Manuel de la parole/15/07

J.-P. Garneau (p. 173-174).

LA BIBLE


Il existe un livre, trésor d’un peuple, devenu la fable et le jouet du monde ; un livre qui fut dans les temps anciens l’étoile de l’Orient ; un livre où tous les grands poètes des régions occidentales ont puisé l’inspiration et appris le secret des mystérieuses harmonies qui ravissent les âmes. Ce livre, c’est la Bible, le livre par excellence.

Dans ce livre sont racontées ou prédites toutes les catastrophes ; il renferme les modèles impérissables de toutes les tragédies ; il est le récit de toutes les douleurs humaines ; il donne le ton de toutes les lamentations et de toutes les plaintes. Qui pleurera comme Job, lorsque renversé et tenu à terre par la main puissante qui l’accable, il remplit de ses larmes les vallons de l’Iduméo ? Quelle mère, au tombeau de son premier-né, poussera des cris plus déchirants que l’inconsolable Rachel ? Qui se lamentera comme se lamentait Jérémie autour de Jérusalem abandonnée de Dieu et des nations ? Sur les débris de quelle société perdue s’élèvera cette sombre voix d’Ézéchiel, dont Babylone fut épouvantée ?

Dans la Bible sont écrites les batailles du Seigneur, dont les batailles des hommes ne sont que de vains simulacres ; et de même que ce livre renferme les modèles de toutes les tragédies, de toutes les élégies et de toutes les lamentations, il renferme aussi le modèle inimitable de tous les chants de victoire. Aucune voix n’égalera jamais celle de Moïse ou celle de Débora célébrant le triomphe du Dieu d’Israël ? Si des hymnes de victoire nous passons aux hymnes de louange, nos temples eux-mêmes n’en ont point de plus beaux que ceux qui montaient vers Jéhovah, enveloppés des parfums de la rose et de la fumée de l’encens.

Si nous cherchons des modèles de poésie lyrique, il n’y a point de lyre comparable à la harpe de David, l’ami de Dieu, qui entendait les concerts des harpes angéliques. Si nous cherchons des modèles de la poésie bucolique, nous n’en trouverons point d’aussi frais et d’aussi purs qu’à l’époque des patriarches, où la femme, la source et la fleur étaient trois amies, parce que toutes ensemble et chacune d’elles étaient le symbole de la parfaite simplicité et de la candeur primitive. Là sont exprimés dans leur charme divin tous les sentiments purs et chastes, et l’éclatante pudeur des épouses, et la mystérieuse bonne odeur des familles bénies.

Livre prodigieux où le genre humain, il y a trente-trois siècles, a commencé de lire, a lu tous les jours, toutes les nuits et à toutes les heures, et dont il n’a pas encore achevé la lecture. Livre qui voit tout et qui sait tout ; qui sait quelles pensées s’élèvent dans le cœur de l’homme et quelles pensées sont présentes à l’esprit de Dieu. Et ce livre, quand les cieux se replieront sur eux-mêmes comme un éventail gigantesque, quand la terre éprouvera des défaillances, quand le soleil rappellera sa lumière et quand les étoiles s’éteindront, ce livre restera seul, avec Dieu dont il est la parole éternelle, éternellement retentissante au plus haut des cieux.

Donoso Cortès.