Maximes Pensées Caractères et Anecdotes/Caractères et Anecdotes


SECONDE PARTIE.


CARACTÈRES

et
ANECDOTES.
Séparateur



NOTRE siècle a produit huit grandes Comédiennes ; quatre du Théâtre & quatre de la Société. Les quatre premières sont Madlle. Dangeville, Madlle. Dumesnil, Madlle. Clairon & Made. Saint-Huberty ; les quatre autres sont Made. de Montesson, Made. de Genlis, Made. N…, & Made. d’Angiviller.

M… me disait : Je me suis réduit à trouver tous mes plaisirs en moi-même, c’est-à-dire dans le seul exercice de mon intelligence. La Nature a mis dans le cerveau de l’homme une petite glande appelée cervelet, laquelle fait office d’un miroir ; on se représente, tant bien que mal, en petit & en grand, en gros & en détail tous les objets de l’univers, & même les produits de sa propre pensée. C’est une lanterne magique dont l’homme est propriétaire & devant laquelle se passent des scènes où il est acteur & spectateur. C’est là proprement l’homme ; là se borne son empire. Tout le reste lui est étranger.

Aujourd’hui, 15 Mars 1782, j’ai fait, disait M. de… une bonne œuvre d’une espèce assez rare. J’ai consolé un homme honnête, plein de vertus, riche de 100,000 liv. de rente, d’un très-grand nom, de beaucoup d’esprit, d’une très-bonne santé, &c. Et moi je suis pauvre, obscur & malade.

On sait le discours fanatique que l’Évêque de Dol a tenu au Roi, au sujet du rappel des Protestans[1]. Il parla au nom du Clergé. L’Évêque de St. Pol[2] lui ayant demandé pourquoi il avait parlé au nom de ses confrères, sans les consulter, j’ai consulté, dit-il, mon Crucifix. En ce cas, répliqua l’Évêque de St. Pol, il fallait répéter exactement ce que votre Crucifix vous avait répondu.

C’est un fait avéré que Madame, fille du Roi, jouant avec une de ses Bonnes, regarda à sa main, & après avoir compté ses doigts, comment, dit l’Enfant avec surprise, vous avez cinq doigts aussi, comme moi ; & elle recompta pour s’en assurer.

Le Maréchal de Richelieu, ayant proposé pour maîtresse à Louis XV, une grande Dame, j’ai oublié laquelle ; le Roi n’en voulut pas, disant qu’elle coûterait trop cher à renvoyer.

M. de Tressan avait fait en 1738 des couplets contre M. le Duc de Nivernois, & sollicita l’Académie en 1780. Il alla chez M. de Nivernois, qui le reçut à merveille, lui parla du succès de ses derniers ouvrages, & le renvoyait comblé d’espérances, lorsque, voyant M. de Tressan prêt à remonter en voiture, il lui dit : Adieu, M. le Comte, je vous félicite de n’avoir pas plus de mémoire.

Le Maréchal de Biron eut une maladie très-dangereuse. Il voulut se confesser, & dit devant plusieurs de ses amis : ce que je dois à Dieu, ce que je dois au Roi, ce que je dois à l’État… Un des amis l’interrompit. Tais-toi, dit-il, tu mourras insolvable.

Duclos avait l’habitude de prononcer sans cesse, en pleine Académie, des B. des F. L’Abbé du Resnel, qui à cause de sa longue figure était appelé un grand serpent sans venin, lui dit : Monsieur, sachez qu’on ne doit prononcer dans l’Académie que des mots qui se trouvent dans le dictionnaire.

M. de L… parlait à son ami M. de B…, homme très-respectable, & cependant très-peu ménagé par le public : il lui avouait les bruits & les faux jugemens qui couraient sur son compte. Celui-ci répondit froidement : c’est bien à une bête & à un coquin comme le public actuel à juger un caractère de ma trempe.

M… me disait : j’ai vu des femmes de tous les pays ; l’Italienne ne croit être aimée de son amant que quand il est capable de commettre un crime pour elle ; l’Anglaise, une folie, & la Française, une sottise.

Duclos disait de je ne sais quel bas coquin qui avait fait fortune : on lui crache au visage, on le lui essuye avec le pied & il remercie.

D’Alembert jouissant déjà de la plus grande réputation, se trouvait chez Madame du Deffand, où étaient M. le Président Hénault & M. de Pont-de-Veyle. Arrive un Médecin, nommé Fournier, qui en entrant, dit à Madame du Deffand : Madame, j’ai l’honneur de vous présenter mon très-humble respect ; à M. le président Hénault : Monsieur, j’ai bien l’honneur de vous saluer ; à M. de Pont-de-Veyle : Monsieur, je suis votre très-humble serviteur ; & à d’Alembert : bonjour, Monsieur.

Un homme allait, depuis trente ans, passer toutes les soirées chez Madame de… ; il perdit sa femme, on crut qu’il épouserait l’autre, & on l’y encourageait. Il refusa ; je ne saurais plus, dit-il, où aller passer mes soirées.

Madame de Tencin, avec des manières douces, était une femme sans principes, & capable de tout, exactement ; Un jour, on louait sa douceur : oui, dit l’Abbé Trublet, si elle eût eu intérêt de vous empoisonner, elle eût choisi le poison le plus doux.

M. de Broglie qui n’admire que le mérite militaire, disait un jour : Ce Voltaire qu’on vante tant, & dont je fais peu de cas, il a pourtant fait un beau vers :

Le premier qui fut Roi fut un Soldat heureux[3].

On réfutait je ne sais quelle opinion de M… sur un ouvrage, en lui parlant du public qui en jugeait autrement. Le public qui en jugeait autrement. Le public, le public, dit-il ! combien faut-il de sots pour faire un public ?

M. d’Argenson disait à M. le Comte de Sébourg, qui était l’amant de sa femme : il y a deux places qui vous conviendraient également ; le gouvernement de la Bastille & celui des Invalides. Si je vous donne la Bastille, tout le monde dira que je vous y ai envoyé : si je vous donne les Invalides, on croira que c’est ma femme.

Il existe une médaille que M. le Prince de Condé m’a dit avoir possédée, & que je lui ai vu regretter. Cette médaille représente d’un côté Louis XIII, avec les mots ordinaires : Rex Franc. & Nav…[4] & de l’autre le Cardinal de Richelieu, avec ces mots autour : Nil sine Consilio[5].

M… ayant lu la lettre de St. Jérôme, où il peint avec la plus grande énergie, la violence de ses passions, disait : La force de ses tentations me fait plus d’envie que sa pénitence ne me fait peur.

M… disait : Les femmes n’ont de bon que ce qu’elles ont de meilleur.

Made. la Princesse de Marsan, maintenant si dévote, vivait autrefois avec M. de Bissy. Elle avait loué une petite maison, rue Plumet, où elle alla, tandis que M. de Bissy était avec des filles. Il lui fit refuser la porte ; les fruitières de la rue de Sève s’assemblèrent autour de son carosse, disant : c’est bien vilain de refuser la maison à la Princesse qui paye, pour y donner à souper à des filles de joie !

Un homme épris des charmes de l’état de prêtrise disait : quand je devrais être damné, il faut que je me fasse prêtre.

Un homme était en deuil, de la tête aux pieds ; grandes pleureuses, perruque noire, figure allongée. Un de ses amis l’aborde tristement. Eh ! Bon Dieu, qui est-ce donc que vous avez perdu ? Moi, dit-il, je n’ai rien perdu ; c’est que je suis veuf.

Madame de Bassompierre, vivant à la Cour du Roi Stanislas, était la maîtresse connue de M. de la Galaisière, Chancelier du Roi de Pologne. Le Roi alla un jour chez elle, & prit avec elle quelques libertés qui ne réussirent pas. Je me tais, dit Stanislas ; mon Chancelier vous dira le reste.

Autrefois on tirait le gâteau des Rois avant le repas. M. de Fontenelle fut Roi, & comme il négligeait de servir d’un excellent plat qu’il avait devant lui, on lui dit : le Roi oublie ses sujets. À quoi il répondit : voilà comme nous sommes, nous autres.

Quinze jours avant l’attentat de Damiens, un Négociant Provençal, passant dans une petite ville, à six lieues de Lyon, & étant à l’auberge, entendit dire dans une chambre qui n’était séparée de la sienne que par une cloison, qu’un nommé Damiens devait assassiner le Roi. Ce négociant venait à Paris : il alla se présenter chez M. Berrier, ne le trouva point, lui écrivit ce qu’il avait entendu, retourna voir M. Berrier, & lui dit qui il était. Il repartit pour sa Province : comme il était en route, arriva l’attentat de Damiens. M. Berrier qui comprit que ce Négociant conterait son histoire, & que cette négligence le perdrait, lui Berrier, envoie un Exempt de Police & des Gardes sur la route de Lyon ; on saisit l’homme, on le baillonne, on l’amène à Paris, on le met à la Bastille, où il est resté pendant 18 ans. M. de Malesherbes, qui en délivra plusieurs prisonniers en 1775, conta cette histoire dans le premier moment de son indignation.

Le Cardinal de Rohan qui a été arrêté pour dettes, dans son ambassade de Vienne, alla en qualité de grand Aumônier, délivrer des prisonniers du Châtelet, à l’occasion de la naissance du Dauphin. Un homme voyant un grand tumulte autour de la prison, en demanda la cause : on lui répondit que c’était pour M. le Cardinal de Rohan, qui, ce jour là, venait au Châtelet. Comment, dit-il naïvement, est-ce qu’il est arrêté ?

M. de Roquemont, dont la femme était très-galante, couchait une fois par mois dans la chambre de Madame, pour prévenir les mauvais propos si elle devenait grosse, & s’en allait en disant, me voilà net, arrive qui plante.

M. de… que des chagrins amers empêchaient de reprendre sa santé, me disait : qu’on me montre le fleuve d’Oubli, & je trouverai la fontaine de Jouvence.

Un jeune homme sensible, & portant l’honnêteté dans l’amour, était bafoué par des libertins, qui se moquaient de sa tournure sentimentale. Il leur répondit avec naïveté : est-ce ma faute à moi, si j’aime mieux les femmes que j’aime, que les femmes que je n’aime pas ?

On faisait une quête à l’Académie Française ; il manquait un écu de six francs ou un louis d’or : un des membres, connu par son avarice, fut soupçonné de n’avoir pas contribué. Il soutint qu’il avait mis : celui qui faisait la collecte, dit : je ne l’ai pas vu, je le crois. M. de Fontenelle termina la discussion, en disant : je l’ai vu moi ; mais je ne le crois pas.

L’Abbé Maury, allant chez le Cardinal de la Roche-Aimon, le rencontra, revenant de l’Assemblée du Clergé. Il lui trouva de l’humeur, & lui en demanda la raison. J’en ai de bien bonnes, dit le vieux Cardinal : on m’a engagé à présider cette assemblée du Clergé, où tout s’est passé on ne saurait plus mal. Il n’y a pas jusqu’à ces jeunes Agens du Clergé, cet abbé de la Luzerne, qui ne veulent pas se payer de mauvaises raisons.

L’Abbé Raynal, jeune et pauvre, accepta une Messe à dire tous les jours, pour 20 sols ; quand il fut plus riche, il la céda à l’Abbé De la Porte, en retenant 8 sols dessus : celui-ci devenu moins gueux, la sous-loua à l’Abbé Dinouart, en retenant 4 sols dessus, outre la portion de l’Abbé Raynal ; si bien que cette pauvre Messe, grevée de deux pensions, ne valait que 8 sols à l’Abbé Dinouart.

Un Évêque de St. Brieux, dans une Oraison funèbre de Marie-Thérèse, se tira d’affaire fort simplement sur le partage de la Pologne : la France, dit-il, n’ayant rien dit sur ce partage, je prendrai le parti de faire comme la France, & de n’en rien dire non plus.

Le Duc de Marlborough, étant à la tranchée, avec un de ses amis & un de ses neveux, un coup de canon fit sauter la cervelle à cet ami, & en couvrit le visage du jeune homme, qui recule avec effroi. Marlborough lui dit intrépidement : Eh ! quoi, Monsieur, vous paraissez étonné. Oui, dit le jeune homme, en s’essuyant la figure, je le suis qu’un homme qui a autant de cervelle, restât exposé gratuitement à un danger si inutile.

Made. la Duchesse du Maine, dont la santé allait mal, grondait son médecin, & lui disait : Était-ce la peine de m’imposer tant de privations, & de me faire vivre en mon particulier ? — Mais V. A. a maintenant 40 personnes au Château — Eh bien ! ne savez-vous pas que 40 ou 50 personnes sont le particulier d’une Princesse ?

Le Duc de Chartres[6], apprenant l’insulte faite à Made. la Duchesse de Bourbon, sa sœur, par M. le Comte d’Artois, dit : on est bien heureux de n’être ni père ni mari.

Un jour que l’on ne s’entendait pas dans une dispute, à l’Académie, M. de Mairan dit : Messieurs, si nous ne parlions que quatre à-la-fois.

Le Cte . de Mirabeau, très-laid de figure, mais plein d’esprit, ayant été mis en cause pour un prétendu rapt de séduction, fut lui-même son Avocat. Messieurs, dit-il, je suis accusé de séduction : pour toute réponse & pour toute défense, je demande que mon portrait soit mis au Greffe. Le Commissaire n’entendait pas ; bête, dit le Juge, regarde donc la figure de Monsieur.

M… me disait : c’est faute de pouvoir placer un sentiment vrai, que j’ai pris le parti de traiter l’amour comme tout le monde. Cette ressource a été mon pis aller, comme un homme qui, voulant aller au spectacle, & n’ayant pas trouvé de place à Iphigénie, s’en va aux Variétés Amusantes.

Made. de Brionne rompit avec le Cardinal de Rohan, à l’occasion du Duc de Choiseul, que le Cardinal voulait faire renvoyer. Il y eut entre eux une scène violente, que Made. de Brionne termina en menaçant de le faire jetter par la fenêtre. Je puis bien descendre, dit-il, par où je suis monté si souvent.

M. le Duc de Choiseul était du jeu de Louis XV, quand il fut exilé. M. de Chauvelin qui en était aussi, dit au Roi qu’il ne pouvait le continuer, parce que le Duc en était de moitié. Le Roi dit à M. de Chauvelin : Demandez-lui s’il veut continuer. M. de Chauvelin écrivit à Chanteloup : M. de Choiseul accepta. Au bout du mois, le Roi demanda si le partage des gains était fait. Oui, dit M. de Chauvelin, M. de Choiseul gagne trois mille louis. Ah ! j’en suis bien aise, dit le Roi, mandez-le lui bien vîte.

L’Amour, disait M…, devrait n’être le plaisir que des ames délicates. Quand je vois des hommes grossiers se mêler d’amour, je suis tenté de dire, de quoi vous mêlez-vous ? Du jeu, de la table, de l’ambition à cette canaille.

Ne me vantez point le caractère de N…, c’est un homme dur, inébranlable, appuyé sur une philosophie froide, comme une statue de bronze sur du marbre.

Savez-vous pourquoi, (me disait M. de…), on est plus honnête en France, dans la jeunesse, & jusqu’à trente ans, que passé cet âge ? C’est que ce n’est qu’après cet âge qu’on s’est détrompé ; que chez nous il faut être enclume ou marteau ; que l’on voit clairement que les maux dont gémit la nation, sont irrémédiables. Jusqu’alors, on avait ressemblé au chien qui défend le dîné de son maître contre les autres chiens. Après cette époque, on fait comme le même chien, qui en prend sa part avec les autres.

Madame de B…, ne pouvant malgré son grand crédit, rien faire pour M. de D…, son amant, homme par trop médiocre, l’a épousé. En fait d’amans, il n’est pas de ceux que l’on montre ; en fait de maris, on montre tout.

M. le Comte d’Orsay, fils d’un Fermier-Général, & si connu par sa manie d’être homme de qualité, se trouva avec M. de Choiseul-Gouffier, chez le Prévôt des Marchands. Celui-ci venait chez ce Magistrat, pour faire diminuer sa capitation, considérablement augmentée. L’autre y venait porter ses plaintes de ce qu’on avait diminué la sienne, & croyait que cette diminution supposait quelque atteinte portée à ses titres de Noblesse.

On disait de M. l’Abbé Arnaud, qui ne conte jamais : il parle beaucoup, non qu’il soit bavard, mais c’est qu’en parlant on ne conte pas.

M. d’Autrep disait de M. de Ximénès : c’est un homme qui aime mieux la pluie que le beau tems, & qui entendant chanter le Rossignol, dit : Ah ! la vilaine bête !

Le Czar Pierre Ier. étant à Spithead, voulut savoir ce que c’était que le châtiment de la calle qu’on inflige aux Matelots. Il ne se trouva pour lors aucun coupable. Pierre dit : qu’on prenne un de mes gens. Prince, lui répondit-on, vos gens sont en Angleterre, & par conséquent sous la protection des loix.

M. de Vaucanson s’était trouvé l’objet principal des attentions d’un Prince étranger, quoique M. de Voltaire fut présent. Embarrassé & honteux que ce Prince n’eût rien dit à Voltaire, il s’approche de ce dernier & lui dit : Le Prince vient de me dire telle chose. (Un compliment très-flatteur pour Voltaire.) Celui-ci vit bien que c’était une politesse de Vaucanson, & lui dit : Je reconnais tout votre talent dans la manière dont vous faites parler le Prince.

À l’époque de l’assassinat de Louis XV par Damiens, M. d’Argenson était en rupture ouverte avec Made. de Pompadour. Le lendemain de cette catastrophe, le Roi le fit venir pour lui donner l’ordre de renvoyer Mad e. de Pompadour. Il se conduisit en homme consommé dans l’art des cours. Sachant bien que la blessure du Roi n’était pas considérable, il crut que le Roi, après s’être rassuré, rappellerait Made. de Pompadour. En conséquence, il fit observer au Roi, qu’ayant eu le malheur de déplaire à la Reine, il serait barbare de lui faire porter cet ordre par une bouche ennemie, & il engagea le Roi à donner cette commission à M. de Machault, qui était des amis de Made. de Pompadour, & qui adoucirait cet ordre par toutes les consolations de l’amitié. Ce fut cette commission qui perdit M. de Machault. Mais ce même homme que cette conduite savante avait réconcilié avec Made. de Pompadour, fit une faute d’écolier, en abusant de sa victoire, & en la chargeant d’invectives, lorsque revenue à lui, elle allait mettre la France à ses pieds.

Lorsque Made. du Barry & le Duc d’Aiguillon firent renvoyer M. de Choiseul, les places que sa retraite laissait vacantes, n’étaient point encore données. Le Roi ne voulait point de M. d’Aiguillon pour ministre des affaires étrangères : M. le Prince de Condé portait M. de Vergennes, qu’il avait connu en sa Bourgogne ; Made. du Barry portait le Cardinal de Rohan, qui s’était attaché à elle. M. d’Aiguillon, alors son amant, voulut les écarter l’un & l’autre, & c’est ce qui fit donner l’ambassade de Suède à M. de Vergennes, alors oublié & retiré dans ses terres, & l’ambassade de Vienne, au Cardinal de Rohan, alors le Prince Louis.

Mes idées, mes principes, disait M… ne conviennent pas à tout le monde : c’est comme les poudres d’Ailhaut & certaines drogues qui ont fait grand tort à des tempéramens faibles, & ont été très-profitables à des gens robustes. Il donnait cette raison pour se dispenser de se lier avec M. de J., jeune homme de la cour, avec qui on voulait le mettre en liaison.

J’ai vu M. de Foncemagne jouir dans sa vieillesse d’une grande considération. Cependant ayant eu occasion de soupçonner un moment sa droiture, je demandai à M. Saurin, s’il l’avait connu particulièrement. Il me répondit qu’oui. J’insistai pour savoir s’il n’avait jamais rien eu contre lui. M. Saurin, après un moment de réflexion, me répondit : il y a long-tems qu’il est honnête homme. Je ne pus en tirer rien de positif, sinon qu’autrefois M. de Foncemagne avait tenu une conduite oblique & rusée dans plusieurs affaires d’intérêt.

M. d’Argenson apprenant à la bataille de Raucoux, qu’un valet d’armée avait été blessé d’un coup de canon derrière l’endroit où il était lui-même avec le Roi, disait : ce Drôle-là ne nous fera pas l’honneur d’en mourir.

Dans les malheurs de la fin du règne de Louis XIV, après la perte des batailles de Turin, d’Oudenarde, de Malplaquet, de Ramillies, d’Hochstet, les plus honnêtes gens de la cour disaient : Au moins le Roi se porte bien, c’est le principal.

Quand M. le Comte d’Estaing, après sa campagne de la Grenade, vint faire sa cour à la Reine, pour la première fois, il arriva porté sur ses béquilles, & accompagné de plusieurs officiers, blessés comme lui, la Reine ne sut lui dire autre chose, sinon : M. le Comte, avez-vous été content du petit Laborde ?

Je n’ai vu dans le monde, disait M…, que des dîners sans digestion, des soupers sans plaisirs, des conversations sans confiance, des liaisons sans amitié, & des coucheries sans amour.

Le Curé de St. Sulpice étant allé voir Made. de Mazarin, pendant sa dernière maladie pour lui faire quelques petites exhortations, elle lui dit en l’appercevant. Ah ! M. le Curé, je suis enchantée de vous voir, j’ai à vous dire que le beurre de l’enfant Jésus n’est plus à beaucoup près si bon : c’est à vous d’y mettre ordre puisque l’enfant Jésus est une dépendance de votre église.

Je disais à M. R…, misanthrope plaisant qui m’avait présenté un jeune homme de sa connaissance : votre ami n’a aucun usage du monde, ne sait rien de rien. Oui, dit-il ; & il est déjà triste comme s’il savait tout.

M… disait qu’un esprit sage, pénétrant et qui verrait la Société telle qu’elle est, ne trouverait partout que de l’amertume. Il faut absolument diriger sa vue vers le côté plaisant, & s’accoutumer à ne regarder l’homme que comme un pantin, & la Société comme la planche sur laquelle il saute. Dès-lors, tout Change : l’esprit des différens états, la vanité particulière à chacun d’eux, ses différentes nuances dans les individus, les friponneries, &c. tout devient divertissant, & on conserve sa santé.

Ce n’est qu’avec beaucoup de peine disait M… qu’un homme de mérite se soutient dans le monde sans l’appui d’un nom, d’un rang, d’une fortune : l’homme qui a ces avantages y est au contraire soutenu comme malgré lui-même. Il y a entre ces deux hommes la différence qu’il y a du Scaphandre au Nageur.

M… me disait : J’ai renoncé à l’amitié de deux hommes, l’un parce qu’il ne m’a jamais parlé de lui, l’autre parce qu’il ne m’a jamais parlé de moi.

On demandait au même pourquoi les Gouverneurs de Province avaient plus de faste que le Roi ; c’est, dit-il, que les Comédiens de campagne chargent plus que ceux de Paris.

Un Prédicateur de la Ligue avait pris pour texte de son sermon : Eripe nos, Domine, à luto fæcis[7], qu’il traduisait ainsi : Seigneur, débourbonnez-nous.

M…, Intendant de Province, homme fort ridicule, avait plusieurs personnes dans son sallon, tandis qu’il était dans son cabinet dont la porte était ouverte. Il prend un air affairé, & tenant des papiers à la main, il dicte gravement à son Secrétaire : Louis par la grâce de Dieu, Roi de France & de Navarre. À tous ceux qui ces présentes Lettres verront, (verront un t à la fin). Salut. Le reste est de forme, dit-il, en remettant les papiers, & il passe dans la salle d’audience pour livrer au public le grand homme occupé de tant de grandes affaires.

