Mets ta chaise près de la mienne

Mercure de France (p. 141-142).

IV


Mets ta chaise près de la mienne
Et tends les mains vers le foyer
Pour que je voie entre tes doigts
La flamme ancienne
Flamboyer ;
Et regarde le feu
Tranquillement, avec tes yeux
Qui n’ont peur d’aucune lumière,
Pour qu’ils me soient encore plus francs
Quand un rayon rapide et fulgurant
Jusques au fond de toi les frappe et les éclaire.


Oh ! que notre heure est belle et jeune encore
Quand l’horloge résonne avec son timbre d’or
Et que, me rapprochant, je te frôle et te touche
Et qu’une lente et douce fièvre,
Que nul de nous ne désire apaiser,
Conduit le sûr et merveilleux baiser
Des mains jusques au front, et du front jusqu’aux lèvres.

Comme je t’aime alors, ma claire bien-aimée,
Dans ta chair accueillante et doucement pâmée
Qui m’entoure à son tour et me fond dans sa joie !
Tout me devient plus cher, et ta bouche et tes bras
Et tes seins bienveillants, où mon pauvre front las,
Après l’instant de plaisir fou que tu m’octroies,
Tranquillement, près de ton cœur, reposera.

Car je t’aime encor mieux après l’heure charnelle
Quand ta bonté encor plus sûre et maternelle
Fait succéder le repos tendre à l’âpre ardeur
Et qu’après le désir criant sa violence
J’entends se rapprocher le régulier bonheur
Avec des pas si doux qu’ils ne sont que silence.