Martin l’enfant trouvé ou les mémoires d’un valet de chambre/VI/1


CHAPITRE I.


confidences.


— Allons donc dans ma chambre, que nous nous voyions au moins le blanc des yeux ! — s’écria Bamboche après la première explosion de joie causée par notre rencontre.

Nous entrâmes dans la pièce voisine, beaucoup mieux éclairée par deux bougies, allumées sur la cheminée.

Basquine ayant quitté sa coiffure démoniaque, restait enveloppée de son manteau de soie noire, serré à la taille par une ceinture.

Il y eut un nouveau moment de silence, pendant lequel nous nous regardâmes tous trois avec cette curiosité pleine d’intérêt et d’attendrissement qu’inspire toujours la première entrevue qui suit une longue séparation.

L’énergique figure de Bamboche avait dépouillé son caractère habituel de railleuse audace, ses yeux encore humides s’attachèrent tour-à-tour sur moi et sur Basquine, tandis que celle-ci, une main dans la main de notre compagnon et l’autre fraternellement appuyée sur mon épaule, me contemplait en souriant de ce sourire triste et pensif, qui lui était habituel dans son enfance, lorsqu’elle parlait de sa famille et de son père.

Vus de près, les traits de Basquine paraissaient encore plus fins, encore plus purs qu’à la scène, mais aussi on y remarquait davantage l’empreinte de la misère et du chagrin ; son teint, autrefois d’une transparence rosée, quoique un peu bruni par le hâle, s’étiolait alors sous une pâleur maladive ; ses lèvres, jadis d’un vermillon si vif, avaient blanchi ; enfin il fallait la grâce, la svelte élégance des attaches de son cou et de ses épaules, pour faire oublier sa maigreur. Hélas ! que dirai-je, ce charmant visage de seize ans, déjà flétri, décoloré, trahissait l’habitude de privations et de peines si amères, que des larmes me vinrent aux yeux.

— Tu me trouves bien changée ? n’est-ce pas, Martin ? — me dit Basquine, devinant la cause de mon émotion, — moi… je t’aurais reconnu tout de suite…

Puis s’adressant à Bamboche, en me montrant du regard :

— Comme il a l’air loyal et bon ! n’est-ce pas ?

— Ça me rappelle… ce que je disais à Claude Gérard… l’homme que nous avons volé et qui a recueilli Martin. — reprit Bamboche, — « D’après ce que vous m’apprenez de Martin, je vois d’ici sa figure grave et douce, où se peint son caractère. » — Je ne m’étais pas trompé, c’est bien cela, — ajouta Bamboche en me regardant fixement, — oui, c’est bien cela, c’est bon à voir une loyale figure… ça repose…

— Toi… — dit Basquine à Bamboche, — avec un singulier accent d’affection, de reproche et de mélancolie, tu n’es pas changé, tout s’émousse sur toi… rien ne peut mordre sur ta nature de fer…

— Rien n’y peut mordre… excepté Martin… excepté toi…

Basquine secoua la tête.

— En vous revoyant tous deux, j’ai pleuré… comme un enfant… — poursuivit Bamboche, sans paraître remarquer le mouvement de Basquine, — dam… après tant d’années d’absence… nous voir enfin réunis…

— Vous retrouver le même jour… toi, — me dit Basquine en me tendant la main. — Et toi ! — ajouta-t-elle en donnant son autre main à Bamboche.

— Tu ne m’en veux plus ? — lui demanda Bamboche presque avec crainte.

— Entre nous trois… ne devons-nous pas tout nous pardonner ? — dit doucement Basquine ; puis un éclair brilla dans ses yeux ; sa lèvre sardonique se contracta, et elle ajouta :

— C’est pour d’autres qu’il faut cultiver nos haines.

— Il y a donc long-temps que tu n’avais vu Bamboche ? — demandai-je à notre compagne.

— Trois ans, — me répondit-elle.

— Oui… trois ans, — reprit Bamboche sans oser, pour ainsi dire, regarder Basquine.

— Ainsi, tu ignorais qu’elle dût jouer ce soir ? — dis-je à notre ami.