M. de Montesquiou priait M. de Maurepas de s’intéresser à la prompte décision de son affaire & de ces prétentions sur le nom de Fezenzac. M. de Maurepas lui dit : Rien ne presse : M. le Comte d’Artois a des enfans. C’était avant la naissance du Dauphin.

Le Régent envoya demander au Président Dalon, la démission de sa place de premier Président du Parlement de Bordeaux. Celui-ci répondit qu’on ne pouvait lui ôter sa place sans lui faire son procès. Le Régent ayant reçu la lettre, mit au bas : Qu’à cela ne tienne, & la renvoya pour réponse. Le Président, connaissant le Prince auquel il avait à faire, envoya sa démission.

Un homme de lettres menait de front un Poëme & une affaire d’où dépendait sa fortune. On lui demandait comment allait son poëme. Demandez-moi plutôt, dit-il, comment va mon affaire. Je ne ressemble pas mal à ce Gentilhomme, qui ayant une affaire criminelle laissait croître sa barbe, ne voulant pas, disait-il, la faire faire, avant de savoir si sa tête lui appartiendrait. Avant d’être immortel, je veux savoir si je vivrai.

M. de La Reynière, obligé de choisir entre la place d’Administrateur des Postes & celle de Fermier-Général, après avoir possédé ces deux places, dans lesquelles il avait été maintenu par le crédit des grands Seigneurs qui soupaient chez lui, se plaignit à eux de l’alternative qu’on lui proposait & qui diminuait de beaucoup son revenu. Un d’eux lui dit naïvement : Eh ! mon Dieu, cela ne fait pas une grande différence dans votre fortune. C’est un million à mettre à fond perdu ; & nous n’en viendrons pas moins souper chez vous.

M…, Provençal, qui a des idées assez plaisantes, me disait à propos de Rois & même de Ministres, que la machine étant bien montée, le choix des uns & des autres était indifférent. Ce sont, disait-il, des chiens dans un tourne-broche : il suffit qu’ils remuent les pattes pour que tout aille bien. Que le chien soit beau, qu’il ait de l’intelligence, ou du nez, ou rien de tout cela, la broche tourne & le soupé sera toujours à-peu-près bon.

On faisait une procession avec la châsse de Ste . Geneviève, pour obtenir de la sécheresse. À peine la procession fut-elle en route, qu’il commença à pleuvoir ; sur quoi l’Évêque de Castres dit plaisamment : La Sainte se trompe ; elle croit qu’on lui demande de la pluie.

Au ton qui règne depuis dix ans dans la littérature, disait M..., la célébrité littéraire me paraît une espèce de diffamation qui n’a pas encore tout-à-fait autant de mauvais effets que le carcan, mais cela viendra.

On venait de citer quelques traits de la gourmandise de plusieurs Souverains. Que voulez-vous, dit le bon-homme M. de Bréquigny, que voulez-vous que fassent ces pauvres Rois ? il faut bien qu’ils mangent.

On demandait à une Duchesse de Rohan, à quelle époque elle comptait accoucher. Je me flatte, dit-elle, d’avoir cet honneur dans deux mois. L’honneur était d’accoucher d’un Rohan.

Un plaisant, ayant vu exécuter en ballet, à l’Opéra, le fameux Qu’il mourût de Corneille[8], pria Noverre de faire danser les Maximes de La Rochefoucauld.

M. de Malesherbes disait à M. de Maurepas qu’il fallait engager le Roi à aller voir la Bastille. Il faut bien s’en garder, lui répondit M. de Maurepas ; il ne voudrait plus y faire mettre personne.

Pendant un siège, un porteur d’eau criait dans la ville : à 6 sols, la voie d’eau. Une bombe vient & emporte un de ses seaux. À douze sols le seau d’eau, s’écrie le porteur, sans s’étonner.

L’Abbé de Molière était un homme simple & pauvre, étranger à tout, hors à ses travaux sur le systême de Descartes ; il n’avait point de valet & travaillait dans son lit, faute de bois, sa culotte sur sa tête, par dessus son bonnet, les deux côtés pendant à droite & à gauche. Un matin, il entend frapper à sa porte. — Qui va là ? — Ouvrez. — Il tire un cordon & la porte s’ouvre, l’Abbé de Molière ne regardant point. — Qui êtes-vous ? — Donnez-moi de l’argent. — De l’argent ? — Oui, de l’argent. — Ah, j’entends, vous êtes un Voleur. — Voleur ou non, il me faut de l’argent. — Vraiment oui, il vous en faut ! Eh bien ! cherchez là-dedans, (il tend le cou, & présente un des côtés de la culotte) : le voleur fouille. Eh bien ! il n’y a point d’argent. — Vraiment non, mais il y a ma clé. — Eh bien, cette clé. — Cette clé, prenez-la. — Je la tiens. Allez-vous-en à ce secrétaire : ouvrez. — Le voleur met la clé à un autre tiroir. — Laissez donc : ne dérangez pas : ce sont mes papiers. Ventrebleu, finirez-vous ? ce sont mes papiers : à l’autre tiroir, vous trouverez de l’argent — Le voilà. — Eh bien, prenez. Fermez donc le tiroir. Le Voleur s’enfuit. — M. le Voleur, fermez donc la porte. Morbleu ! il laisse la porte ouverte ! — quel chien de Voleur ! Il faut que je me lève par le froid qu’il fait : maudit Voleur ! L’Abbé saute en pied, va fermer la porte, et revient se remettre à son travail.

M…, à propos des 6000 ans que Moyse donne, disait, en considérant la lenteur des progrès des arts, & l’état actuel de la civilisation, que veut-il qu’on fasse de ses 6000 ans ? il en a fallu plus que cela pour savoir battre le briquet, & pour inventer les allumettes.

La Comtesse de Boufflers disait au Prince de Conti, qu’il était le meilleur des tyrans.

Made. de Montmorin disait à son fils : Vous entrez dans le monde, je n’ai qu’un conseil à vous donner, c’est d’être amoureux de toutes les femmes.

Une femme disait à M… qu’elle le soupçonnait de n’avoir jamais perdu terre avec les femmes. Jamais, lui dit-il, si ce n’est dans le Ciel. En effet son amour s’accroissait toujours par la jouissance, après avoir commencé assez tranquillement.

Du tems de M. de Machault, on présenta au Roi le projet d’une cour plénière, telle qu’on a voulu l’exécuter depuis. Tout fut réglé entre le Roi, Made. de Pompadour & les Ministres. On dicta au Roi les réponses qu’il ferait au premier Président : tout fut expliqué dans un mémoire dans lequel on disait : Ici, le Roi prendra un air sévère ; ici, le front du Roi s’adoucira ; ici, le Roi fera tel geste, &c. Le mémoire existe.

Il faut, disait M…, flatter l’intérêt ou effrayer l’amour-propre des hommes : ce sont des singes qui ne sautent que pour des noix, ou bien dans la crainte du coup de fouet.

Made. de Créqui parlant à la Duchesse de Chaulnes de son mariage avec M. de Giac, après les suites désagréables qu’il a eues, lui dit qu’elle aurait dû les prévoir, & insista sur la distance des âges. Madame, lui dit Made. de Giac, apprenez qu’une femme de la Cour n’est jamais vieille, & qu’un homme de robe est toujours vieux.

M. de St. Julien, le père, ayant ordonné à son fils de lui donner la liste de ses dettes, celui-ci mit à la tête de son bilan, 60 mille livres pour une charge de Conseiller au Parlement de Bordeaux. Le père indigné, crut que c’était une raillerie, & lui en fit des reproches amers. Le fils soutint qu’il avait payé cette charge. C’était, dit-il, lorsque je fis connaissance avec Made. Tilaurier. Elle souhaitait d’avoir une charge de Conseiller au Parlement de Bordeaux, pour son mari ; & jamais, sans cela, elle n’aurait eu d’amitié pour moi ; j’ai payé la place, & vous voyez, mon père, qu’il n’y a pas de quoi être en colère contre moi, & que je ne suis pas un mauvais plaisant.

Le Comte d’Argenson, homme d’esprit, mais dépravé, & se jouant de sa propre honte, disait : Mes ennemis ont beau faire, ils ne me culbuteront pas. Il n’y a ici personne plus valet que moi.

M. de Boulainvilliers, homme sans esprit, très-vain, & fier d’un cordon bleu par charge, disait à un homme, en mettant ce cordon, pour lequel il avait acheté une place de 50 mille écus : Ne seriez-vous pas bien aise d’avoir un pareil ornement ? Non, dit l’autre, mais je voudrais avoir ce qu’il vous coûte.

Le Marquis de Chatelux, amoureux comme à vingt ans, ayant vu sa femme occupée pendant tout un dîner d’un étranger, jeune & beau, l’aborda au sortir de table & lui adressait d’humbles reproches : le Marquis de Genlis lui dit : Passez, passez. Bon-homme, on vous a donné. (Formule usitée envers les pauvres qui redemandent l’aumône.)

M…, connu par son usage du monde, me disait que ce qui l’avait le plus formé c’était d’avoir su coucher, dans l’occasion, avec des femmes de 40 ans, & écouter des vieillards de 80.

M… disait que de courir après la fortune avec de l’ennui, des soins, des assiduités auprès des Grands, en négligeant la culture de son esprit & de son ame, c’est pêcher au goujon avec un hameçon.

Le Duc de Choiseul & le Duc de Praslin avaient eu une dispute pour savoir lequel était le plus bête du Roi ou de M. de la Vrillière ; le Duc de Praslin soutenait que c’était M. de la Vrillière ; l’autre, en fidèle sujet, pariait pour le Roi. Un jour, au Conseil, le Roi dit une grosse bêtise. Eh bien ! M. de Praslin, dit le Duc de Choiseul, qu’en pensez-vous ?

M. de Buffon s’environne de flatteurs & de sots, qui le louent sans pudeur. Un homme avait dîné chez lui avec l’Abbé Leblanc, M. de Juvigny & deux autres hommes de cette force. Le soir, il dit à soupé qu’il avait vu dans le cœur de Paris, quatre huîtres attachées à un rocher. On chercha long-tems le sens de cette énigme dont il donna enfin le mot.

Pendant la dernière maladie de Louis XV, qui dès les premiers jours se présenta comme mortelle, Lorry qui fut mandé avec Bordeu, employa, dans le détail des conseils qu’il donnait, le mot, il faut. Le Roi, choqué de ce mot, répétait tout bas, & d’une voix mourante : Il faut, il faut !

M. de Calonne, au moment où il fut renvoyé, apprit qu’on offrait sa place à M. de Fourqueux, mais que celui-ci balançait à l’accepter. Je voudrais qu’il la prît, dit l’ex-Ministre : il était ami de M. Turgot, il entrerait dans mes plans. Cela est vrai, dit Dupont, lequel était fort ami de M. de Fourqueux ; & il s’offrit pour aller l’engager à accepter la place. M. de Calonne l’y envoie. Dupont revient une heure après, criant ; victoire ! victoire ! nous le tenons, il accepte. M. de Calonne pensa crever de rire.

L’Archevêque de Toulouse a fait avoir à M. de Cadignan 40,000 livres de gratification pour les services qu’il avait rendus à la Province. Le plus grand était d’avoir eu sa mère, vieille & laide, Made. de Loménie.

Cailhava qui, pendant toute la révolution, ne songeait qu’aux sujets de plaintes des Auteurs contre les Comédiens, se plaignait à un homme de Lettres, lié avec plusieurs membres de l’Assemblée Nationale, que le Décret n’arrivait pas. Celui-ci lui dit : Mais pensez-vous qu’il ne s’agisse ici que de représentations d’ouvrages dramatiques ? Non, répondit Cailhava, je sais bien qu’il s’agit aussi d’impression.

Quelque tems avant que Louis XV fût arrangé avec Made. de Pompadour, elle courait après lui aux chasses. Le Roi eut la complaisance d’envoyer à M. d’Étioles une ramure de cerf. Celui-ci la fit mettre dans sa salle à manger, avec ces mots : Présent fait par le Roi à M. d’Étioles.

Made. de Genlis vivait avec M. de Senevoi. Un jour qu’elle avait son mari à sa toilette, un soldat arrive, & lui demande sa protection auprès de M. de Senevoi, son colonel, auquel il demandait un congé. Made. de Genlis se fâche contre cet impertinent ; dit qu’elle ne connaît M. de Senevoi que comme tout le monde, en un mot, refuse. M. de Genlis retient le soldat, & lui dit : Va demander ton congé en mon nom ; & à Senevoi te le refuse, dis-lui que je lui ferai donner le sien.

M… débitait souvent des maximes de roué, en fait d’amour ; mais, dans le fond, il était pour les passions. Aussi quelqu’un disait-il de lui : Il a fait semblant d’être mal-honnête, afin que les femmes ne le rebutent pas.

M. de Richelieu disait, au sujet du siège de Mahon par M. le Duc de Grillon : J’ai pris Mahon par une étourderie ; &, dans ce genre, M. de Crillon paraît en savoir plus que moi.

À la bataille de Raucoux ou de Lawfeld, le jeune M. de Thianges eut son cheval tué sous lui, & lui-même fut jeté fort loin. Cependant il n’en fut point blessé. Le Maréchal de Saxe lui dit : Petit Thianges, tu as eu une belle peur. Oui, M. le Maréchal, dit celui-ci, j’ai craint que vous ne fussiez blessé.

Voltaire disait, à propos de l’Anti-Machiavel du Roi de Prusse : Il crache au plat pour en dégoûter les autres.

On faisait compliment à Made. Denis de la façon dont elle venait de jouer Zaïre. Il faudrait, dit-elle, être belle & jeune. Ah ! Madame, reprit le complimenteur naïvement, vous êtes bien la preuve du contraire.

M. Poissonnier le médecin, après son retour de Russie, alla à Ferney, & parlant à M. de Voltaire de tout ce qu’il avait dit de faux & d’exagéré sur ce pays-là : Mon ami, répondit naïvement Voltaire, au lieu de s’amuser à contredire, ils m’ont donné de bonnes pelisses, & je suis très-frileux.

Made. de Tencin disait que les gens d’esprit faisaient beaucoup de fautes en conduite, parce qu’ils ne croyaient jamais le monde assez bête, aussi bête qu’il l’est.

Une femme avait un procès au Parlement de Dijon. Elle vint à Paris, sollicita M. le Garde des Sceaux (1784) de vouloir bien écrire, en sa faveur, un mot qui lui faisait gagner un procès très-juste. Le Garde des Sceaux la refusa. La Comtesse de Talleyrand prenait intérêt à cette femme. Elle en parla au Garde des Sceaux ; nouveau refus. Made. de Talleyrand se souvint que le Garde des Sceaux caressait beaucoup l’abbé de Périgord, son fils. Elle fit écrire par lui ; refus très-bien tourné. Cette femme désespérée résolut de faire une tentative, & d’aller à Versailles. Le lendemain, elle part. L’incommodité de la voiture publique l’engage à descendre à Sèvres, & à faire le reste de la route à pied. Un homme lui offre de la mener par un chemin plus agréable & qui abrège. Elle accepte, & lui conte son histoire. Cet homme lui dit : Vous aurez demain ce que vous demandez. Elle le regarde, & reste confondue. Elle va chez le Garde des Sceaux, est refusée encore, veut partir. L’homme l’engage à coucher à Versailles, & le lendemain matin, lui apporte le papier qu’elle demandait. C’était un Commis d’un Commis, nommé M. Étienne.

Le Duc de la Vallière voyant, à l’Opéra, la petite Lacour sans diamans, s’approche d’elle, & lui demande comment cela se fait, C’est, lui dit-elle, que les diamans sont la Croix de St.-Louis de notre état. Sur ce mot, il devint amoureux fou d’elle. Il a vécu avec elle long-tems : elle le subjuguait par les mêmes moyens qui réussirent à Madame du Barry près de Louis XV. Elle lui ôtait son cordon bleu, le mettait à terre, & lui disait : mets-toi à genoux là-dessus, vieille Ducaille.

Un joueur fameux, nommé Sablière, venait d’être arrêté. Il était au désespoir, & disait à Beaumarchais qui voulait l’empêcher de se tuer : Moi, arrêté pour deux cents louis, abandonné par tous mes amis ! C’est moi qui les ai formés, qui leur ai appris à friponner ; sans moi, que serait B. D. N. ? (ils vivent tous). Enfin, Monsieur, jugez de l’excès de mon avilissement ; pour vivre, je suis espion de police.

Un Banquier Anglais, nommé Ser ou Sair, fut accusé d’avoir fait une conspiration pour enlever le Roi (George iii) & le transporter à Philadelphie. Amené devant ses Juges, il leur dit : Je sais très-bien ce qu’un Roi peut faire d’un Banquier, mais j’ignore ce qu’un Banquier peut faire d’un Roi.

On disait au satirique Anglais Donne : Tonnez sur les vices, mais ménagez les vicieux. Comment, dit-il, condamner les cartes, & pardonner aux escrocs ?

On demandait à M. de Lauzun ce qu’il répondrait à sa femme (qu’il n’avait pas vue depuis dix ans), si elle lui écrivait : Je viens de découvrir que je suis grosse. Il réfléchit, & répondit : Je lui écrirais, je suis charmé d’apprendre que le Ciel ait enfin béni notre union. Soignez votre santé ; j’irai vous faire ma cour ce soir.

Made. de H… me racontait la mort de M. le Duc d’Aumont. Cela a tourné bien court, disait-elle ; deux jours auparavant, M. Bouvard lui avait permis de manger ; & le jour même de sa mort, deux heures avant la récidive de sa paralysie, il était, comme à trente ans, comme il avait été toute sa vie : il avait demandé son perroquet, avait dit : Brossez ce fauteuil, voyons mes deux broderies nouvelles ; enfin, toute sa tête, ses idées comme à l’ordinaire.

M… qui après avoir connu le monde, prit le parti de la solitude, disait pour ses raisons, qu’après avoir examiné les conventions de la société dans le rapport qu’il y a de l’homme de qualité à l’homme vulgaire, il avait trouvé que c’était un marché d’imbécile & de dupe. J’ai ressemblé, ajoutait-il, à un grand joueur d’échecs, qui se lasse de jouer avec des gens auxquels il faut donner la Dame. On joue divinement, on se casse la tête, & on finit par gagner un petit écu.

Un Courtisan disait, à la mort de Louis XIV : Après la mort du Roi, on peut tout croire.

J. J. Rousseau passe pour avoir eu Made. la Comtesse de Boufflers, & même (qu’on me passe ce terme), pour l’avoir manquée, ce qui leur donna beaucoup d’humeur l’un contre l’autre. Un jour on disait devant eux que l’amour du genre humain éteignait l’amour de la Patrie. Pour moi, dit-elle, je sais, par mon exemple, & je sens que cela n’est pas vrai ; je suis très-bonne Française, & je ne m’intéresse pas moins au bonheur de tous les Peuples. Oui, je vous entends, dit Rousseau, vous êtes Française par votre buste, & Cosmopolite du reste de votre personne.

La Maréchale de Noailles, actuellement vivante (1780), est une mystique, comme Made. Guyon, à l’esprit près. Sa tête s’était montée au point d’écrire à la Vierge. Sa lettre fut mise dans le tronc de l’Église St.-Roch, & la réponse à cette lettre fut faite par un Prêtre de cette Paroisse. Ce manège dura long-tems. Le Prêtre fut découvert & inquiété, mais on assoupit cette affaire.

Un jeune homme avait offensé le complaisant d’un Ministre. Un ami, témoin de la scène, lui dit, après le départ de l’offensé : Apprenez qu’il vaudrait mieux avoir offensé le Ministre même que l’homme qui le suit sans sa garde-robe.

Une des Maîtresses de M. le Régent lui ayant parlé d’affaires dans un rendez-vous, il parut l’écouter avec attention. Croyez-vous, lui répondit-il, que le Chancelier soit une bonne jouissance ?

M. de… qui avait vécu avec des Princesses d’Allemagne, me disait : Croyez-vous que M. de L… ait Madame de S… ? Je lui répondis : Il n’en a pas même la prétention. Il se donne pour ce qu’il est, pour un libertin, un homme qui aime les filles par-dessus tout. Jeune homme, me répondit-il, n’en soyez pas la dupe ; c’est avec cela que l’on a des Reines.

M. de Stainville, Lieutenant-Général, venait de faire enfermer sa femme. M. de Vaubecourt, Maréchal-de-Camp, sollicitait un ordre pour faire enfermer la sienne. Il venait d’obtenir l’ordre, & sortait de chez le Ministre avec un air triomphant. M. de Stainville, qui crut qu’il venait d’être nommé Lieutenant-Général, lui dit devant beaucoup de monde : Je vous félicite, vous êtes sûrement des nôtres.

L’Écluse, celui qui a été à la tête des Variétés Amusantes, racontait que, tout jeune & sans fortune, il arriva à Lunéville, où il obtint la place de Dentiste du Roi Stanislas, précisément le jour où le Roi perdit sa dernière dent[9].

On assure que Madame de Montpensier, ayant été quelquefois obligée, pendant l’absence de ses Dames, de se faire remettre un soulier par quelqu’un de ses Pages, lui demandait s’il n’avait pas eu quelque tentation. Le Page répondait qu’oui. La Princesse, trop honnête pour profiter de cet aveu, leur donnait quelques louis pour les mettre en état d’aller chez quelque fille perdre la tentation dont elle était la cause.

M. de Marville disait qu’il ne pouvait y avoir d’honnête homme à la Police, que le Lieutenant-de-Police tout au plus.

Quand le Duc de Choiseul était content d’un Maître-de-poste, par lequel il avait été bien mené, ou dont les enfans étaient jolis, il lui disait : Combien paie-t-on ? Est-ce poste ou poste & demie, de votre demeure à tel endroit ? — Poste, Monseigneur. — Eh bien, il y aura désormais poste & demie. La fortune du Maître-de-Poste était faite.

Made. de Prie, maîtresse du Régent, dirigée par son père, un traitant, nommé, je crois, Pléneuf, avait fait un accaparement de blé, qui avait mis le Peuple au désespoir, & enfin causé un soulèvement. Une compagnie de mousquetaires reçut ordre d’aller appaiser le tumulte ; & leur chef, M. d’Avejan[10], avait dans ses instructions de tirer sur la canaille, c’est ainsi qu’on désignait le Peuple en France. Cet honnête homme se fit une peine de faire feu sur ses concitoyens, & voici comme il s’y prit pour remplir sa commission. Il fit faire tous les apprêts d’une salve de mousqueterie ; & avant de dire, tirez, il s’avança vers la foule, tenant d’une main son chapeau, & de l’autre l’ordre de la Cour. Messieurs, dit-il, mes ordres portent de tirer sur la canaille. Je prie tous les honnêtes gens de se retirer avant que j’ordonne de faire feu. Tout s’enfuit & disparut.

C’est un fait connu que la lettre du Roi, envoyée à M. de Maurepas, avait été écrite pour M. de Machault. On sait quel intérêt particulier fit changer cette disposition ; mais ce qu’on ne sait point, c’est que M. de Maurepas escamota, pour ainsi dire, la place qu’on croit qui lui avait été offerte. Le Roi ne voulait que causer avec lui ; & à la fin de la conversation, M. de Maurepas lui dit : Je développerai mes idées demain au conseil. On assure aussi que, dans cette même conversation, il avait dit au Roi : V. M. me fait donc premier ministre. Non, dit le Roi, ce n’est point du tout mon intention. J’entends, dit M. de Maurepas, V. M. veut que je lui apprenne à s’en passer.

On disputait chez Made. de Luxembourg sur ce vers de l’Abbé Delille :

Et ces deux grands débris se consolaient entre eux[11].


On annonce le Bailli de Breteuil & Made. de La Reynière. Le vers est bon, dit la Maréchale.

