Pour les autres utilisations de ce mot ou de ce titre, voir Marco.
Marco (Peyrebrune)
Revue des Deux Mondes3e période, tome 46 (p. 516-561).

MARCO


PREMIÈRE PARTIE

I.

Il avait quinze ans, elle quatorze ; elle était bien plus grande et plus forte que lui, plus avancée aussi ; non en raison ni en savoir, mais en curiosités dangereuses. Elle avait l’instinct du mal, et cet instinct croissait et se développait puissamment, comme elle.

C’était une belle fille, Alice : brune, la lèvre épaisse, le regard indécis, flottant entre l’audace et l’ingénuité, la peau dorée, veloutée, avec des blancheurs de clair de lune. Elle ondulait déjà et balançait sa hanche arrondie, bien qu’elle portât encore des robes courtes qui laissaient voir une jambe et un pied d’une rare perfection. Sa mère feignait d’oublier qu’il était temps de rallonger ses jupes, et la petite paraissait n’y point songer. Marco, le compagnon d’Alice, était blond comme un chérubin. Nés dans le voisinage l’un de l’autre, ils partagèrent souvent le même berceau, que les deux mères veillaient ensemble. Ils se battirent, se roulèrent, enlacés, gigotant, se mordant à pleine petite bouche rose et se faisant rire du chatouillement de leurs baisers. Dès qu’ils purent bégayer, on leur apprit à s’appeler « petit mari » et « petite femme. »

Aujourd’hui elle se sentait devenir femme. Alice faisait de la Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/523 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/524 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/525 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/526 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/527 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/528 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/529 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/530 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/531 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/532 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/533 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/534 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/535 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/536 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/537 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/538 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/539 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/540 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/541 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/542 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/543 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/544 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/545 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/546 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/547 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/548 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/549 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/550 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/551 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/552 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/553 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/554 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/555 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/556 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/557 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/558 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/559 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/560 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/561 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/562 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/563 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/564 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/565 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/566

— Tais-toi ! dit-elle en se laissant tomber épuisée sur l’épaule d’André ; laisse-moi t’aimer et me consumer en t’aimant jusqu’à ce que j’en meure.

Au bout d’un moment elle reprit toute gémissante :

— Et cependant il faut partir !

André paraissait très las de cette scène ; il se leva et entraîna la jeune femme.

L’endroit où ils se trouvaient formait une retraite obscure au fond d’une étroite allée du bois : ils l’avaient découverte et adoptée. Nul chemin frayé ne passait à portée de la voix. Les taillis touffus les environnaient de toute part. Comme ils s’éloignaient dans le sentier plein d’ombre, Marco se dressa soudain à deux pas du banc où ils s’étaient assis. Le visage meurtri par la pression des mains pour étouffer ses larmes, pâle entre les sillons rougeâtres dont ses doigts crispés avaient rayé sa chair, ses yeux s’ouvraient, tout trempés, avec l’expression d’immobilité et d’effroi que donnerait une vision surnaturelle. La passion plus qu’humaine dont Marine venait de jeter les éclats autour d’elle frappait son cerveau d’une sorte de lumière éblouissante, et dans cette clarté, sa mère, possédée par un tel amour, lui apparaissait grandie et sacrée. Elle lui causait une terreur respectueuse comme s’il la voyait livrée, sur le trépied antique, aux transports inconsciens de la fureur d’un dieu. Il comprenait maintenant que cette femme eut pu faillir ; et, comme elle, il eut l’intuition d’une force redoutable sous laquelle on succombe et dont il faut trembler sans maudire les vaincus. Son cœur se remplissait d’une pitié suprême pour le déchirant martyre de Marine. Il eût voulu se traîner à ses pieds et lui dire :

— Mère, je t’adore, je te plains…

Il la regardait disparaître au loin, toute tremblante et affaissée au bras d’André, semblable à ces malades que l’on promène jusqu’au dernier moment d’une vie qui s’en va.

— Malheureuse ! murmurait Marco.

Mais violemment il appuya ses mains sur sa poitrine, où l’ardeur du dévoûment venait de naître au souffle brûlant tombé des lèvres de Marine.

