonies espagnoles de l’Amérique, les intentions les plus amicales. Il nia, de la manière la plus formelle, qu’il se fût immiscé le moins du monde dans les affaires intérieures de la république, et défia ses accusateurs de prouver qu’ils l’eussent jamais vu se départir de la dignité qui convient à un ambassadeur.
Le fait est qu’à l’arrivée de M. Poinsett, les Escoceses se trouvaient maîtres du pouvoir. Suivant le cours ordinaire des choses, ils devaient se voir tôt ou tard supplantés par le parti qui professait des doctrines plus exaltées, et qui s’éleva graduellement au gouvernement de la république, en s’appuyant sur les principes qui avaient amené la révolution elle-même. Ce n’était là que la tendance naturelle de l’opinion publique ; les Escoceses crurent y reconnaître l’œuvre de M. Poinsett.
Il était évident pour les Espagnols, vers la fin de l’année 1827, qu’ils ne pouvaient plus espérer d’être même tolérés au Mexique. À Oaxaca, Valladolid, Mechoacan, Guanaxuato, et enfin d’une extrémité du pays à l’autre, on n’entendait, contre eux, qu’un cri de proscription ; aussi prévoyant le sort qui les attendait, ces malheureux s’empressaient de convertir toutes leurs propriétés en espèces, et de les embarquer au plus vite.
Enfin le congrès, cédant au vœu des indigènes, crut devoir prendre une mesure qui fût générale pour tous les états. Après cinq jours de débats fort animés, on décida que tous les Espagnols non mariés, y compris même les soldats, seraient expulsés du Mexique, et que ceux à qui il était permis de rester, et qui habitaient près des côtes, seraient contraints de se retirer dans l’intérieur. On exempta aussi les négocians qui, fixés depuis huit ans dans le pays, y possédaient des établissemens, et le décret, laissant beaucoup de latitude aux gouvernemens des états, le nombre des bannis ne fut pas aussi considérable qu’il aurait pu l’être.
Mais une nouvelle conspiration éclata bientôt. Elle avait pour but de renverser le gouvernement, et de replacer les Escoceses à la tête des affaires. Le vice-président Bravo en était l’auteur. Cet officier, l’un des plus chauds patriotes à l’époque de la révolution, quitta secrètement Mexico le 1er janvier 1828, et s’étant réuni à Montano, qui venait, à sa suggestion, de lever l’étendard de la rebellion, il se dirigea vers Tulanciugo, à vingt-cinq lieues nord-est de la capitale, et s’y renferma avec environ 150 soldats. La disparition de Bravo répandit l’alarme : personne cependant ne doutait que le gouvernement ne réussit à réprimer sa révolte ; mais on craignait avec d’autant plus de raison que les conjurés n’eussent de nombreux partisans, que l’on supposait trop de prudence à leur chef pour se compromettre dans une entreprise hasardeuse. Victoria proclama la république en danger, et fit un appel au patriotisme des citoyens, qui s’empressèrent d’y répondre, en s’enrôlant dans les rangs de la garde nationale. Guerrero se mit à la tête des troupes, marcha contre les rebelles, les investit dans Tulanciugo, et les força à la soumission, après une faible résistance. Quatre colonels, sept lieutenans-colonels et quatorze capitaines, que Bravo avait séduits, étaient au nombre des prisonniers. D’un autre côté, le général Baragon, gouverneur de la Vera-Cruz, et le colonel Santa-Arura, qui conduisaient 1500 hommes au secours des rebelles, furent surpris et arrêtés par le colonel Castro. Ramenés à la Vera-Cruz, ils furent renfermés dans le château de San Juan de Ulloa.
Ainsi fut apaisée, en moins d’un mois, une guerre civile qui aurait pu avoir, sans l’activité de Guerrero, les suites les plus funestes. Elle ne coûta la vie qu’au colonel Correa ; ayant voulu se faire jour l’épée à la main au travers des assiégeans, il y trouva bientôt la mort.
