Max Hunziker (RGL)
MAX HUNZIKER
La rare qualité de l’émotion que provoque la contemplation des œuvres de Max Hunziker – leur profonde valeur humaine – prennent source et peuvent se réduire, en dernière analyse, à cette vertu essentielle : l’honnêteté.
Si, du premier jour où je les ai vus, j’ai admiré sans réserves les dessins à l’encre de Chine de Max Hunziker : simplicité du sujet, noblesse ascétique des personnages, le trait à la fois énergique et nerveux qui esseule chaque silhouette d’un large cerne noir, franc mais tout sensible, jamais empâté, et les harmonies de rêve de tous ces gris : reflets de miroirs, sombres intérieurs, paysages d’éclipse, par contre ses anciens tableaux pêchaient peut-être encore par un certain pittoresque campagnard et un goût un peu facile des formes et des couleurs décoratives.
Les œuvres récemment exposées à la Galerie Pierre sont définitivement sauvées de ces faiblesses. Et c’est presque une gageure, car Max Hunziker, qui est Suisse, choisit comme Ramuz tous ses sujets d’inspiration dans la vie agreste des cantons helvétiques montagnards.
Et le « genre paysan » est particulièrement décevant : il glisse trop souvent à l’anecdote, au chantage sentimental.
Mais ici, à force de simplicité, de refus devant toute facilité pittoresque, une grandeur humaine est atteinte qui dépasse et laisse indifférent tout sujet, simple point de départ.
Les paysages restituent merveilleusement la clarté, la fraîcheur, la pureté, la légèreté, la raréfaction de l’air des cimes dans une lumière de miracle.
Mais le tragique humain et bestial inspire les meilleures réussites de Hunziker. Tantôt dans l’ombre d’une étable où une vache meugle son agonie devant une paysanne éplorée, toutes formes se confondent en un brun à la fois obscur et doré qui évoque l’unité du terroir d’où tout sort, dont tout vit, où tout retourne à la mort.
Tantôt, de sujets aussi différents que le meurtre d’Abel par Caïn, les horreurs de la guerre d’Espagne, ou des taureaux couronnés de comices agricoles, il fait des sortes d’enluminures marquetées comme des vitraux, aux tons simples et violents, et d’une indéniable grandeur dans leur simplicité. Mieux encore, la hantise et l’amour des pays primitifs et des gens simples de son enfance lui donnent la clef du royaume souterrain des mystères qui lient originellement l’homme à la terre et aux éléments. Avec un réalisme fantastique, il ressuscite les mythes primordiaux des vieux rites païens.
Par ailleurs, on a pu voir récemment, chez J. Corti, quelques dessins de Max Hunziker destinés à illustrer « Une Saison en Enfer ». La librairie Corti les exposait en compagnie de dessins d’André Masson pour « Les Illuminations » et de dessins de Salvador Dali pour « Les Chants de Maldoror ».
L’illustration plastique d’une œuvre littéraire et surtout d’un poème constitue un genre particulièrement dangereux et toujours assez arbitraire. Pierre d’achoppement : la platitude inhérente à tout symbolisme littéraire. En ce péril, quand les deux autres se confient à la surabondance de leur imagination lyrique et fantastique, Max Hunziker se laisse guider comme toujours par son étoile de salut : simplicité, honnêteté.
Un homme nu, les bras levés vers le ciel qu’il maudit, se dresse immense sur un paysage désertique : la grandeur de l’humaine stature seule debout sur la terre, entourée de l’horizon sans bornes, hante tous les dessins de Max Hunziker.
La grandeur, la simplicité de cette figure rappelle irrésistiblement ces gravures anciennes des grimoires d’alchimistes où la figure de l’Homme cosmique, de l’« Adam-Kadmon » symbolique, règne sur le monde, auréolée d’images astrales et de signes cabalistiques qui lui donnent puissance sur les quatre éléments.
Aussi bien l’une des tâches les plus hautes de la peinture, à travers les âges, n’est-elle pas de dénoncer les rapports intimes qui unissent l’homme à la terre, à l’eau, au ciel et au feu.