Manuel de la parole/15/44

J.-P. Garneau (p. 224-225).

LE VOLEUR ET LE SAVANT


L’abbé de Molières était un homme simple et pauvre ; il n’avait point de valet, et travaillait dans son lit, faute de bois, sa culotte sur sa tête par-dessus son bonnet, les deux côtés pendant à droite et à gauche. Un matin, il entend frapper à sa porte : « Qui va là ? — Ouvrez… » Il tire un cordon et la porte s’ouvre.

L’abbé de Molières ne regardant point : « Qui êtes-vous ? — Donnez-moi de l’argent. — De l’argent ? — Oui, de l’argent. — Ah ! j’entends, vous êtes un voleur. — Voleur ou non, il me faut de l’argent. — Vraiment oui, il vous en faut ? hé bien ! cherchez là-dedans… » Il tend le cou, et présente un des côtés de la culotte ; le voleur fouille ; « Hé bien ! il n’y a point d’argent. — Vraiment non, mais il y a ma clef. — Hé bien ! cette clef… — Cette clef, prenez-la. — Je la tiens. — Allez-vous-en à ce secrétaire ; ouvrez… »

Le voleur met la clef à un autre tiroir. « Laissez donc, ne dérangez pas ! ce sont mes papiers : finirez-vous ? ce sont mes papiers ; à l’autre tiroir, vous trouverez de l’argent. — Le voilà. — Hé bien ! prenez. Fermez donc le tiroir… » Le voleur s’enfuit. « Monsieur le voleur, fermez donc la porte. Morbleu ! il laisse la porte ouverte !… Quel chien de voleur ! il faut que je me lève par le froid qu’il fait ! Maudit voleur ! » L’abbé saute en pied, va fermer la porte, et revient se mettre à son travail, sans penser peut-être qu’il n’avait pas de quoi payer son dîner.

Champfort.