— Et c’est pour moi qu’elle souffre, pour moi ! Oh ! non, mère bien-aimée, je ne ferai pas couler tes larmes. Sois heureuse, je partirai seul ! Je te défends de me suivre. Reste avec lui !… Et toi, fit-il en allongeant son bras vibrant de menace, comme si André eût pu le voir et l’entendre, et toi, je te la laisse, puisqu’elle t’aime plus que sa vie. Mais prends garde, ah ! prends bien garde de ne pas la faire pleurer !

George de Peyrebrune.

MARCO


DEUXIÈME PARTIE[1]


VI.


Le lendemain, Marco aperçut le docteur Galpeau, qui rôdait à son habitude autour de l’habitation de Mme  Delange. Le jeune homme pressentait un allié ; sa sympathie et sa confiance allaient droit à lui. Il l’aborda.

— Docteur, je suis sur le point de faire un coup de tête : je veux m’échapper et m’en aller tout seul à Paris.

— Seul ! Et vous me prenez pour confident, c’est-à-dire pour complice ! Je me sauve. Bon voyage !

— Écoutez-moi.

— Non pas ! Que dirait votre mère ?

— Empêchez-la de me suivre, alors.

— Pourquoi ? dit le docteur embarrassé, car le départ de Marine l’affligeait profondément sans qu’il osât le témoigner.

— Sa santé ne s’accommodera pas du climat de Paris, insinua Marco, et puis…

— Et puis ?

— Tenez ; avec vous, je serai franc. Je me révolte à la fin contre l’éducation féminine qu’on m’a donnée. Songez, que depuis que je suis né, je n’ai pas quitté les jupes de ma mère. Si elle ne m’a pas Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/785 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/786 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/787 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/788 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/789 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/790 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/791 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/792 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/793 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/794 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/795 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/796 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/797 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/798 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/799 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/800 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/801 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/802 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/803 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/804 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/805 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/806 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/807 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/808 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/809 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/810 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/811 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/812 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/813 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/814 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/815 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/816 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/817 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/818 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/819 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/820 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/821 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/822 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/823 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/824 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/825 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/826 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/827 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/828 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/829 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/830 pas une raison parce que je vous ai préféré à Marco pour oublier qu’il est mon ami. Je l’aime, d’abord !

— Alice !

Elle s’échauffait :

— Et je vous affirme que je serai toujours la même pour lui.

André voulut se fâcher ; il cria :

— Je ne le permettrai pas !

Alors elle le regarda en se penchant vers lui avec un éclat de rire dans lequel Mme  Rattier se fût admirablement reconnue. Mais elle n’eut pas cette satisfaction ; à cette heure même, elle contemplait avec un étrange serrement de cœur la chambre qu’Alice venait de quitter.

On est toujours mère par quelque côté. Si peu que l’on tienne à l’enfant de ses entrailles, cela laisse un vide quand il s’en va. Ensuite, elle faisait perte sur perte, aujourd’hui : Marine aussi était à jamais perdue. Sa vengeance assouvie, elle se fût volontiers réconciliée : on ne rencontre pas tous les jours une amie dévouée comme Marine. Le regret qu’elle éprouvait de sa mort était quelque peu cuisant : elle soupçonnait vaguement cette fin si prompte d’être le résultat d’une trop vive douleur, et tout bas elle murmurait :

— Si j’avais su !

Puis elle se sentit bien seule, bien abandonnée. Mille choses indéfinies semblaient s’être détachées d’elle dans cette journée. Pâle, le front lassé, ayant au cœur l’amer dépit de sa jeunesse envolée et la vague épouvante d’un avenir sans joie. Mme  Rattier soupira tristement :

— Comme tout finit !

M. Rattier, lui, se disait dans le même temps :

— Tout cela, sans doute, est fort désagréable. Mais bah ! dans six mois il n’y paraîtra plus, et je ferai souche de petits nobles.

En se frottant les mains, il rentra dans la salle, où l’on ne dansait plus que languissamment, et s’écria :

— Mesdames, on soupe !

Il était minuit.

Presque personne ne dormit cette nuit-là : Séraphin lui-même ne rentra pas.

Les portes de l’église où reposait Marine étant refermées, il s’assit tout contre, sur la dernière marche, et attendit le jour.


George de Peyrebrune.

