Mes Mémoires (A. Dumas)/10/07

Michel Lévy (Tome Xp. 81-90).


CCXLIX


Le prince de Metternich est chargé d’apprendre au duc de Reichstadt l’histoire de Napoléon. — Plan de conduite politique du duc. — Le poëte Barthélemy à Vienne. — Ses entrevues avec le comte Dietrichstein. — Opinion du duc de Reichstadt sur le poëme de Napoléon en Égypte.

« Le prince de Metternich, dit M. de Montbel, fut expressément chargé d’apprendre au duc de Reichstadt une histoire exacte et complète de Napoléon. »

Quelle ironie ! c’est l’homme qui a signé les instructions de M. de Sturmer, le représentant de l’Autriche à Sainte-Hélène, que l’on charge d’apprendre au fils l’histoire exacte et complète du père, dont ce fils ne porte plus le nom, ne porte plus le titre, ne porte plus les armes !

Pauvre prisonnier ! si l’on eût ajouté cette torture à ton agonie, de te dire : « Ton fils te connaîtra sur l’appréciation et d’après le récit de M. de Metternich ! »

— Je désire, dit l’empereur François au premier ministre, que le duc respecte la mémoire de son père, prenne exemple de ses grandes qualités, et qu’il apprenne à connaître ses défauts, afin de les éviter et de se prémunir contre leur fatale influence. Parlez au prince, sur le compte de son père, comme vous voudriez que l’on parlât de vous à votre propre fils. Ne lui cachez, à cet égard, aucune vérité ; mais enseignez-lui, je le répète, à honorer sa mémoire.

« Dès lors, — dit M. de Montbel avec une bonhomie qui peut être aussi bien de la raillerie que de la naïveté, — dès lors, M. de Metternich dirigea le duc de Reichstadt dans les hautes études historiques. En mettant sous ses yeux des documents irrécusables, il l’accoutumait à connaître la bonne foi des factions et la justice de l’esprit de parti ; il s’attachait à former son esprit aux habitudes d’une saine critique, à éclairer sa raison en lui enseignant à apprécier les actions et les événements dans leurs causes, aussi bien qu’à les juger dans leurs résultats.

» Le duc de Reichstadt recevait ces hautes instructions avec un grand empressement ; la justice et la pénétration de son esprit lui en faisaient apprécier toute l’importance. À proportion qu’il lisait les ouvrages relatifs à l’histoire de nos jours, il consultait le prince de Metternich dans tous ses doutes ; il aimait à recevoir de lui des indications précises, à interroger son expérience et son habileté reconnues, sur tant de grands événements auxquels il avait pris une part si active.

» Dès ce moment, le jeune duc montra un habituel empressement à se rapprocher de M. de Metternich. »

Toute la vie du pauvre enfant va être désormais renfermée dans ces quelques lignes que nous venons de citer.

Un jour aussi, rencontrant ensemble l’empereur et le prince, il s’approcha d’eux, et leur dit :

— L’objet essentiel de ma vie doit être de ne pas rester indigne de la gloire de mon père ; je croirai atteindre ce noble but si, autant qu’il sera en mon pouvoir, je parviens, un jour, à m’approprier une de ses hautes qualités, en m’efforçant d’éviter les écueils qu’elles lui ont fait rencontrer. Je manquerais aux devoirs que sa mémoire m’impose si je devenais le jouet des factions et l’instrument des intrigues. Jamais le fils de Napoléon ne peut descendre au rôle méprisable d’un aventurier !

Du moment où le duc de Reichstadt se montre si raisonnable, M. de Metternich et l’empereur d’Autriche n’ont désormais plus rien à craindre.

C’est sur ces entrefaites, et lorsque l’éducation politique du jeune prince était achevée par M. de Metternich, que Méry et Barthélemy publiaient, le 10 novembre 1828, leur poëme de Napoléon en Égypte. — On connaît le succès gigantesque de ce poëme. — Dès lors, il leur naît dans le cœur plutôt que dans l’esprit une idée pieuse : l’un d’eux ira à Vienne, et offrira au jeune duc l’épopée dont son père est le héros.

Barthélemy part.

