Maupertuis/Cosmologie/Tome I/Avant-propos

Jean Marie Bruyset (Tome premierp. xiii-xxxviii).




AVANT-PROPOS.



DANS tous les temps il s’eſt trouvé des Philosophes qui ont entrepris d’expliquer le ſyſtême du Monde. Mais ſans parler des Philoſophes de l’antiquité qui l’ont tenté ; ſi un Defcartes y a ſi peu réuſſi & ſi un Newton y a laiſſé tant de choſes à deſirer ? quel ſera l’homme qui oſera l’entreprendre ? Ces voies ſi ſimples qu’a ſuivi dans ſes productions le Créateur, deviennent pour nous des labyrinthes dès que nous y voulons porter nos pas. Il nous a accordé une lumière ſuffiſante pour tout ce qui nous étoit utile, mais il ſemble qu’il ne nous ſoit permis de voir que dans l’obſcurité le reſte de ſon plan.

Ce n’eſt pas qu’on ne ſoit parvenu à lier ensemble pluſieurs phénomènes, à les déduire de quelque phénomène intérieur, & à les ſoumettre au calcul : ſans doute même les temps & l’expérience formeront dans ce genre quelque choſe de plus parfait que tout ce que nous avons. Mais un ſyſtême complet, je ne crois pas qu’il ſoit permis de l’eſpérer : jamais on ne parviendra à ſuivre l’ordre & la dépendance de toutes les parties de l’Univers. Ce que je me ſuis propoſé ici eſt fort différent : je ne me ſuis attaché qu’aux premières loix de la Nature, qu’à ces loix que nous voyons conſtamment obſervées dans tous les phénomènes, & que nous ne pouvons pas douter qui ne ſoient celles que l’Être ſupréme s’eſt propoſées dans la formation de l’Univers. Ce ſont ces loix que je m’applique à découvrir, & à puiſer dans la ſource infinie de ſageſſe d’où elles ſont émanées : je ſerois plus flatté d’y avoir réuſſi, que ſi j’étois parvenu par les calculs les plus difficiles à en ſuivre les effets dans tous les détails.

Tous les Philoſophes d’aujourd’hui forment deux ſectes. Les uns voudroient ſoumettre la Nature à un ordre purement matériel, en exclure tout principe intelligent ; ou du moins voudroient que dans l’explication des phénomènes, on n’eût jamais recours à ce principe, qu’on bannit entièrement les cauſes finales. Les autres au contraire font un uſage continuel de ces cauſes, découvrent par toute la Nature les vues du Créateur, pénètrent ſes deſſeins dans le moindre des phénomènes. Selon les premiers, l’Univers pourroit ſe paſſer de Dieu : du moins les plus grandes merveilles qu’on y obſerve n’en prouvent point la néceſſité. Selon les derniers, les plus petites parties de l’Univers en font autant de démonſtrations : ſa puiſſance, ſa ſageſſe & ſa bonté ſont peintes ſur les ailes des papillons & ſur les toiles des araignées.

Comme il n’y a aujourd’hui preſqu’aucun Philoſophe qui ne donne dans l’une ou dans l’autre de ces deux manières de raiſonner, je ne pouvois guère manquer de déplaire aux uns & aux autres. Mais des deux côtés le péril n’étoit pas égal. Ceux qui veulent ſoumettre tout à l’ordre purement matériel, ont encore quelqu’indulgence pour ceux qui croient que l’intelligence gouverne, & ne les combattent qu’avec les armes de la Philoſophie : ceux qui voient partout l’intelligence, veulent qu’on la voie partout comme eux, combattent avec des armes ſacrées, cherchent à rendre odieux ceux qu’ils ne ſauroient convaincre.

J’ai été attaqué par ces deux eſpeces de Philosophes, par ceux qui ont trouvé que je faiſois trop valoir les cauſes finales, & par ceux qui ont cru que je n’en faiſois pas aſſez de cas La raiſon me défend contre les uns ; un ſiecle éclairé n’a point permis aux autres de m’opprimer.

