Mes escalades dans les Alpes et le Caucase/Chapitre V

Traduction par Maurice Paillon.
(p. 82-ill.).
CHAPITRE V


L’AIGUILLE DES CHARMOZ
AVEC GUIDES


Après le passage du Col du Lion, décrit plus haut, nous partîmes en voiture pour Courmayeur, en quête de grands exploits. Le mauvais temps nous y fit prisonniers et pendant quatre jours consécutifs un fort vent de Sud-Ouest versa un incessant déluge de pluie dans la vallée, emportant des meules de foin et même un chalet dans les flots limoneux du gros torrent qui passe en dessous du village.

J’étais le seul touriste à l’Hôtel Royal, et son habile chef voua son temps et son intelligence à me mettre hors de condition et de forme. Pendant les rares intervalles où je n étais pas occupé à me délecter des excellentes choses qu’il préparait pour me mettre en joie, il venait faire de soigneuses enquêtes sur ce que je pouvais aimer ou ne pas aimer.

Le cinquième jour, le temps présenta des symptômes d’amélioration et, durant l’après-midi, Burgener, Venetz et moi, nous allâmes nous promener jusqu’à l auberge du Mont Fréty, avec quelque vague idée de tenter un nouveau passage sur Chamonix. Mais avant le lever du jour un terrible orage et de furieuses rafales de vent et de pluie vinrent mettre fin à toute velléité de course

AIGUILLES DES CHARMOZ
nouvelle, au point même de sembler rendre notre passage du Col du Géant une téméraire et périlleuse aventure. Pourtant, comme le jour s’écoulait, les nuages commencèrent à se déchirer et, quand nous atteignîmes les séracs, un brillant soleil faisait fondre les neiges fraîches contre les faces rocheuses, alors que, contre les pentes plus abruptes, il les faisait partir en avalanches de toutes sortes et de toutes grandeurs.

À Chamonix je fus encore en danger de devenir positivement victime des ruses des propriétaires d’hôtels et de leurs cuisiniers ; mais heureusement quelques amis reconnurent la périlleuse position où je me trouvais et ils m’enlevèrent jusqu’aux Grands Mulets. Nous n’étions pas plus tôt là qu’un autre orage nous assaillit et nous garda dans la cabane trop tard pour que nous pussions descendre. Le lendemain matin, quand nous parvenons à nous éveiller tout à fait, nous nous apercevons que nous sommes déjà à mi-chemin du Grand Plateau, Burgener et Venetz étant évidemment restés sous l’impression que nous avions l intention de passer le reste de la journée à ascensionner le Mont Blanc, occupation qui me rappelle le « Moulin de discipline » où les condamnés anglais sont forcés de travailler sans relâche pour ne moudre que du vent. Des idées révolutionnaires gagnent bientôt la caravane, et aboutissent au refus formel des membres amateurs de faire un pas de plus. En dépit de l’indignation et du mépris des professionnels, nous dégringolons en glissades vers les Grands Mulets, où nous prenons nos peu nombreuses affaires, et nous dévalons à Pierre Pointue puis à Chamonix.

La même après-midi nous tenons un conseil solennel où il est décidé que ce genre de vie ne peut pas durer plus longtemps ; en désespoir de cause on décide de partir pour les Charmez[1]. Le mauvais temps continuel avait bien dû vraisemblablement entamer nos chances matérielles de succès ; mais comme la montagne a une exposition Sud-Ouest et qu’elle n’est pas très haute, nous espérions n’avoir rien à craindre de sérieux.

Le lendemain matin (ne dois-je pas dire la nuit même) nous partons, et comme nous avons été munis par M. Couttet d’une admirable lanterne (cette expédition avait lieu à l’âge où la lanterne pliante n’était pas connue) nous prenons une assez bonne avance pendant la première demi-heure[2]. Nous commençons alors à ascensionner ce

que Burgener appelle pompeusement un sentier, sentier qui du reste, insensible à — ou peut-être blessé dans sa modestie par — une si grosse flatterie, se dérobe timidement à la vue tous les trois pas. Après une longue et ennuyeuse marche, nous nous apercevons enfin que la lumière grise du matin commence à vaincre celle de notre lanterne, en sorte que, trouvant une pierre convenable à cet usage, nous la cachons soigneusement, tout en marquant l’endroit avec une branche de sapin. Mais, chose désagréable, bien que nous ayons, à notre retour, trouvé de nombreuses pierres marquées de nombreuses branches de sapin, aucune ne possédait en dessous notre lanterne : circonstance regrettable, car comme je le reconnus plus tard à une ligne de ma note, ce devait être une lanterne à laquelle M. Couttet tenait énormément.