La prise de Bravo porta le découragement dans le parti des Escoceses, qui avait fondé sur lui les plus grandes espérances. Victoria n’en fut que plus décidé à faire à l’opinion publique le sacrifice des Espagnols, et il intima l’ordre à plusieurs individus influens de cette nation, accusés d’avoir pris part à l’insurrection, de quitter immédiatement le pays. Malheureusement, les troubles avaient empêché qu’on s’occupât des finances ; l’armée était sans solde ; le ministre Garcia avait résigné la direction du trésor, et Esteva hésitait à l’accepter à cause de son épuisement. Toutefois, sous son administration, les affaires de la république ne tardèrent pas à éprouver une amélioration sensible. L’expulsion des Espagnols eut lieu à la Vera-Cruz sans effusion de sang. La tranquillité la plus parfaite commença à régner dans cette ville et à Mexico, quelques riches négocians obtinrent de conserver leurs établissemens. Le gouvernement mit en vigueur le nouveau tarif, voté au mois de décembre, et le congrès décréta la libre exportation de l’or et de l’argent en lingots, moyennant un droit de 7 p. 100, lequel devait être appliqué avec un huitième du produit des droits sur les importations, à payer le dividende échu. Enfin la prospérité croissante des finances permit de fournir aux besoins de l’état et à ceux de l’armée, et de concentrer des forces imposantes dans la province de Vera-Cruz, qu’on croyait menacée d’une descente prochaine de 12,000 Espagnols réunis à la Havane, sous les ordres du général Moralès.
Dans le discours adressé le 21 mai 1828 au congrès, lors de sa clôture, Victoria le félicite de la répression de la révolte de Bravo, qui fournit, dit-il, une preuve nouvelle de l’attachement du peuple pour le gouvernement. Il lui annonce que le traité de délimitation avec les États-Unis a été conclu, et qu’il s’en négocie un autre de commerce et de navigation ; puis, parlant du déficit des recettes depuis l’établissement du tarif, il ajoute que si l’état n’a pu acquitter que difficilement, avec la fidélité et la promptitude qu’exige l’honneur national, les emprunts négociés à l’étranger, il est persuadé qu’avec l’aide du congrès il parviendra bientôt à accomplir cet objet[5].
Il ne se passa rien d’intéressant pendant le reste de l’été. Bravo et ses complices, mis en jugement pour crime de trahison, en vertu d’un décret du congrès, rendu à la majorité de 42 voix contre 16, furent condamnés au bannissement, et le 7 août, ce général, Barragon et environ 50 autres conjurés furent embarqués pour Lima et l’île de Chiloé[6].
L’élection du président qui devait avoir lieu au mois de septembre, absorbait toute l’attention publique. Deux candidats s’étaient mis sur les rangs, le général Vicente Guerrero, et le ministre de la guerre, Gomez Pedrazza.
Guerrero, surnommé le héros du Midi, et l’idole du parti Yorkino, paraissait réunir le plus de chances de succès. Il proclama un des premiers l’indépendance du Mexique, et n’avait jamais abandonné sa cause, même au milieu des plus grands revers. Homme intrépide, mais soldat avant tout, il semble du reste peu familier avec les secrets de l’administration.
Pedrazza, candidat des Escoceses, est un homme de mérite et de caractère. Il occupait sous le gouvernement royal un emploi qu’il conserva durant la révolution. Partisan du système aristocratique, il montre une grande prédilection pour les Espagnols. Ses adversaires l’appellent le second empereur du Mexique.
Les Espagnols, comme on le suppose bien, mirent tout en œuvre pour faire triompher ce dernier, et ils devaient à leurs richesses une influence que leur force numérique ne pouvait leur donner. D’un autre côté, les Yorkinos déclarèrent que, si Pedrazza était élu, ils refuseraient de le reconnaître. Ils allèrent même jusqu’à publier un manifeste qui se terminait par cet appel : « Aux armes, Mexicains ! si Pedrazza est président, il ne nous reste qu’à porter un joug honteux, ou à recommencer la révolution. »
Cependant le 1er septembre 1828, époque fixée pour l’élection, approchait, et dans les dix-neuf états[7] dont se compose l’Union l’on discutait les chances de succès des deux rivaux. Des révélations indiscrètes ayant appris que les Espagnols s’étaient assuré de la majorité dans les législatures auxquelles la constitution commet le choix du président, le général Santa-Anna leva l’étendard à Xalapa, résolu de soutenir par la force des armes les prétentions de Guerrero à la présidence. Santa-Anna, suspendu du gouvernement militaire de Vera-Cruz, d’après une accusation vague dirigée contre lui dans la législature de cet état, attendait à Xalapa l’issue d’une enquête qui s’instruisait sur sa conduite. La véritable cause de cette accusation paraît avoir été son attachement à la forme du gouvernement fédéral, et sa haine pour les Espagnols.
