Manuel de la parole/15/36

J.-P. Garneau (p. 213-214).

LA PÉNITENCE


On peut satisfaire à l’Église sans subir les peines publiques qu’elle imposait autrefois : on ne peut satisfaire à Dieu sans lui en offrir de particulières qui les égalent et qui en soient une juste compensation. Or, regardez autour de vous. Je ne dis pas que vous jugiez vos frères. Mais examinez les mœurs de tous ceux qui vous environnent. Je ne parle pas même ici de cas pécheurs déclarés qui ont secoué le joug, et qui ne gardent plus de mesure dans le crime. Je ne parle que de ceux qui vous ressemblent, qui sont dans des mœurs communes, et dont la vie n’offre rien de scandaleux ni de criant. Ils sont pécheurs ; ils en conviendraient. Vous n’êtes pas innocent : vous en convenez vous-même. Or, sont-ils pénitents ? Et l’êtes-vous ? L’âge, les emplois, des soins plus sérieux vous ont fait peut-être revenir des emportements d’une première jeunesse ; peut-être même les amertumes que la bonté de Dieu a pris plaisir de répandre sur vos passions, les perfidies, les bruits désagréables, une fortune reculée, la santé ruinée, des affaires en décadence, tout cela a refroidi et retenu les penchants déréglés de votre cœur ; le crime vous a dégoûté du crime même ; les passions d’elles-mêmes se sont peu à peu éteintes ; le temps et la seule inconstance du cœur a rompu vos liens : cependant, dégoûté des créatures, vous n’en êtes pas plus vif pour votre Dieu. Vous êtes devenu plus prudent, plus régulier, selon le monde, plus homme de probité, plus exact à remplir vos devoirs publics et particuliers : mais vous n’êtes pas pénitent. Vous avez cessé vos désordres : mais vous ne les avez pas expiés, mais vous ne vous êtes pas converti, mais ce grand coup qui change le cœur et qui renouvelle tout l’homme, vous ne l’avez pas encore senti.

Cependant cet état si dangereux n’a rien qui vous alarme. Des péchés qui n’ont jamais été purifiés par une sincère pénitence, ni, par conséquent, remis devant Dieu, sont à vos yeux comme s’ils n’étaient plus. Et vous mourrez tranquille dans une impénitente d’autant plus dangereuse que vous mourrez sans la connaître. Ce n’est pas ici une simple expression ni un mouvement de zèle : rien n’est plus réel ni plus exactement vrai.

Massillon.