Mauprat (1837)
A. Quantin, imprimeur-éditeur (p. 1-2).


NOTICE


Quand j’écrivis le roman de Mauprat à Nohant, en 1836, je crois, je venais de plaider en séparation. Le mariage, dont, jusque-là, j’avais combattu les abus, laissant peut-être croire, faute d’avoir suffisamment développé ma pensée, que j’en méconnaissais l’essence, m’apparaissait précisément dans toute la beauté morale de son principe.

À quelque chose malheur est bon, pour qui sait réfléchir : plus je venais de voir combien il est pénible et douloureux d’avoir à rompre de tels liens, plus je sentais que ce qui manque au mariage, ce sont des éléments de bonheur et d’équité d’un ordre trop élevé pour que la société actuelle s’en préoccupe. La société s’efforce, au contraire, de rabaisser cette institution sacrée, en l’assimilant à un contrat d’intérêts matériels ; elle l’attaque de tous les côtés à la fois, par l’esprit de ses mœurs, par ses préjugés, par son incrédulité hypocrite.

Tout en faisant un roman, pour m’occuper et me distraire, la pensée me vint de peindre un amour exclusif, éternel, avant, pendant et après le mariage. Je fis donc le héros de mon livre proclamant, à quatre-vingts ans, sa fidélité pour la seule femme qu’il eût aimée.

L’idéal de l’amour est certainement la fidélité éternelle. Les lois morales et religieuses ont voulu consacrer cet idéal ; les faits matériels le troublent, les lois civiles sont faites de manière à le rendre souvent impossible ou illusoire ; mais ce n’est pas ici le lieu de le prouver. Le roman de Mauprat n’a pas été alourdi par cette préoccupation ; seulement, le sentiment qui me pénétrait particulièrement à l’époque où je l’écrivis se résume dans ces paroles de Mauprat vers la fin de l’ouvrage : « Elle fut la seule femme que j’aimai dans toute ma vie ; Jamais aucune autre n’attira mon regard et ne connut l’étreinte de ma main. »


George Sand.



5 juin 1851.