Jean Gay, libraire-éditeur (p. 77-79).
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VI



Il fut surpris de se réveiller le lendemain au poste. Il tenta de se rappeler les méfaits qu’il avait bien pu commettre. Ne les retrouvant point, il conclut judicieusement qu’il s’était pochardé ; soudain, il se rappela avoir rencontré Marthe, l’avoir suivie jusque dans une petite ruelle dont le nom lui échappait. J’ai rêvé, se dit-il, c’est impossible. Il se promit cependant, connaissant l’adresse de Léo, d’aller chez lui aussitôt qu’il serait relaxé.

Il se fit, en effet, réclamer le jour même par l’un de ses amis, et il courut au plus vite à la recherche de Marthe. La concierge lui apprit sa disparition et la visite des agents. Sur ces entrefaites, Léo parut, descendant de voiture et tenant sa malle de voyage à la main.

Il reçut assez mal Ginginet qui lui dit, très-digne :

— Monsieur, si vous voulez avoir des nouvelles de Marthe, vous ferez bien de vous adresser à la préfecture de police (2e bureau de la 1re division, Service des mœurs) ; on vous en donnera. Quant à moi, si je pleure l’artiste dramatique, mon ancienne élève, j’admire la femme, mon ancienne maîtresse. Elle a au moins un avantage sur les autres, elle renonce à tromper les hommes. Marthe ne mentira pas, maintenant qu’elle n’aura plus l’occasion de simuler les geigneries du parfait amour : ce que le bourgeois appellerait piquer une tête dans le cloaque, descendre le dernier échelon de l’infamie, je l’appelle, moi, une expiation, un retour à l’honnêteté !

Et ce disant, plus digne que jamais, le cabotin souleva son feutre qui, par suite des heurts et cahots de la nuit, gondolait piteusement et semblait un accordéon prêt à jouer une marche funèbre, et sa silhouette calamiteuse et cocasse disparut subitement au tournant du couloir.