— Je ne la savais pas à Paris, et je n’avais pas seulement lu l’affiche, — reprit-il. — Quand je suis rentré dans ma loge, le tapage commençait… cabale montée, j’en suis sûr… par ces méchants gants jaunes de l’avant-scène. Malheureusement… je n’ai eu que le temps de les souffleter.

— Dans cette loge, tu l’as reconnu ? — lui dis-je.

— Qui ?

— Scipion !… le petit vicomte !

— Le gamin de la forêt de Chantilly ! — s’écria Bamboche.

— Martin a raison, — dit Basquine d’une voix sourde.

— C’était le vicomte.

— Tu le savais donc là ? toi, ma pauvre Basquine, — lui demandai-je.

— Non, — tout entière à mon rôle, je ne me doutais pas de la présence du vicomte ; sans cela, je me serais attendu à tout de lui…

— Pourquoi donc ? — dis-je à notre compagne ?

— Tu l’avais donc déjà revu depuis la scène de la forêt ? — ajouta Bamboche aussi surpris que moi.

— Oui… car on croirait qu’une fatalité me rapproche toujours de cette méchante petite créature… — reprit Basquine avec un ressentiment concentré. — Il y a deux ans je l’ai revu,… et il y a deux ans, j’ai été comme aujourd’hui… humiliée, outragée… jusqu’au vif… jusqu’au sang…

— Le misérable ! — m’écriai-je, — mais d’où lui vient cet acharnement contre toi ?

— Je n’en sais rien… — reprit Basquine.

— Oh ! vicomte… vicomte… — dit Bamboche, — toi et ton père… je vous rejoindrai… Je te vengerai, Basquine…

— Je n’ai besoin de personne… — dit fièrement la jeune fille, — je sais vouloir… et attendre.

— Et il y a deux ans… crois-tu que Scipion t’ait reconnue ? — lui dis-je.

— Non… pas plus qu’il ne m’a reconnue aujourd’hui, j’en suis certaine… L’instinct du mal et le hasard l’auront guidé… Je vous dis… qu’il y a des fatalités…

Puis, passant sa main amaigrie sur son front, Basquine reprit tendrement :

— Et toi… as-tu aussi beaucoup souffert ? Es-tu heureux à cette heure ?

— Mais j’y songe maintenant — dit Bamboche en m’examinant avec une expression de surprise presque douloureuse, — toi… toi… une livrée !  !…

— En effet… — ajouta tristement Basquine — réduit à cela… toi ?

— Pardieu, c’est tout simple… — s’écria Bamboche avec un accent de raillerie amère — c’est une âme d’or… il n’y a pas de condition assez misérable pour lui… c’est comme toi, Basquine… tu as été admirable pour moi et…

— Oublions cela, — dit la jeune fille en interrompant Bamboche.

— Oui… oublions cela, — reprit-il avec amertume, et il ajouta d’un ton grave dont je fus pénétré :

— Tu l’entends, Martin, et pourtant pour elle j’ai été brutal, méchant… impitoyable…

— Tout cela est passé… — répondit simplement Basquine.

— Cela est passé, — dit Bamboche d’un air navré, — cela est passé… comme ton amour pour moi…

— L’amour !!! — dit Basquine en haussant les épaules, et ses traits reprirent cette expression d’ironie glaciale dont j’avais été si frappé dans son rôle du mauvais génie, — tu vois Martin… il me parle d’amour… à mon âge… mais mes pauvres enfants… j’ai commencé si jeune… que maintenant… pour l’amour… j’ai cinquante ans

Il y eut entre nous trois un moment de pénible silence… Malgré son rude cynisme, Bamboche restait atterré, comme moi, de voir cette jeune fille, ce trésor de beauté, de grâce, d’intelligence et de génie déjà et à jamais flétrie dans ce qui fait rayonner ou ambitionner la beauté, la grâce, l’intelligence et le génie…

— Rassurez-vous, — nous dit Basquine en nous prenant la main, à Bamboche et à moi, — dans ce cœur que toutes les misères humaines ont fait saigner jusqu’à ce qu’il fût desséché ; dans ce cœur où l’amour a été tué par une dégradation précoce, il restera toujours, comme disait autrefois Bamboche, un petit coin de tendre amitié pour vous deux… Mais nous oublions que Martin doit être impatient de savoir ce qui nous est arrivé à tous deux…