Laissons-lui raconter son pèlerinage ; nous dirons ensuite l’effet que sa présence produisit à Vienne.

« Le but de mon voyage étant d’être présenté au duc de Reichstadt, de lui offrir notre poëme, on doit penser que je ne négligeai aucun moyen possible d’y parvenir. Dans le nombre des personnes qui me témoignaient quelque intérêt, les unes étaient tout à fait sans pouvoir, les autres craignaient, avec quelque raison, de s’immiscer dans une affaire de cette nature. Aussi, je me vis presque réduit à moi seul pour conseiller et pour protecteur. Je pensai qu’au lieu d’employer des détours qui auraient pu attirer des soupçons sérieux sur mes intentions pacifiques, il valait mieux aborder le motif de mon séjour à Vienne.

» D’après cette idée, je me présentai chez M. le comte de Czernin, qui est oberhofmeister de l’empereur, charge qui répond, je crois, à celle de grand chambellan. Ce vénérable vieillard me reçut avec une bonté et une obligeance dont je fus vraiment pénétré ; et, quand je lui eus énoncé le but de ma visite, il n’en parut nullement surpris : seulement, il m’engagea à m’adresser à M. le comte Dietrichstein, chargé spécialement de l’éducation du jeune prince, et même il voulut bien m’autoriser à m’y présenter sous ses auspices.

» Je ne perdis pas un moment, et, en quittant M. le comte de Czernin, je me rendis sur-le-champ chez M. Dietrichstein. J’eus un véritable plaisir de me trouver avec un des seigneurs les plus aimables et les plus instruits de la cour de Vienne. Aux fonctions de grand maître du duc de Reichstadt, il joignait la charge de directeur de la bibliothèque, et, devant ce dernier titre, je pouvais invoquer hardiment ma qualité d’homme de lettres. Il voulut bien me dire que notre nom et nos ouvrages ne lui étaient pas inconnus ; que même il avait pris le soin de se faire envoyer de France toutes les brochures que nous avions publiées jusqu’à ce jour, et qu’en ce moment il attendait avec impatience notre dernier poëme.

» Comme, à tout événement, je m’étais muni d’un exemplaire, je me hâtai de le lui offrir, et même de lui en faire une dédicace signée ; ce qui parut lui être agréable. Encourragé par cet accueil, je crus le moment propice pour en venir à une ouverture décisive.

» — Monsieur le comte, lui dis-je, puisque vous voulez bien me témoigner tant de bienveillance, j’oserai vous supplier de me servir dans l’affaire qui m’attire à Vienne. Je suis venu dans le but unique de présenter ce livre au duc de Reichstadt ; personne mieux que son grand maître ne peut me seconder dans mon dessein. J’espère que vous voudrez bien accéder à ma demande.

» Aux premiers mots de cette humble requête verbale, le visage du comte prit une expression, je ne dirai pas de mécontentement, mais de malaise, de contrainte ; il paraissait comme fâché d’avoir été assez aimable pour m’enhardir à cette demande ; et sans doute qu’il aurait préféré n’être pas dans la nécessité de me répondre. Après quelques secondes de silence, il me dit :

» — Est-il bien vrai que vous soyez venu à Vienne pour voir le jeune prince ?… Qui a pu vous engager à une pareille démarche ? Est-il possible que vous ayez compté sur le succès de votre voyage ?… On se fait donc, en France, des idées bien fausses, bien ridicules, sur ce qui se passe ici ? Ne savez-vous pas que la politique de la France et celle de l’Autriche s’opposent également à ce qu’aucun étranger, surtout un Français, soit présenté au prince ? Ce que vous me demandez est donc tout à fait impossible. Je suis vraiment fâché que vous ayez fait un si long et si pénible voyage, sans aucune chance de succès, etc., etc.

» Je lui répondis que je n’avais mission de personne en venant en Autriche ; que c’était de mon propre mouvement et sans impulsion étrangère que je m’étais décidé à ce voyage ; qu’en France, on pense généralement qu’il n’est pas difficile d’être présenté au duc de Reichstadt, et que même on assure qu’il reçoit les Français avec une bienveillance plus particulière ; que, d’ailleurs, les mesures de prudence qui repoussent les étrangers me semblaient ne pas devoir m’atteindre, moi qui ne suis qu’un homme de lettres, qu’un citoyen inaperçu, et qui n’ai jamais rempli de rôle ou de fonction politique.

