Matutina (Silvestre)

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MATUTINA


 
La gloire du matin monte dans les cieux calmes
Et ferme, en souriant, les ailes du sommeil,
Et le jour triomphant pose son pied vermeil
Sur les nuages blancs couchés comme des palmes.




I


Ô malin vermeil qui descends
Les marches d’azur des collines,
Et jusque vers la plaine inclines
Ton faisceau de rayons naissants


O Faucheur des ombres dressées
Aux sillons obscurs de la Nuit,
L’or vivant qui dans tes mains luit
Vient des étoiles amassées.

Dans le champ des cieux parcourus,
Comme le moissonneur sa gerbe,
Tu nous fais le soleil superbe
De tous les astres disparus.

En cueillant les fleurs de lumière,
O Matin, as-tu respecté
L’étoile de qui la clarté
Sur mon front brilla la première ?

L’astre pâle et silencieux
Qui s’envole aux pas de l’aurore
Et que mon rêve cherche encore
Au profond du jardin des cieux ?


Ah ! que jamais la main cruelle
Ne touche cette fleur d’amour
Et n’effeuille aux flammes du jour
Cette rose spirituelle !


II


Lent parmi le calme des eaux
Où se double le ciel nocturne,
Le nénuphar, sous les roseaux,
Ouvre l’or pâle de son urne.

Le Matin qui passe, tout blanc,
Croit voir une étoile tombée
Prise aux verdures de l’étang,
Comme l’aile d’un scarabée.


Vers l’astre captif, plein d’ardeur
Il étend la main qui délivre ;
Mais, de sa tiède et fine odeur,
La fleur l’enveloppe et l’enivre :

Il s’endort et, sous son front pur,
Passent les visions aimées
D’un ciel terrestre dont l’azur
A des étoiles parfumées.
Tel désertant l’immensité,
J’ai rencontré sur une grève
Une femme dont la beauté
M’a fait le prisonnier d’un rêve.


III


C’est aux rayons d’un matin clair,
A l’heure où s’éveille la plaine,
Que je voudrais mêler, dans l’air,
Au vent frais ma dernière haleine.

Elle irait, sous les cieux pâlis,
Et suivrait l’âme parfumée
Qu’au cœur énamouré des lys
La nuit a longtemps enfermée.


Sur l’aile des papillons blancs
Que le frisson du jour déploie
Elle irait, aux feuillages lents,
Des brises apporter la joie.

Et, fidèle à l’appel vainqueur
Qui sonne à l’Orient de cuivre,
Elle se perdrait dans le chœur
De tout ce que l’aube délivre !


IV


Des jardins de la nuit, s’envolent les étoiles.
Abeilles d’or qu’attire un invisible miel,
Et l’aube, au loin tendant la candeur de ses toiles,
Trame de fils d’argent le manteau bleu du ciel.

Du jardin de mon cœur qu’un rêve lent enivre
S’envolent mes désirs sur les pas du matin,
Comme un essaim troublé qu’à l’horizon de cuivre
Appelle un chant plaintif éternel et lointain.


Ils volent à tes pieds, astres chassés des nues,
Exilés du ciel d’or où fleurit la beauté
Et, cherchant jusqu’à toi des routes inconnues,
Mêlent au jour naissant leur mourante clarté.


V


L’aurore frange de carmin
La robe grise de la nue
Et brode, en passant, l’avenue
D’un double feston de jasmin

Une aiguille d’or à la main,
Comme une fée elle est venue
Mettre leur parure connue
Au ciel d’azur au vert chemin.


Comme Pénélope, sans trêve,
Elle recommence le rêve
Qu’emportera la fin du jour.

Renaissante et mourante flamme,
Ainsi recommence dans l’âme
L’œuvre éternelle de l’amour.


VI


Comme une floraison de lys,
Monte des horizons pâlis
Une aube aux langueurs d’amoureuse
Devant ses appâts nonchalants,
Le rideau des nuages blancs
S’ouvre et son lit d’azur se creuse.

Les collines, sous ses beaux seins,
Se frangent, moelleux coussins,

D’une vapeur de mousseline,
Et, sur l’oreiller que lui font
Les brumes au duvet profond,
Sa tête se pâme et s’incline.

Pâle amoureuse du soleil,
Voici que ton époux vermeil
Bondit, superbe, sur ta couche
Et que tu t’enfuis du ciel bleu ;
Car son premier baiser de feu
A brûlé ton âme à ta bouche

Sur le grand mont échevelé,
Le sang de ta lèvre a coulé,
Teignant son faîte en rose pâle,
Et, du bord du ciel éperdu,
Un fleuve d’or est descendu
Emportant ton beau corps d’opale.


Mais quand il reviendra, le soir,
Au lit de l’horizon s’asseoir,
Le Dieu farouche et solitaire,
La mer s’emplira de sanglots
Et le soleil à larges flots
De son sang rougira la terre !


VII


Aube qui nais, aube fragile
D’un jour qu’emportera la nuit,
Sans réchauffer mon cœur d’argile,
Ton inutile flamme luit.

Aube qui nais, aube qui roses
Le ciel de fragiles couleurs,
Sans distraire mes yeux moroses,
S’ouvrent tes yeux tremblants de pleurs !


Aube qui nais, aube qui chantes
Et dont la voix nous dit d’aimer.
Sur mes espérances penchantes
Tu passes sans les ranimer.

Aube qui nais, aube qui pleures
Sur les lys tes larmes d’argent,
Sans prendre notre âme à ses leurres
S’envole ton éclat changeant !

Fouillant l’horizon, ma prunelle
Cherche derrière les sommets
L’aube sans fin, l’aube éternelle
Du jour qui ne viendra jamais !


VIII


Tandis que l’aurore dénoue
Les cheveux ardents du soleil,
L’or des tiens, flottant sur ta joue,
Luit d’un rayonnement pareil.

Tes bras nus et ta gorge nue
Que baisent tes cheveux mouvants
Se colorent, comme la nue,
De frissons roses et vivants.


Et la bouche où l’âme attirée
Trouve une éternelle prison
S’ouvre comme la fleur pourprée
Qui monte au bord de l’horizon !