— Ah ! mes amis, — leur dis-je, — combien de fois j’ai été préoccupé de ces pensées : où sont-ils ? que deviennent-ils ? et surtout par quel sinistre événement ont-ils disparu, le soir du jour où j’ai été arrêté après le vol commis chez Claude Gérard ? Car jugez de mon désespoir, mes amis, lorsque arrivé au rendez-vous que nous nous étions donné en cas de poursuite… vous savez…

— Oui, — dit Bamboche, — au pied d’une croix de pierre, située au haut de la montée de la grande route…

— Mais puisque tu avais été pris, toi, comment es-tu venu le soir à notre rendez-vous ? — me demanda Basquine.

— Grâce à la généreuse confiance de Claude Gérard ; je vous expliquerai cela ; j’arrive donc près de la croix de pierre, là… que vois-je ! le petit châle de Basquine et quelques-unes des pièces d’argent au milieu d’une mare de sang.

— Raconte-lui tout, — dit Basquine à Bamboche, — il saura ensuite ce qui m’est arrivé.

— Je finissais d’empocher l’argent de Claude Gérard, quand tu nous as donné le signal d’alarme, — reprit Bamboche, — je voulais aller à ton secours.

— C’est moi qui l’en ai empêché, — dit Basquine, — nous nous perdions sans te sauver, Martin, et il m’était venu un autre projet…

— Tu avais raison, Claude Gérard fût facilement venu à bout de moi et de Bamboche.

— Peut-être… car j’avais mes pistolets… — reprit celui-ci, — j’étais déterminé… il y aurait peut-être eu un meurtre… ce qui est arrivé vaut mille fois mieux,… quoique j’ai manqué de laisser ma peau dans l’affaire… Je suis donc le conseil de Basquine… te voyant pris, nous nous sauvons en nous faufilant au milieu des genêts ; nous trouvons, au bout du champ, un tas de fagots ; j’en déplace trois ou quatre, et nous nous blottissons dans cette cachette.

— Voilà quel était mon projet, — reprit Basquine, — nous devions d’abord t’attendre toute la nuit au rendez-vous convenu… si tu n’y venais pas, plus de doute, tu étais pris ; nous voulions alors le lendemain parcourir le village, soit en mendiant, soit en chantant, et, une fois instruits de ton sort, nous aurions agi en conséquence.

— Mais le diable en a voulu autrement, — reprit Bamboche.

— Oui, — lui dis-je, — le diable ou le cul-de-jatte ?

— Comment sais-tu cela ? — s’écrièrent à la fois Basquine et Bamboche.

— Continuez… continuez, mes amis.

— Eh bien ! tu ne te trompes pas, — reprit Bamboche, — le cul-de-jatte en a décidé autrement ; car comme dit Basquine, il y a de singulières fatalités… Donc, une fois la nuit venue, nous avions été t’attendre à notre rendez-vous, il faisait un clair de lune superbe. Assis au pied de la croix de pierre, je m’amusais à compter notre argent dans le châle de Basquine… La route était déserte ; nous nous croyions seuls ; mais voilà qu’une main de fer m’empoigne brusquement par la nuque : — Sauve-toi, Basquine !

— Ça a été son premier cri, — dit la jeune fille.

— Mon second cri a été quelque chose comme : tonnerre de Dieu ! Et me voilà à me débattre de toutes mes forces, afin de me dégager et de prendre un de mes pistolets… J’y parviens, mais le gredin de cul-de-jatte…

— Je ne me trompais pas, — dis-je à Bamboche. — Il s’était sans doute tenu caché derrière la base de la croix de pierre.

— Juste, — poursuivit Bamboche. — Dans la lutte, le brigand m’arrache mon pistolet au moment où je venais de l’armer, et me le tire dans les côtes, ici, à droite, j’ai une cicatrice à y fourrer le pouce[1]. Comment ne m’a-t-il pas tué ? Que le diable m’emporte si je le sais…

— Mais ce misérable, tu l’as revu ? — m’écriai-je.

— Pardieu… il est venu aujourd’hui ici me demander trois fois… c’est lui qu’on nomme le Major. Tu n’as pas entendu le portier m’annoncer sa visite ?

