Mathématiques et mathématiciens/Chp 1 - Section : Méthodes

Librairie Nony & Cie (p. 23-32).


MÉTHODES



1o  N’entreprendre de définir aucune des choses tellement connues d’elles-mêmes, qu’on n’ait point de termes plus clairs pour les exprimer.

2o  N’admettre aucun des termes un peu obscurs ou équivoques, sans définition.

3o  N’employer dans les définitions que des termes parfaitement connus ou déjà expliqués.

4o  N’omettre aucun des principes nécessaires, sans avoir demandé si on l’accorde, quelque clair et évident qu’il puisse être.

5o  Ne demander en axiomes que des choses parfaitement évidentes d’elles-mêmes.

6o  N’entreprendre de démontrer aucune des choses qui sont tellement évidentes d’elles-mêmes, qu’on n’ait rien de plus clair pour les prouver.

7o  Prouver toutes les propositions un peu obscures, en n’employant à leur preuve que des axiomes très évidents d’eux-mêmes ou des propositions déjà démontrées ou accordées.

8o  N’abuser jamais de l’équivoque des termes, en manquant de substituer mentalement les définitions qui les restreignent et les expliquent.

Pascal.

Lorsque l’on aura à trouver la démonstration d’une proposition énoncée, on cherchera d’abord si elle peut se déduire comme une conséquence nécessaire de propositions admises, auquel cas, elle devra être admise elle-même, et sera par conséquent démontrée. Si l’on n’aperçoit pas de quelles propositions connues elle pourrait être déduite, on cherchera de quelle proposition non admise elle pourra l’être, et alors la question sera ramenée à démontrer la vérité de cette dernière. Si celle-ci peut se déduire de propositions admises, elle sera reconnue vraie, et par suite la proposée ; sinon, on cherchera de quelle proposition non encore admise elle pourrait être déduite, et la question serait ramenée à démontrer la vérité de cette dernière. On continuera ainsi jusqu’à ce que l’on parvienne à une proposition reconnue vraie : et alors la vérité de la proposée sera démontrée.

On voit que cette méthode, que l’on appelle analyse, consiste à établir une chaîne de propositions commençant à celle qu’on veut démontrer, finissant à une proposition connue et telle qu’en partant de la première, chacune soit une conséquence nécessaire de celle qui la suit ; d’où il résulte que la première est une conséquence de la dernière, et, par conséquent, vraie comme elle.

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La méthode synthétique consiste à partir de propositions reconnues vraies, à en déduire d’autres comme conséquences nécessaires, de celles-ci de nouvelles, jusqu’à ce qu’on parvienne à la proposée, qui se trouve alors reconnue elle-même comme vraie. Elle n’est donc qu’une méthode de déduction. D’où l’on voit que, si l’on connaissait la démonstration analytique d’un théorème, on en obtiendrait immédiatement la démonstration synthétique en renversant l’ordre des propositions.

Duhamel.

Il est en mathématiques une méthode pour la recherche de la vérité, que Platon passe pour avoir inventée, que Théon a nommée analyse et qu’il a définie ainsi : Regarder la chose cherchée, comme si elle était donnée, et marcher de conséquences en conséquences, jusqu’à ce que l’on reconnaisse comme vraie la chose cherchée. Au contraire, la synthèse se définit : Partir d’une chose donnée, pour arriver, de conséquences en conséquences, à trouver une chose cherchée.

Viète.

On peut remarquer que la méthode analytique qui est une méthode rigoureuse par réduction, en réalité identique à la méthode synthétique par déduction, n’est pas la même que l’analyse des Anciens, qui était déductive et était une sorte d’expérimentation sur la vérité à démontrer.

Aujourd’hui nous ne faisons plus de synthèse, parce qu’il est de règle de ne procéder en analyse que par conclusions immédiatement réversibles. « Si A est vrai, B est vrai » n’est employé que si l’on peut dire : « B est vrai, donc A est vrai. » Il est rare que les Anciens aient été assez assurés de la pratique de leurs procédés pour se croire dispensés de la contre-épreuve, la synthèse après l’analyse.

