Mariage du fils du gouverneur de Smyrne

SMYRNE. Mariage du fis du gouverneur. — Le 18 novembre, S. Exc. Omer Lutfi effendi, gouverneur de Smyrne, a donné, dans son palais, à l’occasion du mariage de son fils, un dîner auquel avaient été invités les consuls des puissances chrétiennes, les commandans de tous les bâtimens de guerre sur la rade, et des négocians de chacune des nations qui ont des comptoirs à Smyrne. On s’est réuni à cinq heures dans la salle d’audience du gouverneur. La cérémonie des pipes et du café a eu lieu à plusieurs reprises. De longues files de domestiques se présentent dans un ordre parfait, armés chacun d’une pipe à riche bouquin d’ambre émaillé, dont ils munissent en un clin d’œil chacun des assistans, en témoignage de l’accueil cordial et hospitalier du maître de la maison envers ses hôtes. À six heures, on est passé dans la salle du banquet, l’une des plus belles du vaste palais construit par Kiatib Oglou, devenu la résidence des gouverneurs de Smyrne. Au milieu de cette salle, décorée de jolies peintures à la turque et resplendissante de lumières, une table de quarante couverts avait été dressée, et fut servie à l’européenne avec la plus élégante recherche. Rien n’a manqué à ce repas, pendant lequel a régné la plus franche gaîté. Omer effendi, légèrement indisposé depuis plusieurs jours, n’a pu se mettre à table et s’est fait excuser auprès de ses convives. Il a été remplacé par son beau-fils, Masloum bey, jeune homme d’un esprit délié et de manières élégantes, qui sait allier à la dignité des mœurs turques l’aisance des usages européens. Mansour Zadé, premier ayan (chef du corps municipal) de la ville, Chakir bey et Omer bey, colonel et major des troupes régulières en garnison à Smyrne, étaient les seuls musulmans admis à faire avec lui les honneurs du banquet. M. le vice-consul Fauvel, gérant le consulat général de France, a porté, en sa qualité de doyen d’âge, le premier toast : « Au sultan Mahmoud, régénérateur de son peuple ; à la prospérité de la nation musulmane ! » Le second a été porté par Masloum bey : « À tous les souverains des nations amies de la Porte ! » Le troisième par Mansour Zadé : « À la prospérité du commerce de Smyrne ! » Le quatrième par M. le comte Accurty, commandant l’escadre autrichienne du Levant : « À l’armée ottomane ! »

Des divertissemens variés avaient été préparés. Sur la place du palais, où étaient allumés des feux assez nombreux pour l’éclairer, des danseurs de corde italiens ont donné une représentation à la foule immense accourue pour jouir de ce spectacle nouveau pour elle : dans l’intérieur, des danses turques et des ombres chinoises ont terminé la soirée, à laquelle s’étaient rendus un nombre considérable d’Européens qui étaient venus grossir celui des convives. Ils se sont retirés à dix heures, charmés de la cordialité pleine de grâce qui a présidé à cette fête, dans laquelle on a vu pour la première fois, à Smyrne, l’autorité musulmane réunir chez elle et associer à ses plaisirs la société européenne. On ne saurait assez encourager cet esprit de fraternisation qui commence à s’introduire chez les Turcs, et nous devons féliciter S. Exc. Omer Lutfi d’avoir eu l’heureuse idée d’imiter en cette circonstance l’exemple donné récemment par les principaux personnages de la cour du sultan.

C’est une grande circonstance chez les Turcs que le mariage d’un fils. En opposition avec nos mœurs, c’est sa famille qui fait tous les frais ; et quand elle occupe un rang élevé, ces frais sont très-considérables. Il est vrai que la majeure portion est employée à faire participer le peuple à l’heureux événement, car en Turquie le peuple n’est jamais oublié dans les réjouissances des grands. Pendant trois jours, plusieurs centaines de familles sont nourries aux dépens de celle qui célèbre la nouvelle situation d’un de ses membres, et de nombreuses aumônes sont distribuées en son nom. Mais ce qui n’est pas moins remarquable, jamais on ne va chercher la jeune compagne dans une famille plus riche et plus puissante ; l’homme doit conserver une influence morale sur celle qu’il associe à son sort ; elle doit, dès le premier jour, le regarder comme son protecteur et son bienfaiteur, comme celui qui, étant le plus fort, le plus important des deux, donne et ne reçoit pas. Cet usage a un caractère de vérité philosophique qui est dédaigné pourtant chez beaucoup de peuples plus avancés en civilisation.