— Tu vois ce misérable ? — répétai-je avec un accent de reproche.

— J’en ai revu bien d’autres, — s’écria Bamboche, — que veux-tu ? je pratique sur une grande échelle l’oubli des injures,… et des coups de pistolet à bout pourtant… Recevant donc du cul-de-jatte une telle dragée en pleine poitrine… je tombe sur le coup… Basquine se sauve en criant à l’assassin ! au secours !… et la pauvre enfant est tellement saisie d’épouvante, que, perdant complètement la tête, elle court sans savoir où elle va… finalement, pendant une quinzaine de jours, elle est restée folle de frayeur. Elle te contera ça… car, c’est à dater de ce coup de pistolet, qu’elle et moi nous avons été séparés… pour la première fois…

— Pauvre Basquine, — dis-je en prenant dans mes mains les mains de la jeune fille, — et toi ? qui t’a sauvé, Bamboche ?

— Un brave voiturier, il s’en allait à vide sur cette route, environ une heure après l’événement… il me voit baigné dans mon sang, quasi mort, à quelques pas de la croix, il me relève, me met sur sa charrette, comptant me transporter à cinq ou six lieues de là, dans un bourg où il y avait un chirurgien. Mais, comme le lendemain dans la matinée nous approchions de ce bourg, des gendarmes rencontrent la voiture, le charretier raconte la chose, on fait mettre le premier appareil sur ma blessure, et l’on me mène à l’hospice de la ville voisine ; on me guérit, et comme je suis bien forcé d’avouer que je n’ai ni asile, ni ressources, on m’envoie finir ma convalescence en prison, comme vagabond.

— En prison ! — m’écriai-je ?

— Oui, — reprit Bamboche, — et j’y suis resté jusqu’à dix-sept ans ; tu conçois que ça m’a achevé, car les mépris, les duretés de la geôle ne vous rendent pas tendre, quand on est déjà coriace, et la société des petits voleurs n’est pas faite pour développer en vous le sens moral. Après cela, il faut être juste, il y a du bon dans la prison ; soyez un tantinet vagabond ou voleur, vous recevez là une éducation que le plus grand nombre des enfants du peuple ne reçoivent jamais : en prison on apprend à lire, à écrire, à compter, un peu de dessin, et un métier si on n’en a pas… on emporte une petite épargne, et souvent même, vois comme cela est encourageant, en sortant, on est placé tout de suite. Cependant, je n’appréciai pas comme je devais les avantages de ma position ; j’ai d’abord voulu me briser la tête contre les murs, et puis, par réflexion, j’ai voulu la briser aux autres, et puis enfin je me suis résigné à ne rien briser du tout, me disant : j’ai treize ans, c’est trois ans à faire ? faisons nos trois ans. Je vais bien t’étonner, Martin, ces trois ans ont passé comme un songe, car une fois que j’ai eu mordu à la lecture, j’ai été possédé de la rage de lire et d’appendre. On obtenait tout de moi, en me promettant des livres. Ce que j’ai lu est incalculable ; je faisais en deux heures la tâche d’une demi-journée, afin de consacrer le reste du temps à la lecture. On m’avait montré le métier de serrurier, et je martelais comme un Vulcain, toujours pour qu’on me laissât ensuite dévorer des volumes. Du reste, c’est une justice à me rendre, mes amis, et à vous aussi, je ne contractai pas la moindre amitié en prison ; la place était prise : j’étais fort, j’eus des flatteurs, je les méprisais ; j’étais méchant, j’eus des ennemis, je les bravais ; mais des amis, jamais ; je vécus seul, confit dans mon fiel. Car j’en ai fait… le diable le sait, et il y avait de quoi ; tu comprends, Martin, ce que j’étais devenu à l’âge de seize ans, surtout si tu joins à tous mes mauvais ressentiments ma cruelle incertitude sur votre sort à tous deux, et la violence de mon amour pour Basquine, poussé parfois jusqu’au vertige, car entre ces quatre murs de prison, l’éloignement et mes souvenirs rendaient ma passion encore plus ardente qu’avant notre séparation. Je sortis de prison, bronzé au mal, noué moralement, comme un arbre tordu par le vent.