La forêt s’éclaircit bientôt ; au moment où nous atteignons un torrent en dessous de la moraine latérale du Glacier des Nantillons[3], nous nous arrêtons pour déjeuner. Là nous découvrons que trois tranches de viande, un petit morceau de fromage, 30 centimètres de pain long, et un gros panier de raisin étaient toutes les provisions que le portier de l’hôtel avaient jugées nécessaires. Heureusement, c’était Burgener qui avait été laissé à la charge du commissariat, et, comme en montagne je préfère les raisins à tout, j’étais enclin à considérer la conduite du portier avec assez de philosophie, état d’âme que ne partageaient pas du tout mes compagnons. Après avoir tourné, à tort, par la droite, la chute inférieure des séracs, nous ascensionnons un couloir entre les falaises de l’Aiguille de Blaitière et les rochers à pic par-dessus lesquels le glacier se précipite. Le couloir est très facile, mais sur notre gauche se trouve un promontoire de rocher encore plus aisé, nous le prenons et l’escaladons à grands pas. Immédiatement au-dessus de nos têtes plane une succession interminable de séracs, monstres colossaux découpés sur le ciel, nous menaçant d’une destruction instantanée. L’endroit n’est pas de ceux que l’on choisit pour une halte, aussi tournons-nous à gauche pour voir comment nous aborderons le glacier. À un point, à un seul point, c’est possible. Un sérac, à moitié tombé de la falaise, et paraissant très enclin à vouloir aller bientôt s’ajouter à la masse des blocs de glace brisés à une centaine de mètres en dessous, se trouve être le seul pont disponible. Nous l’escaladons, nous passons une crevasse sur les débris d’une avalanche et remontons très vivement une courte pente de glace jusqu’à la partie libre du glacier. Dix minutes nous ont suffi pour nous amener comparativement en sûreté ; nous traversons alors jusqu’à un îlot de roc par lequel la chute de séracs est ordinairement tournée.

Là nous faisons halte et nous procédons à la vérification du sac, à la recherche possible de provisions cachées. Pendant que Venetz et moi étions occupés à ce devoir, Burgener se contournait, lui et son télescope, en une foule d’attitudes extraordinaires, faisant à la fin, avec plein succès, un examen satisfaisant de notre pic. Une heure plus tard, nous partions de nouveau, pour atteindre la base du long couloir qui conduit à la dépression située entre le Grépon et les Charmoz.

Nous passons la rimaye à 8 h. 45 mat., et tournant tout de suite à gauche, en dehors du couloir, nous faisons route pendant trois quarts d’heure à travers de bons rochers : une ou deux dalles nous offrent seules quelque résistance. Sur ces entrefaites, nous avions atteint le sommet d’une arête secondaire, qui aboutit contre les murailles terminales de la montagne. Nous nous asseyons sur un roc revêtu de glace, et, sortant nos parcimonieuses provisions, nous conspuons de nouveau solennellement le portier chamoniard. Nous déposons la gourde de vin dans un recoin sur ; puis, à l’unanimité, nous mettons de côté habits et bottes, qui, avec deux chapeaux sur trois et la même proportion de piolets, sont enveloppés ensemble et déposés en sécurité dans un trou de rocher. Les bagages, consistant en une corde de supplément, deux coins de bois, la nourriture, une bouteille de Champagne, un flacon de cognac et un piolet, furent placés sur mon dos.

Les deux guides commencent à chercher leur voie en escaladant la falaise, Venetz, poussé par Burgener et à son tour aidant celui-ci avec la corde. Mais nos progrès étaient pénibles et lents, et, lorsqu’à la fin on trouvait une position solide, c’était alors la corde qui refusait de venir jusqu’à moi. Finalement, il me fallait faire une traversée difficile pour l’attraper, car il m’était tout à fait impossible de monter un piolet et un sac sans son aide. Ce genre de travail continua pendant trois quarts d’heure ; puis, une attente plus longue vint me faire penser qu’il se trouvait plus haut quelque morceau sérieusement mauvais. Une demande instante de ma part amena la réponse que le passage suivant était tout à fait impraticable, mais, ajoutait Burgener, « Es muss gehen » « Il faut passer ». Anxieux de voir cet obstacle qui, bien qu’impraticable, devait être franchi, j’escaladai de mon côté le tranchant d’une grande dalle, jusqu’à une étroite corniche, puis, tournant un coin embarrassant, je m’introduisis dans une sombre et froide cheminée.

Un gros bloc de 12 mètres environ de hauteur s’était détaché de la masse principale de la montagne, laissant un couloir arrondi et perpendiculaire, qui se trouvait partout garni d’un placage de glace. Un petit filet d’eau coulait dans le fond du couloir et s’était congelé sur le roc à peu près à mi-hauteur, formant une épaisse colonne de glace, flanquée de chaque côté de fantastiques cannelures de la même matière. Un bombement verdâtre, à environ 5 mètres au dessus, nous empêchait de voir le fond du couloir au delà. Rien ne pouvait paraître plus impossible ; il n’y avait même pas une saillie présentable où nous pussions nous tenir ; partout brillait la glace noire garnissant et masquant les irrégularités de la roche recouverte.

Quelques dix minutes plus tard les guides apparaissent à mes yeux inexpérimentés dans des positions extrêmement critiques. Venetz, presque sans soutien d’aucune sorte, s’approche graduellement du bombement verdâtre déjà mentionné ; un piolet, habilement appliqué par Burgener à cette partie du costume des guides ordinairement décorée de pièces de couleurs voyantes et variées, fait l’office de force motrice pendant que Burgener lui-même se trouve adroitement posé sur d’invisibles saillies taillées dans la mince couche de glace qui garnit le roc. Avant que Venetz ait pu surmonter le bombement verdâtre, il devient nécessaire de transférer le piolet sous son pied, et pendant un instant il est laissé à lui-même, agriffé comme un chat aux aspérités glissantes de l’énorme glaçon. Comment fait-il pour se maintenir dans cette position, c’est un mystère connu de lui seul et des lois de la gravitation. Grâce au piolet fixé sous son pied, il peut encore avancer, et après un effort désespéré hisser sa tête et ses épaules au-dessus du bombement. « Wie geht’s » « Comment ça va ? » hurla Burgener. « Weder vorwärts noch zurück» « Ni en avant ni en arrière, » haletait Venetz, et, à une autre demande s’il pouvait aider Burgener à monter, il répliqua « gewiss nicht » « sûrement non ». Pourtant dès qu’il eut recouvré son souffle il renouvela ses efforts. Peu à peu ses jambes, travaillant par secousses spasmodiques, disparaissent de notre vue, et à la fin un juron de patois, un hissement de la corde, et Burgener avance et disparaît à son tour. Le sifflement des glaçons et autres petits fragments, et le souffle puissant des guides me faisaient savoir qu’ils avançaient. Burgener me crie de bien me mettre à couvert, de peur des pierres, mais, comme le rocher auquel je me tiens suffit seulement à me protéger le nez, les doigts et un pied, je trouve sage de descendre de la cheminée jusqu’à un rocher chaudement exposé, ce à quoi du reste, je suis vivement incité par l’état de mes orteils, qui, n’étant plus protégés par mes brodequins et par mes chaussettes depuis longtemps déchirées, ne sont pas du tout fâchés de changer le froid du rocher ou de la glace pour la bonne chaleur des rayons du soleil.