M… m’ayant développé ses principes sur la société, sur le gouvernement, sa manière de voir les hommes & les choses, qui me sembla triste & affligeante, je lui en fis la remarque, & j’ajoutai qu’il devait être malheureux : il me répondit qu’en effet il l’avait été assez long-tems, mais que ces mêmes idées n’avaient plus rien d’effrayant pour lui. Je ressemble, continua-t-il, aux Spartiates à qui l’on donnait pour lit des joncs épineux, dont il ne leur était permis de briser les épines qu’avec leur corps, opération après laquelle leur lit leur paraissait très-supportable.

Un homme de qualité se marie, sans aimer sa femme, prend une fille d’Opéra qu’il quitte en disant : C’est comme ma femme ; prend une femme honnête pour varier, & quitte celle-ci en disant : C’est comme une telle ; ainsi de suite.

Des jeunes gens de la Cour soupaient chez M. de Conflans. On débute par une chanson libre, mais sans excès d’indécence. M. de Fronsac[12], sur le champ se met à chanter des couplets abominables qui étonnèrent même la bande joyeuse. M. de Conflans interrompt le silence universel en disant : Que diable ! Fronsac, il y a dix bouteilles de vin de Champagne entre cette chanson & la première.

Made. du Deffand, étant petite fille, & au couvent, prêchait l’irréligion à ses petites camarades. L’Abbesse fit venir Massillon, à qui la petite exposa ses raisons. Massillon se retira, en disant : Elle est charmante. L’Abbesse, qui mettait de l’importance à tout cela, demanda à l’Évêque quel livre il fallait faire lire à cette enfant. Il réfléchit une minute, & il répondit : un catéchisme de 5 sols ; on ne peut en tirer autre chose.

L’Abbé Baudeau disait de M. Turgot, que c’était un instrument d’une trempe excellente, mais qui n’avait pas de manche.

Le Prétendant, retiré à Rome, vieux & tourmenté de la goutte, criait dans ses accès : Pauvre Roi ! pauvre Roi ! Un Français voyageur qui allait souvent chez lui, lui dit qu’il s’étonnait de n’y pas voir d’Anglais. Je sais pourquoi, répondit-il. Ils s’imaginent que je me ressouviens de ce qui s’est passé. Je les verrais encore avec plaisir. J’aime mes sujets, moi.

M. de Barbançon qui avait été très-beau, possédait un très-joli jardin que Made. la Duchesse de la Vallière alla voir. Le propriétaire, alors très-vieux & très-goutteux, lui dit qu’il avait été amoureux d’elle à la folie. Made. de la Vallière lui répondit : Hélas ! mon Dieu, que ne parliez-vous ? vous m’auriez eue comme les autres.

L’Abbé Fraguier perdit un procès qui avait duré 20 ans. On lui faisait remarquer toutes les peines que lui avait causées un procès qu’il avait fini par perdre. Oh ! dit-il, je l’ai gagné tous les soirs, pendant 20 ans. Ce mot est très-philosophique, & peut s’appliquer à tout. Il explique comment on aime la coquette. Elle vous fait gagner votre procès pendant six mois, pour un jour où elle vous le fait perdre.

Made. du Barry, étant à Louveciennes, eut la fantaisie de voir le Val, maison de M. de Beauvau. Elle fit demander à celui-ci si cela ne déplairait pas à Made. de Beauvau. Made. de Beauvau crut plaisant de s’y trouver & d’en faire les honneurs. On parla de ce qui s’était passé sous Louis XV, Made. du Barry se plaignit de différentes choses qui semblaient faire voir qu’on haïssait sa personne. Point du tout, dit Made. de Beauvau, nous n’en voulions qu’à votre place. Après cet aveu naïf, on demanda à Made. du Barry si Louis XV ne disait pas beaucoup de mal d’elle (Made. de Beauvau), & de Made. de Grammont. — Oh ! beaucoup. — Eh bien ! quel mal, de moi, par exemple ? — De vous, Madame, que vous étiez hautaine, intrigante ; que vous meniez votre mari par le nez. M. de Beauvau était présent : on se hâta de changer de conversation.

M. de Maurepas & M. de Saint-Florentin, tous deux Ministres, dans le tems de Made. de Pompadour, firent un jour, par plaisanterie, la répétition du compliment de renvoi qu’ils prévoyaient que l’un ferait un jour à l’autre. Quinze jours après cette facétie, M. de Maurepas entre un jour chez M. de Saint-Florentin, prend un air triste & grave, & vient demander sa démission. M. de Saint-Florentin paraissait en être la dupe, lors qu’il fut rassuré par un éclat de rire de M. de Maurepas. Trois semaines après, arriva le tour de celui-ci, mais sérieusement. M. de Saint-Florentin entre chez lui, & se rappellant le commencement de la harangue de M. de Maurepas, le jour de sa facétie, il répéta ses propres mots. M. de Maurepas crut d’abord que c’était une plaisanterie ; mais voyant que l’autre parlait tout de bon, allons, dit-il, je vois bien que vous ne me persiflez pas. Vous êtes un honnête homme. Je vais vous donner ma démission.

L’Abbé Maury, tâchant de faire conter à l’Abbé Boismont, vieux & paralytique, les détails de sa jeunesse & de sa vie ; l’Abbé, lui dit celui-ci, vous me prenez mesure ; indiquant qu’il cherchait des matériaux pour son éloge à l’Académie.

D’Alembert se trouva chez Voltaire avec un célèbre Professeur de droit à Genève. Celui-ci admirant l’universalité de Voltaire, dit à d’Alembert : il n’y a qu’en droit public que je le trouve un peu faible. Et moi, dit d’Alembert, je ne le trouve un peu faible qu’en Géométrie.

Madame de Maurepas avait de l’amitié pour le Comte Lowendal (fils du Maréchal), & celui-ci, à son retour de Saint-Domingue, bien fatigué du voyage, descendit chez elle. Ah ! vous voilà, cher Comte, dit-elle, vous arrivez bien à propos, il nous manque un danseur ; & vous nous êtes nécessaire. Celui-ci n’eut que le tems de faire une courte toilette & dansa.

Le Comte de Saint-Priest, envoyé en Hollande, est retenu à Anvers, huit ou quinze jours, après lesquels il est revenu à Paris ; il a eu pour son voyage, 80,000 livres, dans le moment même où l’on multipliait les suppressions de places, d’emplois, de pensions, &c.

Le Vicomte de Saint-Priest, Intendant de Languedoc, pendant quelque tems, voulut se retirer, & demanda à M. de Calonne une pension de 10, 000 livres. Que voulez-vous faire de 10, 000 livres, dit celui-ci ? & il fit porter la pension à 20, 000. Elle est du petit nombre de celles qui ont été respectées à l’époque du retranchement des pensions par l’Archevêque de Toulouse, qui avait fait plusieurs parties de filles avec le Vicomte de Saint-Priest.

M… disait, à propos de Made. de… : j’ai cru qu’elle me demandait un fou, & j’étais près de le lui donner ; mais elle me demandait un sot, & je le lui ai refusé net.

M… disait, à propos de sottises ministérielles & ridicules : Sans le gouvernement, on ne rirait plus en France.

En France, disait M…, il faut purger l’humeur mélancolique & l’esprit patriotique. Ce sont deux maladies contre nature, dans le pays qui se trouve entre le Rhin & les Pyrénées ; & quand un Français se trouve atteint de l’un de ces deux maux, il y a tout à craindre pour lui.

Il a plu un moment à Made. la Duchesse de Gramont de dire que M. de Liancourt avait autant d’esprit que M. de Lauzun. M. de Créquy rencontre celui-ci & lui dit : tu dînes aujourd’hui chez moi. — Mon ami, cela m’est impossible. — Il le faut ; & d’ailleurs tu y es intéressé. — Comment ? — Liancourt y dîne : on lui donne ton esprit ; il ne s’en sert point, il te le rendra.

On disait de J. J. Rousseau, c’est un hibou. Oui, dit quelqu’un, mais c’est celui de Minerve ; & quand je sors du Devin du Village, j’ajouterais, déniché par les grâces.

Deux femmes de la Cour passant sur le Pont-Neuf, virent en deux minutes, un moine & un cheval blanc ; une des deux, poussant l’autre du coude, lui dit ; pour la catin, vous & moi nous n’en sommes pas en peine[13].

Le Prince de Conti actuel, s’affligeait de ce que le Comte d’Artois venait d’acquérir une terre auprès de ses cantons de chasses : on lui fit entendre que les limites étaient bien marquées, qu’il n’y avait rien à craindre pour lui, &c. Le Prince de Conti interrompit le harangueur, en lui disant : vous ne savez pas ce que c’est que les Princes.

M… disait que la goutte ressemblait aux Bâtards des Princes, qu’on baptise le plus tard qu’on peut.

M… disait à M. de Vaudreuil, dont l’esprit est droit & juste, mais encore livré à quelques illusions : vous n’avez pas de taie dans l’œil, mais il y a un peu de poussière sur votre lunette.

M. de B… disait qu’on ne dit point à une femme à trois heures, ce qu’on lui dit à six ; à six, ce qu’on lui dit à neuf ; à minuit, &c. Il ajoutait que le plein midi a une sortie de sévérité. Il prétendait que son ton de conversation avec Made. de… était changé appuis qu’elle avait changé en cramoisi, le meuble de son cabinet qui était bleu.

J. J. Rousseau, étant à Fontainebleau, à la représentation de son Devin du Village, un Courtisan l’aborda, & lui dit poliment : Monsieur, permettez-vous que je vous fasse mon compliment ? — Oui, Monsieur, dit Rousseau, s’il est bien. Le Courtisan s’en alla ; on dit à Rousseau : mais y songez-vous, quelle réponse vous venez de faire ! — Fort bonne, dit Rousseau. Connaissez-vous rien de pire qu’un compliment mal fait ?

M. de Voltaire, étant à Postdam, un soir après soupé, fit un portrait d’un bon Roi, en contraste avec celui d’un tyran, & s’échauffant par degrés, il fit une description épouvantable des malheurs dont l’humanité était accablée sous un Roi despotique, conquérant, &c. Le Roi de Prusse ému, laisse tomber quelques larmes. Voyez, voyez ! s’écria M. de Voltaire : il pleure, le tigre.

On sait que [[w:Paul d’Albert de Luynes|M. de Luynes, ayant quitté le service pour un soufflet qu’il avait reçu sans en tirer vengeance, fut fait bientôt après Archevêque de Sens. Un jour qu’il avait officié pontificalement, un mauvais plaisant prit sa mître & l’écartant des deux côtés : c’est singulier, dit-il, comme cette mître ressemble à un soufflet.

Fontenelle avait été refusé trois fois de l’Académie, & le racontait souvent. Il ajoutait : J’ai fait cette histoire à tous ceux que j’ai vus s’affliger d’un refus de l’Académie, & je n’ai consolé personne.

À propos des choses de ce bas monde, qui vont de mal en pis, M… disait : j’ai lu quelque part, qu’en politique il n’y avait rien de si malheureux pour les peuples que les règnes trop longs. J’entends dire que Dieu est éternel ; tout est dit.

C’est une remarque très-fine & très-judicieuse de M… que quelque importuns, quelque insupportables que nous soient les défauts des gens avec qui nous vivons, nous ne laissons pas d’en prendre une partie ; être la victime de ces défauts étrangers à notre caractère, n’est pas même un préservatif contre eux.

J’ai assisté hier à une conversation philosophique entre M. D… & M. L…, où un mot m’a frappé. M. D… disait : Peu de Personnes & peu de choses m’intéressent, mais rien ne m’intéresse moins que moi. M. L… lui répondit : N’est-ce point par la même raison ; & l’un n’explique-t-il pas l’autre ? Cela est très-bien, ce que vous dites là, reprit froidement M. D…, mais je vous dis le fait : J’ai été amené là par degrés : en vivant & en voyant les hommes, il faut que le cœur se brise ou se bronze.

C’est une anecdote, connue en Espagne, que le Comte d’Aranda reçut un soufflet du Prince des Asturies (aujourd’hui Roi). Ce fait se passa à l’époque où il fut envoyé Ambassadeur en France.

Dans ma première jeunesse, j’eus occasion d’aller voir dans la même journée M. Marmontel & M. d’Alembert. J’allai le matin chez M. Marmontel, qui demeurait alors chez Made. Geoffrin ; je frappe en me trompant de porte ; je demande M. Marmontel. Le Suisse me répond : M. de Montmartel ne demeure plus dans ces quartiers-ci ; & il me donne son adresse. Le soir je vais chez M. d’Alembert, rue St.-Dominique. Je demande l’adresse à un Suisse qui me dit : M. Staremberg, Ambassadeur de Venise ? La troisième porte… — Non, M. d’Alembert de l’Académie Française. — Je ne le connais pas.

M. Helvétius dans sa jeunesse était beau comme l’Amour. Un soir qu’il était assis dans le foyer & fort tranquille, quoiqu’auprès de Mlle. Gaussin, un célèbre Financier vint dire à l’oreille de cette Actrice, assez haut pour qu’Helvétius l’entendît : Mademoiselle, vous serait-il agréable d’accepter 500 louis en échange de quelques complaisances ? Monsieur, répondit-elle assez haut pour être entendue aussi, (& en montrant Helvétius,) je vous en donnerai 200 si vous voulez venir demain matin chez moi avec cette figure là.

La Duchesse de Fronsac, jeune & jolie, n’avait point eu d’Amans & l’on s’en étonnait : une autre femme voulant rappeller qu’elle était rousse & que cette raison avait pu contribuer à la maintenir dans sa tranquille sagesse, dit : elle est comme Samson ; sa force est dans ses cheveux.

Made. Brisard, célèbre par ses galanteries, étant à Plombières, plusieurs femmes de la Cour ne voulaient point la voir. La Duchesse de Gisors était du nombre, & comme elle était très-dévote, les amis de Made. Brisard comprirent que si Made. de Gisors la recevait, les autres n’en feraient aucune difficulté. Ils entreprirent cette négociation & réussirent. Comme Made. Brisard était aimable, elle plut bien-tôt à la dévote, & elles en vinrent à l’intimité. Un jour Made. de Gisors lui fit entendre que tout en concevant très-bien qu’on eût une faiblesse, elle ne comprenait pas qu’une femme vint à multiplier à un certain point le nombre de ses amans. Hélas ! lui dit Made. Brisard, c’est qu’à chaque fois, j’ai cru que celui-là serait le dernier.

C’est une chose remarquable que Molière, qui n’épargnait rien, n’a pas lancé un seul trait contre les gens de Finance. On dit que Molière & les autres comiques du tems eurent là-dessus des ordres de Colbert.

Le Régent voulait aller au bal, & n’y être pas reconnu. J’en sais un moyen, dit l’Abbé Dubois ; &, dans le bal, il lui donna des coups de pied dans le derrière. Le Régent qui les trouva trop forts, lui dit : L’Abbé, tu me déguises trop.

Un énergumène de Gentilhommerie, ayant observé que le contour du Château de Versailles était empuanti d’urine, ordonna à ses domestiques & à ses vassaux de venir lâcher de l’eau autour de son Château.

La Fontaine entendant plaindre le sort des damnés, au milieu du feu de l’Enfer, dit : Je me flatte qu’ils s’y accoutument, & qu’à la fin, ils sont là comme le poisson dans l’eau.

Made. de Nesle avait M. de Soubise. M. de Nesle, qui méprisait sa femme, eut un jour une dispute avec elle, en présence de son amant. Il lui dit : Madame, on sait bien que je vous passe tout. Je dois pourtant vous dire que vous avez des fantaisies trop dégradantes, que je ne vous passerai pas. Telle est celle que vous avez pour le Perruquier de mes Gens, avec lequel je vous ai vu sortir & rentrer chez vous. Après quelques menaces, il sortit ; & la laissa avec M. de Soubise, qui la souffleta, quoi qu’elle pût dire. Le mari alla ensuite conter ce bel exploit, ajoutant que l’histoire du Perruquier était fausse, se moquant de M. de Soubise qui l’avait cru, & de sa femme qui avait été souffletée.

On a dit, sur le résultat du Conseil de guerre, tenu à l’Orient, pour juger l’affaire de M. de Grasse[14] : L’Armée innocentée, le Général innocent, le Ministre hors de cour, le Roi condamné aux dépens. Il faut savoir que ce Conseil coûta au Roi quatre millions, & qu’on prévoyait la chûte de M. de Castries.

On répétait cette plaisanterie devant une assemblée de jeunes gens de la Cour. Un d’eux, enchanté jusqu’à l’ivresse, dit, en levant les mains après un instant de silence, & avec un air profond : Comment ne serait-on pas charmé des grands événemens, des bouleversemens mêmes qui font dire de si jolis mots ? On suivit cette idée, on repassa les mots, les chansons faites sur tous les désastres de la France. La chanson sur la bataille d’Hochstet fut trouvée mauvaise, & quelques-uns dirent à ce sujet : Je suis fâché de la perte de cette bataille ; la chanson ne vaut rien.

Il s’agissait de corriger Louis XV jeune encore, de l’habitude de déchirer les dentelles de ses Courtisans. M. de Maurepas s’en chargea. Il parut devant le Roi avec les plus belles dentelles du monde. Le Roi s’approche, & lui en déchire une. M. de Maurepas froidement, déchire celle de l’autre main, & dit simplement : Cela ne m’a fait nul plaisir. Le Roi surpris devint rouge, & depuis ce tems ne déchira plus de dentelles.

Beaumarchais, qui s’était laissé maltraiter par le Duc de Chaulnes, sans se battre avec lui, reçut un défi de M. de la Blache. Il lui répondit : J’ai refusé mieux.

M…, pour peindre d’un seul mot la rareté des honnêtes gens, me disait que, dans la société, l’honnête homme est une variété de l’espèce humaine.

Louis XV pensait qu’il fallait changer l’esprit de la Nation, & causait sur les moyens d’opérer ce grand effet avec M. Bertin (le petit Ministre), lequel demanda gravement du tems pour y rêver. Le résultat de son rêve, c’est-à-dire, de ses réflexions, fut qu’il serait à souhaiter que la Nation fût animée de l’esprit qui règne à la Chine. Et c’est cette belle idée qui a valu au Public la Collection intitulée : Histoire de la Chine, ou Annales des Chinois.

M. de Sourches, petit fat, hideux, le teint noir, & ressemblant à un hibou, dit un jour en se retirant : Voilà la première fois, depuis deux ans, que je vais coucher chez moi. L’Évêque d’Agde se retournant, & voyant cette figure, lui dit en le regardant : Monsieur perche apparemment.

M. de R. venait de lire dans une société trois ou quatre épigrammes contre autant de personnes dont aucune n’était vivante. On se tourna vers M. D… comme pour lui demander s’il n’en avait pas quelques unes dont il pût régaler l’assemblée. Moi, dit-il naïvement : tout mon monde vit, je ne puis vous rien dire.

Plusieurs femmes s’élèvent dans le monde au-dessus de leur rang, donnent à souper aux grands Seigneurs, aux grandes Dames, reçoivent des Princes, des Princesses, qui doivent cette considération à la galanterie. Ce sont, en quelque sorte, des filles avouées par les honnêtes gens, & chez lesquelles on va, comme en vertu de cette convention tacite, sans que cela signifie quelque chose & tire le moins du monde à conséquence. Telles ont été de nos jours, Made. Brisard, Made. Caze, & tant d’autres.

M. de Fontenelle, âgé de 97 ans, venant de dire à Made. Helvétius, jeune, belle & nouvellement mariée, mille choses aimables & galantes, passa devant elle pour se mettre à table, ne l’ayant pas apperçue. Voyez, lui dit Made. Helvétius, le cas que je dois faire de vos galanteries ; vous passez devant moi sans me regarder. Madame, dit le vieillard, si je vous eusse regardée, je n’aurais pas passé.

Dans les dernières années du règne de Louis XV, le Roi étant à la chasse, & ayant peut-être de l’humeur contre Made. du Barry, s’avisa de dire un mot contre les femmes ; le Maréchal de Noailles se répandit en invectives contre elles, & dit que quand on avait fait d’elles ce qu’il faut en faire, elles n’étaient bonnes qu’à renvoyer. Après la chasse, le Maître & le Valet se retrouvèrent chez Made. du Barry, à qui M. de Noailles dit mille jolies choses. Ne le croyez pas, dit le Roi, & alors il répéta ce qu’avait dit le Maréchal à la chasse. Made. du Barry se mit en colère, & le Maréchal lui répondit : Madame, à la vérité, j’ai dit cela au Roi, mais c’était à propos des Dames de St.-Germain, & non pas de celles de Versailles. Les Dames de Saint-Germain étaient sa femme, Made. de Tessé, Made. de Duras, &c. Cette Anecdote m’a été contée par le Maréchal de Duras, témoin oculaire.

Le Duc de Lauzun disait : j’ai souvent de vives disputes avec M. de Calonne ; mais comme ni l’un ni l’autre nous n’avons de caractère, c’est à qui se dépêchera de céder, & celui de nous deux qui trouve la plus jolie tournure pour battre en retraite est celui qui se retire le premier.

Le Roi Stanislas venait d’accorder des pensions à plusieurs ex-Jésuites ; M. de Tressan lui dit : Sire, Votre Majesté ne fera-t-elle rien pour la famille de Damiens, qui est dans la plus profonde misère.

Fontenelle, âgé de 80 ans, s’empressa de relever l’éventail d’une femme, jeune & belle, mais mal élevée, qui reçut sa politesse dédaigneusement. Ah ! Madame, lui dit-il, vous prodiguez bien vos rigueurs.

M. de Brissac, ivre de Gentilhommerie, désignait souvent Dieu par cette phrase : Le Gentilhomme d’en haut.

M… disait que d’obliger, rendra service, sans y mettre toute la délicatesse possible, était presque peine perdue. Ceux qui y manquent n’obtiennent jamais le cœur, & c’est lui qu’il faut conquérir. Ces bienfaiteurs maladroits ressemblent à ces Généraux qui prennent une ville, en laissant la garnison se retirer dans la citadelle, & qui rendent ainsi leur conquête presque inutile.

M. Lorry, Médecin, racontait que Made. de Sully étant indisposée, l’avait appelé & lui avait conté une insolence de Bordeu, lequel lui avait dit, votre maladie vient de vos besoins, voilà un homme ; & en même tems il se présenta dans un état peu décent. Lorry excusa son confrère, & dit à Made. de Sully force galanteries respectueuses. Il ajoutait : Je ne sais ce qui est arrivé depuis, mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’après m’avoir rappelé une fois, elle reprit Bordeu.

L’Abbé Arnaud avait tenu autrefois sur ses genoux une petite fille, devenue depuis Made. du Barry. Un jour, elle lui dit qu’elle voulait lui faire du bien : elle ajouta, donnez-moi un mémoire. Un mémoire ! lui dit-il ; il est tout fait. Le voici : Je suis l’Abbé Arnaud.

Le Curé de Bray ayant passé trois ou quatre fois de la religion Catholique à la religion Protestante, & ses amis, s’étonnant de cette indifférence. — Moi, indifférent ! dit le Curé, moi inconstant ! Rien de tout cela, au contraire, je ne change point, je veux être Curé de Bray.

On sait quelle familiarité le Roi de Prusse permettait à quelques-uns de ceux qui vivaient avec lui. Le Général Quintus Icilius était celui qui en profitait le plus librement. Le Roi de Prusse, avant la bataille de Rossbach, lui dit que s’il la perdait, il se rendrait à Venise, où il vivrait en exerçant la médecine. Quintus lui répondit : Toujours Assassin.