» — Je conçois, ajoutai-je, que mon zèle peut vous paraître exagéré ; cependant, considérez que nous venons de publier un poëme sur Napoléon. Est-il donc étrange que nous désirions le présenter à son fils ? Croyez-vous que cet hommage littéraire ait un but caché ? Il ne tient qu’à vous de vous convaincre du contraire. Je ne demande pas à entretenir le prince sans témoins : ce sera devant vous, devant dix personnes, s’il le faut ; et s’il m’échappe un seul mot qui puisse alarmer la politique la plus ombrageuse, je consens à finir ma vie dans une prison d’Autriche.

» Le grand maître répliqua que tous ces bruits répandus en France au sujet de personnes présentées au duc de Reichstadt étaient de toute fausseté ; qu’il était persuadé que le but de mon voyage était purement littéraire et détaché de toute pensée politique ; mais que, néanmoins, il lui était impossible d’outre-passer ses ordres ; que les plus strictes défenses interdisaient ces sortes d’entrevues ; que cette mesure n’était pas l’effet d’un caprice momentané, mais bien la suite d’un système constant adopté par les deux cours ; qu’elle n’était pas applicable à moi seul, mais à tous ceux qui tenteraient d’approcher du prince, et que j’aurais tort de m’en trouver lésé spécialement.

» — Enfin, ajouta-t-il, ce qui doit excuser ces rigueurs, c’est la crainte d’un attentat sur sa personne.

— Mais, lui dis-je, un attentat de cette nature est toujours à craindre ; car le duc de Reichstadt n’est pas entouré de gardes. Un homme résolu pourrait toujours l’aborder, et une seconde suffirait pour consommer un crime ! Votre surveillance est donc en défaut de ce côté. Maintenant, vous craignez peut-être qu’une conversation trop libre avec des étrangers ne lui révèle des secrets ou ne lui inspire des espérances dangereuses ; mais, avec tout votre pouvoir, monsieur le comte., est-il possible à vous d’empêcher qu’on ne lui transmette, ouvertement ou clandestinement, une lettre, une pétition, un avis, soit à la promenade, soit au théâtre ou dans tout autre lieu ? Moi, par exemple, si, au lieu de m’adresser franchement à vous, je m’étais posté sur son passage ; si je m’étais hardiment avancé vers lui, et qu’en votre présence même, je lui eusse remis un exemplaire de Napoléon en Égypte… Vous voyez bien que j’aurais trompé toutes vos précautions, et j’aurais rempli mon but, d’une manière violente, j’en conviens ; mais, enfin, il n’en est pas moins vrai que le prince aurait reçu mon exemplaire, et qu’il l’aurait lu, ou, du moins, qu’il en aurait connu le titre.

» M. Dietrichstein me fit une réponse qui me glaça d’étonnement.

» — Écoutez, monsieur : soyez bien persuadé que le prince n’entend, ne voit et ne lit que ce que nous voulons qu’il lise, qu’il voie et qu’il entende. S’il recevait une lettre, un pli, un livre qui eût trompé notre surveillance, et fût tombé jusqu’à lui sans passer par nos mains, croyez que son premier soin serait de nous le remettre avant de l’ouvrir ; il ne se déciderait à y porter les yeux qu’autant que nous lui aurions déclaré qu’il peut le faire sans danger.

» — Il paraît, d’après cela, monsieur le comte, que le fils de Napoléon est bien loin d’être aussi libre que nous le supposons en France !

» Réponse :

» — Le prince n’est pas prisonnier… Mais il se trouve dans une position toute particulière. Veuillez bien ne plus me presser de vos questions : je ne pourrais vous satisfaire entièrement ; renoncez également au projet qui vous a conduit ici : je vous répète qu’il y a impossibilité absolue.

» — Eh bien, vous m’enlevez tout espoir ! Je ne puis, certainement, recourir à personne après votre arrêt, et je sens qu’il est inutile de renouveler mes instances ; mais, du moins, vous ne pouvez pas me refuser de lui remettre cet exemplaire au nom des auteurs. Il a sans doute une bibliothèque, et ce livre n’est pas assez dangereux pour être mis à l’index.