Bientôt un cri ému partit et une grosse pierre bondit dans l’espace, suivie bientôt d’un rauque jodel qui annonçait la conquête du couloir. Comme je réescaladais la cheminée, la corde vint me cingler en tombant à moi ; je m’y attachai aussi bien que cela m’était possible d’une seule main, car de l’autre je tenais un coin verglassé. Après avoir accompli cette importante opération, je commence l’ascension. Tout va bien dans les premiers mètres, puis les prises semblent devenir insuffisantes ; un effort désespéré pour y remédier ne réussit qu’à me faire nager dans le vide, incapable de me rattacher au roc comme à la glace. Une face barbue, coupée d’un gros rire, me regarde par-dessus le sommet du couloir et me demande gaîment : « Pourquoi ne montez-vous pas ? »

Quelques vigoureux hissements et me voici au-dessus du bombement verdâtre ; j’entre alors dans une étroite fissure. Ses murailles lisses et précipitueuses étaient partout garnies de glace et leurs surfaces parallèles n’offraient ni prises ni saillies d’aucune sorte. Il était tout juste possible d’appuyer le dos contre un des murs et de serrer les genoux contre l’autre, mais il ne fallait pas songer à avancer dans ces conditions. Après quelques minutes qui sont données à un Monsieur pour le convaincre, malgré son scepticisme à cet endroit, qu’un sac et un piolet ne sont pas les seuls impedimenta d’une caravane, l’influence persuasive de la corde m’amène sur un terrain moins lisse et une escalade me remet au soleil.

Les guides regardaient tristement leurs coudes déchirés et saignants, car ils n’étaient arrivés à s’attacher au couloir et à grimper qu’en appuyant leurs mains l’une contre l’autre, en les serrant contre leur poitrine, et en coinçant alors leurs coudes contre les parois opposées. Comme ils étaient l’un et l’autre tout à fait hors d’haleine, nous fîmes une halte et certain flacon circula. Puis je m’étendis sur la pierre chaude tout en me demandant combien de temps prendraient mes organes internes à revenir dans leur position normale d’où les avait délogés la pression de la corde.

Un quart d’heure plus tard nous étions de nouveau en route. Au dessus, une longue série de falaises, de rocs brisés, hachés par une suite assez continue de fissures verticales assuraient nos progrès jusqu’à l’arête. Comment j’ai escaladé de grandes dalles suspendues sur des coins impossibles — comment à des moments critiques le sac s’accrochait à des éclisses de roc — comment le piolet se prenait dans les fissures pendant que les blessures de mes doigts de pieds devenaient plus béantes et plus larges et que la corde faisait ma taille toujours plus mince, en accord avec l’idéal moderne de la beauté féminine, tout cela est indélébilement fixé dans ma mémoire ; mais il y a des choses trop pénibles à dire, je me bornerai donc à raconter que sur certains rochers, pour me conformer aux idées à la dernière mode parmi les grimpeurs, je faisais à Burgener une conférence sur l’absurdité de l’usage de la corde, pendant qu’au même instant je prenais le plus grand soin de vérifier si le nœud était assez bien fait pour résister à toutes les conjonctures ; sur d’autres rocs j’étais tout juste capable de grimper en des attitudes nouvelles et originales, qui, je le crois encore en dépit de critiques contraires, auraient rendu célèbre un artiste assez habile pour saisir leur grâce et leur élégance, et lui auraient en plus apporté un élément très différent des modèles généralement adoptés. Sur d’autres rochers encore, j’usai d’une méthode d’avancement qui, j’ai le regret de le dire, a donné lieu à des discussions acharnées parmi les amateurs et les professionnels de la caravane ; on allégua du côté amateur qu’il n’y aurait aucune difficulté a grimper de semblables rochers si l’on n’était pas empêtré par le sac et le piolet, et du côté professionnel qu’un tour de taille de 45 centimètres, dont témoignait la corde, devait, pour de mystérieuses raisons, être pris en considération et enlever à son possesseur un peu de son mérite de grimpeur. Sans entrer dans plus de controverses sur une aussi pénible matière, je dois dire brièvement que, à 11 h. 15 mat., nous escaladions l’arête et que nous réjouissions déjà nos yeux de la vue du sommet.

