Manuel de la parole/15/59

J.-P. Garneau (p. 253-254).

LA FILLE DE JAÏRE


Elle était morte, hélas ! la brune jeune fille,
Malgré son cœur si pur, malgré son front si beau,
Comme une étoile meurt dès que le matin brille ;
Et de vieux fossoyeurs préparaient son tombeau.

Et sa mère pleurait et priait à sa couche,
Auprès de ce beau corps à cette heure si froid ;
L’âme en derniers soupirs s’échappait de sa bouche,
Comme d’un luth brisé la note qui décroît.

Un homme vint, portant au front une auréole,
Que le riche incrédule avait déjà proscrit,
Dont le pauvre écoutait la touchante parole,
Et que ceux qui l’aimaient appelaient Jésus-Christ…

Et le père priait et pleurait à sa porte ;
Et Jésus qui passait, le bénit de la main ;
Et le père lui dit : « Seigneur, ma fille est morte,
Morte ! et si vous vouliez, elle vivrait demain.

« Vous pouvez faire encor que sa bouche sourie,
Rouvrir ses yeux au jour et son âme au bonheur ;
Entrez, et je ferai, divin Fils de Marie,
Du marbre de sa tombe un autel au Seigneur. »

C’était bien une morte à sa couche liée,
Une fleur abattue au-dessous du ciel bleu !
C’était bien la statue où l’âme est oubliée,
À qui l’art donne tout, hors le souffle de Dieu.

Eh bien ! le divin Maître anima la statue ;
Il fit rentrer son âme en son corps épuisé ;
Il rendit le parfum à la fleur abattue ;
Il rattacha la corde à ce beau luth brisé.

Et chacun le chanta dans son âme ravie,
Implorant un rayon de ce divin flambeau ;
Alors il dit : « Croyez ! la foi, c’est l’autre vie,
Qu’étouffe bien souvent le doute, autre tombeau. »

Puis il alla semer cette loi qu’on révère,
Au-dessus de tout bruit faire entendre sa voix,
Et remontant au ciel, en passant au Calvaire,
Abriter ses bourreaux à l’ombre de sa croix.