P. Tannery.

Si vous substituez à une proposition ou à une question, une proposition ou une question plus générale, vous pouvez trouver des solutions en plus, des solutions étrangères.

Par contre, si la nouvelle proposition ou la nouvelle question est moins générale, vous pouvez perdre des solutions.

Voici, d’après la Logique de Port-Royal, quelques défauts qui se rencontrent dans la méthode des géomètres :

1o  Avoir plus de soin de la certitude que de l’évidence, et de convaincre l’esprit que de l’éclairer.

2o  Démonstration par l’impossible.

3o  Démonstrations tirées par des voies trop longues.

4o  N’avoir aucun soin du vrai ordre de la nature.

5o  Ne point se servir de divisions et de partitions.

Il serait à désirer qu’on ne laissât pas autant dans l’oubli certains résultats des travaux des géomètres des siècles passés, et qu’on revint un peu sur les principes presque toujours faciles et souvent ingénieux à l’aide desquels les grands hommes de ces temps-là y étaient parvenus ; car ce ne sont pas tant les vérités particulières que les méthodes qu’il ne faut pas laisser périr.

Poncelet.

Pour bien faire sentir la différence entre les résultats de la méthode expérimentale et inductive et les résultats de la méthode mathématique, supposons qu’un malin génie…… se plaise à nous embrouiller dans nos opérations, à créer ou à annihiler un objet entre nos doigts, au moment où nous comptons quel nombre d’objets font deux groupes de cinq objets, à faire varier les angles du triangle que nous mesurons, ou les angles du rapporteur qui nous sert d’unité de mesure ; nous n’aurons aucun moyen de découvrir la supercherie, nous enregistrerons ingénument les divers résultats obtenus, et nous conclurons en toute sécurité de conscience, que les angles d’un triangle valent tantôt deux droits, tantôt plus, tantôt moins ; et que cinq et cinq font, suivant le cas, dix, douze ou tout autre nombre.

Mais si nous avons une fois démontré rationnellement que cinq et cinq font dix, que les angles d’un triangle valent deux angles droits, alors, quand même un malin génie, intervenant lorsque nous voulons vérifier expérimentalement ces vérités, brouillerait nos comptes et nos mesures, nous n’en maintiendrions pas moins la vérité absolue de notre démonstration faite dans l’abstrait, et nous en conclurions seulement que, pour des raisons à nous inconnues, ces vérités se trouvent modifiées dans le concret par l’association, dans les objets réels, de propriétés de divers genres aux propriétés mathématiques.

Rabier.

Les questions aisées doivent être traitées par des moyens également faciles ; il faut réserver l’analyse savante pour les questions qui exigent les grands moyens et il ne faut pas ressembler à ce personnage de la Fable, qui, pour se délivrer d’une puce, voulait emprunter à Jupiter sa foudre ou à Hercule sa massue.

Delambre.

C’est une remarque que nous pouvons faire dans toutes nos recherches mathématiques : ces quantités auxiliaires, ces calculs longs et difficiles où l’on se trouve entraîné, y sont presque toujours la preuve que notre esprit n’a point, dès le commencement, considéré les choses en elles-mêmes et d’une vue assez directe, puisqu’il nous faut tant d’artifices et de détours pour y arriver ; tandis que tout s’abrège et se simplifie, sitôt que l’on se place au vrai point de vue.

Poinsot.

Les définitions géométriques ne précèdent jamais l’apparition des figures qu’il s’agit d’étudier ; elles les suivent, au contraire, et les fixent. Ce n’est qu’après avoir démontré qu’une figure est possible et unique, qu’il est permis de résumer par un mot, le résultat de cette démonstration, et de regarder conventionnellement ce mot comme l’équivalent ou comme la définition de la figure.

J.-F. Bonnel.

Il semble que dans l’état actuel des sciences mathématiques, le seul moyen d’empêcher que leur domaine devienne trop vaste pour notre intelligence, c’est de généraliser de plus en plus les théories que ces sciences embrassent, afin qu’un petit nombre de vérités générales et fécondes soit, dans la tête des hommes, l’expression abrégée de la plus grande variété de faits particuliers.

