Mes prisons
Mes prisonsVanier (Messein)Œuvres complètes, tome IV (p. 429-432).
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XIII


Les preuves assez médiocres apportées par Mgr Gaume en faveur de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme me plurent peu et ne me convertirent pas du tout, je l’avoue, en dépit des efforts de l’aumônier pour les corroborer de ses meilleurs et ses plus cordiaux commentaires.

C’est alors que ce dernier s’avisa d’une idée suprême et me dit : « Sautez les chapitres et passez tout de suite au sacrement de l’Eucharistie. »

Et je lus la centaine de pages consacrées par le bon prélat au sacrement de l’Eucharistie.

Je ne sais si ces pages constituent un chef-d’œuvre. J’en doute même. Mais, dans la situation d’esprit où je me trouvais, l’ennui profond où je plongeais en dépit de tous bons égards et de la vie relativement heureuse que ces bons égards me faisaient, et le désespoir de n’être pas libre et comme, aussi, de la honte de me trouver là, déterminèrent, un certain petit matin de juin, après quelle nuit douce-amère passée à méditer sur la Présence réelle et la multiplicité sans nombre des hosties figurée aux saints Évangiles par la multiplication des pains et des poissons — tout cela, dis-je, détermina en moi une extraordinaire révolution — vraiment !

Il y avait depuis quelques jours, pendu au mur de ma cellule, au-dessous du petit crucifix de cuivre semblable à celui dont il a été précédemment parlé, une image lithographique assez affreuse, aussi bien, du Sacré-Cœur : une longue tête chevaline de Christ, un grand buste émacié sous de larges plis de vêtement, les mains effilées montrant le cœur

Qui rayonne et qui saigne.


comme je devais l’écrire un peu plus tard dans le livre Sagesse.

Je ne sais quoi ou Qui me souleva soudain, me jeta hors de mon lit, sans que je pusse prendre le temps de m’habiller et me prosterna en larmes, en sanglots, aux pieds du Crucifix et de l’image surérogatoire, évocatrice de la plus étrange mais à mes yeux de la plus sublime dévotion des temps modernes de l’Église catholique.

L’heure seule du lever, deux heures au moins peut-être après ce véritable petit (ou grand ?) miracle moral, me fit me relever, et je vaguai, selon le règlement, aux soins de mon ménage (faire mon lit, balayer la chambre…) lorsque le gardien de jour entra qui m’adressa la phrase traditionnelle : « Tout va bien ? »

Je lui répondis aussitôt :

« Dites à monsieur l’Aumônier de venir. »

Celui-ci entrait dans ma cellule quelques minutes après. Je lui fis part de ma « conversion ».

C’en était une sérieusement. Je croyais, je voyais, il me semblait que je savais, j’étais illuminé. Je fusse allé au martyre pour de bon, — et j’avais d’immenses repentirs évidemment proportionnés à la grandeur de l’Offensé, mais sans nul doute pour mon examen d’à présent, fort exagérés.

D’ailleurs on est fier souvent quand on se compare.

Et je suis comme la généralité des hommes.

L’aumônier, un homme d’expérience prisonnière et pour sûr habitué à ces sortes de conversions, vraies ou fausses, mais, j’en suis convaincu, persuadé de ma sincérité, néanmoins me calma, après m’avoir félicité de la grâce reçue, puis, comme, dans mon ardeur probablement indiscrète et imprudente de néophyte hier encore littéralement tout mécréance et tout péché, je demandai à, j’implorai de me confesser sur-le-champ, dans ma crainte de mourir impénitent, disais-je, il me répliqua en souriant un peu :

« N’ayez crainte. Vous n’êtes déjà plus impénitent, c’est moi qui vous l’assure. Quant à l’absolution et même à la simple bénédiction, veuillez attendre encore quelques jours ; Dieu est patient et il saura bien vous faire encore un petit crédit, lui qui attend son dû depuis pas mal de temps déjà, n’est-ce pas ?

« Et à très, très prochainement, aujourd’hui même. »