ESCALADE DES GRANDS CHARMOZ
Les plus ardents de la caravane concluent de suite que c’est un renflement de l’arête, situé à gauche et d’un accès facile, qui se trouve être le point le plus élevé ; mais voici que certain triste opposant affirme que c’est une vilaine dent, sur la droite et de nature rébarbative, qui est le vrai sommet. On se rit de ce sceptique, et le roc facile est escaladé au milieu d’une sauvage explosion

d’enthousiasme, quitte à trouver que là comme ailleurs la route large et facile n’est pas pour les fidèles.

Nous retournons à la brèche où nous avions atteint l’arête et nous nous dirigeons vers le pied du sommet réel. Venetz est promptement hissé sur les épaules de Burgener pour être expédié plus haut à l’aide du piolet ; mais la première attaque ne réussit pas et Venetz retombe rapidement sur Burgener. Le Monsieur qu’on avait méprisé vient augmenter l’échelle ; grâce à ce procédé Venetz peut atteindre n’importe quelle prise pour arriver finalement au point culminant. À 11 h. 45 mat., nous étions réunis sur le sommet, les guides tout joyeux de l’inconscient gaspillage de poudre par lequel M. Couttet fêtait notre arrivée. Burgener, pour reconnaître dignement cette attention, plante notre unique piolet sur le point le plus élevé, pendant que les simples soldats de l’expédition cherchent diligemment des pierres dans le but d élever tout autour du piolet un cairn de protection. On lui attache soigneusement un mouchoir d’un dessin brillant mais en mauvais état, résultat de ce qu’avait pu faire la lessive de Zermatt de deux mouchoirs de dimension plus ordinaire et de couleurs moins éclatantes.

Pendant que ces divers travaux étaient terminés de façon satisfaisante, le lourd colis de la caravane se chauffait au soleil dans un recoin confortable, absorbant cette mixture de lumière, d’air, de lac miroitant et d’arêtes déchiquetées dont se compose une vue de sommet. Les longues heures d’effort qui ont tendu les muscles à leur extrême limite, et la sauvage excitation d’une victoire à demi gagnée mais encore douteuse, se changent en un instant en un sentiment d’aise et de sécurité, si parfait que seul le grimpeur, étendu dans quelque recoin chauffé par le soleil et abrité du vent, peut trouver l’oubli total qui berce et endort jusqu’au moindre soupçon de peine ou de souci, et apprendre que, si le bonheur évite souvent la poursuite, il peut parfois néanmoins être surpris endormi sur les étranges rochers des aiguilles de granité. À de pareils moments, se fatiguer le cerveau en cherchant à reconnaître les sommets éloignés, à corriger ses notions topographiques, ou encore à poursuivre un but scientifique quelconque, semble un sacrilège de la pire espèce. Pour moi le vrai culte me paraît être de s’étendre au soleil, les yeux mi-clos, et de laisser la nature,

Comme une délicate et douce mélodie
Qui s’insinue en nous sans que nous l’écoutions,

nous envelopper d’un délicieux repos, jusqu’à ce que, avec le poème des Mangeurs de Lotus, nous nous soyons écriés :

Prêtons donc le serment…
De vivre sur les monts, reposés et couchés,
En cénacle de dieux, loin de l’humanité.

Mais Burgener ne partageait pas tout à fait ces vues, et, à 12 h. 30 soir, il insista pour que nous lissions un rappel de corde en vue de gagner l’arête en dessous du sommet. Tout alla bien jusqu’au couloir de glace. La, Burgener essaya de fixer un de nos coins de bois ; mais, quoi qu’il fit, le coin persista à ne pas remplir son devoir, s’échappant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, en sorte que la corde glissait toujours par dessus la tête du coin. Nous nous mettons tous à faire des essais variés, le portant dans des fissures que trouvait notre fantaisie et entreprenant même de l’étayer avec d’ingénieux arrangements de petites pierres. Quelqu’un souleva la question de savoir si l’usage des coins n’était pas une hérésie, une sorte de génuflexion devant Baal, et s’il n’était point le premier pas sur le sentier de perdition où l’art de grimper allait se diriger pour aboutir à une course au câble. Sur quoi nous déclarons à l’unanimité que les Charmoz ne seront profanés par aucun engin fixe ; nous trouvons une protubérance rocheuse plus ou moins sûre, nous l’entourons en doublant notre corde et Venetz se laisse glisser en bas. Je suis, et, pour prévenir autant que possible les chances de glissement de la corde autour de la protubérance, elle est contournée plusieurs fois autour, et nous en tenons les bouts tendus quand Burgener descend.

Vers 2 h. 20 soir, nous retrouvons nos bottes ; et la pensée de la table d’hôte vient remplacer des idées d’un ordre plus poétique. Nous dégringolons les rochers, puis nous parcourons le glacier à une allure qui, nous l’apprîmes plus tard, causa un très grand étonnement à divers amis placés à l’autre bout du télescope de M. Couttet. Plus nous allions et plus vite nous courions, car les séracs, qui, le matin, nous menaçaient désagréablement, maintenant se penchaient tellement sur nos têtes que les « Schnell, nur schnr » « Vite, allons vite, » de Burgener faillirent en détacher un. Suivant leur habitude les séracs restèrent penchés et chancelants, mais ne tombèrent pas, et nous arrivâmes au glacier inférieur tout essoufflés, sans la moindre alerte. Comme nous avons atteint les parages de la lanterne, nous nous mettons à sa recherche, mais ne la trouvons point ; nous faisons de même pour un chalet que Burgener connaissait. Nous trouvons du moins la jolie propriétaire elle-même en train de donner à manger à ses cochons. Elle nous apporte du lait, et, bien qu’il soit d’une qualité exceptionnelle, les plus difficiles de la caravane l’eussent préféré si les nombreux habitants du chalet et de la propriétaire n’étaient pas venus auparavant chercher la mort dans le bol écumant.