J’aurai bientôt répondu à ceux qui blâment l’uſage que j’ai fait des cauſes finales dans une matière mathématique : c’eſt juſtement ce qu’il y a de mathématique dans cette matière qui rend plus victorieufe l’application que j’y ai faite des cauſes finales. Quelques-uns ne veulent point admettre de cauſalité entre ce qu’on appelle mouvement, force, action, effet des corps. Ils ſe fondent ſur ce que nous ne concevons point clairement comment les corps agiſſent les uns ſur les autres. Mais ils agiſſent, ſoit comme cauſes immédiates, ſoit comme cauſes occaſionelles ; & agiſſent toujours avec une certaine uniformité, & ſelon de certaines loix : & s’il nous manque quelque choſe pour expliquer la manière dont ils agiſſent, nous ne ſommes pas moins en droit d’appeller effet ce qui ſuit toujours un phénomène, & cauſe ce qui le précède toujours. Si ces Philoſophes veulent eſſayer dans quelque autre genre que ce ſoit de donner une idée plus parfaite de ce que tout le monde appelle cauſe & effet, ils s’y trouveront peut-être ſi embarraſſés qu’ils ne nous en diſputeront plus l’uſage dans une matière où peut-être leur rapport eſt moins obſcur qu’en aucune autre.

Ma réponſe ſera un peu plus longue pour ceux qui ont cru que je ne faiſois pas aſſez de cas des cauſes finales, parce que je ne voulois pas les ſuivre dans l’uſage immodéré qu’ils en font Ceux-ci ont voulu perſuader que je cherchois à détruire les preuves de l’exiſtence de Dieu que l’Univers préſente partout & aux yeux de tous les hommes, pour leur en ſubſtituer une ſeule qui n’étoit à la portée que d’un petit nombre. Ils ont regardé comme une impiété que j’oſaſſe examiner la valeur des preuves qu’ils tirent indiſtinctement de toute la Nature pour nous convaincre de la plus grande des vérités.

S’il étôit queſtion d’examiner ſi, pour établir une opinion fauſſe qu’on croiroit utile, il ſeroit permis d’employer des argumens ſuſpects ; on auroit bientôt répondu, en diſant qu’il eſt impoſſible que le faux ſoit jamais utile. Outre que l’admiſſion du faux renverſant l’ordre & la sûreté de nos connoiſſances, nous rendroit des êtres déraiſonnables ; s’il eſt queſtion de porter les hommes à quelque choſe qui ſoit véritablement utile, la vérité prêtera toujours de bons argumens, ſans qu’on ſoit obligé d’en employer d’infidèles. Mais nous ſommes bien éloignés d’être ici dans ce cas : l’exiſtence de Dieu eſt de toutes les vérités la plus sûre. Ce qu’il faut examiner, c’eſt ſi pour démontrer une telle vérité, il eſt permis de ſe ſervir de faux argumens, ou de donner à des argumens foibles une force qu’ils n’ont pas. Or cette queſtion ſera auſſi d’abord réſolue par le principe que nous venons de poſer : Le faux ne pouvant jamais être utile, on ne doit jamais l’employer ; & donner à des preuves plus de force qu’elles n’en ont, étant une eſpece de faux, on ne doit pas plus ſe le permettre. Non ſeulement des principes contraires dégraderoient la lumière naturelle, ils feroient tort aux vérités mêmes qu’on voudroit prouver : on rend ſuſpecte la vérité la plus sûre lorſqu’on n’en préſente pas les preuves avec aſſeç de juſteſſe ou avec aſſez de bonne foi. C’eſt cela que j’ai ſoutenu, c’eſt uniquement cela.

J’avois d’abord averti que l’examen que je faiſois des preuves de l’exiſtence de Dieu ne portoit ſur aucune de celles que la Métaphyſique fournit. Quant à celles que la Nature nous offre, je les trouve en ſi grand nombre, & de degrés d’évidence ſi différens, que je dis qu’il ſeroit peut-être plus à propos de les faire paſſer par un examen judicieux, que de les multiplier par un zèle mal-entendu : qu’il faut plutôt leur aſſigner leur véritable degré de force, que leur donner une force imaginaire : qu’il faut enfin ne pas gliſſer parmi ces preuves des raiſonnemens qui prouveroient le contraire. Voilà ce que j’ai dit, & que je dis encore.

