Manuel de la parole/15/50

J.-P. Garneau (p. 232-233).

VARIATIONS SUR UN THÈME CONNU


À travers champs, certain gendarme,
Vers le soir, entre chien et loup,
Grave et prudent, en bon gendarme,
Marchait, marchait… à pas de loup.
Lorsque ses bottes de gendarme
Entrèrent dans un piège à loup.
Clac ! Voilà l’honnête gendarme
Pris par les pattes comme un loup !
Et jugez du trac du gendarme,
Se trouvant vis-à-vis d’un loup
Pincé juste avant lui, gendarme !
« Je suis à la gueule du loup ;
Je suis flambé, » dit le gendarme,
Hérissant sa tête de loup,
« C’est en vain que je me gendarme ! »

Or, il faut croire que le loup,
Interdit, craignait le gendarme ;
Car, sauf les regards de ce loup
Plus luisants que ceux du gendarme,
Luisants comme à travers un loup
De velours noir, loup et gendarme
Restaient tous deux, gendarme et loup,
Au port d’arme, ainsi que gendarme ;
Et, même, il semblait que le loup
Eût plus d’effroi que le gendarme.
« Dame ! en hurlant avec le loup,
On s’entend, » pensait le gendarme ;
Tandis que c’était, pour le loup,
Bête nouvelle qu’un gendarme…
« C’est peut-être plus fort qu’un loup ? »
Il n’était donc pour le gendarme
Nul danger de la dent du loup.

La nuit parut longue au gendarme,
Car il faisait un froid de loup.
Dans son coin resta le gendarme,
Dans son coin demeura le loup,
Le loup ayant peur du gendarme,
Le gendarme ayant peur du loup.

Au jour, en tirant le gendarme,
On laisse décamper le loup !

Au quartier rentre le gendarme.
Dans ses foyers revient le loup.
Comme il est flambant, le gendarme !
Comme il se pavane, le loup !
Un brave à trois poils, le gendarme !
Un lapin, le loup ! « Foi de loup,
Enfants, j’ai soupé d’un gendarme ;
C’était bon pour ma faim de loup. »
— « Décorez-moi, dit le gendarme :
Cette nuit, j’ai tué deux loups ! »

Jules Truffier.