(La troisième partie au prochain n°.)

que la monnaie d’or soit échangée contre quinze fois et demi son poids de monnaie d’ai-gent. En vain l’expérience dément cette assertion; c’est une anomalie qui ne saurait durer. La monnaie d’or déjà commence à s’y soustraire et devient chaque jour plus rare.

Le bimétallisme boiteux n’est qu’un expédient passager : si l’on y persiste, il nous imposera la monnaie d’argent. Le bimétallisme partiel adopté en présence des nations qui recherchent l’or nous l’imposerait plus vite encore; tout leur argent affluerait chez nous pour se faire transformer en monnaie régulièrement frappée. Il nous viendra très probablement, si le statu quo se prolonge» déguisé en fausse monnaie indiscernable de la bonne; le résultat pour nous sera le même.


III.

L’algèbre classe les problèmes par le nombre des solutions possibles représentant le degré de l’équation qui doit les résoudre. Si l’on demande quel accroissement sur les prix doit correspondre à un accroissement donné de numéraire, le nombre des solutions est infini et le problème inaccessible au calcul.

J.-B. Say a proposé une réponse; elle est possible, il serait imprudent de la déclarer vraie. Les prix, suivant lui, sont proportionnels à la masse du numéraire. Si la France possède 2 milliards de numéraire et que par une circonstance quelconque ces 2 milliards soient réduits à 1,500 millions, ces 1,500 millions, dit-il, vaudront autant que les deux milliards, et les prix baissant de 25 pour 100, on pourra faire et payer les mêmes achats qu’avant.

L’assertion est au moins douteuse.

Simplifions la question pour la rendre plus nette. Une île existe dans des mers lointaines, privée de tout commerce avec le reste du globe. Une population active, civilisée, sait y trouver de suffisantes ressources. Quelques-uns sont riches, aucun n’est misérable, la monnaie suffit aux achats et aux ventes. Les forces productrices de l’île étant connues, la récolte du blé étant donnée, celle du vin, le nombre des têtes de bétail, la puissance et l’usage de chaque machine, le détail du prix de chaque denrée, le nombre des ouvriers de chaque espèce, la rémunération des journées de travail, le revenu annuel enfin et la dépense de chaque habitant, pourrait-on calculer combien de monnaie en tout se trouve en circulation?

La solution n’est pas seulement embarrassante et épineuse, elle est impossible ; on ne pourrait pas même, avec toutes ces données, obtenir un chiffre approché. La quantité de monnaie nécessaire lorsque les achats, les transactions et les prix restent les mêmes, varie avec les habitudes de crédit et de confiance mutuelle, indépendamment même de toute monnaie fiduciaire dont, pour simplifier, j’écarte l’intervention. Si l’usage est établi de régler tous les comptes sans exception le premier jour de chaque mois, chaque employé recevant ses appointemens, chaque ouvrier son salaire, chaque marchand le paiement de ses notes, chaque propriétaire le prix de ses locations, ceux qui manquent à payer étant blâmés comme insolvables, chacun devra, le dernier jour de chaque mois, avoir réuni en espèces la dette présumée du lendemain s’il ne veut s’exposer à être mis en retard par la négligence de ses propres débiteurs. Pour que tous puissent pousser jusque-là la prudence, il faut au minimum une quantité de monnaie égale à la douzième partie de la somme des paiemens annuels, et ce sera affaire à chacun de régler ses dépenses sur la portion présumée que son travail ou sa richesse acquise doivent amener entre ses mains. L’exagération de calcul est cependant évidente et l’évaluation du minimum indispensable beaucoup trop haute. Si les citoyens de la petite république, continuant à payer leurs dettes une fois par mois, avaient l’idée bien naturelle de ne pas tous choisir la même date, chacun remplissant jour par jour la bourse qu’il doit vider en une fois, la quantité de monnaie qui s’y trouverait, en moyenne, correspondrait à la recette d’un demi-mois, et, pour tous les habitans réunis, à la vingt-quatrième partie de l’ensemble des paiemens annuels. Cette somme deviendrait triple, si pour payer tous les trois mois, chacun voulait accumuler chez soi la dépense d’un trimestre ; elle se réduirait au contraire dans une très grande proportion si l’usage prévalait, chez ceux qui le peuvent, de tout payer argent comptant.

