Apokolokyntose
MessalineTome XXIII (p. 137-138).
Apokolokyntose
VIII
apokolokyntose

Inter cetera in eo mirati sunt homines et oblivionem et inconsiderantiam, vel, ut, graece dicam, μετεωρίαν et ἀϐλεψίαν. Occisa Messalina, paulo post, quam in triclinio decubuit, « Cur domina non veniret, » requisivit.

C. Suetonii Tranquilli Tib. Claud. XXXIX.

— Messaline est morte, dit Narcisse.

Claude mangeait, demi endormi, sur son lit de table.

— Elle est belle, elle est amoureuse, elle est morte, elle est Vénus, répéta-t-il d’une voix atone. Va lui dire de venir se mettre à table. Elle est belle, je l’aime, je suis heureux.

— Elle est morte, dit Narcisse.

— Morte, je comprends bien. Elle m’est très fidèle. Je ne l’ai pas embrassée ce matin. Va lui dire qu’elle vienne, il est tard.

— On a avancé l’heure de ton repas, César.

— Avancé l’heure ? On a eu raison ! Il faut toujours m’avancer l’heure. C’est pour cela que je suis joyeux, et de savoir qu’elle n’est pas en retard. Elle n’est pas souffrante, je vois. Je suis très content. Appelle-la.

Narcisse touche l’épaule de Claude et jette sur son lit une tunique de dessous tachée de rouge.

— Elle est morte, enfin, comprends-tu ?

À la vue du sang, les larges narines de l’empereur palpitèrent.

— La lune ? J’avais oublié, excuse-moi, Narcisse : mon esprit devient un peu… météorique et ablepsique ! Je vais bientôt être plus ignorant de ce qui se passe dans les planètes que les peuples de Taprobane, qui ne découvrent la lune au-dessus de la terre que la deuxième semaine de chaque mois ! Tu es un bon calendrier, Narcisse. J’ai compris. Mais je veux que ma femme me tienne compagnie à cette table tout de même. J’ai une faim pleine de bonheur.

— César ?

— Elle est morte, je sais. Les femmes jouent les assassinées à chaque nouvelle lune.

— Tu n’as plus de femme, César ! Tu n’as pas spécifié, hier, quand tu as dit de massacrer tout le monde, même l’histrion sans importance, qu’il ne fallait pas la tuer. On l’a poignardée et elle n’est plus là, et le Sénat vient de faire ôter son nom et ses images des lieux publics et particuliers et de ton palais tout à l’heure et de cette salle, César.

— Alors… Vénus… n’est plus là ?

Et d’un geste maniaque, il rue sur le plateau d’argent sonore qui couvre tout le guéridon le sens-dessus-dessous de sa coupe vide, et écoute choir le silence.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il écoute, avec toute l’angoisse d’une Danaïde penchée sur son tourment. Et sans transition il éclate d’un rire inextinguible, et, les yeux qui s’illuminent d’un espoir divin, il tend sa même coupe à l’échanson :

— À BOIRE !

Et c’est ainsi que Claude César, accoudé sur sa couche insatiable d’amour et de festins, pâle, la joue céruléenne de la récente assiduité de son barbier, prototype de Barbe-Bleue à moins de générations de distance que le cynocéphale aux fesses écarlates n’est l’aïeul de nos gloires guerrières, méditait sa quatrième femme :

Agrippine.

Alfred Jarry


FIN