Le ſyſtême entier de la Nature ſuffit pour nous convaincre qu’un Etre infiniment puiſſant & infiniment ſage en eſt l’auteur & y préſide. Mais ſi, comme ont fait pluſieurs Philoſophes, on s’attache ſeulement à quelques parties, on ſera forcé d’avouer que les argumens qu’ils en tirent nom pas toute la force qu’ils penſent. Il y a aſſez de bon & aſſez de beau dans l’Univers pour qu’on ne puiſſe y méconnoître la main de Dieu : mais chaque choſe priſe à part n’eſt pas toujours aſſez bonne ni aſſez belle pour nous le faire reconnoître.

Je n’ai pu m’empêcher de relever quelques raiſonnemens de ces imprudens admirateurs de la Nature, dont l’athée ſe pourroit ſervir auſſi-bien qu’eux. J’ai dit que ce n’étoit point par ces petits détails de la conſtruction d’une plante ou d’un inſecte, par ces parties détachées dont nous ne voyons point aſſez le rapport avec le tout, qu’il falloit prouver la puiſſance & la ſageſſe du Créateur : que c’étoit par des phénomènes dont la ſimplicité & l’univerſalité ne ſouffrent aucune exception & ne laiſſent aucun équivoque.

Pendant que par ce diſcours je bieſſois des oreilles ſuperſtitieuſes, & qu’on craignoit que je ne vouluſſe anéantir toutes les preuves de l’exiſtence de Dieu, quelques-uns croyoient que je voulois donner pour une démonſtration géométrique celle que je tirois de mon principe. Je tomberois moi-même en quelque ſorte dans ce que je reprends, ſi je donnois à cette preuve un genre de force qu’elle ne peut avoir. Les dêmonſtrations géométriques, tout évidentes qu’elles ſont, ne ſont point les plus propres à convaincre tous les eſprits. La plupart ſeront mieux perſuadés par un grand nombre de probabilités que par une preuve dont la force dépend de l’extrême préciſïon. Auſſi la Providence n’a-t-elle fournis à ce dernier genre de preuves que des vérités qui nous étoient en quelque ſorte indifférentes, pendant quelle nous a x donné les probabilités, pour nous faire connoître celles qui nous étoient utiles. Et il ne faut pas croire que la sûreté qu’on acquiert par ce dernier moyen ſoit inférieure à celle qu’on acquiert par l’autre : un nombre infini de probabilités eſt une démonſtration complette, & pour l’eſprit humain la plus forte de toutes les démonſtrations.

La Nature fournit abondamment ce genre de preuves ; & les fournit par gradation, ſelon la différence des eſprits. Toutes n’ont pas la même force, mais toutes priſes enſemble ſont plus que ſuffiſantes pour nous convaincre. Veut-on faire un choix ? on ſent mieux le degré de clarté qui appartient à celles qui reſtent : pouſſe-t-on plus loin la ſévérité ? le nombre des preuves diminue encore, & leur lumière devient encore plus pure. C’eſt ainſi que, malgré quelques parties de l’Univers dans leſquelles on n’apperçoit pas bien l’ordre & la convenance, le tout en préſente aſſez pour qu’on ne puiſſe douter de l’exiſtence d’un Créateur tout-puiſſant & tout ſage : c’eſt ainſi que pour ceux qui voudront retrancher des preuves celles qui peuvent paroitre équivoques, ce qui en reſte eſt plus que ſuffiſant pour les convaincre : c’eſt ainſi enfin, que le Philoſophe qui cherche cette vérité dans les loix les plus univerſelles de la Nature, la voit encore plus diſtinctement.