Le Chevalier de Montbarrey avait vécu dans je ne sais quelle ville de Province, & à son retour, ses amis le plaignaient de la société qu’il avait eue. C’est ce qui vous trompe, répondit-il, la bonne compagnie de cette ville y est comme par-tout, & la mauvaise y est excellente.

Un Paysan partagea le peu de bien qu’il avait entre ses quatre fils & alla vivre tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre. On lui dit, à son retour d’un de ses voyages chez ses enfans : eh bien ! comment vous ont-ils reçu ? Comment vous ont-ils traité ? Ils m’ont traité, dit-il, comme leur enfant. Ce mot paraît sublime dans la bouche d’un père tel que celui-ci.

Dans une société où se trouvait M. de Schuwalow, ancien amant de l’Impératrice Elizabeth, on voulait savoir quelque fait relatif à la Russie. Le Bailli de Chabrillan dit : M. de Schuwalow, dites-nous cette histoire : vous devez la savoir, vous étiez le Pompadour de ce pays-là.

Le Comte d’Artois, le jour de ses noces, prêt à se mettre à table, & environné de tous ses grands Officiers & de ceux de Made. la Comtesse d’Artois, dit à sa femme, de façon que plusieurs personnes l’entendirent : tout ce monde que vous voyez, ce sont nos gens. Ce mot a couru, mais c’est le millième ; & cent mille autres pareils n’empêcheront jamais la Noblesse Française de briguer en foule des emplois où on fait exactement la fonction de valet.

Pour juger de ce que c’est que la Noblesse, disait M…, il suffit d’observer que M. le Prince de Turenne, actuellement vivant, est plus noble que M. de Turenne, & que le Marquis de Laval est plus noble que le Connétable de Montmorency.

M. de… qui voyait la source de la dégradation de l’espèce humaine dans l’établissement de la secte Nazaréenne & dans la féodalité, disait que pour valoir quelque chose, il fallait se défranciser & se débaptiser, & redevenir Grec ou Romain par l’ame.

Le Roi de Prusse demandait à d’Alembert s’il avait vu le Roi de France. Oui, Sire, dit celui-ci ; en lui présentant mon Discours de réception à l’Académie Française. Eh bien ! reprit le Roi de Prusse, que vous a-t-il dit ? Il ne m’a pas parlé, Sire. À qui donc parle-t-il, poursuivit Frédéric ?

M. Amelot, Ministre de Paris, homme excessivement borné, disait à M. Bignon : achetez beaucoup de livres pour la bibliothèque du Roi, que nous ruinions ce Necker. Il croyait que trente ou quarante mille francs de plus feraient une grande affaire.

C’est un fait certain & connu des amis de M. d’Aiguillon, que le Roi ne l’a jamais nommé Ministre des affaires étrangères ; ce fut Made. du Barry qui lui dit : il faut que tout ceci finisse, & je veux que vous alliez demain matin remercier le Roi de vous avoir nommé à la place. Elle dit au Roi, M. d’Aiguillon ira demain vous remercier de sa nomination à la place de Secrétaire d’état des affaires étrangères ; le Roi ne dit mot. M. d’Aiguillon n’osait pas y aller : Made. du Barry le lui ordonna ; il y alla, le Roi ne lui dit rien, & M. d’Aiguillon entra en fonction sur le champ.

M… faisant sa cour au Prince Henri, à Neufchâtel, lui dit que les Neufchâtelois adoraient le Roi de Prusse. Il est fort simple, dit le Prince, que les sujets aiment un maître qui est à trois cents lieues d’eux.

L’Abbé Raynal dînant à Neufchâtel, avec le Prince Henri, s’empara de la conversation & ne laissa point au Prince le moment de placer un mot. Celui-ci, pour obtenir audience, fit semblant de croire que quelque chose tombait du plancher, & profita du silence pour parler à son tour.

Le Roi de Prusse causant avec d’Alembert, il entra chez le Roi un de ses gens du service domestique, homme de la plus belle figure qu’on pût voir. D’Alembert en parut frappé. C’est, dit le Roi, le plus bel homme de mes états : il a été quelque tems mon cocher ; & j’ai eu une tentation bien violente de l’envoyer Ambassadeur en Russie.

Quelqu’un disait que la goutte est la seule maladie qui donne de la considération dans le monde. Je le crois bien, répondit M…, c’est la croix de Saint-Louis de la galanterie.

M. de La Reynière devait épouser Madlle. de Jarinte, jeune & aimable. Il revenait de la voir, enchanté du bonheur qui l’attendait, & disait à M. de Malesherbes, son beau-frère : ne pensez-vous pas en effet que mon bonheur sera parfait ? — Cela dépend de quelques circonstances. — Comment, que voulez-vous dire ? — Cela dépend du premier amant qu’elle aura.

Diderot était lié avec un mauvais sujet qui, par je ne sais quelle mauvaise action récente, venait de perdre l’amitié d’un oncle, riche Chanoine, qui voulait le priver de sa succession. Diderot va voir l’oncle, prend un air grave & philosophique, prêche en faveur du neveu, & essaie de remuer la passion & de prendre le ton pathétique. L’oncle prend la parole & lui conte deux ou trois indignités de son neveu. — Il a fait pis que tout cela, reprend Diderot. Et quoi ? dit l’oncle. — Il a voulu vous assassiner un jour dans la sacristie, au sortir de votre messe ; & c’est l’arrivée de deux ou trois personnes qui l’en a empêché. — Cela n’est pas vrai, s’écria l’oncle ; c’est une calomnie. Soit, dit Diderot ; mais quand cela serait vrai, il faudrait encore pardonner à la vérité de son repentir, à sa position & aux malheurs qui l’attendent, si vous l’abandonnez.

Parmi cette classe d’hommes nés avec une imagination vive & une sensibilité délicate qui fait regarder les femmes avec un vif intérêt, plusieurs m’ont dit qu’ils avaient été frappés de voir combien peu de femmes avaient de goût pour les Arts, & particulièrement pour la Poësie. Un Poëte connu par des ouvrages très-agréables me peignait un jour la surprise qu’il avait éprouvée en voyant une femme pleine d’esprit, de grâces, de sentiment, de goût dans sa parure, bonne musicienne, & jouant de plusieurs instrumens, qui n’avait pas l’idée de la mesure d’un vers, du mélange des rimes ; qui substituait à un mot heureux & de génie un autre mot trivial & qui même rompait la mesure du vers. Il m’ajoutait qu’il avait éprouvé plusieurs fois ce qu’il appelait un petit malheur, mais qui en était un très-grand pour un Poëte érotique, lequel avait sollicité toute sa vie le suffrage des femmes.

M. de Voltaire se trouvant avec Made. la Duchesse de Chaulnes, celle-ci, parmi les éloges qu’elle lui donna, insista principalement sur l’harmonie de sa prose. Tout d’un coup, voilà M. de Voltaire qui se jette à ses pieds. Ah ! Madame, je vis avec un cochon qui n’a pas d’organes, qui ne sait ce que c’est qu’harmonie, mesure, &c. Le cochon dont il parlait, c’était Made. du Châtelet, son Émilie.

Le Roi de Prusse a fait plus d’une fois lever des plans géographiques très-défectueux de tel ou tel pays. La carte indiquait tel marais impraticable, qui ne l’était point, & que les ennemis croyaient tel, sur la foi du faux plan.

M… disait que le grand monde est un mauvais lieu que l’on avoue.

Je demandais à M… pourquoi aucun des plaisirs ne paraissait avoir prise sur lui ; il me répondit : ce n’est pas que j’y sois insensible ; mais il n’y en a pas un qui ne m’ait paru sur-payé. La gloire expose à la calomnie ; la considération demande des soins continuels ; les plaisirs, du mouvement, de la fatigue corporelle. La société entraîne mille inconvéniens : tout est vu, revu & jugé. Le monde ne m’a rien offert de tel qu’en descendant en moi-même, je n’aie trouvé encore mieux chez moi. Il est résulté de ces expériences réitérées cent fois, que sans être apathique ni indifférent, je suis devenu comme immobile, & que ma position actuelle me paraît toujours la meilleure, parce que sa bonté même résulte de son immobilité & s’accroît avec elle. L’amour est une source de peines ; la volupté sans amour est un plaisir de quelques minutes ; le mariage est jugé encore plus que le reste ; l’honneur d’être père amène une suite de calamités ; tenir maison est le métier d’un Aubergiste. Les misérables motifs qui font que l’on recherche un homme ou qu’on le considère, sont transparens & ne peuvent tromper qu’un sot, ni flatter qu’un homme ridiculement vain. J’en ai conclu que le repos, l’amitié & la pensée étaient les seuls biens qui convinssent à un homme qui a passé l’âge de la folie.

Le Marquis de Villequier était des amis du grand Condé. Au moment où ce Prince fut arrêté par ordre de la Cour, le Marquis de Villequier, Capitaine des gardes, était chez Made. de Motteville, lorsqu’on annonça cette nouvelle. Ah ! mon Dieu, s’écria le Marquis, je suis perdu. Made. de Motteville, surprise de cette exclamation, lui dit : je savais bien que vous étiez des amis de M. le Prince, mais j’ignorais que vous fussiez son ami à ce point. Comment, dit le Marquis de Villequier, ne voyez-vous pas que cette exécution me regardait, & puisqu’on ne m’a point employé, n’est-il pas clair qu’on n’a nulle confiance en moi ? Made. de Motteville, indignée, lui répondit : il me semble que n’ayant point donné lieu à la Cour de soupçonner votre fidélité, vous devriez n’avoir point cette inquiétude, & jouir tranquillement du plaisir de n’avoir point mis votre ami en prison. Villequier fut honteux du premier mouvement qui avait trahi la bassesse de son ame.

On annonça dans une maison où soupait Made. d’Egmont, un homme qui s’appelait Duguesclin. À ce nom son imagination s’allume. Elle fait mettre cet homme à table à côté d’elle, lui fait mille politesses & enfin lui offre du plat qu’elle avait devant elle. C’étaient des truffes. Madame, répond le sot, il n’en faut pas à côté de vous. À ce ton, dit-elle, en contant cette histoire, j’eus grand regret à mes honnêtetés. Je fis comme ce Dauphin, qui dans la naufrage d’un vaisseau, crut sauver un homme & le rejeta dans la mer en voyant que c’était un singe.

Marmontel dans sa jeunesse recherchait beaucoup le vieux Boindin, célèbre par son esprit & son incrédulité. Le vieillard lui dit ; trouvez-vous au café Procope. — Mais nous ne pourrons pas parler de matières philosophiques. — Si fait, en convenant d’une langue particulière, d’un argot. Alors ils firent leur dictionnaire. L’Ame s’appelait Margot ; la Religion, Javotte ; la Liberté, Jeanneton, & le Père éternel, M. de l’Être. Les voilà disputant & s’entendant très-bien. Un homme en habit noir, avec une fort mauvaise mine, se mêlant à la conversation, dit à Boindin : Monsieur, oserais-je vous demander ce que c’était que ce M. de l’Être qui s’est si souvent mal conduit & dont vous êtes si mécontent ? Monsieur, reprit Boindin, c’était un espion de police. On peut juger de l’éclat de rire, cet homme étant lui-même du métier.

Le Lord Bolingbroke donna à Louis XIV, mille preuves de sensibilité pendant une maladie très-dangereuse. Le Roi étonné lui dit : j’en suis d’autant plus touché, que vous autres Anglais vous n’aimez pas les Rois. Sire, dit Bolingbroke, nous ressemblons aux maris qui n’aimant pas leurs femmes n’en sont que plus empressés à plaire à celles de leurs voisins.

Dans une dispute que les Représentans de Genève eurent avec le Chevalier de Bouteville, l’un d’eux s’échauffant, le Chevalier lui dit : savez-vous que je suis le représentant du Roi mon Maître ! Savez-vous, lui dit le Genevois, que je suis le représentant de mes Égaux.

La Comtesse d’Egmont ayant trouvé un homme du premier mérite à mettre à la tête de l’éducation de M. de Chinon, son neveu, n’osa pas le présenter en son nom. Elle était pour M. de Fronsac, son frère, un personnage trop grave. Elle pria le Poëte Bernard de passer chez elle. Il y alla : elle le mit au fait. Bernard lui dit : Madame, l’Auteur de l’Art d’aimer n’est pas un personnage bien imposant ; mais je le suis encore un peu trop pour cette occasion : je pourrais vous dire que Mlle. Arnould serait un passe-port beaucoup meilleur auprès de M. votre frère… Eh bien ! dit Made. d’Egmont en riant, arranger le soupé chez Mlle. Arnould. Le soupé s’arrangea. Bernard y proposa l’Abbé Lapdant pour précepteur, il fut agréé. C’est celui qui a depuis achevé l’éducation du Duc d’Enghien.

Un philosophe à qui on reprochait son extrême amour pour la retraite, répondit : dans le monde tout tend à me faire descendre, dans la solitude tout tend à me faire monter.

M. de B. est un de ces sots qui regarde de bonne foi l’échelle des conditions comme celle du mérite, qui le plus naïvement du monde ne conçoit pas qu’un honnête homme non-décoré ou au-dessous de lui soit plus estimé que lui. Le rencontre-t-il dans une de ces maisons où l’on sait encore honorer le mérite, M. de B, ouvre de grands yeux, montre un étonnement stupide, il croit que cet homme vient de gagner un quaterne à la loterie : il l’appelle mon cher un tel, quand la société la plus distinguée vient de le traiter avec la plus grande considération. J’ai vu plusieurs de ces scènes dignes du pinceau de La Bruyère.

J’ai bien examiné M… & son caractère m’a paru piquant ; très-aimable & nulle envie de plaire, si ce n’est à ses amis ou à ceux qu’il estime. En récompense une grande crainte de déplaire. Ce sentiment est juste & accorde ce qu’on doit à l’amitié & ce qu’on doit à la société. On peut faire plus de bien que lui, nul ne fera moins de mal. On sera plus empressé, jamais moins importun. On caressera davantage, on ne choquera jamais moins.

L’Abbé Delille devait lire des vers à l’Académie pour la réception d’un de ses amis. Sur quoi il disait : je voudrais bien qu’on ne le sût pas d’avance, mais je crains bien de le dire à tout le monde.

Made. Beauzée couchait avec un maître de langue Allemande. M. Beauzée les surprit au retour de l’Académie. L’Allemand dit à la femme : quand je vous disais qu’il était tems que je m’en aille. M. Beauzée, toujours puriste, lui dit : que je m’en allasse, Monsieur.

M. Dubreuil pendant la maladie dont il mourut, disait à son ami M. Pechméja : mon ami, pourquoi tout ce monde dans ma chambre ? Il ne devrait y avoir que toi ; ma maladie est contagieuse[15].

On demandait à Pechméja quelle était sa fortune ? 1500 liv. de rente. — C’est bien peu. — Oh ! reprit Pechméja, Dubreuil est riche.

Made. la Ctesse. de Tessé disait après la mort de M. Dubreuil : il était trop inflexible, trop inabordable aux présens & j’avais un accès de fièvre toutes les fois que je songeais à lui en faire. Et moi aussi, lui répondit Made. de Champagne qui avait placé 36,000 liv. sur sa tête : voilà pourquoi j’ai mieux aimé me donner tout de suite une bonne maladie que d’avoir tous ces petits accès de fièvre dont vous parlez.

L’Abbé Maury, étant pauvre, avait enseigné le Latin à un vieux Conseiller de Grand-Chambre qui voulait entendre les Institutes de Justinien. Quelques années se passent, & il rencontre ce Conseiller, étonné de le voir dans une maison honnête. Ah l’Abbé, vous voilà ! lui dit-il lestement : par quel hasard vous trouvez-vous dans cette maison-ci ? — Je m’y trouve comme vous vous y trouvez. — Oh ce n’est pas la même chose : vous êtes donc mieux dans vos affaires ? — Avez-vous fait quelque chose dans votre métier de Prêtre ? — Je suis grand-Vicaire de M. de Lombez. — Diable ! c’est quelque chose : & combien cela vaut-il ? — Mille francs. — C’est bien peu ; & il reprend le ton leste & léger. — Mais j’ai eu un Prieuré de mille écus. — Mille écus ! bonnes affaires (avec l’air de la considération). — Et j’ai fait la rencontre du maître de cette maison-ci chez M. le Cardinal de Rohan. — Peste ! vous allez chez le Cardinal de Rohan ! — Oui, il m’a fait avoir une Abbaye. — Une Abbaye ! Ah ! cela posé, Monsieur l’Abbé, faites-moi l’honneur de revenir dîner chez moi.

M. de La Pouplinière se déchaussait un soir devant ses complaisans & se chauffait les pieds. Un petit chien les lui léchait. Pendant ce tems-là la société parlait d’amitié, d’amis. Un ami, dit M. de La Pouplinière, montrant son chien, le voilà.

Jamais Bossuet ne put apprendre au Grand Dauphin à écrire une lettre. Ce Prince était très-indolent. On raconte que ses billets à la Comtesse du Roure finissaient tous par ces mots : le Roi me fait mander pour le Conseil. Le jour que cette Comtesse fut exilée, un des Courtisans lui demanda s’il n’était pas bien affligé. Sans doute, dit le Dauphin ; mais cependant me voilà délivré de la nécessité d’écrire le petit billet.

L’Archevêque de Toulouse (Brienne), disait à M. de Saint-Priest, grand-père de M. d’Entraigues : il n’y a eu en France, sous aucun Roi, aucun Ministre qui ait poussé ses vues & son ambition jusqu’où elles pouvaient aller. M. de Saint-Priest lui dit : & le Cardinal de Richelieu ? Arrêté à moitié chemin, répondit l’Archevêque. Ce mot peint tout un caractère.

Le Maréchal de Broglie avait épousé la fille d’un négociant. Il eut deux filles. On lui proposait, en présence de Made. de Broglie, de faire entrer l’une dans un chapitre. Je me suis fermé, dit-il, en épousant Madame, l’entrée de tous les chapitres… Et de l’hôpital, ajouta-t-elle.

La Maréchale de Luxembourg arrivant à l’Église un peu trop tard, demanda où en était la Messe, & dans cet instant la sonnette du lever-Dieu sonna. Le Comte de Chabot lui dit en bégayant : Madame la Maréchale,

 J’entends la petite clochette,
Le petit mouton n’est pas loin.

Ce sont deux vers d’un opéra comique[16].

La jeune Made. de M… étant quittée par le Vicomte de Noailles, était au désespoir & disait : j’aurai vraisemblablement beaucoup d’amans ; mais je n’en aimerai aucun autant que j’aime le Vicomte de Noailles.

Le Duc de Choiseul à qui on parlait de son étoile, qu’on regardait comme sans exemple, répondit : elle l’est pour le mal autant que pour le bien. — Comment ? — Le voici. J’ai toujours très-bien traité les filles : il y en a une que je néglige : elle devient Reine de France, ou à-peu-près[17]. J’ai traité à merveille tous les Inspecteurs ; je leur ai prodigué l’or & les honneurs : il y en a un extrêmement méprisé que je traite légèrement : il devient Ministre de la guerre, c’est M. de Monteynard. Les Ambassadeurs, on sait ce que j’ai fait pour eux, sans exception, hormis un seul. Mais il y en a un qui a le travail lent & lourd, que tous les autres méprisent, qu’ils ne veulent plus voir à cause d’un ridicule mariage : c’est M. de Vergennes, & il devient Ministre des affaires étrangères. Convenez que j’ai des raisons de dire que mon étoile est aussi extraordinaire en mal qu’en bien.

M. le Président de Montesquieu avait un caractère fort au-dessous de son génie. On connaît ses faiblesses sur la gentilhommerie, sa petite ambition, &c. Lorsque L’Esprit des Lois parut, il s’en fit plusieurs critiques mauvaises ou médiocres qu’il méprisa fortement. Mais un homme de Lettres connu en fit une dont M. Dupin voulut bien se reconnaître l’auteur, & qui contenait d’excellentes choses[18]. M. de Montesquieu en eut connaissance & en fut au désespoir. On la fit imprimer ; & elle allait paraître lorsque M. de Montesquieu alla trouver Made. de Pompadour qui sur sa prière, fit venir l’imprimeur & l’édition toute entière. Elle fut hachée & on n’en sauva que cinq exemplaires.

M. & Made. d’Angiviller, M. & Made. N. paraissent deux couples uniques, chacun dans son genre. On croirait que chacun d’eux convenait à l’autre exclusivement & que l’amour ne peut aller plus loin. Je les ai étudiés ; & j’ai trouvé qu’ils se tenaient très-peu par le cœur, & que quant au caractère, ils ne se tenaient que par des contrastes.

Le Maréchal de Noailles disait beaucoup de mal d’une tragédie nouvelle. On lui dit : mais M. d’Aumont, dans la loge duquel vous l’avez entendue, prétend qu’elle vous a fait pleurer. Moi ! dit le Maréchal, point du tout ; mais comme il pleurait lui-même dès la première scène, j’ai cru honnête de prendre part à sa douleur.

M. Th. me disait un jour, qu’en général dans la société, lorsqu’on avait fait quelque action honnête & courageuse, par un motif digne d’elle, c’est-à-dire très-noble, il fallait que celui qui avait fait cette action lui prêtât, pour adoucir l’envie, quelque motif moins honnête & plus vulgaire.

Louis XV demanda au Duc d’Ayen (depuis Maréchal de Noailles) s’il avait envoyé sa vaisselle à la monnoye. Le Duc répondit que non. Moi, dit le Roi, j’ai envoyé la mienne. Ah, Sire ! dit M. d’Ayen, quand J. C. mourut le Vendredi Saint, il savait bien qu’il ressusciterait le Dimanche.

Dans le tems qu’il y avait des Jansénistes, on les distinguait à la longueur du collet de leur manteau. L’Archevêque de Lyon avait fait plusieurs enfans ; mais à chaque équipée de cette espèce, il avait soin de faire allonger d’un pouce le collet de son manteau. Enfin le collet s’allongea tellement qu’il a passé quelque-tems pour Janséniste & été suspect à la Cour.

Un Français avait été admis à voir le cabinet du Roi d’Espagne. Arrivé devant son fauteuil & son bureau, c’est donc ici, dit-il, que ce grand Roi travaille. Comment, travaille ! dit le conducteur : quelle insolence ! ce grand Roi travailler ! Vous venez chez lui pour insulter Sa Majesté ! Il s’engagea une querelle où le Français eut beaucoup de peine à faire entendre à l’Espagnol qu’il n’avait pas eu l’intention d’offenser la Majesté de son maître.

M. de… ayant apperçu que M. Barthe était jaloux (de sa femme), lui dit : Vous jaloux ! Mais savez-vous bien que c’est une prétention ? C’est bien de l’honneur que vous vous faites. Je m’explique. N’est pas cocu qui veut : savez-vous que pour l’être, il faut savoir tenir une maison, être poli, sociable, honnête. Commencez par acquérir toutes ces qualités, & puis les honnêtes gens verront ce qu’ils auront à faire pour vous. Tel que vous êtes, qui pourrait vous faire cocu ? Une espèce. Quand il sera tems de vous effrayer, je vous en ferai mon compliment.

Un homme d’esprit me disait un jour : que le Gouvernement de France était une Monarchie absolue, tempérée par des chansons.

L’Abbé Delille entrant dans le cabinet de M. Turgot, le vit lisant un manuscrit ; c’était celui des Mois de M. Roucher. L’Abbé Delille s’en douta & dit en plaisantant : odeur de vers se sentait à la ronde. Vous êtes trop parfumé, lui dit M. Turgot, pour sentir les odeurs.

