Les noces adultères
MessalineTome XXIII (p. 53-55).
Les noces adultères
III
les noces adultères[1]
Οὐδέ τι οἶδα
Εἴ μοι ἔτ' ἔμπεδόν ἐστι, γύναι, λέχος.

Le lit des Césars n’avait pas été apporté chez Silius comme y étaient venus les meubles et les esclaves et l’amour de Messaline, non que ce lit fût enraciné au sol du palais à l’imitation de la couche homérique d’Ulysse, ni parce qu’il est plus naturel qu’un homme marche vers un lit que le lit vers l’homme ; mais parce que le lit des Césars n’est tel, dans la pensée de Messaline, qu’avec pour baldaquin tout le palais des Césars, depuis ses fondations, dont la plus profonde est celle de Rome, jusqu’à son faîte, qui est Claude César lui-même, en train d’écrire l’histoire de cette Rome dans son transparent belvédère, sans en pourtant discerner encore, à ce point de sa lente érudition, cette ultime péripétie.

Et il y eut une fois une aube où la large couche nuptiale, aux pieds trapus d’ivoire cerclé d’argent, plaquée entièrement du même vierge métal, à la mode de Délos, et couverte d’une pourpre brodée de figures d’aigles, fléchit silencieusement sous le poids musculeux et nu de Silius, de qui la barbe noire fit plus éblouissante la soie candide du drap et l’épaule de Messaline.

Le contraste ras et blanc de Claude teignait naguère, dans cette même chambre, toutes choses de la couleur des cheveux

Or cela ne l’attristait point, lui étant un rajeunissement, mais sans qu’il souhaitât d’être ramené à une trop première adolescence.

Quand il n’avait pas de cheveux gris, il n’était pas l’amant de Vénus.

De neige, ils lui tressèrent l’aube de sa couronne impériale.

Quant à la candeur suprême, Claude ne la regardait pas en face, et son branlement de tête s’expliquait sans doute par celui d’un cygne acculé qui projette son cou à droite et à gauche, selon qu’il n’y a pas de chasseur, parce que la vie ne lui fut pas assez longue haleine pour le chant de l’apothéose.

Et comme Silius s’étendait dans ce lit, à peine aux bras de Messaline, il lui signifia, ainsi qu’avant la coupe de leur premier baiser, d’un rancuneux regard une si douloureuse angoisse, qu’elle lui pardonna tout de suite et même se repentit de la faute qu’elle devinait avoir commise, quelle que fût cette faute.

Silius cherchait, tâtonnait précipitamment de ses deux mains, sous la vaste nudité de sa carrure, captura l’objet — était-ce une bête qui l’avait mordu ? — de son horreur.

Livide, anguleux, cristallin, sévère, sénile, obscène, nu jusqu’à l’os :

Un dé.


— Il fallait garder une esclave, dit Silius, debout sur le tapis, pour changer les draps de César.

— Mais je t’ai tout donné, Silius, sanglota Messaline ; je ne pensais pas que tu ferais attention à… cette chose, je ne pensais pas que tu trouverais cette chose ! Mais on a laissé les draps de Claude aussi naïvement que, si Claude n’avait pas débarrassé ce lit à ton entrée en costume héroïque… je t’aurais aimé sur le corps de Claude.

En costume héroïque, c’est-à-dire tout nu, avec quelque draperie derrière l’épaule gauche.

— Mais je t’ai donné toute ma vie ! Mais je t’aime, Silius ! Mais mon corps, que tu ne repousses pas… Veux-tu donc aussi arracher ma peau, qui est à Claude ? Je t’aime !

— Oui, Valéria, tu nous aimes bien tous les deux — je ne compte pas la plèbe des autres — tous les deux, moi et César.

… Lève-toi ! tu ne m’as rien donné, aucune parcelle d’amour puisqu’il me manque une parcelle de ton amour ! Ou si tu me donnes tout, si tu te donnes toute… Celui qui possède absolument la femme de César est… Je suis César ! je suis ton mari légitime, et c’est peut-être de peur de déjuger tous mes aïeux Césars que je ne châtie pas, moi non plus, celui qui m’est, depuis tant d’années, si effroyablement adultère, dans mon propre palais, qu’il ne m’a laissé ma femme que cette dernière nuit, la première… C’est pour cela que je ne peux pas la répudier, je n’ai pas encore joui de nos jeunes noces, car pour moi, jusqu’à cette nuit… (Silius pleure) Messaline est vierge !

— Tu as raison, ab-so-lu-ment, Silius, dit Messaline.

— Silius ! Mais oui : Silius ! je deviens fou, dit Silius ; tout ce que j’ai dit est ridicule, j’ai usurpé les trésors des Césars et volé sa femme à César, comme tout le monde, voilà tout. Je ne suis rien, que Silius, consul désigné, simple particulier, époux de Junia Silana. Ha ha ha ! mari de l’Augusta ! Où est le contrat de nos noces, impératrice ? l’acte légal ?

— Tu es César absolument, ô César, dit, à genoux, Messaline.

  1. Voir La revue blanche des 1er et 15 juillet, 1er et 15 août 1900.