Meschacébéennes/À M. Anatole C***, III
Oh Rome, my country ! city of the soul,
The orphans of the heart must turn to thee,
Lone mother of dead empires....
(BYRON.)
Rien ne m’allait au cœur comme ces murs pendans,
Ces terrains sillonnés de mâles accidens,
Et la mélancolie, empreinte en cette terre,
Qui ne saurait trouver son égale en misère !
(BARBIER.)
Oh ! pour mon cœur souffrant, pour ma tête affaiblie,
Anatole, il faudrait les brises d’Italie !
Sur la lagune bleue, au bruit de l’aviron,
J’aimerais assoupi, comme Goethe et Byron,
Nonchalamment couché dans l’agile gondole,
Entendre un chant lointain qui berce et qui console,
Un chant de gondolier, une voix du midi,
Qui meurt et qui renaît sur le flot attiédi !
Je souffre ; il me faudrait, pendant toute une année,
Tes brises, tes parfums, ô Méditerranée !
Le colon pèlerin va reprendre son vol.
Poëte, visitons le poétique sol !
Oh ! partons ! Je veux voir la ville aux sept collines.
Rome, cité du cœur, des âmes orphelines ;
Je veux fouler du pied, toucher avec la main
Les fragmens abattus d’un chapiteau romain ;
Je veux voir, à travers les murs du Colysée,
Du soleil qui s’éteint, la lumière brisée ;
Sur des débris croulans, pensif, je veux m’asseoir,
A l’heure du repos, du silence, le soir ;
Je veux, fils vagabond des forêts du grand fleuve,
Pleurer, sur son tombeau, la métropole veuve,
Et demander à Dieu, dans le calme des nuits,
L’oubli des maux passés et de mes longs ennuis !
Puis, labourant les flots de mon dernier sillage,
Ami, je reviendrai de ce lointain voyage.
Dans sa vierge forêt, le nomade indien,
Bruni par le soleil du ciel italien,
Suivant, à pas pressés, le sentier de l’enceinte,
Secoûra de ses pieds une poussière sainte.
Au seuil de ta maison, le cœur tout en émoi,
Il crîra haletant : « Ouvrez, ouvrez ! c’est moi ! »
Et vous écouterez, d’une oreille ravie,
Le pèlerin contant sa poétique vie,
Ces jours où, voyageur, libre de tout lien,
Il cheminait, foulant le sol italien,
Et, le cœur renaissant à la belle espérance,
Visitant tour à Naples, Pise, Florence,
Loin des calmes bayous et des pins toujours verts,
Heureux, il s’enivrait d’amour et de beaux vers.
Oh ! laissez-moi partir ! Qu’on parle, que m’importe ?
Un invisible bras me soulève et m’emporte.
Ami, j’éprouve encor l’impérieux besoin
De voir de nouveaux cieux, de m’égarer au loin !…
Après de longs efforts, on espérait, peut-être,
Dans un moule nouveau repétrir tout mon être !
D’une main sacrilège, on essaîrait en vain
D’effacer de mon front le sceau du doigt divin,
D’extirper de mon cœur la poétique fibre !
Le poëte rugit, s’indigne s’il n’est libre.
Au jour inattendu de la rébellion,
Il arrache du joug sa tête de lion,
Et le poëte saint, à l’âme inasservie,
Retrouve dans les bois l’indépendante vie,
Et chante, tour à tour, dans ma mâle fierté,
Dieu, la belle nature avec la liberté….
Et puis, si tout à coup, un grand aigle qui passe
De ses sauvages cris fait retentir l’espace,
Frappant d’un pied fiévreux la poudre des déserts,
L’œil fixé sur l’oiseau qui sillonne les airs,
Le poëte s’émeut, il tressaille et s’écrie :
« Vole vers l’Orient…aigle de la patrie !
» Vole vers l’Orient…trace-moi le chemin ;
» J’ai des ailes aussi…je te suivrai demain ! »
Bonfouca, 22 mai 1838.