Voilà ce que j’avois à dire ſur les preuves de l’exiſtence de Dieu que nous tirons de la contemplation de l’Univers. Et penſant ſur cette importante vérité comme je penſe, je ſerois bien malheureux ſi je m’étois exprimé de manière à faire naître quelque doute.

Parlons maintenant du principe que j’ai regardé comme un des argumens des plus forts que l’Univers nous offre pour nous faire reconnoître la ſageſſe & la puiſſance de ſon ſouverain auteur. C’eſt un principe métaphyſique ſur lequel toutes les loix du mouvement ſont fondées. C’eſt que, lorſqu’iî arrive quelque changement dans la Nature, la quantité d’action employée pour ce changement eſt toujours la plus petite qu’il ſoit poſſible : l’action étant le produit de la maſſe du corps multipliée par ſa viteſſe & par l’eſpace qu’il parcourt.

J’avois donné ce principe dans un Mémoire lu le 15 Avril 1744, dans l’aſſemblée publique de l’Académie Royale des Sciences de Paris : il eſt inſéré dans ſes Mémoires, & on le trouvera dans le tome IV. de cette Édition. Sur la fin de la même année parut un excellent ouvrage de M. Euler : dans le ſupplément qu’il y joignit, il démontre : Que dans les courbes que des corps décrivent par des forces centrales, la viteſſe du corps multipliée par le petit arc de la courbe fait toujours un minimum. Cette découverte me fit d’autant plus de plaiſir qu’elle étoit une des plus belles applications de mon principe au mouvement des planètes, dont en effet il eſt la règle.

Ceux qui n’étoient pas aſſez inſtruits dans ces matières, crurent que je ne faiſois ici que renouveller l’ancien axiome, Que la Nature agit toujours par les voies les plus ſimples. Mais cet axiome, qui n’en eſt un qu’autant que l’exiſtence & la providence de Dieu ſont déjà prouvées, eſt ſi vague que perſonne encore n’a ſu dire en quoi il conſiſte.

Il s’agiſſoit de tirer toutes les loix de la communication du mouvement d’un ſeul principe, ou ſeulement de trouver un principe unique avec lequel toutes ces loix s’accordaient : & les plus grands Philoſophes l’avoient entrepris.

Deſcartes s’y trompa. C’eſt aſſez dire combien la choſe étoit difficile. Il crut, Que dans la Nature la même quantité de mouvement ſe conſervoit toujours : prenant pour le mouvement le produit de la maſſe multipliée par la viteſſe : qu’à la rencontre des différentes parties de la matière, la modification du mouvement étoit telle, que les maſſes multipliées chacune par ſa vîteſſe, formoient après le choc la même ſomme qu’auparavant. Il déduiſit de là ſes loix du mouvement. L’expérience les démentit, parce que le principe n’étoit pas vrai.

Leybnitz ſe trompa auſſi : & quoique les véritables loix du mouvement fuſſent déjà découvertes, il en donna (*)[1] d’auſſi fauſſes que celles de Deſcartes. Ayant reconnu ſon erreur, il prit un nouveau principe : c’étoit Que dans la Nature la force vive ſe conſerve toujours la même : entendant par force vive le produit de la maſſe multipliée par le quarré de la vîteſſe ; que lorsque les corps venoient à ſe rencontrer, la modification du mouvement étoit telle que la ſomme des maſſes multipliées chacune par le quarré de ſa vîteſſe demeuroit après le choc la même quelle étoït auparavant. Ce théorème étoit plutôt une ſuite de quelques-unes des loix du mouvement, que le principe de ces loix. Huygens, qui l’avoit découvert, ne l’avoit jamais regardé comme un principe : & Leybnitz, qui promit toujours de l’établir à priori, ne l’a jamais fait. En effet la conſervation de la force vive a lieu dans le choc des corps élaſtiques, mais elle ne Va plus dans le choc des corps durs : & non ſeulement on n’en ſauroit déduire les loix de ces corps, mais les loix que ces corps ſuivent démentent cette conſervation. Lorſqu’on fit cette objection aux Leybnitziens, ils aimèrent mieux dire Qu’il n’y avoit point de corps durs dans la Nature, que d’abandonner leur principe. C’étoit être réduit au paradoxe le plus étrange auquel l’amour d’un ſyſtème ait jamais pu réduire : car les corps primitifs, les corps qui ſont les élémens de tous les autres, que peuvent-ils être que des corps durs ?