M. de Fleury, Procureur-général, disait devant quelques gens de lettres : il n’y a que depuis ces derniers tems que j’entends parler du peuple dans les conversations où il s’agit de Gouvernement. C’est un fruit de la philosophie nouvelle. Est-ce que l’on ignore que Tiers n’est qu’adventice dans Constitution ? (cela veut dire en d’autres termes, que 23 millions 9 cent mille hommes ne sont qu’un hasard & un accessoire dans la totalité de 24 millions d’hommes.)

Milord Hervey voyageant dans l’Italie & se trouvant non-loin de la mer, traversa une lagune dans l’eau de laquelle il trempa son doigt. Ah, ah ! dit-il, l’eau est salée : ceci est à nous.

Duclos disait à un homme ennuyé d’un sermon prêché à Versailles : pourquoi avez-vous entendu ce sermon jusqu’au bout ? — J’ai craint de déranger l’auditoire & de le scandaliser. — Ma foi, reprit Duclos, plutôt que d’entendre ce sermon, je me serais converti au premier point.

M. d’Aiguillon, dans le tems qu’il avait Made. du Barr, prit ailleurs une galanterie : il se crut perdu, s’imaginant l’avoir donnée à la Comtesse. Heureusement il n’en était rien. Pendant le traitement qui lui paraissait très-long & qui l’obligeait à s’abstenir de Made. du Barry, il disait au médecin : ceci me perdra, si vous ne me dépêchez. Ce médecin était M. Busson qui l’avait guéri en Bretagne, d’une maladie mortelle, & dont les autres médecins avaient désespéré. Le souvenir de ce mauvais service rendu à la Province avait fait ôter à M. Busson toutes ses places après la ruine de M. d’Aiguillon. Celui-ci devenu Ministre fut très-long-tems sans rien faire pour M. Busson, qui en voyant la manière dont le Duc en usait avec Linguet, disait, M. d’Aiguillon ne néglige rien ; hors ceux qui lui ont sauvé l’honneur & la vie.

M. de Turenne voyant un enfant passer derrière un cheval, de façon à pouvoir être estropié par une ruade, l’appella & lui dit : mon bel enfant, ne passez jamais derrière un cheval sans laisser entre lui & vous l’intervalle nécessaire pour que vous ne puissiez en être blessé. Je vous promets que cela ne vous fera pas faire une demi-lieue de plus dans le cours de votre vie entière ; & souvenez-vous que c’est M. de Turenne qui vous l’a dit.

On demandait à Diderot, quel homme était M. d’Épinay. C’est un homme, dit-il, qui a mangé deux millions sans dire un bon mot & sans faire une bonne action.

M. de Thiard pour exprimer l’insipidité des Bergeries de M. de Florian, disait : je les aimerais assez, s’il y mettait des loups.

M. de Fronsac alla voir une mappemonde que montrait l’artiste qui l’avait imaginée. Cet homme ne le connaissant pas, & lui voyant une croix de St.-Louis, ne l’appelait que M. le Chevalier. La vanité de M. de Fronsac blessée de ne pas être appelé Duc, lui fit inventer une histoire, dont un des interlocuteurs, un de ses gens, l’appelait Monseigneur. M. de Genlis l’arrête à ce mot & lui dit : qu’est-ce que tu dis-là, Monseigneur ? On va te prendre pour un Évêque.

M. de Lassay, homme très-doux, mais qui avait une grande connaissance de la société, disait qu’il faudrait avaler un crapaud tous les matins, pour ne trouver plus rien de dégoûtant le reste de la journée, quand on devait la passer dans le monde.

M. d’Alembert eut occasion de voir Made. Denis le lendemain de son mariage avec M. du Vivier. On lui demanda si elle avait l’air d’être heureuse. Heureuse ! dit-il, je vous en réponds ; heureuse à faire mal au cœur.

Quelqu’un ayant entendu la traduction des Géorgiques de l’Abbé Delille, lui dit : cela est excellent ; je ne doute pas que vous n’ayez le premier bénéfice qui sera à la nomination de Virgile.

M. de B. & M. de C. sont intimes amis, au point d’être cités pour modèles. M. de B. disait un jour à M. de C. : Ne t’est-il point arrivé de trouver, parmi les femmes que tu as eues, quelque étourdie qui t’ait demandé si tu renoncerais à moi pour elle, si tu m’aimais mieux qu’elle. — Oui, répondit celui-ci. — Qui donc ? — Made. de M… C’était la maîtresse de son ami.

M… me racontait, avec indignation, une malversation de vivriers. Il en coûta, me dit-il, la vie à cinq mille hommes qui moururent exactement de faim : & voilà, Monsieur, comme le Roi est servi.

M. de Voltaire voyant la religion tomber tous les jours, disait une fois : cela est pourtant fâcheux, car de qui nous moquerons-nous ? Oh ! lui dit M. Sabatier de Castres, consolez-vous, les occasions ne vous manqueront pas plus que les moyens. Ah, Monsieur ! reprit douloureusement M. de Voltaire, hors de l’église point de salut.

Le Prince de Conti disait dans sa dernière maladie à Beaumarchais, qu’il ne pourrait s’en tirer vu l’état de sa personne, épuisée par les fatigues de la guerre, du vin & de la jouissance. À l’égard de la guerre, dit celui-ci, le Prince Eugène a fait vingt-une campagnes & il est mort à 78 ans ; quant au vin, le Marquis de Brancas buvait par jour six bouteilles de vin de Champagne, & il est mort à 84 ans. Oui, mais le coït, reprit le Prince — Made. votre mère, répondit Beaumarchais ; la Princesse était morte à 79 ans. Tu as raison, dit le Prince, il n’est pas impossible que j’en revienne.

M. le Régent avait promis de faire quelque chose du jeune Arouet[19], c’est à-dire d’en faire un important & de le placer. Le jeune poëte attendit le Prince au sortir du Conseil, au moment où il était suivi des quatre Secrétaires d’État. Le Régent le vit & lui dit : Arouet, je ne t’ai pas oublié, & je te destine le département des Niaiseries. Monseigneur, dit le jeune Arouet, j’aurais trop de rivaux, en voilà quatre. Le Prince pensa étouffer de rire.

Quand le Maréchal de Richelieu vint faire sa cour à Louis XV après la prise de Mahón, la première chose ou plutôt la seule que lui dit le Roi fut celle-ci : Maréchal, savez-vous la mort de ce pauvre Lansmatt ? Lansmatt était un vieux garçon de la chambre.

Quelqu’un ayant lu une lettre très-sotte de M. Blanchard sur le ballon, dans le Journal de Paris ; avec cet esprit-là, dit-il, ce M. Blanchard doit bien s’ennuyer en l’air.

Un bon trait de Prêtre de Cour, c’est la ruse dont s’avisa l’Évêque d’Autun, Montazet, depuis Archevêque de Lyon. Sachant bien qu’il y avait de bonnes frasques à lui reprocher, et qu’il était facile de le perdre auprès de l’Évêque de Mirepoix, le Théatin Boyer, il écrivit contre lui-même une lettre anonyme pleine de calomnies absurdes & faciles à convaincre d’absurdité. Il l’adressa à l’Évêque de Narbonne ; il entra ensuite en explication avec lui, & fit voir l’atrocité de ses ennemis prétendus. Arrivèrent ensuite les lettres anonymes écrites en effet par eux, & contenant des inculpations réelles. Ces lettres furent méprisées. Le résultat des premières avait mené le Théatin à l’incrédulité sur les secondes.

Louis XV se fit peindre par La Tour. Le Peintre, tout en travaillant, causait avec le Roi, qui paraissait le trouver bon. La Tour, encouragé & naturellement indiscret, poussa la témérité jusqu’à lui dire : au fait, Sire, vous n’avez point de marine. Le Roi répondit sèchement : que dites-vous-là ? Et Vernet, donc ?

On dit à la Duchesse de Chaulnes, mourante & séparée de son mari : les Sacremens sont là. — Un petit moment. — M. le Duc de Chaulnes voudrait vous revoir. — Est-il là ? — Oui. — Qu’il attende : il entrera avec les Sacremens.

Je me promenais un jour avec un de mes amis qui fut salué par un homme d’assez mauvaise mine. Je lui demandai ce qui c’était que cet homme : il me répondit que c’était un homme qui faisait pour sa Patrie ce que Brutus n’aurait pas fait pour la sienne. Je le priai de mettre cette grande idée à mon niveau. J’appris que son homme était un espion de police.

M. Lemière a mieux dit qu’il ne voulait, en disant qu’entre sa Veuve du Malabar, jouée en 1770, & sa Veuve du Malabar, jouée en 1781, il y avait la différence d’une falourde à une voie de bois. C’est en effet le bûcher perfectionné qui a fait le succès de la pièce.

Un Philosophe retiré du monde, m’écrivait une lettre, pleine de vertu & de raison. Elle finissait par ces mots : adieu, mon ami ; conservez, si vous pouvez, les intérêts qui vous attachent à la Société, mais cultivez les sentimens qui vous en séparent.

Diderot, âgé de 62 ans, & amoureux de toutes les femmes, disait à un de ses amis : je me dis souvent à moi-même, vieux fou, vieux gueux, quand cesseras-tu donc de t’exposer à l’affront d’un refus ou d’un ridicule ?

M. de C… parlant un jour du gouvernement d’Angleterre & de ses avantages, dans une assemblée où se trouvaient quelques Évêques & quelques Abbés ; un d’eux, nommé l’Abbé de Seguerand, lui dit : Monsieur, sur le peu que je sais de ce pays-là, je ne suis nullement tenté d’y vivre, & je sens que je m’y trouverais très-mal. M. l’Abbé, lui répondit naïvement : M. de C…, c’est parce que vous y seriez mal, que le pays est excellent.

Plusieurs Officiers Français étant allés à Berlin, l’un d’eux parut devant le Roi[20], sans uniforme & en bas blancs. Le Roi s’approcha de lui, & lui demanda son nom. — Le Marquis de Beaucour. — De quel Régiment ? — De Champagne. — Ah oui, ce Régiment où l’on se f… de l’ordre, & il parla ensuite aux Officiers qui étaient en uniforme & en bottes.

M. de Chaulnes avait fait peindre sa femme en Hébé ; il ne savait comment se faire peindre pour faire pendant. Made. Quinault, à qui il disait son embarras, lui dit : faites-vous peindre en hébété.

Le Médecin Bouvard avait, sur le visage une balafre, en forme de C, qui le défigurait beaucoup. Diderot disait que c’était un coup qu’il s’était donné, en tenant maladroitement la faulx de la mort.

L’Empereur[21], passant à Trieste incognito, selon sa coutume, entra dans une Auberge, il demanda s’il y avait une bonne chambre : on lui dit qu’un Évêque d’Allemagne venait de prendre la dernière, & qu’il ne restait plus que deux petits bouges. Il demanda à souper. On lui dit qu’il n’y avait plus que des œufs & des légumes, parce que l’Évêque & sa suite avaient demandé toute la volaille. L’Empereur fit demander à l’Évêque si un étranger pouvait souper avec lui. L’Évêque refusa. L’Empereur soupa avec un Aumônier de l’Évêque, qui ne mangeait point avec son maître. Il demanda à cet Aumônier ce qu’il allait faire à Rome. Monseigneur, dit celui-ci, va solliciter un bénéfice de 50,000 livres de rente, avant que l’Empereur soit informé qu’il est vacant. On change de conversation. L’Empereur écrit une lettre au Cardinal dataire[22], & une autre à son Ambassadeur. Il fait promettre à l’Aumônier de remettre ces deux lettres à leur adresse, en arrivant à Rome. Celui-ci tient sa promesse. Le Cardinal dataire fait expédier les provisions à l’Aumônier surpris. Il va conter son histoire à son Évêque qui veut partir. L’autre ayant à faire à Rome, voulut rester, & apprit à son Évêque que cette aventure était l’effet d’une lettre écrite au Cardinal dataire & à l’Ambassadeur de l’Empire, par l’Empereur, lequel était cet étranger avec lequel Monseigneur n’avait pas voulu souper à Trieste.

Le Comte de… & le Marquis de… me demandant quelle différence je faisais entre eux, en fait de principes ; je répondis : la différence qu’il y a entre vous, est que l’un lécherait l’écumoire, & que l’autre l’avalerait.

Le Baron de Breteuil, après son départ du Ministère, en 1788, blâmait la conduite de l’Archevêque de Sens. Il le qualifiait de Despote, & disait : moi, je veux que la Puissance Royale ne dégénère point en Despotisme, & je veux qu’elle se renferme dans les limites où elle était resserrée sous Louis XIV. Il croyait, en tenant ce discours, faire acte de Citoyen, & risquer de se perdre à la Cour.

Made. d’Esparbès[23], couchant avec Louis XV, le Roi lui dit : tu as couché avec tous mes sujets. — Ah, Sire ! — Tu as eu le Duc de Choiseul. — Il est si puissant ! — Le Maréchal de Richelieu. Il a tant d’esprit ! — Monville. — Il a une si belle jambe ! À la bonne heure ; mais le Duc d’Aumont, qui n’a rien de tout cela. Ah, Sire ! il est si attaché à Votre Majesté !

Made. de Maintenon & Made. de Caylus, se promenaient autour de la pièce d’eau de Marly. L’eau était très-transparente, & on y voyait des Carpes dont les mouvements étaient lents, & qui paraissaient aussi tristes qu’elles étaient maigres. Made.

de Caylus le fit remarquer à Made. de Maintenon, qui répondit : elles sont comme moi, elles regrettent leur bourbe.

Collé avait placé une somme d’argent considérable, à fonds perdus, & à 10 pour cent, chez un Financier qui, à la seconde année, ne lui avait pas encore donné un sou. Monsieur, lui dit Collé, dans une visite qu’il fit : quand je place mon argent en viager, c’est pour être payé de mon vivant.

Un Ambassadeur Anglais à Naples, avait donné une fête charmante, mais qui n’avait pas coûté bien cher. On le sut, & on partit de là pour dénigrer sa fête, qui avait d’abord beaucoup réussi. Il s’en vengea en véritable Anglais, & en homme à qui les guinées ne coûtaient pas grand’chose. Il annonça une autre fête. On crut que c’était pour prendre sa revanche, & que la fête serait superbe. On accourt. Grande affluence. Point d’apprêts. Enfin, on apporte un réchaud à l’esprit de vin. On s’attendait à quelque miracle. Messieurs, dit-il, c’est les dépenses, & non l’agrément d’une fête, que vous cherchez. Regardez bien, dit-il & il entr’ouvre son habit dont il montre la doublure. C’est un tableau du Dominiquin, qui vaut cinq mille guinées. Mais ce n’est pas tout : Voyez ces dix billets : ils sont de mille guinées chacun, payables à vue sur la banque d’Amsterdam. Il en fait un rouleau, & les met sur le réchaud allumé. Je ne doute pas, Messieurs, que cette fête ne vous satisfasse, & que vous ne vous retiriez tous contens de moi. Adieu, Messieurs, la fête est finie.

La postérité, disait M. de B…, n’est pas autre chose qu’un public qui succède à un autre : or, vous voyez ce que c’est que le public d’à présent.

Trois choses, disait N…, m’importunent, tant au moral qu’au physique, au sens figuré comme au sens propre : le bruit, le vent & la fumée.

À propos d’une fille qui avait fait un mariage avec un homme jusqu’alors réputé assez honnête, Madame de L… disait : si j’étais une Catin, je serais encore une fort honnête femme ; car je ne voudrais point prendre pour amant un homme qui serait capable de m’épouser.

Madame de G…, disait M…, a trop d’esprit & d’habileté pour être jamais méprisée autant que beaucoup de femmes moins méprisables.

Feue Made. la Duchesse d’Orléans était fort éprise de son mari, dans les commencemens de son mariage ; & il y avait peu de réduits dans le Palais-Royal qui n’en eussent été témoins. Un jour les deux époux allèrent faire visite à la Duchesse Douairière qui était malade. Pendant la conversation, elle s’endormit ; & le Duc & la jeune Duchesse trouvèrent plaisant de se divertir sur le pied du lit de la malade. Elle s’en apperçut, & dit à sa belle-fille : Il vous était réservé, Madame, de faire rougir du mariage.

Le Maréchal de Duras, mécontent d’un de ses fils, lui dit : misérable, si tu continues, je te ferai souper avec le Roi. C’est que le jeune homme avait soupé deux fois à Marly, où il s’était ennuyé à périr.

Duclos, qui disait sans cesse des injures à l’Abbé d’Olivet, disait de lui : c’est un si grand coquin, que, malgré les duretés dont je l’accable, il ne me hait pas plus qu’un autre.

Duclos parlait un jour du Paradis que chacun se fait à sa manière. Made. de Rochefort lui dit : pour vous, Duclos, voici de quoi composer le vôtre : du pain, du vin, du fromage & la première venue.

Je ne sais quel homme disait : je voudrais voir le dernier des Rois étranglé avec le boyau du dernier des Prêtres[24].

C’était l’usage chez Madame de Luchet que l’on achetât une bonne histoire à celui qui la faisait… Combien en voulez-vous ?… Tant. Il arriva que Made. de Luchet, demandant à sa femme-de-chambre l’emploi de 100 écus, celle-ci parvint à rendre ce compte, à l’exception de 36 liv. ; lorsque tout-à-coup elle s’écria : Ah ! Madame, & cette histoire pour laquelle vous m’avez sonnée, que vous avez achetée à M. Coqueley[25], & que j’ai payée 36 liv. !

M. de Bissy, voulant quitter la Présidente d’Aligre, trouva, sur sa cheminée, une lettre dans laquelle elle disait à un homme avec qui elle était en intrigue, qu’elle voulait ménager M. de Bissy, & s’arranger pour qu’il la quittât le premier. Elle avait même laissé cette lettre à dessein. Mais M. de Bissy ne fit semblant de rien, & la garda six mois, en l’importunant de ses assiduités.

M. de R. a beaucoup d’esprit, mais tant de sottises dans l’esprit, que beaucoup de gens pourraient le croire un sot.

M. d’Éprémesnil vivait depuis long-tems avec Made. Tilaurier. Celle-ci voulait l’épouser. Elle se servit de Cagliostro, qui faisait espérer la découverte de la Pierre Philosophale. On sait que Cagliostro mêlait le fanatisme & la superstition aux sottises de l’alchimie. D’Éprémesnil se plaignant de ce que cette Pierre Philosophale n’arrivait pas, & une certaine formule n’ayant point eu d’effet, Cagliostro lui fit entendre que cela venait de ce qu’il vivait dans un commerce criminel avec Made. Tilaurier. Il faut, pour réussir, que vous soyez en harmonie avec les puissances invisibles, & avec leur chef, l’Être Suprême. Épousez ou quittez Made. Tilaurier. Celle-ci redoubla de coquetterie ; d’Éprémesnil épousa, & il n’y eut que sa femme qui trouva la pierre Philosophale.

On disait à Louis XV qu’un de ses Gardes qu’on lui nommait allait mourir sur-le-champ, pour avoir fait la mauvaise plaisanterie d’avaler un écu de six livres. Ah, bon Dieu ! dit le Roi, qu’on aille chercher Andouillé, Lamartinière, Lassone. Sire, dit le Duc de Noailles, ce ne sont point là les gens qu’il faut. — Et qui donc ? — Sire, c’est l’Abbé Terray. — L’Abbé Terray, comment ? — Il arrivera, il mettra sur ce gros écu un premier dixième, un second dixième, un premier vingtième, un second vingtième : le gros écu sera réduit à 36 sols, comme les nôtres, il s’en ira par les voies ordinaires, & voilà le malade guéri. Cette plaisanterie fut la seule qui ait fait de la peine à l’abbé Terray. C’est la seule dont il eût conservé le souvenir ; il le dit lui-même au Marquis de Sesmaisons.

M. d’Ormesson, étant Contrôleur-Général, disait devant vingt personnes qu’il avait long-tems cherché à quoi pouvaient avoir été utiles des gens comme Corneille, Boileau, La Fontaine, & qu’il ne l’avait jamais pu trouver. Cela passait ; car quand on est Contrôleur-Général, tout passe. M. Le Peletier de Mortefontaine, son beau-père, lui dit avec douceur : je sais que c’est votre façon de penser ; mais ayez pour moi le ménagement de ne la pas dire. Je voudrais bien obtenir que vous ne vous vantassiez point de ce qui vous manque. Vous occupez la place d’un homme qui s’enfermait souvent avec Racine & Boileau, qui les menait à sa maison de campagne, & disait, en apprenant l’arrivée de plusieurs Évêques : qu’on leur montre le château, les jardins, tout, excepté moi.

La source des mauvais procédés du Cardinal de Fleury, à l’égard de la Reine, femme de Louis XV, fut le refus qu’elle fit d’écouter ses propositions galantes. On en a eu la preuve depuis la mort de la Reine, par une lettre du Roi Stanislas, en réponse à celle où elle lui demandait conseil sur la conduite qu’elle devait tenir. Le Cardinal avait pourtant 76 ans. Mais quelques mois auparavant, il avait violé deux femmes. Madame la Maréchale de Mouchy & une autre femme ont vu la lettre de Stanislas.

De toutes les violences exercées à la fin du règne de Louis XIV, on ne se souvient guères que des Dragonnades, des persécutions contre les Huguenots qu’on y retenait par force, des lettres de cachet prodiguées contre Port-Royal, les Jansénistes, le Molinisme & le Quiétisme. C’est bien assez : mais on oublie l’inquisition secrète, & quelquefois déclarée, que la bigoterie de Louis XIV exerça contre ceux qui faisaient les Évêques & les Intendans, sur les hommes & les femmes qui étaient soupçonnés de vivre ensemble, recherches qui firent déclarer plusieurs mariages secrets. On aimait mieux s’exposer aux inconvéniens d’un mariage déclaré avant le tems, qu’aux effets de la persécution du Roi ou des Prêtres. N’était-ce pas une ruse de Made. de Maintenon qui voulait par-là faire deviner qu’elle était Reine ?

On appela à la Cour le célèbre Levret[26], pour accoucher la feue Dauphine. M. le Dauphin lui dit : vous êtes bien content, M. Levret, d’accoucher Made. la Dauphine ; cela va vous faire de la réputation. Si ma réputation n’était pas faite, dit tranquillement l’Accoucheur, je ne serais pas ici.

Duclos disait un jour à Made. de Rochefort[27] & à Made. de Mirepoix, que les Courtisanes devenaient bégueules, & ne voulaient plus entendre le moindre conte un peu trop vif. Elles étaient, disait-il, plus timorées que les femmes honnêtes ; & là-dessus, il enfile une histoire fort gaie, puis une autre encore plus forte ; enfin, une troisième qui commençait encore plus vivement. Made. de Rochefort l’arrête, & lui dit : prenez donc garde, Duclos ; vous nous croyez aussi par trop honnêtes femmes.

Le Cocher du Roi de Prusse l’ayant renversé, le Roi entra dans une colère épouvantable. Eh bien ! dit le Cocher, c’est un malheur ; & vous, n’avez-vous jamais perdu une bataille ?

M. de Choiseul-Gouffier, voulant faire, à ses frais, couvrir de tuiles les maisons de ses paysans, exposées à des incendies, ils le remercièrent de sa bonté, & le prièrent de laisser leurs maisons comme elles étaient, disant que, si leurs maisons étaient couvertes de tuiles au lieu de chaume, les Subdélégués augmenteraient leurs tailles.

Le Maréchal de Villars fut adonné au vin, même dans sa vieillesse. Allant en Italie, pour se mettre à la tête de l’armée, dans la guerre de 1734, il alla faire sa cour au Roi de Sardaigne, tellement pris de vin, qu’il ne pouvait se soutenir, & qu’il tomba à terre. Dans cet état, il n’avait pourtant pas perdu la tête, & il dit au Roi : me voilà porté tout naturellement aux pieds de Votre Majesté.