— Je m’explique maintenant, — dis-je à Bamboche, l’effroi que la prison inspirait à Claude Gérard. — « Te faire mettre en prison, malheureux enfant, » — me disait-il, lorsqu’il m’eut arrêté lors de notre vol, — « c’est te perdre, c’est te dépraver à jamais. »

— Claude Gérard avait raison cette fois, comme tant d’autres, — reprit Bamboche, — le mauvais pli était pris, et bien pris ; en sortant de prison, où j’étais devenu assez bon ouvrier serrurier, je fus tout de suite recommandé à un patron. Ma ligne ainsi tracée, j’avais un gagne-pain et l’intelligence ouverte par l’instruction. Avec ça je pouvais crever de misère, comme tant d’autres… mais j’avais du moins une chance ; il était trop tard. La vie de prison m’avait achevé complètement, le travail m’était insupportable, tous mes appétits, comprimés pendant si long-temps, faisaient rage. J’entrai néanmoins chez un maître serrurier ; il avait une sœur, une veuve de trente-six ans, coquette, avenante et riche d’une soixantaine de mille francs. Si je travaillais peu à la boutique, je faisais en revanche le beau parleur, je chantais des chansons joyeuses, souvenirs de notre pître et de la Levrasse, sans compter les grimaces et les tours d’équilibre ; grâce à ces belles séductions, je tournai la tête de la veuve ; un beau jour, je l’enlevai, je jetai ma blouse aux orties et nous vécûmes en riches bourgeois. Ça ne m’empêchait pas de ne songer qu’à Basquine et à toi. Entreprendre un voyage à votre recherche, c’était mon idée fixe, mais il fallait du temps, de l’argent, et la veuve gardait la bourse, tout cela est ignoble. Mon brave Martin, j’aurais pu gagner mes cinquante sous ou trois francs en travaillant comme un nègre, mais j’avais eu jusque-là en prison tant de misère… que ma foi… tiens, ça me coûte de te raconter à toi ces vilenies-là… J’arrive à quelque chose qui te plaira davantage… parce que là… j’ai été à-peu-près bien… Sur ces entrefaites, le hasard me fit rencontrer Basquine… elle avait alors treize ans…

Deux coups frappés assez rudement à la porte de l’appartement interrompirent le récit de Bamboche ; il fit un geste de surprise et d’impatience, alla dans l’antichambre et moi et Basquine, nous entendîmes les paroles suivantes échangées entre Bamboche et son interlocuteur à travers la porte qui s’ouvrait sur l’escalier.

— Qui est là ? — demanda Bamboche.

— Moi… le Major.

— Va-t’en au diable… et reviens demain matin.

— C’est très-pressé.

— Ça m’est égal.

— C’est pour l’affaire Robert de Mareuil, c’est la Levrasse qui m’envoie.

— Écoutez bien, monsieur le Major, si vous ne descendez pas à l’instant l’escalier, de bonne grâce… je vais sortir et vous le faire descendre plus lestement que ne le comporte votre âge vénérable…

— Mais je vous dis, Capitaine, que c’est si pressé que…

— Monsieur le Major !!! — fit Bamboche d’une voix tonnante en donnant un tour de clé à la serrure, comme s’il allait sortir.

Sans doute la menace de Bamboche fut efficace, car il referma la serrure à double tour, en disant :

— À la bonne heure…

Et il rentra dans la chambre.

— Tu connais Robert de Mareuil, — lui dis-je, frappé de ce que je venais d’entendre.

— J’ai cet honneur-là… dit Bamboche d’un ton sardonique. — Quelle canaille !…

— Lui… — m’écriai-je ?

— Je crois bien…

— Tu en es sûr ?

— Je m’y connais et j’en réponds.

— Nous reparlerons plus tard de Robert de Mareuil, — dis-je à Bamboche, après un moment de réflexion. — Continue ton récit.

— C’est moi qui le continuerai pour lui, reprit Basquine, car il dirait mal ce qu’il y a eu de bon, de généreux dans sa conduite envers moi.

— Tu as raison, Basquine… — lui dis-je, — nous t’écoutons.




  1. Voir, Ier chapitre, signalement de Bamboche.