Marceline Desbordes Valmore (Verlaine)

Œuvres posthumesMesseinPremier volume (p. 139-141).

MARCELINE DESBORDES VALMORE


Telle autre gloire est, j’ose dire, plus fameuse
Dont l’éclat éblouit mieux encor qu’il ne luit :
La sienne fait plus de musique que de bruit,
Bien que de pleurs brûlante écumeuse et fumeuse.

Mais la bonté du cœur, mais l’âme haute et pure
Tempèrent ce torrent de douleur et d’amour
Et, se mêlant à la douceur de la nature,
À sa souffrance aussi, de nuit comme de jour

Promènent sous le ciel tout pluie et tout soleil
À chaque instant, avec à peine des nuances,
Un large fleuve harmonieux de confiances
Vives et de désespoirs lents, et, non pareil,

Il chante, l’ample fleuve au capricieux cours,
L’hymne infini de toute la tendresse humaine
Où la fille et l’amante et la mère ont leurs tours,
Où le poète aussi, dans l’horreur qui nous mène.


Vient mêler son sanglot qui finit en prière
Universelle, et la beauté même d’un art
Issu du sang lui-même et de la vie entière,
Rires, larmes, désirs et tout, comme au hasard.

Car elle fut artiste, et, sous la fougue ardente
Dont va battre son vers vibrant comme son cœur,
On perçoit et l’on doit admirer l’imprudente
Main au prudent doigté tout vigueur et langueur.

— Les villes, ainsi que les peuples, ont la gloire
Qu’elles valent, et toi, Douai, tu méritas
Celle-ci, pays calme où vécut de l’histoire
Tumultueuse en masse et formidable au tas,

Cité d’églises et de beffrois, et campagnes
Pleines de « jeunes Albertines », mais, encor,
« Où s’assirent longtemps les ferventes Espagnes ».
Tel l’œuvre et tel le cœur, fleurs et pleurs, flûte et cor,

En harmonie avec la femme et le génie.
Il est juste, il est temps — pour l’honneur de ses vers ?
Non, ils sont ton honneur même et ta fleur bénie,
Sa patrie, ô Douai, « doux lieu de l’univers » —

Il n’est que temps, il n’est que grand temps et que juste,
Ville, son cher souci dans ce cruel Paris,
De dresser quelque part sa ressemblance auguste
En quelqu’un de tes « coins » qu’elle a le plus chéris,

 
Afin que les cloches encor de Notre-Dame
Bercent du moins son ombre à l’ombre des rameaux
Qui furent familiers au repos de cet âme
Infatigable et qui lui murmuraient les mots

De ces poèmes dont nous célébrons la fête
Intellectuelle et cordiale, — et, ô Toi,
Ô grande Marceline, ô sublime poète,
Et femme exquise, accueille cet acte de foi !