Made. Geoffrin disait de Made. de la Ferté-Imbault, sa fille : quand je la considère, je suis étonnée comme une poule qui a couvé un œuf de canne.

Le Lord Rochester avait fait, dans une pièce de vers, l’éloge de la Poltronnerie[28]. Il était dans un café ; arrive un homme qui avait reçu des coups de bâton sans se plaindre. Milord Rochester, après beaucoup de complimens, lui dit : Monsieur, si vous étiez homme à recevoir des coups de bâton si patiemment, que ne le disiez-vous ? je vous les aurais donnés, moi, pour me remettre en crédit.

Louis XIV se plaignait chez Made. de Maintenon du chagrin que lui causait la division des Évêques. Si l’on pouvait, disait-il, ramener les neuf opposans, on éviterait un schisme ; mais cela ne sera pas facile. Eh bien ! Sire, dit en riant Madame la Duchesse, que ne dites-vous aux quarante de revenir à l’avis des neuf ? ils ne vous refuseront pas.

Le Roi, quelque tems après la mort de Louis XV, fit terminer, avant le tems ordinaire, un concert qui ennuyait, & dit : voilà assez de musique. Les concertans le surent, & l’un d’eux dit à l’autre : mon ami, quel règne se prépare !

Ce fut le Comte de Gramont lui-même qui vendit 1500 liv. le Manuscrit des Mémoires où il est si clairement traité de fripon. Fontenelle, Censeur de l’Ouvrage, refusait de l’approuver, par égard pour le Comte. Celui-ci s’en plaignit au Chancelier, à qui Fontenelle dit les raisons de son refus. Le Comte, ne voulant pas perdre les 1500 liv., força Fontenelle d’approuver le Livre d’Hamilton.

M. de L V…, misanthrope, à la manière de Timon, venait d’avoir une conversation un peu mélancolique avec M. de B…, misanthrope moins sombre, & quelquefois même très-gai. M. de L… parlait de M. de B… avec beaucoup d’intérêt, & disait qu’il voulait se lier avec lui. Quelqu’un lui dit : prenez garde, malgré son air grave, il est quelquefois très-gai ; ne vous y fiez pas.

Le Maréchal de Belle-Isle, voyant que M. de Choiseul prenait trop d’ascendant, fit faire contre lui un Mémoire pour le Roi, par le Jésuite Neuville. Il mourut sans avoir présenté ce Mémoire, & le porte-feuille fut porté à M. le Duc de Choiseul, qui y trouva le Mémoire fait contre lui. Il fit l’impossible pour reconnaître l’écriture. Il n’y songeait plus, lorsqu’un Jésuite considérable lui fit demander la permission de lui lire l’éloge qu’on faisait de lui, dans l’Oraison funèbre du Maréchal de Belle-Isle composée par le Père de Neuville. La lecture se fit sur le Manuscrit de l’Auteur, & M. de Choiseul reconnut alors l’écriture. La seule vengeance qu’il en tira, ce fut de faire dire au Père de Neuville qu’il réussissait mieux dans le genre de l’Oraison funèbre, que dans celui des Mémoires au Roi.

M. d’Invault étant Contrôleur-Général, demanda au Roi la permission de se marier. Le Roi, instruit du nom de la Dlle., lui dit : vous n’êtes pas assez riche. Celui-ci lui parla de sa place, comme d’une chose qui suppléait à la richesse. Oh ! dit le Roi, la place peut s’en aller, & la femme reste.

Des députés de Bretagne soupèrent chez M. de Choiseul. Un d’eux, d’une mine très-grave, ne dit pas un mot. Le Duc de Gramont, qui avait été frappé de sa figure, dit au Chevalier de Courten, Colonel des Suisses : je voudrais bien savoir de quelle Couleur sont les paroles de cet homme. Le Chevalier lui adresse la parole. — Monsieur, de quelle Ville êtes-vous ? — De St.-Malo. — De St.-Malo ! par quelle bizarrerie la Ville est-elle gardée par des Chiens ? — Quelle bizarrerie y a-t-il là ? répondit le grave personnage ; le Roi est bien gardé par des Suisses.

Pendant la guerre d’Amérique, un Écossais disait à un Français, en lui montrant quelques prisonniers Américains : vous vous êtes battus pour votre maître, moi pour le mien ; mais ces gens-ci, pour qui se battent-ils ? Ce trait vaut bien celui du Roi de Pégu, qui pensa mourir de rire, en apprenant que les Vénitiens n’avaient pas de Rois.

Un Vieillard, me trouvant trop sensible à je ne sais quelle injustice, me dit : mon cher enfant, il faut apprendre de la vie à souffrir la vie.

L’Abbé de la Galaizière était fort lié avec M. Orry, avant qu’il fût Contrôleur-Général. Quand il fut nommé à cette place, son portier, devenu Suisse, semblait ne pas le reconnaître. Mon ami, lui dit l’Abbé de la Galaizière, vous êtes insolent beaucoup trop tôt : votre maître ne l’est pas encore.

Une femme de 90 ans disait à M. de Fontenelle, âgé de 95 : la mort nous a oubliés. Chut, lui répondit M. de Fontenelle, en mettant le doigt sur sa bouche.

M. de Vendôme disait de Made. de Nemours, qui avait un long nez courbé, sur des lèvres vermeilles : elle a l’air d’un Perroquet, qui mange une cerise.

M. le Prince de Charolais ayant surpris M. de Brissac chez sa maîtresse, lui dit : sortez. M. de Brissac lui répondit : Monseigneur, vos ancêtres auraient dit : Sortons.

M. de Castries, dans le tems de la querelle de Diderot & de Rousseau, dit avec impatience à M. de R…, qui me l’a répété : cela est incroyable ; on ne parle que de ces gens-là, gens sans état, qui n’ont point de maison, logés dans un grenier : on ne s’accoutume point à cela.

M. de Voltaire, étant chez Made. du Châtelet, & même dans sa chambre, s’amusait avec l’Abbé Mignot[29], encore enfant, & qu’il tenait sur ses genoux. Il se mit à jaser avec lui, & à lui donner des instructions. Mon ami, lui dit-il, pour réussir avec les hommes, il faut avoir les femmes pour soi ; pour avoir les femmes pour soi, il faut les connaître. Vous saurez donc que toutes les femmes sont fausses & catins… Comment, toutes les femmes ? que dites-vous là, Monsieur, dit Mde. du Châtelet en colère ? — Madame, dit M. de Voltaire, il ne faut pas tromper l’enfance.

M. de Turenne, dînant chez M. de Lamoignon, celui-ci lui demanda si son intrépidité n’était pas ébranlée, au commencement d’une bataille. Oui, dit M. de Turenne, j’éprouve une grande agitation ; mais il y a dans l’Armée plusieurs Officiers subalternes & un grand nombre de Soldats qui n’en éprouvent aucune.

Diderot, voulant faire un Ouvrage qui pouvait compromettre son repos, confiait son secret à un ami qui, le connaissant bien, lui dit : mais vous-même garderez-vous bien le secret ? Et en effet, ce fut Diderot qui le trahit.

C’est M. de Maugiron[30] qui a commis cette action horrible que j’ai entendu conter, & qui me parut une fable. Étant à l’armée, son Cuisinier fut pris comme maraudeur. On vient le lui dire. Je suis très-content de mon Cuisinier, répondit-il ; mais j’ai un mauvais marmiton. Il fait venir ce dernier, lui donne une lettre pour le Grand-Prévôt. Le malheureux y va, est saisi, proteste de son innocence, & est pendu.

Je proposais à M. de L. un mariage qui semblait avantageux. Il me répondit : pourquoi me marierais-je ? le mieux qui puisse m’arriver, en me mariant, est de n’être pas cocu, ce que j’obtiendrai encore plus sûrement, en ne me mariant pas.

Fontenelle avait fait un Opéra où il y avait un chœur de Prêtres, qui scandalisa les Dévots[31]. L’Archevêque de Paris voulut le faire supprimer. Je ne me mêle point de son Clergé, dit Fontenelle ; qu’il ne se mêle pas du mien.

M. d’Alembert a entendu dire au Roi de Prusse, qu’à la bataille de Minden, si M. de Broglie eût attaqué les ennemis & secondé M. de Contades, le Prince Ferdinand était battu. Les Broglies ont fait demander à M. d’Alembert s’il était vrai qu’il eût entendu dire ce fait au Roi de Prusse, & il a répondu qu’oui.

Un courtisan disait : ne se brouille pas avec moi qui veut.

On demandait à M. de Fontenelle mourant comment cela va-t-il ? Cela ne va pas, dit-il ; cela s’en va.

Le Roi de Pologne Stanislas avait des bontés pour l’Abbé Porquet, & n’avait encore rien fait pour lui. L’Abbé lui en faisait l’observation : mais, mon cher Abbé, dit le Roi, il y a beaucoup de votre faute, vous tenez des discours très-libres ; on prétend que vous ne croyez pas en Dieu ; il faut vous modérer ; tâchez d’y croire. Je vous donne un an pour cela.

M. Turgot, qu’un de ses amis ne voyait plus depuis long-tems, dit à cet ami, en le retrouvant : depuis que je suis Ministre vous m’avez disgracié.

Louis XV ayant refusé vingt-cinq mille francs de sa cassette à Lebel, son valet de chambre, pour la dépense de ses petits appartemens, & lui disant de s’adresser au Trésor Royal, Lebel lui répondit : pourquoi m’exposerais-je aux refus & aux tracasseries de ces gens-là, tandis que vous avez là plusieurs millions ? Le Roi lui répondit : je n’aime point à me dessaisir : il faut toujours avoir de quoi vivre. (Anecdote contée par Lebel à M. Buscher).

Le feu Roi était, comme on sait, en correspondance secrète avec le Comte de Broglie. Il s’agissait de nommer un Ambassadeur en Suède. Le Comte de Broglie proposa M. de Vergennes, alors retiré dans ses terres, à son retour de Constantinople. Le Roi ne voulait pas. Le Comte insistait. Il était dans l’usage d’écrire au Roi à mi-marge, & le Roi mettait la réponse à côté. Sur la dernière lettre, le Roi écrivit : je n’approuve point le choix de M. de Vergennes, c’est vous qui m’y forcez ; soit, qu’il parte, mais je défends qu’il amène sa vilaine femme avec lui. (Anecdote contée par Favier qui avait vu la réponse du Roi dans les mains du Comte de Broglie).

On s’étonnait de voir le Duc de Choiseul se soutenir aussi long-tems contre Made. du Barry. Son secret était simple ; au moment où il paraissait le plus chanceler, il se procurait une audience ou un travail avec le Roi, & lui demandait ses ordres relativement à cinq ou six millions d’économie qu’il avait faite dans le département de la guerre, observant qu’il n’était pas convenable de les envoyer au Trésor Royal. Le Roi entendait ce que cela voulait dire, & lui répondait : parlez à Bertin ; donnez-lui trois millions en tels effets : je vous fais présent du reste. Le Roi partageait ainsi avec le Ministre, & n’étant pas sûr que son successeur lui offrît les mêmes facilités, gardait M. de Choiseul, malgré les intrigues de Made. du Barry.

M. Harris, fameux Négociant de Londres, se trouvant à Paris, dans le cours de l’année 1786, à l’époque de la signature du traité de commerce, disait à des Français : je crois que la France n’y perdra un million sterling par an que pendant les vingt-cinq ou trente premières années, mais qu’ensuite la balance sera parfaitement égale.

On sait que M. de Maurepas se jouait de tout ; en voici une preuve nouvelle. M. Francès avait été instruit par une voie sûre, mais sous le secret, que l’Espagne ne se déclarerait, dans la guerre d’Amérique, que pendant l’année 1780. Il l’avait affirmé à M. de Maurepas ; & une année s’étant passée, sans que l’Espagne se déclarât, le prophète avait pris du crédit. M. de Vergennes fit venir M. Francès, & lui demanda pourquoi il répandait ce bruit. Celui-ci répondit : c’est que j’en suis sûr. Le Ministre prenant la morgue ministérielle, lui ordonna de lui dire sur quoi il fondait cette opinion. M. Francès répondit que c’était son secret, & que, n’étant pas en activité, il ne devait rien au Gouvernement. Il ajouta que M. le Comte de Maurepas savait, sinon son secret, au moins tout ce qu’il pouvait dire là-dessus. M. de Vergennes fut étonné ; il en parle à M. de Maurepas, qui lui dit : je le savais, j’ai oublié de vous le dire.

M. de Tressan, autrefois amant de Made. de Genlis & père de ses deux enfans, alla, dans sa vieillesse, les voir à Sillery, une de leurs terres. Ils l’accompagnèrent dans sa chambre à coucher, & ouvrirent les rideaux de son lit, dans lequel ils avaient fait mettre le portrait de leur défunte mère. Il les embrassa, s’attendrit. Ils partagèrent sa sensibilité ; & cela produisit une scène de sentiment la plus ridicule du monde.

Le Duc de Choiseul avait grande envie de ravoir les lettres qu’il avait écrites à M. de Calonne, dans l’affaire de M. de la Chalotais ; mais il était dangereux de manifester ce désir. Cela produisit une scène plaisante entre lui & M. de Calonne, qui tirait ces lettres d’un porte-feuille, numérotées, les parcourait, & disait à chaque fois : en voilà une bonne à brûler, ou telle autre plaisanterie. M. de Choiseul dissimulant toujours l’importance qu’il y mettait, & M. de Calonne se divertissant de son embarras, & lui disant : si je ne fais pas une chose dangereuse pour moi, cela m’ôte tout le piquant de la scène. Mais ce qu’il y eut de plus singulier, c’est que M. d’Aiguillon, l’ayant su, écrivit à M. de Calonne : je sais, Monsieur, que vous avez brûlé les lettres de M. de Choiseul relatives à l’affaire de M. de la Chalotais, je vous prie de garder toutes les miennes.

Un homme très-pauvre qui avait fait un livre contre le Gouvernement, disait : morbleu, la Bastille n’arrive point ; & voilà qu’il faut tout-à-l’heure payer mon terme.

Quand l’Archevêque de Lyon, Montazet, alla prendre possession de son Siège, une vieille Chanoinesse de…, sœur du Cardinal de Tencin, lui fit compliment de ses succès auprès des femmes, & entr’autres, de l’enfant qu’il avait eu de Made. de Mazarin. Le Prélat nia tout, & ajouta : Madame, vous savez que la calomnie ne vous a pas ménagée vous même. Mon histoire avec Made. de Mazarin n’est pas plus vraie que celle qu’on vous prête avec M. le Cardinal. En ce cas, dit la Chanoinesse tranquillement : l’enfant est de vous.

Le Roi & la Reine de Portugal, étaient à Belém pour aller voir un combat de taureaux, le jour du tremblement de terre de Lisbonne. C’est ce qui les sauva ; & une chose avérée, & qui m’a été garantie par plusieurs Français alors en Portugal, c’est que le Roi n’a jamais su l’énormité du désastre. On lui parla d’abord de quelques maisons tombées, ensuite de quelques Églises ; & n’étant jamais revenu à Lisbonne, on peut dire qu’il est le seul homme de l’Europe, qui ne se soit pas fait une véritable idée du désastre arrivé à une lieue de lui.

Madame de C… disait à M. B… : j’aime en vous… Ah, Madame ! dit-il avec feu : si vous savez quoi, je suis perdu.

J’ai connu un Misanthrope, qui avait des instans de bonhommie, dans lesquels il disait : je ne serais pas étonné qu’il y eût quelque honnête homme caché dans quelque coin, & que personne ne connaisse.

Le Maréchal de Broglie, affrontant un danger inutile, & ne voulant pas se retirer, tous ses amis faisaient de vains efforts pour lui en faire sentir la nécessité. Enfin, l’un d’entre eux, M. de Jaucourt, s’approcha, & lui dit à l’oreille : M. le Maréchal, songez que si vous êtes tué, c’est M. de Routhe qui commandera. C’était le plus sot des Lieutenans-Généraux. M. de Broglie, frappé du danger que courait l’armée, se retira.

Le Prince de Conti pensait & parlait mal de M. de Silhouette. Louis XV lui dit un jour : on songe pourtant à le faire Contrôleur-Général. Je le sais, dit le Prince ; & s’il arrive à cette place, je supplie Votre Majesté de me garder le secret. Le Roi, quand M. de Silhouette fut nommé, en apprit la nouvelle au Prince & lui ajouta : je n’oublie point la promesse que je vous ai faite, d’autant plus que vous avez une affaire qui doit se rapporter au Conseil. (Anecdote contée par Madame de Boufflers.)

Le jour de la mort de Made. de Châteauroux, Louis XV paraissait accablé de chagrin ; mais ce qui est extraordinaire, c’est le mot par lequel il le témoigna. Être malheureux, pendant 90 ans ! car je suis sûr que je vivrai jusque-là. Je l’ai ouï raconter par Made. de Luxembourg, qui l’entendit elle-même, & qui ajoutait : je n’ai raconté ce trait que depuis la mort de Louis XV. Ce trait méritait pourtant d’être su pour le singulier mélange qu’il contient, d’amour & d’égoïsme.

Un homme buvait à table d’excellent vin, sans le louer. Le maître de la maison lui en fit servir de très-médiocre. Voilà de bon vin, dit le buveur silencieux. C’est du vin à dix sols, dit le maître, & l’autre est un vin des Dieux. Je le sais, reprit le convive ; aussi ne l’ai-je pas loué. C’est celui-ci qui a besoin de recommandation.

Duclos disait, pour ne pas profaner le nom de Romain, en parlant des Romains modernes, un Italien de Rome.

Dans ma jeunesse même, me disait M…, j’aimais à intéresser, j’aimais assez peu à séduire, & j’ai toujours détesté de corrompre.

M… me disait : toutes les fois que je vais chez quelqu’un, c’est une préférence que je lui donne sur moi ; je ne suis pas assez désœuvré pour y être conduit par un autre motif.

Malgré toutes les plaisanteries qu’on rebat sur le mariage, disait M… : je ne vois pas ce qu’on peut dire contre un homme de soixante ans, qui épouse une femme de 55.

M. de L…, me disait de M. de R… : c’est l’entrepôt du venin de toute la société. Il le rassemble comme les Crapauds, & le darde comme les Vipères.

On disait de M. de Calonne, chassé après la déclaration du déficit : on l’a laissé tranquille, quand il a mis le feu, & on l’a puni quand il a sonné le tocsin.

Je causais un jour avec M. de V. qui paraît vivre sans illusion dans un âge où l’on en est encore susceptible. Je lui témoignais la surprise qu’on avait de son indifférence. Il me répondit gravement : on ne peut pas être & avoir été. J’ai été dans mon tems tout comme un autre, l’amant d’une femme galante, le jouet d’une coquette, le passe-tems d’une femme frivole, l’instrument d’une intrigante. Que peut-on être de plus ? L’ami d’une femme sensible. — Ah ! nous voilà dans les Romans.

Je vous prie de croire, disait M… à un homme très-riche, que je n’ai pas besoin de ce qui me manque.

M… à qui on offrait une place dont quelques fonctions blessaient sa délicatesse, répondit : cette place ne convient ni à l’amour propre que je me permets, ni à celui que je me commande.

Un homme d’esprit ayant lu les petits traités de M. d’Alembert sur l’Élocution oratoire, sur la Poësie, sur l’Ode[32], on lui demanda ce qu’il en pensait. Il répondit : tout le monde ne peut pas être sec.

Je repousse, disait M…, les bienfaits de la protection ; je pourrais peut-être recevoir & honorer ceux de l’estime, mais je ne chéris que ceux de l’amitié.

M… qui avait une collection des Discours de réception à l’Académie Française, me disait : lorsque j’y jette les yeux, il me semble voir des carcasses de feu d’artifice, après la St.-Jean.

On demandait à M… qu’est-ce qui rend plus aimable dans la société. Il répondit : c’est de plaire.

On disait à un homme que M…, autrefois son bienfaiteur, le haïssait. Je demande, répondit-il, la permission d’avoir un peu d’incrédulité à cet égard. J’espère qu’il ne me forcera pas à changer en respect pour moi le seul sentiment que j’ai besoin de lui conserver.

M… tient à ses idées. Il aurait de la suite dans l’esprit, s’il avait de l’esprit. On en ferait quelque chose, si l’on pouvait changer ses préjugés en principes.

Une jeune personne, dont la mère était jalouse & à qui les 13 ans de sa fille déplaisaient infiniment, me disait un jour : j’ai toujours envie de lui demander pardon d’être née.

M…, homme de Lettres connu, n’avait fait aucune démarche pour voir tous ces princes voyageurs, qui, dans l’espace de trois ans, sont venus en France l’un après l’autre. Je lui demandai la raison de ce peu d’empressement. Il me répondit : je n’aime, dans les scènes de la vie, que ce qui met les hommes dans un rapport simple & vrai les uns avec les autres. Je sais, par exemple, ce que c’est qu’un père & un fils, un amant & une maîtresse, un ami & une amie, un protecteur & un protégé & même un acheteur & un vendeur, &c., mais ces visites produisant des scènes sans objet, où tout est comme réglé par l’étiquette, dont le dialogue est comme écrit d’avance, je n’en fais aucun cas. J’aime mieux un canevas Italien qui a du moins le mérite d’être joué à l’impromptu.

M… voyant, dans ces derniers tems, jusqu’à quel point l’opinion publique influait sur les grandes affaires, sur les places, sur le choix des Ministres, disait à M. de L…, en faveur d’un homme qu’il voulait voir arriver : faites-nous en sa faveur un peu d’opinion publique.

Je demandais à M. N… pourquoi il n’allait plus dans le monde ? il me répondit : c’est que je n’aime plus les femmes, & que je connais les hommes.

M… disait de Ste.-F…, homme indifférent au mal & au bien, dénué de tout instinct moral : c’est un chien placé entre une pastille & un excrément, & ne trouvant d’odeur ni à l’une ni à l’autre.

M… avait montré beaucoup d’insolence & de vanité, après une espèce de succès au Théâtre ; c’était son premier Ouvrage. Un de ses amis lui dit : mon ami, tu sèmes les ronces devant toi, tu les trouveras en repassant.

La manière dont je vois distribuer l’éloge & le blâme, disait M. de B…, donnerait à un plus honnête homme du monde l’envie d’être diffamé.

Une mère après un trait d’entêtement de son fils, disait que les enfans étaient très-égoïstes. Oui, dit M…, en attendant qu’ils soient polis.

On disait à M… vous aimez beaucoup la considération. Il répondit ce mot qui me frappa : non, j’en ai pour moi, ce qui m’attire quelquefois celle des autres.

On compte 56 violations de la foi publique, depuis Henri iv jusqu’au Ministère du Cardinal de Loménie inclusivement. M. D… appliquait aux fréquentes banqueroutes de nos Rois ces deux vers de Racine :

Et d’un trône si saint la moitié n’est fondée,
Que sur la foi promise, & rarement gardée[33].

On disait à M…, Académicien : vous vous marierez quelque jour. Il répondit : j’ai tant plaisanté l’Académie, & j’en suis ; j’ai toujours peur qu’il ne m’arrive la même chose pour le mariage.

M… disait de Mlle (qui n’était point vénale, n’écoutait que son cœur, & restait fidèle à l’objet de son choix) : c’est une personne charmante, & qui vit le plus honnêtement qu’il est possible, hors du mariage & du célibat.

Un mari disait à sa femme : Madame, cet homme a des droits sur vous, il vous a manqué devant moi, je ne le souffrirai pas. Qu’il vous maltraite quand vous êtes seule mais en ma présence, c’est me manquer à moi-même.

J’étais à table à côté d’un homme qui me demanda si la femme qu’il avait devant lui n’était pas la femme de celui qui était à côté d’elle. J’avais remarqué que celui-ci ne lui avait pas dit un mot ; c’est ce qui me fit répondre à mon voisin : Monsieur, ou il ne la connaît pas, ou c’est sa femme.

