Eugène Fasquelle (p. 218-220).

Le lendemain, dans la matinée, ce fut Mme Deslois qui entra dans la lingerie. Elle vint droit à moi avec des mots insultants.

Mais M. Alphonse la fit taire d’un geste sec ; puis, s’adressant à moi d’une voix adoucie, il dit :

— Mme Alphonse m’envoie vous dire qu’elle tient beaucoup à vous garder près d’elle. Elle désire seulement que dorénavant vous veniez à la messe avec nous.

Il essaya de sourire en ajoutant :

— Vous ferez le voyage en voiture.

C’était la première fois qu’il me parlait directement. Sa voix me parut un peu voilée, comme s’il éprouvait une gêne à me dire ces choses.

Je ne savais pas pourquoi je pensai que Mme Alphonse n’avait rien dit de tout cela, et qu’il mentait. Puis, en ce moment, il ressemblait tellement à la supérieure, que je ne pus m’empêcher de le braver.

Je répondis que je n’aimais pas aller en voiture, et que je continuerais d’aller à Sainte-Montagne.

Il rentra sa lèvre inférieure, et il se mit à la mordiller.

Aussitôt, Mme Deslois s’avança menaçante, en me traitant d’insolente. Elle répétait ce mot comme si elle n’en trouvait pas d’autres.

Elle le criait de plus en plus fort, et bientôt elle perdit toute mesure. Le blanc de ses yeux devint tout rouge, et elle leva la main pour me frapper.

Je reculai vivement en passant derrière ma chaise. Mme Deslois buta dans la chaise, qu’elle renversa, et elle dut se retenir à la table pour ne pas tomber.

Ses cris rauques m’épouvantaient.

Je voulus sortir de la lingerie ; mais M. Alphonse s’était mis devant la porte comme pour la garder, et je revins en face de Mme Deslois, de l’autre côté de la table.

Elle parlait maintenant d’une voix étranglée. Elle disait des mots dont le sens m’échappait. Je trouvais seulement que ses paroles avaient une odeur insupportable. Elle cessa, après avoir crié de toutes ses forces :

— Je suis sa mère, entendez-vous ?

M. Alphonse revint vers moi ; il dit en me prenant le bras :

— Voyons ! écoutez-moi.

Je me dégageai en le repoussant, et je sortis de la maison en courant.

Les derniers mots de Mme Deslois entraient dans ma tête comme un marteau pointu :

« Je suis sa mère, entendez-vous ? »

Oh ! ma mère Marie-Aimée, comme vous étiez belle à côté de cette autre mère, et comme je vous aimais en ce moment ! Comme vos yeux de plusieurs couleurs rayonnaient et illuminaient votre vêtement noir, et comme votre visage était pur dans votre cornette blanche ! Vous étiez aussi visible pour moi, que si vous eussiez été réellement devant moi.