L’élection du président eut lieu le 1er septembre[8] ; onze législatures[9] portèrent leurs suffrages sur Pedrazza, et Guerrero obtint ceux des huit autres. En apprenant ce résultat, les Yorkinos coururent aux armes, et Santa-Anna, secondé du colonel Gomez, s’avança avec 1500 hommes jusqu’à Pérote, place forte située à mi-chemin entre Mexico et la Vera-Cruz, et y établit son quartier-général. Le 16 septembre, il publia une proclamation signée par onze de ses principaux officiers, et dans laquelle il déclarait :
« Que la nation annulait l’élection de Pedrazza, dont elle ne voulait ni pour président ni vice-président, à cause de son aversion bien connue pour les institutions fédérales du pays ;
» Que la présence des Espagnols étant l’unique cause des maux du Mexique, il devenait urgent que les législatures de l’Union en ordonnassent l’entière expulsion ;
» Que, pour rétablir la paix et consolider le gouvernement fédéral, il était indispensable que Guerrero, qui avait acquis tant de titres à la reconnaissance nationale, fût élevé à la présidence ;
» Que les législatures, dont la décision avait trompé l’attente du peuple, n’avaient d’autre alternative, pour mettre un terme à la guerre civile qui menaçait le pays, que de procéder immédiatement à une nouvelle élection, conforme aux vœux de leurs mandataires ;
» Que l’armée libératrice, qui soutenait les droits du peuple, était décidée à ne répandre le sang mexicain qu’autant qu’on la forcerait à prendre des mesures pour sa défense. Elle protestait de son obéissance à la constitution générale des États-Unis du Mexique, et à son digne président, don Guadaloupe Victoria[10], et promettait de déposer les armes aussitôt qu’on aurait accédé aux conditions énoncées ci-dessus. »
Tandis que ces évènemens se passaient à Pérote, le colonel Cord, parent de Santa-Anna, se révoltait à Puente, à 14 lieues de Vera-Cruz ; Zavala, ex-gouverneur de Mexico, Catanio et Montes s’insurgeaient à Acapulco, et au sein de la capitale, 300 hommes du quatrième régiment de cavalerie, s’étant déclarés ouvertement pour Santa-Anna, quittèrent la ville et marchèrent, avec armes et bagages, pour se joindre à lui. De son côté, le gouvernement de Mexico ne resta pas dans l’inaction. Le congrès ayant investi le président Victoria de pouvoirs extraordinaires, celui-ci se vit, quoiqu’à regret, dans la nécessité de mettre Santa-Anna hors la loi, s’il ne déposait à l’instant les armes, et d’envoyer le général Rincon contre lui avec environ 5,000 hommes. Celui-ci se présenta devant Pérote le 28 septembre, somma la garnison de se rendre, et lui donna quarante-huit heures pour se décider. Santa-Anna s’y refusa ; mais, jugeant la position peu favorable à l’exécution de ses projets, il l’évacua sans combattre, à la vue des troupes de Rincon, et prit la route de Tehuacan avec 800 hommes d’infanterie, 300 cavaliers et 6 pièces de canon. De là il se dirigea vers l’état d’Oaxaca, établit son quartier-général dans sa capitale, et souleva, en peu de temps, toute la partie méridionale de la république[11].
Ces événemens préludaient au changement qui devait bientôt s’opérer dans la capitale. Le 30 novembre 1828, les Yorkinos, profitant de l’absence de la garnison qui était allée escorter un convoi d’argent sur la route de la Vera-Cruz, s’emparèrent des batteries et de l’arsenal, et armèrent les milices qui avaient pris parti pour Guerrero. Le général Lobato, qui dirigeait le mouvement, publia aussitôt une proclamation dans laquelle il déclarait illégale l’élection de Pedrazza, et invitait ses concitoyens à élever Guerrero à la présidence. En attendant, les insurgés employèrent la journée du lendemain à se fortifier dans les casernes de l’artillerie, décidés à s’y défendre contre les troupes du gouvernement. Les 2 et 3 décembre, les deux partis en vinrent aux mains avec un acharnement extrême. Les milices toutefois maintinrent leur position, et le 4, elles chassèrent les assaillans de la ville. Les vainqueurs revinrent alors sur leurs pas, et, accompagnés de quelques corps des troupes de ligne et de la populace, ils livrèrent au pillage le Parian (bazar) situé sur la grande place du palais, ainsi que plusieurs maisons étrangères et indigènes. Des mesures sages, prises le lendemain par les chefs, empêchèrent le renouvellement du désordre de la veille, et le 6, la tranquillité était entièrement rétablie. Plus de 500 hommes périrent dans les combats des 2, 3 et 4, et on évalue à trois millions le montant des dommages éprouvés par la ville. Des trois à quatre cents magasins que renfermait le Parian, dix à quinze seulement échappèrent au pillage[12].