Heureusement les lacets de la route ne furent pas trop longs à se dévider devant nous, et à 5 h. 30 soir nous étions chaudement félicités par M. et Mme Couttet et salués par un excellent Champagne.


L’AIGUILLE DES CHARMOZ – SANS GUIDES


Cette ascension ne fut pas refaite, plusieurs années durant, mais finalement M. Dunod, avec F. Simond, parvint au sommet Sud, et l’année suivante il reprit le piolet que nous avions laissé sur le pic Nord. Peu après, l’escalade de notre montagne devint l’ascension la plus populaire des environs du Montenvers[4], et la traversée des Cinq Pointes (c’est ainsi qu’on la désigne maintenant) est reconnue pour être la meilleure, et la plus amusante préparation aux escalades de rocher à Chamonix.

En 1892, je partis de nouveau pour cette ascension. Cette fois nous étions sans guides, car nous avions appris la grande vérité, à savoir que ceux qui désirent réellement goûter aux joies et aux plaisirs de la montagne doivent savoir se débrouiller dans les neiges d’en haut en ne se confiant qu’en leurs talents et en leurs connaissances propres. Cette évolution a été rendue nécessaire par de nombreuses causes ; elle est due pour la plus large part au changement qui s’est produit chez les montagnards professionnels. Le guide des premiers âges alpins, du temps des « Peaks, Passes and Glaciers[5] », était un ami et un conseiller ; il conduisait la caravane, et il entrait dans tous les amusements et toutes les gaîtés de l’expédition ; au retour, dans la petite auberge de montagne, il faisait encore, plus ou moins, partie de la caravane, et la pipe du soir n’était joyeuse qu’avec lui. Heureux dans ses montagnes à lui, habile à dénicher les maigres ressources du village, il était un compagnon indispensable et très agréable. Mais l’avantage de cette situation n’était pas pour le touriste seul. Mis constamment en contact avec ses employeurs le guide acquérait de ceux-ci les règles élémentaires de conduite et de politesse qui sont d’un usage essentiel entre guides et voyageurs, si l’on veut qu’il se développe entre eux des sentiments d’amitié et de respect. Parmi ces pionniers de la première heure, Melchior Anderegg et quelques autres restent encore[6] ; mais parmi les jeunes, il n’y en a plus avec lesquels on pourrait être dans ces mêmes vieux termes de l’ancienne intimité. L’envahissement des touristes a amené avec lui la malencontreuse distinction des classes et le guide moderne habite le dortoir des guides et ne voit plus son Monsieur que pendant les courses. Ce commerce d’intimité d’antan n’existant pas, le guide tend de plus en plus à n’être qu’un laquais, et le touriste orgueilleux ne le regarde que comme regarde son mulet le touriste, son frère, moins ambitieux en fait de courses.

La répétition constante de la même ascension tend de plus à faire du guide une sorte d’entrepreneur. En effet, pour tant de dizaines ou de centaines de francs il vous emmènera partout où vous le désirerez. Le talent du grimpeur ne compte pour absolument rien ; le guide exercé regarde le touriste simplement comme un colis. Bien entendu s’il est d’un poids et d’une grosseur anormale, il devra payer en plus un certain nombre de francs, précisément comme un cavalier qui a une monte de cent kilos doit payer plus cher pour le cheval ; mais, à part l’accident du poids, l’individualité du Monsieur est sans importance.

Le guide, ayant fait un contrat, désire naturellement le mener à bien le plus tôt possible. Pour ce faire, l’ascension de la montagne est dirigée avec la plus grande exactitude. Le guide contractant sait, à la seconde, le temps auquel il arrivera à tel roc, à telle arête. Les plus petites variations de ce temps légal choquent ses sentiments et altèrent la sérénité de son caractère. Partant, il n’y a naturellement plus durant l’ascension aucune fantaisie et aucune gaîté. Les voyageurs poussés à l’extrême limite de leur capacité de marche ne sont pas en état de s’égayer par eux-mêmes ; autant demander à un homme essayant de battre le record du mille de regarder la vue, ou aux membres d’une équipe de bateau d’Oxford de saisir une plaisanterie. La caravane est simplement poussée en avant, arrêtée seulement lorsque les poumons ou les jambes du voyageur empêchent d’aller un pas plus loin. Durant les courtes haltes alors accordées, haltes habituellement désignées du nom de déjeuner, bien que personne n’y mange quoi que ce soit, les amateurs sont essoufflés, bâillent et ressentent toutes, et plus, les angoisses d’un mal de montagne qui commence, pendant que les guides se lamentent tristement sur la lenteur des voyageurs. Il n’y a pas besoin de dire que la condition essentielle aux plaisirs de la conversation et à la contemplation de la nature dont se réjouissaient les fondateurs du métier n’existe plus désormais. Malheur au touriste, pauvre habitant des villes, qui se trouve surmené par un couple de paysans en parfaite forme, et de poumons, et de muscles.

Le grimpeur sans guides est libre de ces pernicieuses et brouissantes influences. Tant qu’il a du temps devant lui, et très souvent lorsqu’il n’en a pas, il préfère s étendre sur quelque roc abrité pour regarder sur les monts lointains les ombres toujours changeantes et se pencher vers les énormes profondeurs où, sans trêve, des vapeurs flottent sur le glacier. Il ne lui prend jamais envie de peiner en remontant à forte allure des pentes de neige ou d’éboulis ; en pareils cas, chaque pierre plate lui suggère une halte et tout filet d eau l invite à se désaltérer il fond.