Je demandais à M. de… s’il se marierait. Je ne le crois pas, me disait-il ; & il ajouta en riant : la femme qu’il me faudrait, je ne la cherche point, je ne l’évite même pas.

Je demandais à M. de T… pourquoi il négligeait son talent, & paraissait si complètement insensible à la gloire ; il me répondit ces propres paroles : Mon amour-propre a péri dans le naufrage de l’intérêt que je prenais aux hommes.

On disait à un homme modeste : il y a quelque fois des fentes au boisseau, sous lequel se cachent les vertus.

M… qu’on voulait faire parler sur différens abus publics ou particuliers, répondit froidement : tous les jours j’accrois la liste des choses dont je ne parle plus. Le plus philosophe est celui dont la liste est la plus longue.

Je proposerais volontiers, disait M. D…, je proposerais aux calomniateurs & aux méchans le traité que voici. Je dirais aux premiers, je veux que l’on me calomnie, pourvu que, par une action ou indifférente ou même louable, j’aie fourni le fond de la calomnie ; pourvu que son travail ne soit que la broderie du canevas ; pourvu qu’on n’invente pas les faits en même tems que les circonstances ; en un mot pourvu que la calomnie ne fasse pas les frais à la fois & du fond & de la forme. Je dirais aux méchans : je trouve simple qu’on me nuise, pourvu que celui qui me nuit y ait quelque intérêt personnel ; en un mot, qu’on ne me fasse pas du mal gratuitement, comme il arrive.

On disait d’un Escrimeur adroit, mais poltron ; spirituel & galant auprès des femmes, mais impuissant : il manie très-bien le fleuret & la fleurette, mais le duel & la jouissance lui font peur.

C’est bien mal fait, disait M…, d’avoir laissé tomber le cocuage, c’est-à-dire, de s’être arrangé pour que ce ne soit plus rien. Autrefois, c’était un état dans le monde, comme de nos jours, celui de joueur. À présent ce n’est plus rien du tout.

M. de L…, connu pour misanthrope, me disait un jour, à propos de son goût pour la solitude : il faut diablement aimer quelqu’un pour le voir.

M… aime qu’on dise qu’il est méchant à peu près comme les Jésuites n’étaient pas fâchés qu’on dît qu’ils assassinaient les Rois. C’est l’orgueil qui veut régner par la crainte sur la faiblesse.

Un Célibataire qu’on pressait de se marier, répondit plaisamment : je prie Dieu de me préserver des femmes aussi bien que je me préserverai du mariage.

Un homme parlait du respect que mérite le public. Oui, dit M…, le respect qu’il obtient de la prudence. Tout le monde méprise les Harengères. Cependant qui oserait risquer de les offenser en traversant la Halle ?

Je demandais à M. R…, homme plein d’esprit & de talens, pourquoi il ne s’était nullement montré dans la Révolution de 1789, il me répondit : c’est que, depuis 30 ans, j’ai trouvé les hommes si méchans, en particulier & pris un à un, que je n’ai osé espérer rien de bon d’eux, en public & pris collectivement.

Il faut que ce qu’on appelle la police soit une chose bien terrible, disait plaisamment Made. de…, puisque les Anglais aiment mieux les voleurs & les assassins, & que les Turcs aiment mieux la peste.

Ce qui rend le monde désagréable, me disait M. de L…, ce sont les fripons, & puis les honnêtes gens ; de sorte que, pour que tout fût passable, il faudrait anéantir les uns, & corriger les autres. Il faudrait détruire l’Enfer & recomposer le Paradis.

D… s’étonnait de voir M. de L…, homme très-accrédité, échouer dans tout ce qu’il essayait de faire pour un de ses amis. C’est que la faiblesse de son caractère anéantit la puissance de sa position. Celui qui ne sait pas ajouter sa volonté à sa force, n’a point de force.

Quand Made. de F… a dit joliment une chose bien pensée, elle croit avoir tout fait ; de façon que si une de ses amies faisait à sa place ce qu’elle a dit qu’il fallait faire, cela ferait à elles deux une philosophe. M. de… disait d’elle : que quand elle a dit une jolie chose sur l’émétique, elle est toute surprise de n’être point purgée.

Un homme d’esprit définissait Versailles, un pays où, en descendant, il faut toujours paraître monter ; c’est-à-dire, s’honorer de fréquenter ce qu’on méprise.

M… me disait qu’il s’était toujours bien trouvé des maximes suivantes sur les femmes. Parler toujours bien du sexe en général ; louer celles qui sont aimables ; se taire sur les autres ; les voir peu ; ne s’y fier jamais ; & ne jamais laisser dépendre son bonheur d’une femme, quelle qu’elle soit.

Un Philosophe me disait qu’après avoir examiné l’ordre civil & politique des sociétés, il n’étudiait plus que les sauvages, dans les livres des voyageurs, & les enfans, dans la vie ordinaire.

Made. de… disait de M. B…, il est honnête, mais médiocre & d’un caractère épineux ; c’est comme la perche, blanche, saine, mais insipide & pleine d’arêtes.

M…étouffe plutôt ses passions qu’il ne sait les conduire. Il me disait là-dessus : je ressemble à un homme qui, étant à cheval, & ne sachant pas gouverner sa bête qui l’emporte, la tue d’un coup de pistolet & se précipite avec elle.

Je demandais à M… pourquoi il avait refusé plusieurs places ; il me répondit : je ne veux rien de ce qui met un rôle à la place d’un homme.

Ne voyez-vous pas, me disait M…, que je ne suis rien que par l’opinion qu’on a de moi ; que lorsque je m’abaisse je perds de ma force, & que je tombe lorsque je descends ?

C’est une chose bien extraordinaire que deux auteurs pénétrés & panégyristes, l’un en vers, l’autre en prose, de l’amour immoral & libertin, Crébillon & Bernard, soient morts épris passionnément de deux filles. Si quelque chose est plus étonnant, c’est de voir l’amour sentimental posséder Made. de Voyer jusqu’au dernier moment, & la passionner pour le Vicomte de Noailles, tandis que de son côté, M. de Voyer a laissé deux cassettes pleines de lettres céladoniques copiées deux fois de sa main. Cela rappelle les poltrons, qui chantent pour déguiser leur peur.

Qu’un homme d’esprit (disait en riant M. de…) ait des doutes sur sa maîtresse, cela se conçoit ; mais sur sa femme ! il faut être bien bête.

C’est un caractère curieux que celui de M. L… ; son esprit est plaisant & profond ; son cœur est fier & calme ; son imagination est douce, vive, & même passionnée.

Dans le monde, disait M…, vous avez trois sortes d’amis : vos amis qui vous aiment : vos amis qui ne se soucient pas de vous, & vos amis qui vous haïssent.

M… disait : je ne sais pourquoi Made. de L… désire tant que j’aille chez elle ; car quand j’ai été quelque tems sans y aller, je la méprise moins. On pourrait dire cela du monde en général.

D…, misanthrope plaisant, médisait, à propos de la méchanceté des hommes : il n’y a que l’inutilité du premier déluge qui empêche Dieu d’en envoyer un second.

On attribuait à la philosophie moderne le tort d’avoir multiplié le nombre des célibataires, sur quoi M… dit : tant qu’on ne me prouvera pas que ce sont les philosophes qui se sont cotisés pour faire les fonds de Mlle. Bertin, & pour élever sa boutique, je croirai que le célibat pourrait bien avoir une autre cause.

N… disait qu’il fallait toujours examiner si la liaison d’une femme & d’un homme est d’ame à ame, ou de corps à corps ; si celle d’un particulier & d’un homme en place ou d’un homme de la Cour, est de sentiment à sentiment, ou de position à position, &c.

M. de… disait qu’il ne fallait rien lire dans les séances publiques de l’Académie Française, par-delà ce qui est imposé par les statuts, & il motivait son avis en disant : En fait d’inutilités, il ne faut que le nécessaire.

M… disait que le désavantage d’être au-dessous des Princes est richement compensé par l’avantage d’en être loin.

On proposait un mariage à M…, il répondit : il y a deux choses que j’ai toujours aimées à la folie, ce sont les femmes & le célibat. J’ai perdu ma première passion, il faut que je conserve la seconde.

La rareté d’un sentiment vrai fait que je m’arrête quelquefois dans les rues, à regarder un chien ronger un os ; c’est au retour de Versailles, Marly, Fontainebleau (disait M. de…) que je suis plus curieux de ce spectacle.

M. Thomas me disait un jour : je n’ai pas besoin de mes contemporains ! mais j’ai besoin de la postérité ; il aimait beaucoup la gloire. Beau résultat de philosophie, lui dis-je, de pouvoir se passer des vivans, pour avoir besoin de ceux qui ne sont pas nés !

N… disait à M. Barthe : depuis dix ans que je vous connais, j’ai toujours cru qu’il était impossible d’être votre ami, mais je suis trompé, il y en aurait un moyen. - Et lequel ? — Celui de faire une parfaite abnégation de soi & d’adorer sans cesse votre égoïsme.

M. de R… était autrefois moins dur & moins dénigrant qu’aujourd’hui ; il a usé toute son indulgence, & le peu qui lui en reste, il le garde pour lui.

On proposait à un célibataire de se marier, il répondit par de la plaisanterie ; & comme il y avait mis beaucoup d’esprit, on lui dit : votre femme ne s’ennuierait pas ; sur quoi il répondit : si elle était jolie, sûrement elle s’amuserait tout comme une autre.

On accusait M… d’être misanthrope. Moi, dit-il, je ne le suis pas ; mais j’ai bien pensé l’être, & j’ai vraiment bien fait d’y mettre ordre. — Qu’avez-vous fait pour l’empêcher ? — Je me suis fait solitaire.

Il est tems, disait M…, que la philosophie ait aussi son index, comme l’inquisition de Rome & de Madrid. Il faut qu’elle fasse une liste des livres qu’elle proscrit, & cette proscription sera plus considérable que celle de sa rivale. Dans les livres mêmes qu’elle approuve en général, combien d’idées particulières ne condamnerait-elle pas, comme contraires à la morale, & même au bon sens ?

Ce jour là je fus très-aimable, point brutal, me disait M. S…, qui était en effet l’un & l’autre.

M… me dit un jour plaisamment, à propos des femmes & de leurs défauts : il faut choisir, d’aimer les femmes ou de les connaître : il n’y a pas de milieu.

M…, qui venait de publier un ouvrage qui avait beaucoup réussi, était sollicité d’en publier un second, dont ses amis faisaient grand cas. Non, dit-il, il faut laisser à l’envie le tems d’essuyer son écume.

M…, jeune homme, me demandait pourquoi Made. de B… avait refusé son hommage, qu’il lui offrait, pour courir après celui de M. de L…, qui semblait se refuser à ses avances ; je lui dis : mon cher ami, Gênes, riche & puissante, a offert sa souveraineté à plusieurs Rois, qui l’ont refusée, & on a fait la guerre pour la Corse, qui ne produit que des châtaignes, mais qui était fière & indépendante.

Un des parens de M. de Vergennes lui demandait pourquoi il avait laissé arriver au ministère de Paris le Baron de Breteuil, qui était dans le cas de lui succéder. C’est que, dit-il, c’est un homme qui, ayant toujours vécu dans le pays étranger, n’est pas connu ici ; c’est qu’il a une réputation usurpée ; que quantité de gens le croient digne du ministère : il faut les détromper, le mettre en évidence, & faire voir ce que c’est que le Baron de Breteuil.

On reprochait à M. L…, homme de lettres, de ne plus rien donner au public. Que voulez-vous qu’on imprime, dit-il, dans un pays où l’Almanach de Liège est défendu de tems en tems ?

M… disait de M. de la Reynière, chez qui tout le monde va pour sa table, & qu’on trouve très-ennuyeux ; on le mange, mais on ne le digère pas.

M. de F…, qui avait vu à sa femme plusieurs amans, & qui avait toujours joui de tems en tems de ses droits d’époux, s’avisa un soir de vouloir en profiter. Sa femme s’y refuse. Eh quoi, lui dit-elle, ne savez-vous pas que je suis en affaire avec M… ? — Belle raison, dit-il ; ne m’avez-vous pas laissé mes droits quand vous aviez L…, S…, N…, B…, T… ? — Oh ! quelle différence ! Était-ce de l’amour que j’avais pour eux ! Rien ; pures fantaisies ; mais avec M… c’est un sentiment ; c’est à la vie & à la mort. — Ah ! je ne savais pas cela ; n’en parlons plus : & en effet, tout fut dit. M. de R…, qui entendait conter cette histoire, s’écria : mon Dieu ! que je vous remercie d’avoir amené le mariage à produire de pareilles gentillesses !

Mes ennemis ne peuvent rien contre moi, disait M…, car ils ne peuvent m’ôter la faculté de bien penser ni celle de bien faire.

Je demandais à M… s’il se marierait, il me répondit : pourquoi faire ? Pour payer au Roi de France la capitation & les trois vingtièmes après ma mort ?

M. de… demandait à l’Évêque de… une maison de campagne où il n’allait jamais ; celui-ci lui répondit : ne savez-vous pas qu’il faut toujours avoir un endroit où l’on n’aille point & où l’on croie que l’on serait heureux si on y allait ! M. de…, après un instant de silence, répondit : cela est vrai, & c’est ce qui a fait la fortune du paradis.

Milton, après le rétablissement de Charles ii, était dans le cas de reprendre une place très-lucrative qu’il avait perdue ; sa femme l’y exhortait, il lui répondit : vous êtes femme & vous voulez avoir un carosse ; moi je veux vivre & mourir en honnête homme.

Je pressais M. de L…, d’oublier les torts de M. de B… (qui l’avait autrefois obligé) il me répondit : Dieu a recommandé le pardon des injures, il n’a point recommandé celui des bienfaits.

M… me disait : je ne regarde le Roi de France que comme le Roi d’environ cent mille hommes, auxquels il partage & sacrifie la sueur, le sang & les dépouilles de vingt-quatre millions neuf cent mille hommes, dans des proportions déterminées par les idées féodales, militaires, anti-morales & anti-politiques qui avilissent l’Europe depuis vingt siècles.

M. de Calonne voulant introduire des femmes dans son cabinet, trouva que la clé n’entrait point dans la serrure. Il lâcha un f—— d’impatience, & sentant sa faute : pardon, Mesdames, dit-il, j’ai fait bien des affaires dans ma vie, & j’ai vu qu’il n’y a qu’un mot qui serve. En effet, la clé entra tout de suite.

Je demandais à M… pourquoi, en se condamnant l’obscurité, il se dérobait au bien qu’on pouvait lui faire. Les hommes, me dit-il, ne peuvent rien faire pour moi qui vaille leur oubli.

M. de… promettait je ne sais quoi à M. L…, & jurait foi de Gentilhomme ; celui-ci lui dit : si cela vous est égal, ne pourriez-vous pas dire foi d’honnête homme ?

Le fameux Ben Jonson disait que tous ceux qui avaient pris les Muses pour femmes étaient morts de faim, & que ceux qui les avaient prises pour maîtresses s’en étaient fort bien trouvés. Cela revient assez à ce que j’ai ouï dire à Diderot, qu’un homme de lettres sensé pouvait être l’amant d’une femme qui fait un livre, mais ne devait être le mari que de celle qui sait faire une chemise. Il y a mieux que tout cela, c’est de n’être ni l’amant de celle qui fait un livre, ni le mari d’aucune.

J’espère qu’un jour, disait M…, au sortir de l’Assemblée nationale présidée par un Juif, j’assisterai au mariage d’un Catholique séparé par divorce de sa première femme Luthérienne, & épousant une jeune Anabaptiste ; qu’ensuite nous irons dîner chez le Curé, qui nous présentera sa femme, jeune personne de la religion Anglicane, qu’il aura lui-même épousée en secondes noces, étant veuf d’une Calviniste.

Ce n’est pas, me disait M. de M…, un homme très-vulgaire, que celui qui dit à la Fortune : je ne veux de toi qu’à telle condition ; tu subiras le joug que je veux t’imposer ; & qui dit à la Gloire : tu n’es qu’une fille à qui je veux bien faire quelques caresses, mais que je repousserai si tu en risques avec moi de trop familières & qui ne me conviennent pas. C’était lui-même qu’il peignait, & tel est en effet son caractère.

On disait d’un Courtisan léger, mais non corrompu : il a pris de la poussière dans le tourbillon, mais il n’a pas pris de tache dans la boue.

M… disait qu’il fallait qu’un philosophe commençât par avoir le bonheur des morts, celui de ne pas souffrir & d’être tranquille : puis celui des vivans, de penser, sentir & s’amuser.

M. de Vergennes n’aimait point les gens de lettres, & on remarqua qu’aucun Écrivain distingué n’avait fait des vers sur la paix de 1783[34] ; sur quoi quelqu’un disait : il y en a deux raisons ; il ne donne rien aux Poëtes & ne prête pas à la Poësie.

Je demandais à M… quelle était sa raison de refuser un mariage avantageux. Je ne veux point me marier, dit-il, dans la crainte d’avoir un fils qui me ressemble. Comme j’étais surpris, vu que c’est un très-honnête homme ; oui, dit-il, oui, dans la crainte d’avoir un fils qui, étant pauvre comme moi, ne sache ni mentir, ni flatter, ni ramper, & ait à subir les mêmes épreuves que moi.

Une femme parlait emphatiquement de sa vertu, & ne voulait plus, disait-elle, entendre parler d’amour. Un homme d’esprit, dit là-dessus : à quoi bon toute cette forfanterie ? ne peut-on pas trouver un amant sans dire tout cela ?

Dans le tems de l’Assemblée des Notables, un homme voulait faire parler le perroquet de Made. de…, Ne vous fatiguez pas, lui dit-elle, il n’ouvre jamais le bec. — Comment avez-vous un perroquet qui ne dit mot ? Ayez-en un qui dise au moins vive le Roi. Dieu m’en préserve, dit-elle : un perroquet disant vive le Roi ! je ne l’aurais plus. On en aurait fait un Notable.

Un malheureux portier, à qui les enfans de son maître refusèrent de payer un legs de 1000 livres, qu’il pouvait réclamer par justice, me dit ; voulez-vous, Monsieur, que j’aille plaider contre les enfans d’un homme que j’ai servi vingt-cinq ans, & que je sers eux-mêmes depuis quinze ? Il se faisait de leur injustice même, une raison d’être généreux à leur égard.

On demandait à M…, pourquoi la nature avait rendu l’amour indépendant de notre raison. C’est, dit-il, parce que la nature ne songe qu’au maintien de l’espèce, & pour la perpétuer, elle n’a que faire de notre sottise. Qu’étant ivre, je m’adresse à une servante de cabaret ou à une fille, le but de la nature peut être aussi bien rempli, que si j’eusse obtenu Clarisse après deux ans de soins ; au lieu que ma raison me sauverait de la servante, de la fille & de Clarisse même peut-être[35]. À ne consulter que la raison, quel est l’homme qui voudrait être père & se préparer tant de soucis pour un long avenir ? Quelle femme, pour une épilepsie de quelques minutes, se donnerait une maladie d’une année entière ? La nature en nous dérobant à notre raison, assure mieux son empire ; & voilà pourquoi elle a mis de niveau sur ce point Zénobie & sa fille de basse-cour, Marc-Aurèle & son palefrenier[36].

M… est un homme noble, dont l’ame est ouverte à toutes les impressions, dépendant de ce qu’il voit, de ce qu’il entend, ayant une larme prête pour la belle action qu’on lui raconte, & un sourire pour le ridicule qu’un sot essaye de jeter sur elle.

M… prétend que le monde le plus choisi est entièrement conforme à la description qui lui fut faite d’un mauvais lieu, par une jeune personne qui y logeait. Il la rencontre au Vauxhall, il s’approche d’elle, & lui demande en quel endroit on pourrait la voir seule pour lui confier quelques petits secrets. Monsieur, dit-elle, je demeure chez Made…, c’est un lieu très-honnête, où il ne va que des gens comme il faut, la plûpart en carosse, une porte cochère, un joli salon où il y a des glaces & un beau lustre. On y soupe quelquefois & on est servi en vaisselle plate. — Comment donc, Mlle. ! j’ai vécu en bonne compagnie, & je n’ai rien vu de mieux que cela. — Ni moi non plus, qui ai pourtant habité presque toutes ces sortes de maisons. M… reprenait toutes les circonstances, & faisait voir qu’il n’y en avait pas une qui ne s’appliquât au monde tel qu’il est.

M… jouit excessivement des ridicules qu’il peut saisir & appercevoir dans le monde. Il paraît même charmé lorsqu’il voit quelque injustice absurde ; des places données à contre-sens, des contradictions ridicules dans la conduite de ceux qui gouvernent, des scandales de toute espèce que la société offre trop souvent. D’abord j’ai cru qu’il était méchant, mais en le fréquentant davantage, j’ai démêlé à quel principe appartient cette étrange manière de voir. C’est un sentiment honnête, une indignation vertueuse qui l’a rendu long-tems malheureux, & à laquelle il a substitué une habitude de plaisanterie, qui voudrait n’être que gaie, mais qui devenant quelquefois amère & sarcasmatique, dénonce la source dont elle part.

Les amitiés de N…, ne sont autre chose que le rapport de ses intérêts avec ceux de ses prétendus amis. Ses amours ne sont que le produit de quelques bonnes digestions. Tout ce qui est au-dessus ou au-delà n’existe point pour lui. Un mouvement noble & désintéressé en amitié, un sentiment délicat lui paraît une folie non-moins absurde que celle qui fait mettre un homme aux Petites Maisons.

M. de Ségur, ayant publié une ordonnance qui obligeait à ne recevoir dans le corps de l’Artillerie, que des Gentilshommes, & d’une autre part, cette fonction n’admettant que des gens instruits, il arriva une chose plaisante. C’est que l’Abbé Bossut, examinateur des Élèves, ne donna d’attestation qu’à des Roturiers, & Chérin, qu’à des Gentilshommes : sur une centaine d’élèves, il n’y en eut que quatre ou cinq qui remplirent les deux conditions.

M. de L…, médisait relativement au plaisir des femmes, que lorsqu’on cesse de pouvoir être prodigue, il faut devenir avare, & qu’en ce genre, celui qui cesse d’être riche commence à être pauvre. Pour moi, dit-il, aussitôt que j’ai été obligé de distinguer entre la lettre d’échange payable à vue & la lettre à échéance, j’ai quitté la banque.

Un Homme de lettres à qui un Grand Seigneur faisait sentir la supériorité de son rang, lui dit : Monsieur le Duc, je n’ignore pas ce que je dois savoir, mais je sais aussi qu’il est plus aisé d’être au-dessus de moi qu’à côté.

Made. de L… est coquette avec illusion en se trompant elle-même. Made. de B… l’est sans illusion, & il ne faut pas la chercher parmi les dupes qu’elle fait.

Le Maréchal de Noailles avait un procès au Parlement avec un de ses fermiers. Huit à neuf Conseillers se récusèrent, disant : tous en qualité de parens de M. de Noailles ; & ils l’étaient en effet au huitième degré. Un Conseiller, nommé M. Hurson, trouvant cette vanité ridicule, se leva, disant : je me récuse aussi. Le premier Président lui demanda en quelle qualité. Il répondit : comme parent du fermier.

Made. de… âgée de 65 ans, ayant épousé M… âgé de 22. Quelqu’un dit, que c’était le mariage de Pyrame & de Baucis[37].

