Michel Lévy frères, libraires éditeurs (p. 316-319).


POST-FACE


Faire connaître le but moral d’un ouvrage est souvent en détruire l’intérêt ; c’est pourquoi je place ici les motifs qui m’ont fait écrire Marie de Mancini.

Dans la longue et triste étude que j’ai faite des malheurs de la femme, je n’en ai point trouvé de plus cruel, de plus flétrissant, de plus inconsolable qu’un amour trop haut placé. Cette ambition, dont le succès même est un supplice, m’a toujours paru plus digne de pitié que d’indignation. Nos moralistes, nos grands prédicateurs, ont tonné contre elle de toutes les forces de leur éloquence, et lui ont prodigué tous les noms dont ils accablent les vices ; et, malheureusement, ces saints plaidoyers contre les vanités du cœur n’ont pas privé nos rois d’une maîtresse ; ces pompeux sermons ont converti celles qui n’étaient plus aimées ? mais ont-ils jamais arraché à la séduction d’un amour royal la jeune fille que le prestige de la magnificence et des grandeurs commençait à éblouir ? Hélas ! non ; la crainte des enfers est impuissante contre un espoir délirant. Le jeune âme, abusée par ce mirage d’amour, de pompe et d’élégance, par ce charme attaché au pouvoir, ne se doute pas des souffrances aiguës, continuelles, honteuses qui l’attendent dans le palais de la faveur. Son cœur, déjà perverti par l’espoir d’un bonheur éclatant, accepte avec courage tous les périls de la route pour arriver au but ; elle se résigne d’avance aux remords d’une faiblesse coupable, en se disant : Un si beau triomphe vaut bien qu’on le paie par quelques douleurs ; elle ne sait pas que ce triomphe est le signal de son martyre ; qu’à dater de ce jour il n’y aura plus pour elle ni repos, ni confiance, ni plaisir ; que l’instinct d’un abandon inévitable, commandé par l’ordre établi dans le monde, par cette loi immuable de l’orgueil social qui défend d’aimer longtemps ce qui vous est inférieur, que cette crainte trop fondée de voir l’égale préférée à la sujette, doivent bientôt la livrer à tous les supplices de la jalousie, à tous les dégoûts de l’humiliation.

Et ce martyr de l’amour trop haut placé, ce tableau affligeant que j’ai voulu peindre, ce n’est pas seulement aux femmes que le rang, la fortune placent auprès des trônes que je l’offre comme un préservatif : les séductions de la vanité sont de toutes les classes. Chaque condition a son roi. Le châtelain est le roi de la vassale, le maître est celui de la servante, l’homme de cour est le roi de la petite bourgeoise, l’artiste riche et célèbre est le roi de l’élève pauvre et encore inhabile ; ainsi, je le répète, chaque condition a son cercle dont une femme ne peut sortir sans risquer son honneur et le bonheur de sa vie.

L’amour le plus robuste, celui qui peut braver tous les obstacles, même les injures de la haine et les calomnies de l’envie, succombe au sourire dédaigneux de l’indifférence ; quel mari peut supporter patiemment l’accueil humiliant qu’on ne manque jamais de faire dans le monde à la jolie parvenue par l’amour de son mari ? Laisse-t-on échapper une occasion de lui prouver que, sans la considération qu’on a pour ce nom usurpé, que sa naissance ou sa fortune ne la destinait point à porter, on ne la saluerait seulement pas ! Ne lui ménage-t-on pas le déplaisir de voir et d’entendre chuchoter devant elle et à chaque instant l’histoire de son élévation, et les égards de famille ou d’anciennes relations qui obligent à la recevoir ? Ne se sent-elle pas étrangère dans cette noble cotterie dont elle n’a ni l’aplomb ni l’impertinence ; et les agaceries, l’espèce de camaraderie de ces femmes titrées envers son mari ne lui disent-elles pas clairement : « Lui seul est des nôtres. » Hélas ! lui-même ne tarde pas à se le dire aussi, et, les premiers feux de sa passion amortis, il retournera naturellement à ses habitudes, à ses liaisons ordinaires ; il a fait rompre sa femme avec toutes ses amitiés bourgeoises, il n’a pu parvenir à la faire admettre à partager les siennes ; elle reste isolée entre la famille qu’elle a délaissée et celle qui la repousse ; elle n’est plus qu’un devoir, une gêne pour celui qu’elle aime ; elle le voit par degré s’affranchir d’elle, fuir sa présence et s’attacher à une autre. Si c’est un galant homme , il lui assurera un revenu convenable au nom qu’il lui laisse ; alors elle vivra et mourra dans les larmes, ou, ce qui est pis encore, elle se consolera : on sait trop à quelle honteuse consolation un tel malheur expose une jeune et jolie femme.

Voilà donc la suite presque inévitable du succès que tant d’insensées désirent. Voilà le sort qui attend la plus heureuse ; c’est ce sort déplorable que j’ai voulu signaler. On plaint Marie de Clèves, princesse de Condé[1], Gabrielle d’Estrées, mademoiselle de Fontanges, madame de Vintimille, la duchesse de Châteauroux, et tant d’autres victimes du poison que les envieux de la faveur prodiguaient aux maîtresses des rois ; mais l’éclat de cette mort romanesque semble un attrait de plus : le péril annoblit la faiblesse. Comment avoir le remords d’un bonheur qui tue !

Ce n’est donc pas là le tableau qui puisse effrayer une âme noble. Mais celui d’un amour condamné, par un arrêt irrévocable, à passer par toutes les humiliations pour arriver au désespoir, ce tableau d’une jeunesse flétrie conduisant à une vieillesse honteuse ; cette chute d’une âme pure, noble, fière, s’abîmant dans le vice par l’impossibilité de remonter à la vertu, voilà l’image désolante dont j’ai voulu effrayer ces tendres âmes trop souvent ambitieuses d’un amour malheureux, ou ces jeunes esprits vaniteux qui ont tant de peine à résister au prestige de la puissance. Si cette leçon historique arrachait à la séduction des grandeurs et à l’attrait d’un amour inégal une seule victime, j’en serais assez récompensée.


FIN



Coulommiers. — Imprimerie de A. MOUSSIN.
  1. Maîtresse de Henri III.