J’ai rencontré un jour à onze heures du matin, un homme qui venait de terminer l’ascension des Charmoz. Il semblait très fier des sa performance et certainement il avait dû marcher avec une extraordinaire rapidité. « Mais pourquoi, » me dis-je à moi-même « est-il allé aussi vite ? » Comment donc un individu, qui a des yeux et une âme, peut-il quitter les rudes beauté de l’arête des Charmoz pour se hâter de venir retrouver le troupeau des touristes dirigé sur le Montenvers, qui en remplissent et en rendent insupportables les après-midi. Et ce n’est pas là un cas exceptionnel ; à Zermatt on peut fréquemment rencontrer, assez tôt dans la journée, des hommes qui ont gratuitement abandonné les retraites les plus belles et les plus secrètes des Alpes, telles que le Gabelhorn, le Rothhorn, ou d’autres pics semblables, pour se hâter vers quelque orchestre de cuivres, vers quelques minstrels nègres et autres amusements de cette station d’excursions. Le grimpeur sans guides n’agit pas ainsi ; rarement on peut le voir rentrer avant que la dernière lueur soit morte à l’horizon du couchant. C’est la nuit, et la nuit seule, qui le ramène aux lieux fréquentés par la foule des touristes. Cet amour de vivre dans la lumière des neiges supérieures est la pierre de touche de l’enthousiaste et le démarque de la race des vantards et des poseurs et de tous les « faiseurs d’ascensions ». Nous ne voulons pas dire que l’amour de la Montagne doit être considéré comme le premier des devoirs humains ou que la valeur morale d’un homme peut être déterminée par son heure habituelle d’arrivée à l’auberge ; mais bien, que cela seul distingue le montagnard, l’homme capable de sentir la beauté de toutes les variations de lumière ou d’ombre et de chercher la quintessence du Monde d’en haut, et que c’est là la caractéristique qui le sépare de ses imitateurs dégénérés et hypocrites.

Ma principale objection aux caravanes conduites par des guides est dans la manière certaine dont la journée se passera. Non seulement le guide est capable « de dépeindre de son lit chaque marche de la route », mais il peut encore, toujours de son lit, vous dire à une fraction de minute près le temps exact que vous mettrez à faire telle partie de l’ascension et le moment, précis, où il vous ramènera, sain et sauf, au propriétaire souriant de votre hôtel. Certes oui, je suis d’accord avec Landor, que « les choses faites avec certitude, sont vides d’intérêt et amènent la satiété ».

Quand je pars le matin, je n’ai pas envie de savoir exactement ce que l’on fera, et exactement comment tout se passera. J’aime à sentir que nous pourrons avoir besoin de faire appel à nos efforts les plus efficaces et que, même alors, nous pourrons être déconcertés et battus. Il y a également une joie infinie à énumérer toutes les chances variées qui peuvent survenir au courant d’une victoire longue et âprement disputée ; mais par contre le souvenir d’un succès, assuré et lassant, derrière deux guides infatigables reste sans couleur dans la mémoire et s’efface bientôt dans l’indistinct passé.

Peu d’escalades nous ont apporté plus de plaisirs, à mes compagnons et à moi, que l’ascension du Mont Blanc par la Brenva[7]. Grâce à une erreur ridicule, dans laquelle je persistai malgré l’avis de mes amis, nous nous lançâmes contre un énorme mur de séracs où nous combattîmes avec une vigueur et, l’on voudra bien ne pas nous accuser de vantardise, avec une crânerie magnifiques ; cette lutte nous apporta sur le moment, et nous apportera longtemps encore, tant que durera notre mémoire, des plaisirs et des jouissances sans mélange. Déjoués, repoussés, nous campâmes sur une arête de rocher exposée, et, le lendemain matin, traversant pour la troisième fois la fameuse crête de glace en lame de couteau, nous repartîmes à l’assaut des séracs, cette fois-ci à un endroit plus vulnérable. Mais la victoire était encore indécise ; ce fut seulement lorsque Collie eut construit un mauvais escalier, en fixant nos trois piolets dans les interstices d’un mur perpendiculaire de débris de glace congelés, qu’il escalada l’obstacle et que nous le portâmes en triomphe vers les grands champs de neige déroulés en dessous, mais à une distance connue, de la Calotte du Mont Blanc. Pareils moments sont dignes d’être vécus, mais il ne faut pas songer à les trouver si vous avez dans la caravane un guide capable de dépeindre de son lit chaque marche de la route. Le sport alpin, comme l’a bien fait remarquer M. Leslie Stephen[8], est « aussi strictement un sport que le cricket, l’aviron, ou le knurr and spell[9] » ; et il s’en suit nécessairement que les jouissances qu’il procure dépendent de la lutte pour la victoire. Partir pour une expédition ordinaire avec des guides, est, au point de vue sportif, aussi intéressant, sinon moins, qu’une course de chevaux en « walk over ».

