Traduction par A. J. Nieuwenhuis et Henri Crisafulli.
Dentu (p. 1-iv).

OPINION DE LA PRESSE
ET CORRESPONDANCE PARTICULIÈRE.
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Dans la Revue des Deux Mondes, annuaire de 1860, on lit : « Un écrivain, sous le pseudonyme de Multatuli, inconnu jusqu’à présent dans le monde littéraire, a su donner à ses récits sur l’organisation économique et sociale de Java dans un livre intitulé Max Havelaar, un attrait de style qui l’a placé au rang des écrivains éminents. Ce livre, plaidoyer dramatique, et en quelque sorte poétique en faveur du travail libre des indigènes, a obtenu en Hollande un succès, qui rappela celui de la fameuse publication de Mme Beecher Stowe. La sensation produite par les tableaux saisissans de Multatuli n’est point effacée, et elle a peut-être influé sur les tendances, qui se manifestèrent de plus en plus dans le Parlement Hollandais. »

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Voici les propres paroles que M. de Lamartine adressa, en 1864, à M. Nieuwenhuis lorsque celui-ci lui fit lecture du premier chapitre de Max Havelaar :

«Dites à l’auteur de ma part qu’il est un écrivain distingué, et original. »

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La voici mon opinion sur Max Havelaar, par Multatuli, telle que je l’ai formulée, en 1866 :

« Sous le nom de guerre de Multatuli, M. Edouard Douwes Dekker, ancien sous-préfet dans les Indes Hollandaises, a écrit un roman politique, intitulé : Max Havelaar, ou les Ventes de cafés de la Société hollandaise de commerce. Dans ce roman, dont l’auteur est le héros, il met en état d’accusation le Gouvernement des Indes, comme se rendant complice de l’arbitraire, et de la rapacité des chefs indigènes envers la population, et comme tolérant ces abus, afin de s’assurer de leur concours au profit des ventes de cafés de la Société hollandaise de commerce, c’est à dire, du trésor hollandais.

Cette accusation Multatuli l’a portée avec le sang-froid d’un héros la véracité d’une victime, la conviction d’un martyr.

Par les ressources du génie, la fécondité du cœur, et la souplesse du talent son œuvre servira de phare à ceux qui veulent aborder la grande question de la civilisation orientale.

Paris, Septembre 1876. A. J. Nieuwenhuis.

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Depuis 1866, les événements survenus en Europe, l’intérêt de l’Angleterre, la convoitise de l’Allemagne, et, enfin, la guerre indo-hollandaise, ont fait de cette question de justice, et d’humanité un problème européen d’une imminente actualité.

Paris, Septembre 1876. Le Même.

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Le Journal Le Républicain des Pyrénées-Orientales, du 26 Septembre 1876, No. 211, a publié l’article suivant :

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MAX HAVELAAR
PAR
MULTATULI.


Traduction de A. J Nieuwenhuis et H. Crisafulli[1].

Ce livre nous arrive de la Hollande, et quoiqu’il ait passé dans le moule de notre idiome, il a conservé un tel parfum du terroir, qu’il ne serait point permis, an lecteur le plus illettré, de le confondre avec nos romans français.

Est-ce bien un roman, il est vrai, que cette œuvre humoristique, sans intrigue, sans amour, mais d’où se détache une personnalité si vivante, que, dès son apparition elle s’empare de vous, vous attache à ses pas, vous rend attentif à ses paroles et vous passionne de telle sorte, qu’en la quittant, à la fin du premier volume, vous avez hâte de la retrouver dans le second.

Cette personnalité vivante est celle de Max Havelaar, envoyé par le gouvernement, pour remplir à Lebac, dans les Indes Hollandaises, les fonctions de sous-préfet.

Nos minuscules sous-préfectures et nos infimes sous-préfets, ne peuvent nous donner une idée de ces immenses districts, ou le représentant du roi de Hollande règne presque à l’égal d’un petit souverain. Cependant, il ne possède pas seul le pouvoir. Dans chaque sous-préfecture, il a pour adjoint un chef indigène qui porte le titre de régent, et appartient souvent à la famille des princes jadis régnants. Aussi, qu’arrive-t-il ?

Le fonctionnaire est ici le chef politique, mais le régent par sa naissance, son influence, ses revenus, son train de vie, le prime de toute façon. Situation délicate, où le supérieur hiérarchique est en fait un inférieur !

Si le régent n’abuse pas de son pouvoir, très bien ! Mais s’il en abuse, et qu’il ait à répondre de ses actes, à un de ces hommes de conscience, pour lequel le triomphe de la justice importe plus que la conservation de sa place, qui des deux aura le dessus, et auprès de la population attachée quand même au chef de son sang, et auprès du gouvernement dont l’intérêt est de ménager ce même chef ?

Eh ! bien, c’est en face d’un semblable conflit que va se trouver Havelaar, et l’on devine à l’avance le rôle joué par celui qui n’a point pris pour une formule vaine, le serment qu’il a prêté »de protéger la population indigène contre toute concussion et contre toute extorsion. »

Telles sont les grandes lignes de cet ouvrage, dont les détails sont tellement pleins de finesse, que l’on craindrait de leur faire perdre de leur valeur, en détachant les fragments. Il y a des scènes charmantes, renfermées en quelques lignes ; des traits de caractère marqués par un mot, par un geste. Lorsque Havelaar attendu par toutes les autorités civiles et militaires descend de voiture, puis tend la main à une vieille bonne javanaise, pour l’aider à descendre à son tour ; lorsque nous le voyons entouré de tous les chefs du district, s’interrompre tout à coup au milieu d’un discours, appeler son petit Max, et continuer, l’enfant dans les bras, son allocution si ferme, si élevée, si touchante, ne sent-on pas ici que l’homme ne disparaîtra jamais sous le fonctionnaire, et que si Havelaar sait allier à tant de grandeur une si parfaite simplicité, c’est parce qu’il est doué d’une supériorité réelle.  »

Et Tine ? l’oublierons-nous cette compagne de notre héros, tellement identifiée à son Max qu’on ne peut les séparer dans sa sympathie ? Elle accepte tous ses actes, elle l’approuve dans ses largesses exagérées, trouvant qu’il serait trop petit, trop mesquin de l’enfermer, lui, dans les limites étroites d’un ménage inconnu et bourgeois. »

Couple charmant ! uni par l’amour, par la similitude des pensées et des goûts, uni surtout par ce généreux esprit de sacrifice, qui place au-dessus du bien-être de la famille et de la tranquillité du foyer, l’accomplissement du devoir social, le dévouaient à ses semblables.

Hélas ! nous prévoyons leurs luttes et leurs déboires. Non, ils n’échapperont point à la loi commune, qui condamne à l’ingratitude, à la calomnie, ceux qui veulent le juste et font le bien !

» L’habitude de la librairie en Hollande est de publier d’abord le premier volume d’un ouvrage, afin de recueillir les comptes-rendus favorables ou défavorables, et d’en orner ensuite les avant-pages du second volume. »

Puissent donc ces quelques lignes avoir bien fait comprendre le sentiment de vive sympathie que nous inspire l’œuvre originale, honnête, fortement pensée, dont MM. Nieuwenhuis et Crisafulli viennent de nous donner une si excellente traduction.

Paris, 22 septembre 1876.

Mme Eugène Garcin.


  1. Editeur : Dentu — Paris.