En vain donc juſqu’ici les Philoſophes ont cherché le principe univerſel des loix du mouvement dans une force inaltérable ? dans une quantité qui ſe conſervât toujours la même dans toutes les colliſions des corps ; il n’en eſt aucune qui ſoit telle. En vain Deſcartes imagina un monde qui pût ſe paſſer de la main du Créateur : en vain Leybnitz ſur un autre principe forma le même projet : aucune force, aucune quantité qu’on puiſſe regarder comme cauſe dans la diſtribution du mouvement, ne ſubſiſte inaltérable. Mais il en eſt une, qui produite de nouveau, & créée pour ainſi dire à choque inſtant, eſt toujours créée avec la plus grande économie qu’il ſoit poſſible. Par là l’Univers annonce la dépendance & le beſoin où il eſt de la prêſence de ſon auteur ; & fait voir que cet auteur eſt auſſi ſage qu’il eſt puiſſant. Cette force eſt ce que nous avons appelle l’action : c’eſt de ce principe que nous avons déduit toutes les loix du mouvement, tant des corps durs que des corps élaſtiques.

J’eus toujours pour M. de Leybnitz la plus grande vénération : j’en ai donné les marques les plus authentiques dans toutes les occaſions où j’ai eu à parler de cet homme illuſtre : cependant je ne pus m’empêcher de m’écarter ici de ſes opinions. Trouvant mes idées auſſi claires & même plus claires ſur la nature des corps durs, que ſur celle des corps élaſtiques, & trouvant un principe qui ſatisfaiſoit également au mouvement des uns & des autres, je ne proſcrivis point l’exiſtence des corps durs. Voyant que la force vive ne ſe conſervoit pas dans la colliſion de tous les corps, je dis que la conſervation de la force vive n’étoit point le principe univerſel du mouvement. Enfin ne trouvant plus rien qui m’obligeât à croire que la Nature ne procède jamais que par des pas inſenſibles, j’oſai douter de la loi de continuité.

Auſſi-tôt je vis fondre fur moi toute la ſecte que M. de Leybnitz a laiſſée en Allemagne ; ſecte d’autant plus attachée au culte de a Divinité, que ſouvent elle n’en comprend pas les oracles. Ceci n’eſt guère croyable, mais il eſt cependant vrai ; tandis que les uns me traitoient comme un téméraire oui ofoit être d’un fentiment différent de celui de Leybnit^ 9 les autres vouloient faire croire que je prenois de lui les chofes les plus oppojées à fon fyjlême : à quoi ne peut pas porter un culte aveugle, & l’efprit de parti !

Je ne parle ici qu’à regret d’un événement auquel mon ouvrage a donné heu : mais il a fait trop de bruit pour que je puijfe me difpenfer d’en parler. M, Kœnig, Projeteur en Hollande y fit paroître dans les actes de Leipfick de Vannée lybi, une Diffe nation dans laquelle il attaquoit plujieurs articles de l’Ejfai de Cofmologie _, & vouloit en attribuer d’autres, aujji — bien que quelques découvertes de M. Euler, à M. de Leybnit^, dont il citoit le fragment d’une lettre.