Les prix n’ont avec la masse du numéraire aucune relation nécessaire et précise.

Qu’arriverait-il cependant si, toutes choses restant les mêmes, la quantité de monnaie venait à doubler?

Un navire chargé de lingots échoue sur les côtes de l’île; et, par une inspiration malheureuse, on en tombera d’accord, on les partage entre tous; les plus grosses parts, naturellement, échoient aux plus riches, et, le hasard aidant, chacun reçoit précisément sur les lingots convertis en monnaie autant d’argent comptant qu’il en possède en ce moment. Le numéraire de l’île a doublé, les bourses sont mieux garnies, la richesse véritable n’a pas changé.

Les prix pourraient doubler assurément si tous y consentaient ; mais ceux qui paient ou achètent résisteront, et sans imaginer les détails ni prévoir l’issue de la lutte, on peut affirmer qu’elle sera longue. L’argent disponible subitement jeté sur le marché activera les ventes, augmentera la demande de travail; la main-d’œuvre, plus recherchée, se fera payer plus cher, tous les prix s’élèveront ; les oisifs se plaindront en déplorant peut-être comme un malheur public la bonne fortune dont ils ont eu la plus forte part, mais les prix ne doubleront pas, parce que, d’une part, la production sera plus abondante et que, d’autre part peut-être, la prévoyance accrue par le bien-être augmentera la réserve de chacun. Dans quelle proportion ? La réponse au nord serait peut-être autre qu’au midi.

L’hypothèse admise est la plus favorable aux conclusions de ceux qui croient l’accroissement des prix proportionnel à celui du numéraire. Au lieu de distribuer la riche épave entre tous, il eût été préférable sans doute d’en faire le salaire de travaux utiles : construction de routes, dessèchement de marais, défrichement de terres incultes. L’argent ainsi employé aurait procuré peut-être, au lieu de la hausse, la baisse d’un grand nombre de prix.

De tels problèmes échappent au calcul, sinon au raisonnement. Les inclinations, les volontés, les craintes, l’habileté, la confiance de chacun décidera la solution ; on ne peut, sans hasarder aucun chiffre, que signaler dans l’accroissement de la masse monétaire une cause de hausse très certaine.

Les faits commerciaux, depuis plusieurs années déjà, diminuent en Europe la masse de l’or qui s’écoule vers l’Amérique, tandis que l’argent, comme toujours, est absorbé par l’Orient. La hausse des prix, pour quelque temps au moins, n’est pas à redouter. L’Allemagne, en rejetant l’argent, les peuples de l’union latine, en défendant leur or, ont produit, au contraire une baisse dont on se plaint très haut. La France y a échappé jusqu’ici ; mais, quelque parti qu’elle adopte, elle n’évitera pas dans l’avenir une perturbation grave, dans un sens ou dans l’autre : elle peut choisir.

Si, malgré les obstacles, en nous résignant à une perte énorme, nous rejetons la monnaie d’argent, la baisse de tous les prix, ruineuse pour les industriels, pour les agriculteurs surtout, suivra nécessairement la diminution de la masse monétaire. Si, reculant au contraire devant des difficultés peut-être insurmontables, nous maintenons notre loi monétaire, rien ne retiendra l’or dans sa fuite vers les régions qui l’appellent ; la monnaie d’argent nous restera seule, et sa dépréciation, égale bientôt à celle des lingots, se traduira par la hausse de tous les prix. On se plaindra, et avec raison. La cherté produite par l’insuffisance accidentelle de la production est un malheur dont nul n’est responsable ; due à l’abondance des débouchés, elle stimule le travail et l’on doit s’en réjouir ; mais amenée et voulue par la dépréciation du numéraire, elle deviendrait une regrettable et, malheureusement peut-être, une inévitable injustice. L’avenir, quoi qu’on fasse, nous réserve des embarras et des souffrances, et si l’on hésite tant à adopter une solution, c’est parce que peut-être il n’y en a pas de bonne.


J. BERTRAND.


MARCO


TROISIÈME PARTIE[2]


XI.