Il y a sans doute un autre côté à la question. Les pieux adorateurs du grand dieu « Cook » considèrent que faciliter une ascension est un bien sans mélange. Le Cervin «drapé de cordes », et « garni de cabanes », le guide « capable d’aller les yeux fermés », sont bien venus d’eux comme ne représentant que l’âge primitif de cet état de progrès qui aura son apogée dans les Funiculaires et les Crémaillères. Monter au Cervin en ascenseur à vapeur et penser tout le temps que des hommes courageux ont été simplement victimes des difficultés rencontrées sur ces gigantesques murailles glacées, sera pour le badaud et ses congénères une jouissance sans pareille. Lorsque les gens de cet acabit lisent un récit des pionniers de la montagne, sur leurs bivouacs, sur leurs nuits passées dans les chalets, sur leurs pieds gelés, et même sur la destruction d’une caravane entière par suite d’une simple glissade, il leur semble, alors qu’ils sont assis dans de confortables wagons, être enveloppés dans une atmosphère de danger et de souffrance, qui les fait se sentir de vaillants lutteurs.

Peut-être est-ce nous autres de la vieille école, qui devrions changer d’idéal. On nous affirme que dans quelques centaines d’années l’anglais sera une mixture d’argot de Cockney[10] et de mauvais américain ; pourquoi donc ne pas admettre, dans le cycle des évolutions, un nouveau credo de l’alpinisme. Abandonnez la vieille passion des nuits froides en plein air, des repas bizarres dus à l’hospitalité du curé, les folles escalades sur des glaciers peu connus et les traversées d’arêtes colossales encore vierges ; au lieu de cela fréquentez les hôtels et les églises de Zermatt et de Grindelwald, et, dans les courts intervalles laissés libres par les occupations appropriées à ces deux genres de bâtisses, courez à la Jungfrau en ascenseur à vapeur ou escaladez le Cervin en crémaillère.

Mais ces pensées sont par trop horribles. Que la tourmente vienne chasser de nos narines le relent des huiles de machine, que le tonnerre de l’avalanche et le hurlement dela tempête éteignent le son pitoyable des cloches de fonte et le tintamarre des orchestres allemands bon marché. Gardons même l’espoir que les grandes Alpes résisteront aux terrassiers et aux ingénieurs, du moins pour notre temps, et que nous pourrons encore exercer notre culte en paix, dans les grands sanctuaires de nos pères.

Les joies de l’escalade sans guides m’ont emporté bien loin des rocs et des tours des Charmoz ; elles m’ont même, je le crains, conduit à la plus grande des indiscrétions, une confession de foi. La prudence m’engage à quitter ce terrain dangereux pour retourner sur le solide granite de notre pic. Jusqu’à l’endroit où, lors de notre première ascension, nous avions laissé nos bottes, je ne trouvai ni plus ni moins de difficulté que je ne m’y attendais ; au de là ce fut beaucoup plus facile.Il est possible que durant cette première expédition l’absence des protectrices habituelles de nos pieds nous ait causé plus de gêne que de facilité ; il est possible aussi que l’extraordinaire diminution de la glace dans le couloir ait rendu aisé ce qui auparavant s’était trouvé être la plus terrible des difficultés, diminuant ainsi l’impression générale que nous avait faite la montagne entière ; il est possible encore, et cette pensée apporte son baume aux membres les plus âgés de la caravane, que les années écoulées n’eussent pas encore pu faire leur œuvre déprimante sur nos muscles, nos poumons ou nos nerfs. Mais foin de ces spéculations ; j’oubliais que l’enthousiasme lui-même était encordé dans notre caravane. La présence de deux dames, qui nous avaient fait l’honneur de leur compagnie, nous avait doués sans doute d’une force et d’une agilité que pas même l’entraînement des guides, pas même l’activité de la jeunesse, n’auraient pu surpasser. Notre marche vers le premier sommet fut donc simplement une série de victoires faciles.

À partir de ce point, nous suivons à grands pas l’arête, escaladant en route le curieux clocheton très irrévérencieusement connu sous le nom de « bâton de Wicks[11] », et finalement nous forçons notre passage le long d’une très étroite boîte aux lettres[12], jusqu’au dernier sommet. Quand nous sommes sur le point de descendre, nous cherchons et trouvons une route meilleure le long de la tour finale et nous atteignons alors, sans la moindre difficulté, la tête du grand couloir qui sépare le Grépon des Charmoz. Nous le descendons en tremblant, car les pierres y sont en équilibre instable et notre caravane est longue. Heureusement personne ne fut atteint, à l’exception toutefois de Pasteur qui, selon toute apparence, ne fit que s’en amuser.

Notre descente de la pente de glace vers les rochers de la « salle à manger » est égayée par la vue d’une immense rangée de bouteilles et de citrons, par un énorme « bateau à vapeur » fumant, le tout entre des mains évidemment émérites, et attendant les premières femmes[13] qui eussent bravé les périls de la traversée des Charmoz. Tard dans la soirée, les lumières du Montenvers réjouissent enfin notre vue. Cris et jodels succèdent aux fusées ; et, comme nous descendons les pentes de rhododendrons, nous voyons un des membres les plus importants de l’Alpine Club exécutant, sur une mauvaise table, un brillant cavalier seul, et se profilant sur l’éclat brillant d’une flamme de bengale rouge et d’autres amusements pyrotechniques. Une tumultueuse bienvenue salue notre arrivée, et des fêtes prolongées terminent la soirée.



GRÉPON



  1. Une grande confusion a régné si longtemps sur la partie septentrionale des Aiguilles de Chamonix qu’il nous paraît nécessaire de revenir sur ce sujet pour bien fixer la nomenclature et permettre les identifications bibliographiques.

    La carte de Mieulet était, dans cette partie, contraire aux indications locales. Ses dénominations furent adoptées par l’Alpine Journal et nous voyons encore, en 1887, dans ce périodique, XIII, p. 197 : « l’Aiguille des Charmoz que M. Dunod appelle très à tort (very inconveniently) l’Aig. de Grépon ».