M. Kœiiig, Membre alors de V Académie, attribuant à Leybnit^ des chofes que d’autres Académiciens avoient données comme leur appartenant dans des ouvrages lus dans Jes afjemblées & inférés dans fes Mémoires, l’Académie Je trouva intérejfée à conjlater ce qui appartenoit à chacun. Elle fomma M* Kœnig de produire la lettre originale dont il avoit cité le fragment : & le Roi, comme protecteur de l’Académie, écrivit lui — même à MM. les Magifirats de Berne pour les prier de faire la recherche de cette lettre dans les fources que M. Kœnig avoit indiquées. Après les perquifitions les plus exactes, MM. de Berne ajfurerent Sa Majeflé qu’il ne s’étoit trouvé aucun veflige de lettres de Leybnit^. U Académie en donna avis à M. Kœnig $ elle lui répéta plusieurs fois fon ïnf tance ; & ne reçut de lui que quelques lettres 9 d’abord pour décliner l’obligation où il étoit de produire l’original de ce qu’il avoit cité ? enfuite pour alléguer la difficulté de le trouver ; il ne difoit pas même. l’avoir jamais vu. L’Académie trouvant dans toutes ces circonjlances y dans le fragment même, & dans la manière dont il avoit été cité, de fortes raifons pour ne le pouvoir attribuer à Leybnitr 9 déclara que cette pièce ne méritait aucune créance*, M. Kœnig ? auffi mécontent que Jl on lui eût fait une injujlice, fe répandu en invectives ; & après avoir tenté vainement de donner le principe à Leybnitr comme une découverte digne de lui y voulut le trouver par— tout comme une chofe fort commune ; le conjondre avec le vieux axiome d’Ariflote, Que la Nature dans fes opérations ne fait rien en vain., & cherche toujours le meilleur ; & en gratifier tous ceux qui avoient jamais prononcé cet axiome.

Ce fut alors quun homme dont la, candeur égale les lumières 3 M. Euler, ayant entrepris d’examiner ce que les Philofophes qu’on nous choit avoient entendu par ces paroles d* Ariftote, & l’ufage qu’ils en avoient fait 9 mit dans tout f on jour la nouvelle injujlice quon v oui oit nous faire. Notre illujlre défenfeur fit voir que par l’application que Leybnit^ lui — même avoit faite de V axiome des anciens ^ il étoit démontré qu’il n av oit point connu notre principe : il fit voir encore que le plus fidèle 5 le plus zélé y & peut-être le plus éclairé de fes difcipks, M. Wolff ayant voulu Je fervir du même axiome dans la même matière y avait totalement abandonné fort maître, & ne s’était pas plus rapproché de nous.

Enfin après toutes les preuves qui avaient déterminé F Académie à prononcer contre V authenticité du fragment, M. Euler trouva dans les ouvrages de Leybnit^ des preuves qui ne laiffoient plus cette authenticité poffîlie. Il fit voir que non feulement Leybnit ^ ne s’était point fervi de notre principe dans des occafions cà il en eût eu le plus grand befoni ; mais encore que pour parvenir aux mêmes conclufions qui en coulaient tout naturel^ lement $ il avoit employé un principe tout oppofé. La force de ces preuves pour ceux qui examineront la chofe en Géomètres efl telle y que quand même on auroit produit à NL ICœnig une lettre de Leyhnit^ contenant ce fragment qu’il eût pris pour originale y tout ce qu’on en pourrait conclure ferait qu’on l’aurait trompé : les écrits de Leybnit^ imprimés de fan vivant & faits fes yeux 7 ayant une autorité que ne ſauroit avoir quelqu’autre papier que ce ſoit qui n’auroit paru qu’après que Leybnitz n’étoit plus. *[2] Que notre principe eût été connu de Leyhnitz, communiqué à Hermann, fut paſſé à d’autres ; j’y conſentirois volontiers ſi la choſe étoit poſſible, & j’y gagnerois peut-être davantage : ce ne ferait pas pour moi une petite gloire de m’être ſervi plus heureuſement que ces grands hommes d’un inſtrument qui auroit été commun à eux & à moi. Car il faut toujours qu’on m’accorde que, malgré cette connoiſſance, ni Leybnitz ni aucun d’eux na pu déduire les loix univerſelles du mouvement d’un principe qui portât l’empreinte de la ſageſſe & de la puiſſance de l’Etre ſuprême, & auquel tous les


V. Mémoires de l’Académie Royale des Sciences de Berlin, année 1751, page 209. corps de la Nature fuffent également fournis ; que nous V avons fait : & c’efl de quoi aucun de nos adverfaires ne difconvient.