Le corps de Mme  Delange fut mis en terre à côté de celui de son mari. Tout le bourg, profondément impressionné, assistait à cette triste cérémonie. On n’aperçut pas Séraphin : le malheureux cachait son désespoir. Le docteur Galpeau et l’oncle de Marco accompagnaient, soutenaient seuls le pauvre orphelin. Simon, chancelant sur ses vieilles jambes, suivait l’enfant qu’on lui avait confié et le couvrait d’un regard hébété, fou. Ce grand malheur achevait de lui tourner l’esprit, ses propres infortunes ayant commencé l’œuvre.

C’est à grand’peine que Marco lui échappa vers le soir de cette pénible journée : l’étroite surveillance du vieillard l’irritait, l’exaspérait. Sa douleur était violente, et il voulait la ressentir dans toute son acuité sans que rien vînt l’en distraire. Il voulait donner à son âme ce breuvage de fiel afin qu’elle en gardât l’éternel enivrement. Sa détresse lui semblait si lourde qu’il tremblait qu’elle n’abattît son courage, et il se voulait fort, il se voulait invincible.

À la faveur des premières ombres il courut vers cette tombe dont on l’avait trop tôt arraché. Il la trouva bien gardée : Séraphin, couché comme un chien sur la terre couverte des roses blanches de Marine, leva la tête, prêt à gronder. Mais, reconnaissant Marco, il se dressa confus.

Et Marco sanglotant se jeta dans ses bras. Le clerc balbutia pour s’excuser : Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/65 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/66 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/67 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/68 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/69 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/70 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/71 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/72 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/73 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/74 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/75 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/76 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/77 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/78 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/79 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/80 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/81 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/82 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/83 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/84 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/85 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/86 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/87 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/88 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/89 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/90 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/91 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/92 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/93 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/94 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/95 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/96 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/97 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/98 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/99 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/100 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/101 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/102 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/103 de forces. Je n’en puis plus… L’action que je fais est infâme. Si je pouvais vous entraîner à partager mon crime, je le ferais au péril de ma vie, de mon honneur public ; rien ne me coûterait pour vous arracher à l’homme dont je serre la main et qui vous aime, lui, autant que moi peut-être. Vous voyez bien que je ne suis qu’un malheureux digne de vos mépris… Et cependant !… oh ! si vous pouviez m’aimer ! oui, j’ai cette audace, oui, je vous crie : Aimez-moi, par pitié ! Vous voyez bien que je suis fou, madame !… Alice !… Alice !… écoutez-moi, le vertige dérobe la chute… laissez-vous entraîner… Ne frissonnez pas, le crime a sa grandeur !… Oh ! si vous m’aimiez, nous porterions notre infamie comme un manteau de roi !’

— Taisez-vous… lui dit-elle d’une voix méconnaissable, je ne puis plus vous entendre… vous me troublez… Songez où nous sommes. Isolés et perdus dans le tumulte du bal, ils pouvaient parler sans être entendus : mais ils s’offraient aux regards de tons. Et quelque habitude que l’on ait de ces attitudes mondaines à l’aide desquelles on dérobe tant de conversations étranges, on ne saurait toujours empêcher qu’une émotion violente ne bouleverse un visage et n’arrache le masque le mieux attaché.

Alice et Bernard se taisaient, essayant de ramener sur leurs traits et dans leurs regards le calme qui les avait fuis. Le quadrille s’achevait. Encore quelques mesures, et on allait les séparer.

Bernard se leva.

— Si vous ne devez pas m’aimer, dit-il lentement, je voudrais être mort comme celui que vous regrettez.

Elle le regarda :

— Nous nous sommes dit des choses très franches et qui m’ont mise à l’aise. J’aime l’audace jusque dans le mal. Je crois que la franchise est une vertu : on ne trompe personne ainsi. Je ne mentirai pas : vous m’attirez… Il y a un trouble inouï dans mes pensées. Vous, lui, des idées nouvelles, de regrettés souvenirs, tout cela tourne, lutte dans mon esprit, peut-être dans mon cœur. Je ne sais plus si c’est lui ou si c’est vous que j’aime ; mais il me semble qu’un sentiment inconnu s’est éveillé en moi… Je le sens, je vis… Ils n’étaient plus seuls.

George de Peyrebrune.

(La quatrième partie au prochain n°.)


