Mes heures de travail/Civilisation de l’Afrique

Société générale d’imprimerie (p. 71--).


CHAPITRE IV

Civilisation de l’Afrique.


Ayant été sollicité de faire partie de la Société de géographie de Genève, j’en étais membre depuis longtemps, lorsque S. M. le Roi des Belges, s’enthousiasmant pour la civilisation de l’Afrique, envisagée sous tous les aspects, chercha à susciter la formation de groupes nationaux disposés à y travailler avec lui, déclarant qu’il les considérerait comme se rattachant à une Société internationale qu’il présiderait, pour veiller avant tout à l’exploration méthodique du continent noir. En 1877, il convoqua chez lui leurs délégués pour qu’ils se concertassent à cet égard.

La Société de géographie de Genève dut y envoyer deux de ses membres, et me désigna pour être à Bruxelles l’un de ses représentants dans cette occasion, conjointement avec son président, quoique je ne fusse nullement un géographe de profession et qu’elle ne se fût pas encore avisée, ainsi qu’elle le fit plus tard, de songer à me mettre à sa tête. Nous passâmes de la sorte trois jours, comme hôtes de S. M. Léopold II, dans son palais où les délégués suisses n’eurent, comme on pense, à jouer qu’un rôle effacé, ainsi que le prouve le rapport que je présentai à notre Société lors de notre retour.

J’étais, pour ma part, un peu honteux d’assister à de longues séances de discussion à côté et sous la présidence de S. M. sans y prendre une part active.

Mais je me demandais pendant ce temps d’inaction relative, si je ne pourrais pas concourir à seconder les explorateurs de divers pays qui, probablement, suivraient l’impulsion donnée par le roi, car la tâche qu’on allait faire sérieusement entreprendre par la race blanche, de dédommager la race noire du mépris dans lequel elle l’avait tenue pendant si longtemps et de la faire bénéficier des moyens dont disposait la civilisation moderne pour améliorer son sort, me semblait des plus attrayantes et des plus conformes aux vues de la Providence.

Il me parut qu’il serait bon, par exemple, qu’un recueil périodique renseignât et éclairât sur toutes les tentatives par lesquelles des groupes multiples s’efforceraient de dissiper à l’envi les ténèbres de l’Afrique. Aussi me mis-je promptement en état de réaliser cette idée. À peine de retour, j’engageai à mon service deux rédacteurs compétents, MM. Charles Faure et William Rosier, avec lesquels, durant quinze ans, je publiai des livraisons mensuelles ornées de cartes, sous le titre de l’Afrique explorée et civilisée. Ce travail ne prit fin que lorsque l’état maladif de mon principal collaborateur m’en fit une nécessité, après avoir embrassé une période pendant laquelle les découvertes furent plus nombreuses et aussi importantes que jamais.

D’autre part dès que Stanley eut découvert le cours du Congo en descendant ce fleuve jusqu’à la mer, je pressentis que la diplomatie estimerait nécessaire d’étudier le régime légal qu’il conviendrait de lui appliquer, et j’engageai l’Institut de droit international à faire de même. Je lui présentai dans cette intention, pendant sa session de Munich, un mémoire détaillé concernant la Question du Congo, mémoire sur lequel il ne se jugea pas assez renseigné pour oser se prononcer séance tenante, mais auquel il attacha cependant une importance suffisante pour vouloir qu’il fût communiqué de sa part à tous les gouvernements. Puis, apprenant qu’une grande conférence officielle allait avoir à trancher à Berlin les diverses questions que j’avais traitées, je fis parvenir mon écrit à tous les membres de cette assemblée, qui en usèrent, me firent-ils savoir, dans une large mesure, ce dont je ne pus douter après avoir pris connaissance de leurs discussions.

Lorsque la situation se fut bien éclaircie, je trouvai opportun d’exposer, devant l’Institut de France, la manière correcte mais insolite dont s’était effectuée la fondation de l’État indépendant du Congo, au point de vue juridique.

De son côté le gouvernement congolais, trouvant qu’il était conforme à ses intérêts d’être représenté auprès de la Suisse par un consul général, daigna me proposer de m’investir de ces fonctions auxquelles, après dix années d’exercice, je ne renonçai plus tard que vu mon âge avancé, après avoir reçu un témoignage de satisfaction des autorités africaines avec lesquelles je m’étais trouvé en relations, et avoir été spontanément invité par le Roi-souverain à porter, en souvenir de ma charge, le titre de consul général honoraire.