Manuel de la parole/15/41

J.-P. Garneau (p. 220-221).

LE COCHE ET LA MOUCHE


Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,
S’assiedSix forts chevaux tiraient un coche.
Femmes, moines, vieillards, tout était descendu :
L’attelage suait, soufflait, était rendu.
Une mouche survient et des chevaux s’approche,
Prétend les animer par son bourdonnement,
Pique l’un, pique l’autre, et pense à tout moment
S’assiedQu’elle fait aller la machine ;
S’assied sur le timon, sur le nez du cocher.
S’assiedAussitôt que le char chemine,
S’assiedEt qu’elle voit les gens marcher,
Elle s’en attribue uniquement la gloire,
Va, vient, fait l’empressée : il semble que ce soit
Un sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens et hâter la victoire.
S’assiedLa mouche, en ce commun besoin,
Se plaint qu’elle agit seule, et qu’elle a tout le soin ;
Qu’aucun n’aide aux chevaux à se tirer d’affaire.
S’assiedLe moine disait son bréviaire :
Il prenait bien son temps ! une femme chantait :
C’était bien de chansons qu’alors il s’agissait !

Dame mouche s’en va chanter à leurs oreilles,
S’assiedEt fait cent sottises pareilles.
Après bien du travail, le coche arrive au haut :
« Respirons maintenant, dit la mouche aussitôt :
J’ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Çà, Messieurs les chevaux, payez-moi de ma peine. »
Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S’assiedS’introduisent dans les affaires :
S’assiedIls font partout les nécessaires,
Et, partout importuns, devraient être chassés.

La Fontaine.