Marie Antoinette et Barnave/Expertise des documents

Texte établi par Alma SöderhjelmLibrairie Armand Colin (p. 27-36).

EXPERTISE DES DOCUMENTS


Nous soussignés A. de Boüard de Laforest, archiviste paléographe, professeur à l’École des Chartes, G. Bourgin, archiviste paléographe, conservateur-adjoint aux Archives nationales, R. Anchel, archiviste paléographe aux Archives nationales, avons examiné au siège de la Chancellerie de la Légation de Suède, 25, rue Bassano à Paris, une liasse de documents manuscrits provenant du château de Löfstad en Suède. Elle se compose d’une série de 47 minces dossiers, dont chacun comporte ordinairement des documents, assez fréquemment au nombre de deux, émanés de deux mains différentes. La relation de l’un à l’autre est matériellement établie par un numéro d’ordre, inscrit par une même main, dans le coin supérieur gauche du premier recto.

Notre mission était de rechercher si les deux écritures dont il s’agit s’identifient, ou non, respectivement avec celle de la reine Marie-Antoinette et avec celle de François-Auguste Reynier, comte de Jarjayes.

Une première opération s’imposait : soumettre l’ensemble des pièces en question à l’observation critique, afin de reconnaître par l’étude de l’impulsion du mouvement et de la qualité du trait si elles prêtent, ou non, au soupçon de contrefaçon.

La parfaite sincérité de l’ensemble ressort en pleine évidence. Non seulement l’impulsion et la fermeté du mouvement apparaissent, d’un bout à l’autre, sans défaut ; mais tous ces documents se répartissent en deux graphismes, l’un et l’autre très caractérisé et remarquablement homogène, savoir : Page:Soderhjelm - Marie-Antoinette et Barnave.djvu/43 Page:Soderhjelm - Marie-Antoinette et Barnave.djvu/44 Page:Soderhjelm - Marie-Antoinette et Barnave.djvu/45 Page:Soderhjelm - Marie-Antoinette et Barnave.djvu/46 Page:Soderhjelm - Marie-Antoinette et Barnave.djvu/47 Page:Soderhjelm - Marie-Antoinette et Barnave.djvu/48

— enfin, une tendance notoire à l’abus de la majuscule E, fréquemment appliquée, en pleine phrase, aux noms, verbes, prépositions, adverbes : Egards, Envoyer, Est, En, Exactement…

Assurément, ces indices signalétiques, qui témoignent de l’homogénéité de chacun des graphismes mis en question, constituent, par là-même, le meilleur critérium de leur identification. C’est-à-dire que, confrontés avec des écrits non contestés de Marie-Antoinette et de Jarjayes, ils jouent comme une pierre de touche.

On s’est servi, à cette fin, des deux célèbres lettres de la reine conservées aux Archives nationales :

1° AEii 1241, lettre à l’empereur Léopold, 8 septembre 1791 ;

2° AEi 7-8, dernière lettre de la reine, écrite à sa belle-sœeur, 6 octobre 1793 ;

d’une part,

et, d’autre part, des pièces nos 6, 10 et 17 du dossier Jarjayes aux archives administratives du Ministère de la Guerre (822 des divisionnaires), dont l’autographe fut préalablement établie par comparaison analytique avec les signatures. Ces pièces sont respectivement les deux premières, des mémoires de 1784 et du 7 octobre 1790 : la troisième, une lettre de Jarjayes au ministre de la guerre du 10 janvier 1793. Il convient de remarquer que ces deux séries de documents sont à peu près parfaitement contemporaines de ceux qui étaient à examiner.

L’épreuve, conduite jusque dans les moindres détails, fut en tous points positive. Il est, en conséquence, hors de doute que les deux groupes de documents ci-dessus désignés émanent respectivement de la main de la reine Marie-Antoinette et de celle de François-Auguste Reynier, Comte de Jarjayes. D’autre part, on ne trouve, dans les paquets examinés, aucun document émanant d’une main étrangère.

Paris, le 2 mars 1934.

G. Bourgin,
A. de Bouard de Laforest,
Robert Anchel.