Mes mémoires (Groulx), tome II/Laure Conan

Fides (p. 172-173).

Laure Conan

Parmi les grands collaborateurs, pourquoi ne pas inscrire une femme dont je garderai un touchant et si respectueux souvenir ?

Laure Conan n’a pas beaucoup écrit dans la revue, mais elle a réservé à nos éditions l’un de ses ouvrages. Et elle n’a pas ménagé à notre œuvre ses témoignages d’amitié. Qui avait lu Angéline de Montbrun, À l’œuvre et à l’épreuve, de la romancière Laure Conan, ces livres d’une haute inspiration, mais d’une si fine écriture et d’une si délicate émotion, — et ce fut ma chance de jeune collégien, — se figurait volontiers l’auteur sous l’aspect d’une demoiselle ou d’une dame aux traits aristocratiques, avec de beaux airs de châtelaine, la plume d’oie au bout d’un index élégamment effilé, image classique, presque d’Épinal, des dames de la Renaissance ou de l’époque chevaleresque. Tant pis pour les théoriciens des lettres qui conçoivent la parenté si étroite entre l’œuvre et l’ouvrier ! Pour ma part, que de fois je me suis amusé de l’étonnement naïf de certaines gens qui, m’ayant lu, se représentaient un gaillard de forte taille et qui, mis en présence de l’auteur, cachaient mal leur déception de ne découvrir qu’un petit homme de cinq pieds, cinq pouces. La surprise n’était pas légère de se trouver, pour la première fois, en présence de Laure Conan. Dans les dernières années de sa vie, elle était venue se réfugier parmi les pensionnaires des Petites Sœurs de Saint-Joseph, au Couvent de Notre-Dame-de-Lourdes, en arrière de la chapelle bâtie et décorée par Napoléon Bourassa, tout près de l’ancienne Université de la rue Saint-Denis. Je n’ai pas oublié la première visite qu’appelé par elle je lui fis. Elle avait pu suivre quelques-uns de mes cours d’histoire à l’Université. Elle désirait m’en remercier. Au lieu de la châtelaine d’antan, dame de chevalier, figure raphaélesque pour quelque exquis médaillon, je vis se lever de son fauteuil, un colosse de femme aux larges épaules, plutôt mal fichue en tout son accoutrement et même assez mal peignée, avec un visage aux traits forts, quelque peu douloureux, marqués de « l’obscure souffrance ». Pourtant cette femme avait des yeux doux, singulièrement doux, à tout instant voilés d’ombres ou de larmes, et une voix, malgré son timbre un peu fort, d’une tendresse prenante. Et de cette puissante stature, où n’apparaissait pas l’ombre de la virago, se dégageaient une indéniable distinction de manières, un air de vieille race, d’Ancien régime, quelque chose de l’impressionnante noblesse de tous les êtres qui se sont laissés habiter par des rêves magnifiques.

Je la vis plusieurs fois. Je possède quelques-unes de ses lettres. J’eus à m’occuper de la publication de son dernier roman : La Sève immortelle. Elle m’avait voué une franche amitié. Quel attachement elle dédiait à son pays, aux gens de sa race, à leur avenir intellectuel, à tout leur destin. Je me trouvai chez elle le jour où l’on nous avait appris la mort de sir Wilfrid Laurier. « Que le cher grand homme était aimé ! » me dit-elle. Elle pleurait.

Autre figure comme il n’en existe plus d’aussi pure, d’aussi élevée dans nos lettres. Sur de Gaspé, sur Marmette, sur Choquette, son œuvre attestait une réelle supériorité de forme. Et pour les sujets et pour l’inspiration, quelle distinction dans l’esprit !

Mgr Louis-Adolphe Paquet

Qui eût souhaité rencontrer un abbé de l’Ancien régime, air grand siècle, sans le rabat et la perruque bien entendu, mais d’une urbanité et d’une distinction parfaites et tout simple par surcroît, n’aurait eu qu’à s’en aller frapper à une porte d’un long corridor du vieux Séminaire de Québec. Un prêtre lui eût apparu grand, mince, au visage fin, aux manières de gentilhomme, d’une politesse exquise.

Ce qui frappait d’abord en Mgr Louis-Adolphe Paquet, c’était la simplicité de son accueil. Cet homme avait pourtant une réputation, un passé. Il était le conseiller de maints évêques, de nombre de personnages laïcs et ecclésiastiques. Un grave problème de doctrine agitait-il l’opinion, on se tournait avidement vers l’oracle québecois. Qu’en pense Mgr Paquet ? Son autorité faisait loi. Lors