Le congrès avait suspendu ses séances dès le commencement de l’insurrection ; Pedrazza et toutes les autorités, à l’exception de Victoria qui s’était joint aux insurgés, avaient quitté la ville. On les remplaça le 6 par des partisans de Guerrero, de sorte que l’administration, à l’exception de Victoria (président), fut complètement renouvelée. Le gouvernement se hâta de tranquilliser les étrangers par une proclamation, et tout rentra peu à peu dans l’ordre. Lobato reçut le commandement militaire du district, et Guerrero fut nommé ministre de la guerre.
Santa-Anna, Zavala, Montès, et tous les autres généraux qui avaient pris les armes pour soutenir la cause populaire, s’empressèrent de reconnaître le gouvernement. Les états de la confédération adhérèrent aussi au nouvel ordre de choses. Pedrazza résigna la magistrature suprême, et comme la constitution veut que, dans le cas de démission du président élu, le candidat qui a réuni après lui le plus de suffrages, soit proclamé, Guerrero se trouva de droit investi de cette charge. Le général Bustamente fut nommé vice-président, et tous deux devaient entrer en fonctions au premier avril.
Dans son message au congrès, le 1er janvier 1829, Victoria fit le tableau des événemens du mois de décembre, de la situation intérieure de la république et de ses relations avec les puissances étrangères, qu’il représente sur le meilleur pied. Cette assemblée confirma alors l’élection de Guerrero, et rapporta le décret qui mettait hors la loi Santa-Anna et ses partisans. Ce dernier fut ensuite réintégré dans son commandement, et Zavala reprit le poste de gouverneur de l’état de Mexico.
Le congrès, cédant aux vœux si fortement prononcés des indigènes et de l’armée, qui ne cessaient de signaler les Espagnols comme les véritables auteurs de tous les maux du pays, rendit, le 20 mars 1829, une loi pour l’expulsion de tous les Espagnols domiciliés dans le Mexique. L’impérieuse nécessité entraîne souvent à de grandes extrémités. Les Escoceses avaient failli s’emparer du pouvoir ; leur triomphe assurait tôt ou tard celui de l’Espagne. Ce n’est point ici le lieu de rechercher si cette révolution nouvelle eût consolidé enfin le repos du Mexique ; mais il est certain qu’elle aurait amené le renversement de la république fédérale. C’était pour les Yorkinos une question de vie ou de mort.
Le président Guerrero fut chargé de l’exécution de ce décret. Environ 22,000 Espagnols partirent pour la terre d’exil, emportant avec eux tout ce qu’ils possédaient. On excepta seulement ceux qui avaient combattu pour l’indépendance, et donné des preuves de dévouement à la république, les marins qui en 1825 avaient livré le vaisseau l’Asia (aujourd’hui Congreso), et les Espagnols citoyens ou sujets de nations amies.
Ces observations préliminaires étaient indispensables. On comprendra mieux maintenant pourquoi l’Espagne vient de se décider à courir les chances d’une nouvelle expédition. Il n’est pas douteux, d’après tout ce qui précède, qu’elle avait conservé, jusqu’au commencement de cette année un parti puissant au Mexique. Haut clergé, aristocrates, monarchistes, centralistes même, quoique divisés entre eux d’opinions, se confondaient dans un seul nom (Escoceses), et se réunissaient tous dans un but commun, celui de vaincre les Yorkinos et d’anéantir le pouvoir fédéral. Une fraction de ce parti vient de succomber. Les monarchistes proprement dits ont été proscrits du sol mexicain ; mais il reste encore un grand nombre de mécontens. Maîtres de la majorité dans l’élection de Pedrazza, ils ne la perdirent que par un coup d’état. Ces mécontens combattront-ils avec l’Espagne, ou l’amour de l’indépendance, qui, chez plusieurs d’entr’eux, est plus fort encore que leur haine, les ralliera-t-il au drapeau de l’Union ?… Il est difficile de répondre, et cependant leur appui seul peut décider du succès.