Charles Dupin.

L’étendue et les progrès de la géométrie sont tels que, plutôt que de se refuser à toute étude des nouvelles méthodes, il faudra peut-être avant peu tenir compte seulement des méthodes générales, afin d’avoir en sa possession un plus grand nombre de moyens pour arriver à la connaissance des vérités dont on a besoin. Il est effectivement impossible désormais d’avoir présentes à l’esprit toutes les vérités qui sont découvertes.

Bellavitis.

Voulant résoudre quelque problème, on doit d’abord le considérer comme déjà fait, et donner des noms à toutes les lignes qui semblent nécessaires pour le construire, aussi bien à celles qui sont inconnues qu’aux autres. Puis, sans considérer aucune différence entre ces lignes connues et inconnues…… on cherche à exprimer une même quantité en deux façons, ce qui se nomme une équation…… On doit trouver autant de telles équations qu’on a supposé de lignes qui étaient inconnues.

Descartes.

Certaines parties d’une figure, considérées dans un état général de construction, peuvent être indifféremment réelles ou imaginaires. Or il arrive souvent que ces parties servent utilement, dans le cas de la réalité, à la démonstration d’un théorème, et que cette démonstration n’a plus lieu quand ces mêmes parties deviennent imaginaires. Alors on dit qu’en vertu du principe de continuité le théorème démontré dans le premier cas s’étend au second, et on l’énonce d’une manière générale. Quelquefois le contraire a lieu, et c’est quand certaines parties d’une figure sont imaginaires, que l’on y trouve les éléments d’une démonstration facile, dont on applique les conséquences, en vertu du principe de continuité, au cas où ces mêmes parties sont réelles et où la démonstration n’existe plus.

Chasles.

Un jour qu’il présidait un concours d’agrégation, Poisson, oubliant un instant le candidat qu’il avait à juger, prit la parole et développa ceci : qu’il y a en géométrie quatre méthodes : méthode de superposition ; méthode de réduction à l’absurde ; méthode des limites ; méthode infinitésimale. La superposition, disait-il, n’est applicable que dans très peu de cas ; la réduction à l’absurde suppose la vérité connue, et prouve alors qu’il ne peut pas en être autrement, mais sans montrer pourquoi. La méthode des limites, plus généralement applicable que les deux autres, suppose la vérité connue, et ce n’est, par conséquent, pas davantage une méthode d’investigation ; ce sont trois méthodes de démonstration applicables chacune, dans certains cas, aux vérités déjà connues. Au contraire, la méthode des infiniment petits se trouve être à la fois une méthode, générale et toujours applicable, et de démonstration et d’investigation.

Gratry.

On peut établir dans les Mathématiques une autre classification, fondée non plus sur l’objet de la science, mais sur ses méthodes. À ce nouveau point de vue, nous aurions à distinguer deux sortes d’Analyse :

1o  Celle des quantités discontinues ;

2o  Celle des quantités continues.

Dans la première, on cherche les relations qui existent entre certaines quantités fixes données a priori. Cette méthode est employée dans les parties élémentaires des Mathématiques, et plus spécialement en Arithmétique et au début de la Géométrie, sauf pour un petit nombre de théorèmes fondamentaux, dont la démonstration exige la notion des quantités incommensurables.

Dans l’Analyse des quantités continues, on considère au contraire les éléments de la question proposée comme susceptibles de varier par degrés insensibles et l’on cherche à déterminer les lois qui régissent leurs variations simultanées.

Cette méthode dont Euclide et Archimède avaient donné autrefois de remarquables exemples, était tombée en oubli pendant plusieurs siècles, lorsque la mémorable découverte de Descartes sur l’application de l’Algèbre à la théorie des courbes obligea les géomètres à y revenir, pour résoudre les deux questions qui s’imposaient à eux, le problème des tangentes et celui des quadratures.

Jordan.