Almanach du Père Peinard1894 (p. 19).

ALMANACH DU PÈRE PEINARD


MESSIDOR



Messidor ouvrira l’été en plein : le soleil recevra tant de pailles dans l’œil que les jours en rapetisseront ; par contre, les nuits tirant toute la couleur verte de leur côté, elles se foutront à rallonger jusqu’à la saison du boudin.

En messidor, on moissonnera, engerbera, dépiquera, — non plus à grands renforts de bras, mais avec le flon-flon des machines.

Les pauvres bougres qui s’amèneront au louage, après s’être appuyés des lieues et des lieues sur les grandes routes, feront grise mine. Trop souvent ils trouveront visage de bois : les machines leur couperont la chique ! Là où, autrefois, on aurait embauché des centaines de prolos, quelques douzaines suffiront, et au lieu de durer des temps infinis, la moisson et tout le turbin qui s’en suit sera abattu en quelques jours.

Les malédictions pleuvront sur les mécaniques : les prolos montreront le poing aux moissonneuses qui, sans faire de magnes, foutront le blé en gerbes ; aux dépiqueuses qui avaleront les gerbes comme une pilule et rendront le grain tout ensaché.

Ce serait pourtant si commode de faire un bon ménage ! Y aurait qu’à foutre une sacrée purge aux richards : un coup qu’on aurait déblayé la terre de cette vermine, la récolte n’entrerait plus dans leurs granges et au lieu de faire concurrence au populo, les mécaniques ronfleraient à son profit.

Pour lors, on serait rupins ! Les gigots ne nous passeraient plus sous le nez, on aurait sa part de pain blanc, on boirait du sec et du frais.

On perdrait jusqu’au souvenir de la Saint-Jean, cette maudite fête crétine où les prolos de la campluche s’en vont au marché, foutant leur viande aux enchères, kif-kif du bétail.

Les voilà embauchés pour six mois ou un an ! Ils s’amènent à leur nouvelle étable, sans bride au cou, — c’est des animaux dociles. Et dire qu’on appelle ça se louer, pauvres de nous…, c’est se vendre, nom de dieu !

L’esclave des temps anciens était moins dégueulasse : on était esclave par force, et non volontairement comme aujourd’hui.