M… à qui on reprochait son indifférence pour les femmes, disait : je puis dire sur elles, ce que Made. de Créquy disait sur les enfans. J’ai dans la tête un fils dont je n’ai jamais pu accoucher. J’ai dans l’esprit une femme comme il y en a peu, qui me préserve des femmes comme il en a beaucoup. J’ai bien des obligations à cette femme-là.

Ce qui me paraît le plus comique dans le monde civil, disait M…, c’est le mariage, c’est l’état de mari : ce qui me paraît le plus ridicule dans le monde politique, c’est la Royauté, c’est le métier de Roi. Voilà les deux choses qui m’égayent le plus : ce sont les deux sources intarissables de mes plaisanteries. Ainsi, qui me marierait & me ferait Roi, m’ôterait à la-fois une partie de mon esprit & de ma gaîté.

On avisait dans une société, aux moyens de déplacer un mauvais Ministre déshonoré par vingt turpitudes. Un des ennemis connus, dit tout-à-coup : ne pourrait-on pas lui faire faire quelque opération raisonnable, quelque chose d’honnête, pour le faire chasser ?

Que peuvent pour moi, disait M…, les Grands & les Princes ? Peuvent-ils me rendre ma jeunesse ou m’ôter ma pensée, dont l’usage me console de tout ?

Made. de… disait un jour à M…, je ne saurais être à ma place dans votre esprit, parce que j’ai beaucoup vu pendant quelque tems M. d’Ur… Je vais vous en dire la raison, qui est en même-tems ma meilleure excuse. Je couchais avec lui ; & je hais si fort la mauvaise compagnie, qu’il n’y avait qu’une pareille raison qui pût me justifier à mes yeux, & je m’imagine, aux vôtres.

M. de B… voyait Made. de L… tous les jours ; le bruit courut qu’il allait l’épouser. Sur quoi il dit à l’un de ses amis : Il y a peu d’hommes qu’elle n’épousât pas plus volontiers que moi & réciproquement. Il serait bien étrange, que dans quinze ans d’amitié, nous n’eussions pas vu combien nous sommes antipathiques l’un à l’autre.

L’illusion, disait M…, ne fait d’effet sur moi, relativement aux personnes que j’aime, que celui d’un verre sur un pastel. Il adoucit les traits sans changer les rapports ni les proportions.

On agitait dans une société la question, lequel était plus agréable, de donner ou de recevoir. Les uns prétendaient que c’était de donner ; d’autres, que quand l’amitié était parfaite, le plaisir de recevoir était peut-être aussi délicat & plus vif. Un homme d’esprit à qui on demanda son avis, dit : Je ne demanderai pas lequel des deux plaisirs est le plus vif, mais je préférerais celui de donner ; il m’a semblé qu’au moins il était le plus durable, & j’ai toujours vu que c’était celui des deux dont on se souvenait plus long-tems.

Les amis de M… voulant plier son caractère à leurs fantaisies, & le trouvant toujours le même, disaient qu’il était incorrigible, il leur répondit : si je n’étais pas incorrigible, il y a bien long-tems que je serais corrompu.

Je me refuse, disait M…, aux avances de M. de B…, parce que j’estime assez peu les qualités pour lesquelles il me recherche, & que s’il savait quelles sont les qualités pour lesquelles je m’estime, il me fermerait sa porte.

On reprochait à M. de…, d’être le médecin tant pis. Cela vient, répondit-il, de ce que j’ai vu enterrer tous les malades du médecin tant mieux. Au moins si les miens meurent, on n’a point à me reprocher d’être un sot.

Un homme qui avait refusé d’avoir Made. de S…, disait : à quoi sert l’esprit, s’il ne sert pas à n’avoir point Made. de S… ?

M. Joly de Fleury, Contrôleur-général en 1781, a dit à mon ami M. B… : vous parlez toujours de Nation. Il n’y a point de Nation. Il faut dire le Peuple ; le Peuple que nos plus anciens publicistes définissent, Peuple serf, corvéable & taillable à merci & miséricorde.

On offrait à M… une place lucrative qui ne lui convenait pas, il répondit : je sais qu’on vit avec de l’argent, mais je sais aussi qu’il ne faut pas vivre pour de l’argent.

Quelqu’un disait d’un homme très-personnel : il brûlerait votre maison pour se faire cuire deux œufs.

Le Duc de…, qui avait autrefois de l’esprit, qui recherchait la conversation des honnêtes gens, s’est mis à cinquante ans, à mener la vie d’un courtisan ordinaire. Ce métier & la vie de Versailles lui conviennent dans la décadence de son esprit, comme le jeu convient aux vieilles femmes.

Un homme dont la santé s’était rétablie en assez peu de tems & à qui on en demandait la raison, répondit : c’est que je compte avec moi, au lieu qu’auparavant je comptais sur moi.

Je crois, disait M…, sur le Duc de…, que son nom est son plus grand mérite, & qu’il a toutes les vertus qui se font dans une parcheminerie.

On accusait un jeune homme de la Cour d’aimer les filles avec fureur. Il y avait là plusieurs femmes honnêtes & considérables avec qui cela pouvait le brouiller. Un de ses amis qui était présent, répondit : exagération, méchanceté, il a aussi des femmes.

M… qui aimait beaucoup les femmes, me disait que leur commerce lui était nécessaire, pour tempérer la sévérité de ses pensées, & occuper la sensibilité de son ame. J’ai, disait-il, du Tacite dans la tête, & du Tibulle dans le cœur.

M. de L…, disait qu’on aurait dû appliquer au mariage, la Police relative aux maisons qu’on loue par un bail, pour trois, six & neuf ans, avec pouvoir d’acheter la maison, si elle vous convient.

La différence qu’il y a de vous à moi, me disait M… c’est que vous avez dit à tous les masques, je vous connais. & moi je leur ai laissé l’espérance de me tromper. Voilà pourquoi le monde m’est plus favorable qu’à vous. C’est un bal dont vous avez détruit l’intérêt pour les autres, & l’amusement pour vous-même.

Quand M. de R… a passé une journée sans écrire, il répète le mot de Titus, j’ai perdu un jour.

L’homme, disait M…, est un sot animal, si j’en juge par moi.

M… avait, pour exprimer le mépris, une formule favorite : c’est l’avant-dernier des hommes. — Pourquoi l’avant-dernier, lui demandait-on ? — Pour ne décourager personne, car il y a presse.

Au physique, disait M…, homme d’une santé délicate & d’un caractère très-fort, je suis le roseau qui plie & ne rompt pas ; au moral, je suis au contraire le chêne qui rompt & ne plie point. Homo interior, totus nervus, dit Van Helmont.

J’ai connu, me disait M. de L…, âgé de 91 ans, des hommes qui avaient un caractère grand, mais sans pureté, d’autres qui avaient un caractère pur, mais sans grandeur.

M. de C… avait reçu un bienfait de M. d’A…, celui-ci avait recommandé le secret. Il fut gardé. Plusieurs années après ils se brouillèrent, alors M. de C. révéla le secret du bienfait qu’il avait reçu. M. T…, leur ami commun, instruit, demanda à M. de C…, la raison de cette apparente bizarrerie. Celui-ci répondit : j’ai tu son bienfait tant que je l’ai aimé. Je parle, parce que je ne l’aime plus. C’était alors son secret, à présent, c’est le mien.

M…, disait du Prince de Beauvau, grand puriste : quand je le rencontre dans ses promenades du matin, & que je passe dans l’ombre de son cheval, (il se promène souvent à cheval pour sa santé) : J’ai remarqué que je ne fais pas une faute de Français de toute la journée.

N… disait, qu’il s’étonnait toujours de ces festins meurtriers qu’on se donne dans le monde. Cela se convient entre parens qui héritent les uns des autres, mais entre amis qui n’héritent pas, quel peut en être l’objet ?

J’ai vu, disait M…, peu de fiertés, dont j’aie été content. Ce que je connais de mieux en ce genre, c’est celle de Satan dans le Paradis Perdu[38].

Le bonheur, disait M…, n’est pas chose aisée. Il est très-difficile de le trouver en nous, & impossible de le trouver ailleurs.

On engageait M. de… à quitter une place, dont le titre seul faisait sa sûreté contre des hommes puissans : il répondit : on peut couper à Samson sa chevelure ; mais il ne faut pas lui conseiller de prendre perruque.

On disait que M… était peu sociable, oui, dit un de ses amis, il est choqué de plusieurs choses, qui dans la société choquent la nature.

On faisait la guerre à M…, sur son goût pour la solitude, il répondit : c’est que je suis plus accoutumé à mes défauts qu’à ceux d’autrui.

M. de… se prétendant ami de M. Turgot, alla faire compliment à M. de Maurepas, d’être délivré de M. Turgot.

Ce même ami de M. Turgot fut un an sans le voir après sa disgrâce, & M. Turgot ayant eu besoin de le voir, il lui donna un rendez-vous, non chez M. Turgot, non chez lui-même, mais chez Duplessis, au moment où il se faisait peindre.

Il eut depuis la hardiesse de dire à M. Bert…, qui n’était parti de Paris, que huit jours après la mort de M. Turgot : moi qui ai vu M. Turgot dans tous les momens de sa vie, moi son ami intime, & qui lui ai fermé les yeux.

Il n’a commencé à braver M. Necker que quand celui-ci fut très-mal avec M. de Maurepas, & à sa chute, il alla dîner chez Sainte-Foix avec Bourboulon[39], ennemis de Necker, qu’il méprisait tous les deux.

Il a passé sa vie à médire de M. de Calonne, qu’il a fini par loger ; de M. de Vergennes, qu’il n’a cessé de capter, par le moyen d’Hennin[40], qu’il a ensuite mis à l’écart ; il lui a substitué dans son amitié Renneval, dont il s’est servi pour faire faire un traitement très-considérable à M. d’Ornano, nommé pour présider à la démarcation des limites de France & d’Espagne[41].

Incrédule, il fait maigre les Vendredi & Samedi à tout hasard. Il s’est fait donner 100,000 liv. du Roi, pour payer les dettes de son frère, & a eu l’air de faire de son propre argent, tout ce qu’il a fait pour lui, comme frais pour son logement du Louvre, &c[42]. Nommé tuteur du petit Bart…, à qui sa mère avait donné cent mille écus par testament, au préjudice de sa sœur, Made. de Verg…, il a fait une assemblée de famille, dans laquelle il a engagé le jeune homme à renoncer à son legs, à déchirer le testament. Et à la première faute de jeune homme qu’a faite son pupille, il s’est débarrassé de la tutelle.

On se souvient encore de la ridicule & excessive vanité de l’Archevêque de Reims, Le Tellier-Louvois, sur son rang & sur sa naissance. On sait combien, de son tems, elle était célèbre dans toute la France. Voici une des occasions où elle se montra toute entière le plus plaisamment. Le Duc d’A…[43], absent de la Cour depuis plusieurs années, revenu de son Gouvernement de Berry, allait à Versailles, sa voiture versa & se rompit. Il faisait un froid très-aigu. On lui dit qu’il fallait deux heures pour la remettre en état. Il vit un relai & demanda pour qui c’était : on lui dit que c’était pour l’Archevêque de Reims qui allait à Versailles aussi. Il envoya ses gens devant lui, n’en réservant qu’un, auquel il recommanda de ne point paraître sans son ordre. L’Archevêque arrive. Pendant qu’on attelait, le Duc charge un des gens de l’Archevêque de lui demander une place pour un honnête homme, dont la voiture vient de se briser, & qui est condamné à attendre deux heures qu’elle soit rétablie. Le Domestique va & fait la commission. Quel homme est-ce ? dit l’Archevêque. Est-ce quelqu’un comme il faut ? — Je le crois, Monseigneur ; il a un air bien honnête. — Qu’appelles-tu honnête ? est-il bien mis ? — Monseigneur, simplement, mais bien. — A-t-il des gens ? — Monseigneur, je l’imagine. — Va-t’en le savoir. Le Domestique va & revient : Monseigneur, il les a envoyés devant à Versailles. — Ah ! c’est quelque chose. Mais ce n’est pas tout. Demande-lui s’il est Gentilhomme. Le Laquais va & revient. Oui, Monseigneur, il est Gentilhomme. — À la bonne heure : qu’il vienne, nous verrons ce que c’est. Le Duc arrive, salue. L’Archevêque fait un signe de tête, se range à peine pour faire une petite place dans sa voiture. Il voit une croix de St-Louis. Monsieur, dit-il au Duc : Je suis fâché de vous avoir fait attendre, mais je ne pouvais donner une place dans ma voiture, à un homme de rien : vous en conviendrez. Je sais que vous êtes Gentilhomme. Vous avez servi à ce que je vois ? — Oui, Monseigneur. — Et vous allez à Versailles ? — Oui, Monseigneur. — Dans les Bureaux apparemment ? — Non, je n’ai rien à faire dans les Bureaux. Je vais remercier. — Qui, M. de Louvois ? — Non, Monseigneur, le Roi. — Le Roi ! (ici l’Archevêque se recule & fait un peu de place.) — Le Roi vient donc de vous faire quelque grâce toute récente ? — Non, Monseigneur, c’est une longue histoire. — Contez toujours. — C’est qu’il y a deux ans j’ai marié ma fille, à un homme peu riche (l’Archevêque reprend un peu de l’espace qu’il a cédé dans la voiture), mais d’un très-grand nom (l’Archevêque recède la place). Le Duc continue. Sa Majesté avait bien voulu s’intéresser à ce Mariage… (l’Archevêque fait beaucoup de place) & avait même promis à mon gendre le premier Gouvernement qui vaquerait. — Comment donc ? Un petit Gouvernement sans doute ! De quelle ville ? — Ce n’est pas d’une Ville, Monseigneur, c’est d’une Province. — D’une Province, Monsieur ! crie l’Archevêque, en reculant dans l’angle de sa voiture ; d’une Province ! — Oui, & il va y en avoir un de vaquant. — Lequel donc ? — Le mien, celui de Berry, que je veux faire passer à mon gendre. — Quoi ! Monsieur… Vous êtes Gouverneur de… Vous êtes donc le Duc de… Et il veut descendre de sa voiture… Mais M. le Duc, que ne parliez-vous ? Mais cela est incroyable. Mais à quoi m’exposez-vous ? Pardon de vous avoir fait attendre… Ce maraud de Laquais qui ne me dit pas… Je suis bien heureux encore d’avoir cru sur votre parole, que vous étiez Gentilhomme : tant de gens le disent sans l’être ! & puis ce d’Hosier est un fripon. Ah ! M. le Duc, je suis confus. — Remettez-vous, Monseigneur. Pardonnez à votre Laquais, qui s’est contenté de vous dire que j’étais un honnête homme. Pardonnez à d’Hozier, qui vous exposait à recevoir dans votre voiture, un vieux Militaire non-titré ; & pardonnez-moi aussi, de n’avoir pas commencé par faire mes preuves pour monter dans votre carosse.


FIN.
  1. Urbain-René de Hercé fut le dernier évêque de Dol-de-Bretagne. Ayant été appelé à Paris pour y faire partie des notables, il fut chargé, en janvier 1788, de haranguer le roi au sujet du rappel des protestants (Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, tome i, édition revue et augmentée. Rennes, Mollieux, 1843, p. 250). (Note wiki)
  2. Jean-François de la Marche (1729-1806) fut le dernier évêque de Saint-Pol-de-Léon. (Note wiki)
  3. Mérope, acte i, scène iii. (Note wiki)
  4. Franciæ & Navarrœ Rex (Roi de France et de Navarre), abrégé FR ET NAV REX sur l’avers des monnaies. (Note wiki)
  5. Cf. Ancien Testament (Vulgate), L’Ecclésiaste, Qo 32,24 : fili sine consilio nihil facias et post factum non paeniteberis – (« Ne fais rien sans conseil, et tu ne te repentiras pas de tes actes »). (Note wiki)
  6. Le dernier Duc d’Orléans.
  7. Cf. Ancien Testament (Vulgate), Psaumes Ps 69(68), 15 : Eripe me de luto fæcis ut non infigar (Tire-moi du bourbier, que je ne m’enfonce). (Note wiki)
  8. Corneille, Pierre. Horace (1640), acte iii, scène vi : « Julie : Que vouliez-vous qu’il fît contre trois ? – Le vieil Horace : Qu’il mourût ! / Ou qu’un beau désespoir alors le secourût. » Chamfort emprunte à Voltaire son admiratif « Voilà ce fameux Qu’il mourût, ce trait du plus grand sublime, ce mot auquel il n’en est aucun de comparable dans toute l’antiquité » (Voltaire. Commentaires sur Corneille, Remarques sur la tragédie des Horaces). (Note wiki)
  9. Louis Lécluze, seigneur gâtinais et ami de Voltaire, fondateur du théâtre des Variétés Amusantes, une salle de spectacles parisienne aujourd’hui disparue (Cf. la thèse de Pierre Baron, Louis Lécluze (1711-1792) : Acteur, auteur poissard, chirurgien-dentiste et entrepreneur de spectacles. Paris-Sorbonne, 2008). (Note wiki)
  10. Louis de Banne, comte d’Avejan (1683-1738), acheta la charge de sous-lieutenant de la ire compagnie des Mousquetaires (avril 1716). Nommé capitaine-lieutenant à la mort du comte d’Artagnan (janv. 1729), il fut aussi lieutenant-général des armées du roi. (Note wiki)
  11. Delille, Jacques. Les Jardins, ou L’art d’embellir des paysages, Chant IV. (Note wiki)
  12. Le fils du Maréchal de Richelieu.
  13. Allusion à l’ancien proverbe populaire : on ne passe jamais sur le Pont-Neuf sans y voir un moine, un cheval blanc & une catin.
  14. Pendant la guerre d’indépendance des États-Unis, après ses succès (baie de Chesapeake, 5 sep. 1781 ; Yorktown, 19 oct. 1781), la flotte française, conduite par de Grasse, subit une désastreuse défaite face aux Anglais dans les Antilles (bataille des Saintes, 9-12 avril 1782). Le vaisseau-amiral, la Ville-de-Paris, fut capturé au cours du combat. (Note wiki)
  15. Malade en 1776, Jean de Pechméja fit venir son camarade de collège, Jean-Baptiste-Léon Dubreuil, docteur en médecine de Montpellier. Celui-ci le guérit, ce qui lui valut d’être nommé médecin du roi et des hôpitaux. Dès lors tous deux vécurent dans le même logement. Dubreuil mourut le 17 avril 1785, faisant de Pechméja son légataire universel. Pechméja mourut le 8 mai suivant après avoir rendu le legs reçu à la famille Dubreuil (cf. Ladvocat. Dictionnaire historiographique et bibliographique, tome iv. Paris, Étienne Ledoux, 1822, p. 134). (Note wiki)
  16. Anseaume, Louis / Duni, Egidio. La Clochette, comédie en un acte et en vers. Mêlée d’ariettes (1766), scène xvi. (Note wiki)
  17. Madame du Barry, favorite de Louis XV. (Note wiki)
  18. Claude Dupin publie en 1749 ses Réflexions sur quelques parties d’un livre intitulé : De l’Esprit des Lois, en deux volumes in-8o ; seuls deux exemplaires échapperont à la destruction. Il publiera une critique plus mesurée en 1751-1752 (?) : Observations sur l’Esprit des Lois, en trois volumes in-8o. (Note wiki)
  19. Voltaire. (Note wiki)
  20. Frédéric II de Prusse. (Note wiki)
  21. Joseph II. (Note wiki)
  22. La Daterie apostolique, présidée par un cardinal pro-dataire, était un office de la Curie romaine, qui accordait au nom du pape les faveurs sollicitées, à la suite d’une enquête concluant à l’opportunité des demandes. (Note wiki)
  23. Anne Thoynard de Jouy, comtesse d’Esparbès. (Note wiki)
  24. Vœu attribué à Jean Meslier (1664-1729), curé d’Étrépigny : « Je voudrois, & ce sera le dernier, comme le plus ardent de mes souhaits ; je voudrois que le dernier des rois fût étranglé avec les boyaux du dernier des prêtres » (Naigeon, Jacques-André. Encyclopédie méthodique. Dictionnaire de la philosophie ancienne et moderne, tome iii. Article Meslier (Jean) (Philosophie de). Paris, Chez H. Agasse, Imprimeur-Libraire, 1791, p. 239). (Note wiki)
  25. Charles-Georges Coqueley de Chaussepierre (1711-1791), avocat au Parlement, Censeur Royal, auteur dramatique. (Note wiki)
  26. André Levret (1703-1780), chirurgien, accoucheur de la Dauphine, mère de Louis XVI. (Note wiki)
  27. Marie-Thérèse de Larlan de Kercadio, comtesse de Rochefort (1716–1782). (Note wiki)
  28. Allusion au poème satirique de John Wilmot, 2e comte de Rochester, A Satyr Against Mankind (1675), v. 158-159 : " Merely for safety after fame we thirst; / For all men would be cowards if they durst. " (Note wiki)
  29. Alexandre Jean Mignot (1725-1791), neveu de Voltaire. (Note wiki)
  30. Timoléon-Guy-François, marquis de Maugiron (1722-1767), lieutenant-général des armées du Roi en Dauphiné. (Note wiki)
  31. Thétis et Pelée (1689), tragédie mise en musique par Pascal Collasse. (Note wiki)
  32. Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général (1759) ; Réflexions sur la poésie (1760) ; Suites des réflexions sur la poésie, et sur l’ode en particulier (1762). (Note wiki)
  33. Racine, Jean. Bazajet, acte ii, scène v. (Note wiki)
  34. La paix de Versailles, c’est-à-dire la signature (3 sept. 1783) de deux traités entre la Grande-Bretagne et la France d’une part, l’Espagne d’autre part, marque la fin de la guerre d’indépendance américaine. (Note wiki)
  35. Clarisse est le personnage éponyme du roman de l’écrivain anglais Samuel Richardson (1689-1761), Clarissa, or, the History of a Young Lady, publié en 1748. (Note wiki)
  36. Marc-Aurèle. Pensées, Livre vi, xvi 35-41. (Note wiki)
  37. Dans les Métamorphoses d’Ovide, Thisbé et son amant Pyrame, empêchés de s’unir par leurs pères respectifs, se donnent la mort (Livre iv, 43-166) ; Baucis et son mari Philémon, vieux couple fidèle et pieux, restent unis dans la mort (Livre viii, 671-678). (Note wiki)
  38. Cf. Milton, John. Le Paradis Perdu (1667). (Note wiki)
  39. Antoine Bourboulon (1739-1800), intendant des Menus-Plaisirs, trésorier du comte d’Artois. (Note wiki)
  40. Pierre-Michel Hennin (1728-1807), diplomate, résident de France à Genève à partir de 1765, membre libre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. (Note wiki)
  41. Le comte François Marie d’Ornano (1726-1794) pour la France, et don Ventura de Caro (v. 1740-1809) pour l’Espagne dirigèrent la commission Caro-d’Ornano (1784-1792) qui tenta vainement d’arrêter la frontière entre les deux pays en Pays Quint, en Pays de Cize, et au-delà. (Note wiki)
  42. Louis XVI avait alloué de fortes sommes d’argent à ses deux frères, Monsieur (le comte de Provence, futur Louis XVIII) et le comte d’Artois (futur Charles X), lourdement endetté. Cf. Le Livre Rouge, ou Liste des Pensions Secrettes sur le Trésor Public, Imprimerie Royale, 1790, p. 154-157. (Note wiki)
  43. Il s’agirait de Charles d’Aubigné. À la date de cette rencontre (1700), il avait été gouverneur de la province du Berry de 1691 à 1698. Sa fille, Françoise-Charlotte, avait épousé en 1698 Adrien-Maurice de Noailles, gouverneur du Berry de 1698 à 1715 ; elle sera l’héritière de sa tante, Mme de Maintenon, à sa mort en 1719. (Note Wiki)