» M. Dietrichstein secoua la tête comme un homme irrésolu. Je compris qu’il lui était pénible de m’accabler de deux refus dans le même jour ; aussi, ne voulant pas le forcer à s’expliquer trop nettement, je pris congé de lui en le priant de lire le poème, de se convaincre qu’il ne contenait rien de séditieux, et de me faire espérer que, d’après cette conviction, il consentirait à favoriser ma seconde demande.

» Environ quinze jours après, je retournai chez le grand maître ; j’en revins encore à mes premières obsessions. Il était étonné lui-même de ma ténacité.

» — Je ne vous conçois vraiment pas ! me disait-il. Vous mettez trop d’importance à voir le prince. Contentez-vous de savoir qu’il est heureux, qu’il est sans ambition. Sa carrière est toute tracée : il n’approchera jamais de la France ; il n’en aura pas même la pensée. Répétez tout ceci à vos compatriotes ; désabusez-les, s’il est possible. Je ne vous demande pas le secret de tout ce que j’ai pu vous dire ; bien au contraire : je vous prie, à votre retour en France, de le publier et même de l’écrire, si bon vous semble. Quant à la remise de votre exemplaire, n’y comptez pas. Votre livre est fort beau comme poésie ; mais il est dangereux pour le fils de Napoléon : votre style plein d’images, cette vivacité de description, ces couleurs que vous donnez à l’histoire, tout cela, dans sa jeune tête, peut exciter un enthousiasme et des germes d’ambition qui, sans aucun résultat, ne serviraient qu’à le dégoûter de sa position actuelle. L’histoire, il en connaît tout ce qu’il doit savoir, c’est-à-dire les dates et les noms. Vous voyez, d’après cela, que votre livre ne peut lui convenir.

» — J’insistai encore quelque temps ; mais je vis bientôt que le grand maître ne m’écoutait que par civilité. Je ne voulus pas m’épuiser en prières inutiles ; et, dès lors, désabusé de mon innocente chimère, je regardai cette visite comme une audience de congé, et je ne pensai plus qu’à retourner en France.

» Jusqu’au moment de mon départ, je continuai à visiter les personnes qui m’avaient jusqu’alors témoigné tant d’intérêt. Dans une de ces paisibles réunions, on m’a répété un propos du duc de Reichstadt qui m’a singulièrement frappé ; je le tiens de bonne source, et, si je ne craignais de nuire à la fortune de cette personne, je la nommerais ici ; qu’on se contente de savoir qu’elle voit familièrement le prince presque tous les jours. — Dernièrement, cet étrange jeune homme paraissait absorbé par une idée fixe ; il était entièrement distrait de sa leçon. Tout à coup, il se frappe le front avec un signe d’impatience, et laisse échapper ces mots :

» — Mais que veulent-ils donc faire de moi ? pensent-ils que j’ai la tété de mon père ?…

» On doit conclure de cela que le rempart vivant qui l’entoure avait été franchi ; qu’une lettre ou un pli indiscret avait été lancé jusqu’à lui, et que, pour cette fois, il avait enfreint les ordres qui lui prescrivent de ne rien lire sans l’aveu de ses précepteurs. »

Ne pouvant voir le duc de Reichstadt en particulier, le poëte, du moins, ne voulut pas quitter Vienne sans l’avoir vu en public. Il apprit, un jour, que le prince devait aller le soir au théâtre : il loua une stalle, et se plaça en face de la loge de la cour.

« Ses vers diront mieux que ma prose quel effet lui produisit cette apparition.