    M. L. Kurz, qui, dans maints passages de son Guide de la Chaîne du Mont Blanc (Neuchâtel, 1892), a corrigé si heureusement les cartes existantes, suit ici la nomenclature de la carte de Mieulet : il décrit l’ascension des Grands Charmoz, p. 110, sous le nom de Cime septentrionale de l’Aiguille des Charmoz, et, p. 101, l’escalade du Grépon sous le nom de Cime méridionale de l’Aiguille des Charmoz ; page 106, le Col des Nantillons est appelé Col de Blaitière.

    Déjà M. H. Dunod avait, dans l’Annuaire du Club Alpin Français, fait apparaître le nom de Grépon dans son récit : «Un mois autour de l’Aiguille de Grépon ou Grands Charmez. » Mais il laissait encore bien des incertitudes le col dont il parle à la page 89, ligne 22, est le Col des Nantillons ; la légende de la planche de la page 94, notamment, est erronée (Voy. la note, p. 108-9).

    Enfin M. Joseph Vallot publia, dans l’Annuaire du Club Alpin Français de 1894, p. 1-49, une « Étude des Aiguilles de Chamonix » et une esquisse des aiguilles (à la p. 33), magnifique travail qui mit définitivement les choses au point. M. Kurz, après examen des documents de M. Vallot, se rallia à l’opinion de celui-ci et rectifia ses indications antérieures du guide dans sa carte (la Chaîne du Mont-Blanc, au 1/50,000e par Barbey, Imfeld et Kurz), parue en 1896.

    C’est d’après les données dont il est parlé ci-dessus qu’a été faite la carte esquisse ci-contre. — M. P.

  2. Cette première ascension des Grands Charmoz (3,443 m.) eut lieu le 15 juillet 1880 et le récit en fut publié dans l’Alpine Journal, seulement en 1892, XVI, p. 159-66, sous le titre : « Les Aiguilles des Charmoz et de Grépon. » Mais c’est bien il cette expédition qu’il est fait allusion, dans l’Alpine Journal de novembre 1880, vol. X, p. 95, sous ces termes « La première ascension du plus bas pic de l’Aiguille des Charmoz, celui qu’on voit du Montanvert. » Consulter la note de la page 84. — M. P.
  3. Bien que l’édition anglaise porte « Glacier Nantillon », nous avons adopté la forme ci-dessus d’après les usages locaux. (Voy. du reste Kurz, Vallot, etc.) — M. P.
  4. Les cartes de Mieulet et de Kurz ont adopté cette orthographe ; Durier écrit Montanvers ; M. J. Vallot adopte Montanvert. Voyez à ce sujet une intéressante note de M. J. Vallot : Annuaire du Club Alpin Français, 1894, p. 46. — M. P.
  5. Les trois volumes des Peaks, Passes and Glaciers ont été les précurseurs de l’Alpine Journal ; ils ont paru, le volume I en 1859 (la 5e édition en 1860, l’édition française, sous le titre les Grimpeurs des Alpes, en 1862) et les volumes II et III en 1862. La série de l’Alpine Journal commence en 1863. — M. P.
  6. On trouvera d’intéressants détails et de magnifiques portraits de ces premiers explorateurs dans The Pioneers of the Alps, par C. D. Cunningham et W. Abney, London, 1887 et 1888. — M. P.
  7. On trouvera dans l’Alpine Journal, XVII, p. 537-51, sous le titre de « Par dessus le Mont Blanc par la route de la Brenva », le récit de cette fort belle expédition dû il la plume de M. G. Hastings : la course fut faite sans guides par MM. Norman Collie, G. Hastings et A. F. Mummery, le 2 août 1894. — M. P.
  8. The Playground of Europe, par Leslie Stephen ; London, 1871, 1894. 1895 et 1899, p. 307 — M. P.
  9. Le Knurr and Spell est un jeu peu connu en France ; il se joue avec un tremplin, une petite balle et un long bâton à tête : on choque le tremplin mis en équilibre, la balle est jetée en l’air, et l’on doit la frapper avec le bâton. L’objectif du jeu est d’envoyer la balle aussi loin que possible : on compte le nombre de mètres, et le gagnant est celui qui a le plus de points en un nombre déterminé de coups. — M. P.
  10. Nom donné il la populace de Londres. — M. P.
  11. Allusion à l’ascension faite par MM. J.-II. Wicks et W. Muir, avec É. Rey et J. Fischer, le 9 août 1887, dans laquelle ils gagnèrent l’arête à peu de distance au Nord de la brèche qui sépare les deux aiguilles des Charmoz, franchirent la pointe formant l’extrémité Sud de la crête et suivirent l’arête jusqu’au sommet. Voy. Guide de la Chaîne du Mont Blanc, par L. Kurz, p. 111. — M. P.
  12. Le nom de boîte aux lettres est donné dans les environs du Montenvers à des fissures de roc. Pareils accidents sont fréquemment rencontrés dans les Aiguilles de Chamonix ; les grimpeurs les utilisent soit horizontalement comme passages, soit perpendiculairement comme échelles, en se coinçant et en se faufilant dans les fentes.
  13. La première ascension féminine de l’Aiguille des Charmoz avait déjà été faite quatre ans auparavant, le 15 août 1888, par Miss Katharine Hichardson, qui avait exécuté de même la traversée des cinq pointes en un jour. — M. P.