Parmi les Mémoires de l’Académie Royale des Sciences de Paris il s’eiz trouve un de M. d’Arcy y qui a voulu aujji nous attaquer. Mais la feule objection qui parût avoir quelque fondement portant fur ce que dans le choc des corps élafliques il a confondu le changement arrivé aux vîteffes y qui efl réel y avec le changement de la quantité d’atlion, qui efl nul ^ je n’y ferai pas d’autre réponfe que les deux mots que j’en ai dits dans les Mémoires de notre Académie pour l’année lyhz.

Lui & quelques autres ont voulu reprendre lé nom ûTaélion dont je me fuis fervi pour exprimer le produit du corps multiplié par fa vîteffe & par Vefpace qu’il parcourt. Il auroit peut-être mieux valu l’appeller force : mais ayant trouvé ce mot tout établi par Leybnit^ & par Wolff pour exprimer la même idée ? & trouvant qu’il y répond bien, je n’ai pas voulu changer les termes.

Dans les Editions précédentes, confidémnt les directions de la pefanteur comme parallèles entr elles & perpendiculaires à un levier droit auquel étoient appliqués deux corps *> ainfi qu’on a coutume de faire dans la Statique ordinaire, j’avois fait une application de mon principe à £ équilibre : j’ai retranché ce problême, qui par ces conditions étoit trop limité. La loi générale de V équilibre ou du reoos ? à, laquelle pour déterminer tous les cas a 1’équilibre il faut avoir recours _, eil celle que je donnai en iy40 9 dans les Mémoires de V Académie des Sciences de Paris 5 & quon trouve dans le IV e. tome de cette Édition* Cette loi au refte s’accorde fi parfaitement avec celle de la moindre quantité d’action 5 qu’on peut dire quelle n’efl que la même.

Cefl dans les trois Diffe nations de M. Eule r, inférées dans les Mémoires de r’Académie Royale des Sciences de Berlin pour Vannée iy5i ? qu’on trouvera ſur cette matière tout ce qu'on peut deſirer , & ce que nous n'aurions jamais pu ſi bien dire. C’eſt là que je renvoie ceux qui voudront s’inſtruire, & ceux qui voudront diſputer.



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    princîpe de la moindre action eſt vrai, & qu’il n’eſt point de Leybnitz. C’étoit une adreſſe ſinguliere de M. Kœnis : aux uns il vouloit faire croire que le principe de M. de Maupertuis étoit une chimère : à ceux à qui il n’auroit pu le perſuader, il vouloit faire croire que le principe étoit de Leybnitz. Il n’a pas mieux réuſſi pour l’un que pour l’autre.

  1. (*) V. Theoria motûs abftracti, ſeu rationes motuum univerſales.
  2. * Tant s’en faut donc que Leybnitz ait jamais eu le principe de la moindre quantité d’action, qu’au contraire il a eu un principe tout oppoſé, dont l’uſage, excepté dans un ſeul cas, n’étoit jamais applicable, ou conduisit à l’erreur. Et l’on ne voit pas auſſi que Leybnitz ait voulu dans aucun autre cas faire l’application de ce principe. On ne pouvoit donc rien imaginer de plus ridicule que de ſuppoſer le fragment de cette lettre qui atîribuoit à Leybnitz un principe oppoſé à celui qu’il a publiquement adopté. Et l’on ne ſauroit ſauver cette abſurdité par la différence des temps où l’on voudroit ſuppoſer qu’il a eu ces différens principes ; car Leybnitz ayant expliqué la réfraction par un principe tout différent de celui de la moindre action, ſi depuis il étoit parvenu à la connoiſſance de ce principe univerſel qui y étoit ſi applicable, la première choſe ſans doute qu’il eût faite, c’eût été d’en faire l’application aux phénomènes de la lumière, pour leſquels il s’étoit ſervi d’un principe ſi éloigné de celui-ci. C’eſt une choſe aſſurément digne de remarque, qu’un partiſan de Leybnitz nous ait mis en même temps dans la double obligation de prouver que le