- ↑ Depuis l’époque des premiers établissemens jusqu’à 1810, sur 166 vice-rois et 588 capitaines-généraux, gouverneurs et présidens, nommés dans l’Amérique espagnole, il ne s’était trouvé que 18 créoles, qui encore avaient été élevés en Europe. Les juges des audiences étaient Européens. Défense était faite d’établir des manufactures, de cultiver la vigne et l’olivier et plus d’un certain nombre de plants de tabac, de communiquer avec les étrangers sous peine de mort, de faire le commerce avec les provinces voisines, de pêcher la baleine, la morue, etc.
- ↑ Terme de mépris que les Indiens donnent aux Européens.
- ↑ Certains papiers, trouvés à bord d’un navire espagnol capturé par les indépendans, ayant été expédiés au gouvernement, celui-ci crut y voir une nouvelle conspiration, et ordonna l’arrestation des personnes qui paraissaient compromises. De ce nombre furent les généraux don Pedro Celestino Negrete, et don Jose Antonio Echavarri. Ces deux officiers s’étaient distingués dans la guerre de la révolution. Quoique nés en Espagne, et occupant un grade élevé dans son armée, ils avaient embrassé avec ardeur la cause des indépendans, et s’étaient surtout fait remarquer par leur opposition à Iturbide. Les journaux de la faction des Escoceses (francs-maçons écossais) représentèrent leur arrestation comme une infraction flagrante à la loi, et accusèrent le gouvernement d’avoir violé la constitution. L’affaire fut portée devant le sénat par l’épouse du général Negrete. Elle invoquait la loi, qui voulait que tout individu arrêté pour cause de sûreté publique fût traduit à un tribunal compétent dans les 48 heures, demandait des juges pour son mari, et la mise en accusation du secrétaire de la guerre. Mais le 16 mai, le comité nommé par le sénat disculpa le gouvernement de tout blâme, et ses conclusions furent adoptées à une immense majorité.
- ↑ Les décrets des cortez d’Espagne soulevèrent contre eux le clergé mexicain, qui résolut d’effectuer la séparation de la nouvelle Espagne d’avec la métropole. Il appela le peuple à la révolte, et envoya proposer à Ferdinand lui-même de se retirer au Mexique. Mais comme il fallait provisoirement un chef, le clergé jeta les yeux sur Iturbide, de concert avec la noblesse, et lui confia l’exécution de son projet. Celui-ci ne répondit pas à la confiance qui lui avait été marquée. Il profita au contraire de la disposition des esprits pour fonder l’indépendance de son pays, où il espérait trouver un appui à ses projets ambitieux. Au lieu donc d’attaquer les insurgés, il leur communiqua ses intentions et proclama avec leur secours l’affranchissement du Mexique, à Iguala, le 24 février 1821.
- ↑ Le gouvernement a contracté deux emprunts, l’un de 3,200,000 livres st. avec M. R. A. Goldsmith et Ce de Londres, et un autre de 20,000,000 de dollars, à 5 pour cent d’intérêt avec la maison Barclay, Herring et Ce de la même ville, en vertu d’un décret du 29 août 1823.
- ↑ On les débarqua sur les côtes du Guatémala, où ils subissent leur exil.
- ↑ Mexico, Puebla, Queretaro, Vera-Cruz, Valladolid, Guanaxuato, Xalisco, Zacatécas, Oaxaca, San Luis Potosi, Durango, Cohahuila, Texas, Tamaulipas, Nuevo Leon, Chihuaha, Chiapa, Tabasco et Sonora.
- ↑ Il ne devait entrer en fonctions qu’au mois d’avril 1829.
- ↑ Celle de Mexico était du nombre.
- ↑ Victoria ne devait résigner ses fonctions qu’au mois d’avril 1829.
- ↑ La vallée d’Oaxaca est riche, bien peuplée, et produit en abondance toutes les choses nécessaires à la subsistance d’une armée. Si Santa-Anna y était serré de trop près, il avait à choisir, ou de se retirer sur les côtes de l’Océan Pacifique, de gagner les frontières de Guatimala, ou d’effectuer sa retraite par le port de Guasacualio, sur le golfe du Mexique. Si, au contraire, il se sentait assez fort pour résister, il lui était facile de fortifier les défilés des montagnes de Misteca, qui conduisent à Oaxaca.
- ↑ Toutefois le désastre ne fut pas aussi considérable qu’on l’avait d’abord annoncé. Le pillage se borna presque entièrement au bazar.