Bientôt, dans une loge où nul flambeau ne brille,
Arrivent gravement César et sa famille,
De princes, d’archiducs, inépuisable cour,
Comme l’aire d’un aigle ou le nid d’un vautour.
On lisait sur leurs fronts, dans leur morne attitude,
Les ennuis d’un plaisir usé par l’habitude.
Un lustre aux feux mourants, descendu du plafond,
Mêlait sa lueur triste au silence profond ;
Seulement, par secousse, à l’angle de la salle,
Résonnait quelquefois la toux impériale.
Alors, un léger bruit réveilla mon esprit ;
Dans la loge voisine, une porte s’ouvrit,
Et, dans la profondeur de cette enceinte obscure,
Apparut tout à coup une pâle figure…
Éteinte dans ce cadre au milieu d’un fond noir,
Elle était immobile, et l’on aurait cru voir
Un tableau de Rembrandt chargé de teintes sombres,
Où la blancheur des chairs se détache des ombres.
Je sentis dans mes os un étrange frisson ;
Dans ma tête siffla le tintement d’un son ;
L’œil fixe, le cou roide et la bouche entr’ouverte,

Je ne vis plus qu’un point dans la salle déserte :
Acteurs, peuple, empereur, tout semblait avoir fui ;
Et, croyant être seul, je m’écriai : « C’est lui ! »
C’était lui ! Tout à coup, la figure isolée
D’un coup d’œil vif et prompt parcourut l’assemblée.
Telle, en éclairs de feu, jette un reflet pareil
Une lame d’acier qu’on agite au soleil.
Puis, comme réprimant un geste involontaire,
Il rendit à ses traits leur habitude austère,
Et s’assit. Cependant, mes regards curieux
Dessinaient à loisir l’être mystérieux :
Voyant cet œil rapide où brille la pensée,
Ce teint blanc de Louise et sa taille élancée,
Ces vifs tressaillements, ces mouvements nerveux,
Ce front saillant et large, orné de blonds cheveux ;
Oui, ce corps, cette tête où la tristesse est peinte,
Du sang qui les forma portent la double empreinte !
Je ne sais toutefois… je ne puis sans douleur
Contempler ce visage éclatant de pâleur ;
On dirait que la vie à la mort s’y mélange !
Voyez-vous comme moi cette couleur étrange ?
Quel germe destructeur, sous l’écorce agissant,
A sitôt défloré ce fruit adolescent ?
Assailli, malgré moi, d’un effroi salutaire,
Je n’ose pour moi-même éclaircir ce mystère.
Le noir conseil des cours, au peuple défendu,
Est un profond abîme où nul n’est descendu :
Invisible dépôt, il est, dans chaque empire,
Une énigme, un secret qui jamais ne transpire ;
C’est ce secret d’État que, sur le crucifix,
Les rois, en expirant, révèlent à leurs fils !
Faut-il vous répéter un effroyable doute ?
Écoutez… ou plutôt que personne n’écoute !
S’il est vrai qu’à ta cour, malheureux nourrisson,
La moderne Locuste ait transmis sa leçon,
Cette horrible pâleur, sinistre caractère,
Annonce de ton sang le mal héréditaire ;
Et peut-être aujourd’hui, méthodique assassin,
Le cancer politique est déjà dans ton sein !
Mais non ! mon âme, en vain de terreurs obsédée,
Repousse en frissonnant, une infernale idée ;

J’aime mieux accuser l’étude aux longues nuits,
Des souvenirs amers ou de vagues ennuis.
Comme une jeune plante à la tige légère,
Que poussa l’ouragan sur la terre étrangère,
Loin du sol paternel languit et ne produit
Que des fleurs sans parfum et des boutons sans fruit,
Sans doute, l’orphelin que la grande tempête
Emporta vers le Nord dans son berceau de fête,
Aujourd’hui, comprimant de cuisantes douleurs,
Tourne vers l’Occident des yeux chargés de pleurs !…

Le poëte avait recueilli tout ce qu’il pouvait recueillir de son voyage : il avait vu, de loin, au fond d’une loge, le pauvre enfant impérial ! il partit, lui prédisant, comme on voit, une mort précoce et prochaine.

S’il faut en croire M. de Montbel, après le départ de Barthélemy, Napoléon en Égypte fut lu dans la famille impériale, en présence du duc de Reichstadt, qui écouta cette lecture avec la plus profonde indifférence : il se contenta de dire qu’on avait eu raison de ne pas laisser arriver jusqu’à lui l’auteur d’un pareil ouvrage.

Était-il si indifférent ? était-il si dissimulé ? était-il si ingrat ?