MARCO


QUATRIÈME PARTIE[3]


XYIII.


On ne pouvait douter, à voir la mine de M. de Terris, qu’on était au lendemain d’un bal. Jamais mari qui veut déplaire à sa femme et lui donner un prétexte de rancune n’aurait mieux trouvé que le visage et les malgracieux discours d’André ce matin-là ; mais Mme  de Terris, à qui ces lendemains de fête devenaient familiers, n’en prit point la migraine, contre son ordinaire. Elle avait d’autres projets en tête, sans doute, car elle affronta paisiblement l’orage. Aucune impatience ne lui échappa : elle n’écoutait pas. Son attention paraissait si visiblement occupée ailleurs que le mari eut cette exclamation furibonde :

— Madame est absente ?

Elle daigna revenir pour lui répondre :

— Vous le voyez bien. À quoi bon alors faire tant de vacarme à la porte ?

Il n’est pas surprenant qu’André, congédié de la sorte, reçût fort mal la visite d’adieu que M. de Castillon vint lui faire, accompagné désir R. Bruntson. Il ne leur dit pas nettement : « Allez au diable ! » mais quelques boutades qu’il ne put contenir révélèrent assez clairement la furieuse envie qui le tenait d’être débarrassé de leur présence. Cette fantaisie manquait d’à-propos. L’Anglais venait tout justement lui demander si la location du pavillon était affaire conclue. Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/279 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/280 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/281 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/282 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/283 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/284 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/285 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/286 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/287 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/288 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/289 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/290 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/291 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/292 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/293 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/294 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/295 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/296 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/297 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/298 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/299 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/300 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/301 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/302 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/303 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/304 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/305 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/306 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/307 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/308 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/309 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/310 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/311 aigu, soupçonneux, qui sembla dire aussitôt : — Je ne m’étais pas trompé.

Alors le clerc ouvrit son portefeuille et tendit un papier au notaire en disant :

— Sir R. Bruntson m’ayant fait prier de passer chez lui pour examiner ce projet d’acte de vente du pavillon, j’y suis allé ce soir. Il désire avoir votre avis pour la valeur exacte du domaine. Et il scrutait sur le visage d’André les traces visibles de ses rudes émotions, pendant que celui-ci feignait de lire ; mais il pensait :

— Me serais-je trompé ? C’est bien possible… Je crois que je deviens fou.

Il rendit le papier à Séraphin et se sauva, éprouvant un désir tendre et empressé de retrouver sa femme, de repaître son cœur de cette joie de la revoir après l’avoir crue à jamais perdue.

À la porte extérieure de la chambre Raïssa, dormait étendue sur un coussin : de ce côté, on ne passait pas. Il entra chez lui : son appartement communiquait à celui de sa femme ; mais, de ce côté-là, on ne passait pas davantage, la porte était fermée. Cela n’arrivait jamais qu’à la suite d’une discussion vive, et il n’y avait eu rien entre eux ce jour-là.

Il essaya d’ouvrir, secoua, appela : Alice ne répondit pas.

André, éperdu, pensa :

— Si j’enfonçais la porte !

Mais il connaissait trop les froids dédains et l’inflexible volonté de sa femme pour essayer de s’imposer violemment à elle. Il murmura encore, suppliant :

— Je t’en prie… ouvre-moi.

Rien ne bougea. Il attendit, puis lentement s’éloigna, le cœur gonflé, de la chambre conjugale dont on lui refusait l’entrée, et vint s’abattre tout vêtu sur son lit.

— C’est cruel !… dit-il, étouffant dans son oreiller les larmes qui le suffoquaient. Je suis bien malheureux !

George de Peyrebrune.

(La quatrième partie au prochain n°.)

MARCO


DERNIÈRE PARTIE[4]


XXIII.


Bernard avait passé la nuit sans dormir, assis devant son bureau, la tête penchée sur le billet rose d’Alice et se demandant si ce billet lui promettait la joie ou la mort, car son exaltation allait jusque-là.

Il était résolu à sortir de la position ridicule où l’éclat de sa passion venait de le jeter et d’en sortir d’une façon quelconque, fût-elle violente. Les refus d’Alice avaient froissé son orgueil presque autant que son amour, et la puissance de ses désirs repoussés lui causait une souffrance dont il voulait se débarrasser à tout prix. C’est avec la résolution d’en finir qu’il descendit vers le lieu du rendez-vous, calme et grave. Gomme il devançait l’heure, il allait lentement et laissait sa pensée, presque indifférente, flotter autour de lui, se posant où se posaient ses regards distraits. Sa volonté arrêtée lui rendait l’esprit libre. Pour la première fois peut-être, il trouva quelque plaisir à traverser le petit village, la ruche plutôt, composée, comme d’autant de cellules, des pauvres habitations des ouvriers de son usine. C’était son chemin ; il ne s’en détourna pas et regarda çà et là s’éveiller tous ces nids.

De petites maisons basses, bâties à l’aide de quelques arbres mal équarris, cimentés par de la terre mêlée d’un peu de moellon, un toit en pente, couvert de tuiles blanches et rouges, ou de chaume, et surmonté d’une étroite cheminée, une petite porte, une fenêtre à côté : c’est la tanière du pauvre. Mais le temps passe, et une frange Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/547 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/548 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/549 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/550 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/551 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/552 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/553 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/554 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/555 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/556 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/557 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/558 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/559 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/560 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/561 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/562 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/563 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/564 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/565 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/566 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/567 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/568 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/569 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/570 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/571 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/572 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/573 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/574 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/575 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/576 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/577 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/578 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/579 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/580 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/581 Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/582

On entendit un grognement de joie : Séraphin se reculait pour mieux juger du coup final. Alors, visage à visage, l’Anglais entremêla ceci au cliquetis plus vif de leurs armes :

— Il paraît, André, que tu t’entends assez bien au métier de bourreau. Est-ce vrai ? Tu as tué déjà, t’en souviens-tu ? C’était d’une autre façon, il est vrai. Eh bien ! écoute-moi, je veux mourir, et je veux que tu me tues, non en me défendant, mais comme tu le disais tout à l’heure : je veux que tu m’assassines. Tiens, achève ton œuvre, frappe.

En disant ces mots, sir R. Bruntson rompit de quelques pas, jeta son épée et découvrit sa poitrine, où l’épée d’André vint s’enfoncer jusqu’à la garde. En tombant, il entraîna André : ses mains s’étaient accrochées après lui.

— Regarde-moi, souffla le mourant ; regarde le fils de Marine !

— Marco ! cria André d’un accent d’horrible épouvante et fléchissant à demi tombé sur sa victime.

— Tu m’as tout pris, et j’avais juré de me venger… Tu as tué la mère, je t’ai fait assassiner le fils… Tu m’a pris Alice, je te l’ai arrachée !… Je peux mourir.

Il râlait ; ses doigts crispés retenaient André, qui se tordait pour lui échapper. Mais, près de lui, Séraphin accroupi, monstrueux, la face convulsionnée, suivait tous ses mouvemens, et quand il le vit prêt à se dégager, il lui appliqua sur la tempe le canon d’un revolver. Et il cria :

— Ah ! ah ! c’est à moi que la proie est laissée. C’est moi qui vais venger Marine…

André se débattait machinalement, sa chair avait des contractions d’effroi et d’horreur ; il se roulait pour échapper à l’étreinte de Marco et à l’œil plein de folie de Séraphin, qui s’acharnait à le viser au front. Marco ouvrit les yeux, lâcha André, se souleva sur ses poings, et d’une voix déjà éteinte il dit :

— Séraphin, laisse-le vivre ;… les morts sont heureux.

Sa face avait une expression de sérénité saisissante.

— Vous avez raison, répondit presque aussitôt le misérable bossu, comme frappé d’une idée subite.

Et il se fit sauter la cervelle.

Son corps roula aux pieds d’André, qui prit la fuite, les bras étendus.

— Tes amours coûtent cher,… lui jeta encore Marco, avec le sang qui l’étouffait. Trois cadavres, André !

Marco était mort.


George de Peyrebrune.
  1. Voyez la Revue du 1er  août.
  2. Voyez la Revue du 1er  et du 15 août.
  3. Voyez la Revue du 1er  août, du 15 août et du 1er  septembre.
  4. Voyez la Revue du 1er  août, du 15 août, du 1er  septembre et du 15 septembre.