Manuel-Roret du relieur/Préface
PRÉFACE
Dans son Essai sur la Reliure des Livres chez les anciens, qui a paru en 1834, M. Peignot s’exprimait ainsi :
« L’art de la reliure a pris de nos jours un tel accroissement de luxe, un tel degré de fraicheur et d’éclat, que ses riches produits le disputent souvent au mérite ou à la rareté des ouvrages, et même quelquefois leur sont préférés. Nous n’osons cependant pas dire un tel degré de perfection ; car quels que soient les talents très-remarquables des plus habiles relieurs modernes, il faut convenir que l’on n’a point encore surpassé en solidité et même en beauté ces fameuses reliures dont les Grollier et les de Thou ont, au XVIe siècle, enrichi leurs bibliothèques. On peut en juger à l’aspect de ces chefs-d’œuvre dont la Bibliothèque impériale et quelques cabinets d’amateurs conservent de précieux débris. D’ailleurs n’est-ce pas à une infinité d’anciennes reliures qui remontent au règne de Henri II, et qui ont été exécutées par ce prince
lui-même, et plus haut encore, que l’on a emprunté ces compartiments admirables, ces fleurons élégants, ces gaufrures délicates qui font les délices des amateurs ? Non, disons-le franchement, la reliure n’est point perfectionnée ; mais on a eu le bon esprit de recourir, avec beaucoup d’art et de talent, aux errements de nos anciens artistes ; et en les imitant, on a donné à la reliure moderneun air de nouveauté bien fait pour séduire par le goût avec lequel ces antiques ornements sont disposés ; et l’on peut dire, sous ce rapport, que c’est une heureuse découverte. »Depuis un demi-siècle, l’art a fait de véritables et réels progrès, et les reliures modernes ne le cèdent en rien à celles produites par les plus célèbres artistes des siècles précédents. C’est aux développements des arts mécaniques, à ceux qu’a pris dans ces derniers temps la chimie, aux arts du dessin plus répandus, plus étudiés qu’autrefois, et enfin au bon goût qui s’est perfectionné (ces artistes ayant sans cesse sous les yeux d’immortels chefs-d’œuvre), qu’on doit attribuer les perfectionnements qu’on peut à juste titre imputer à tous les arts industriels et auxquels celui de la reliure a largement participé.
C’est pour exposer les principes de cet art et ces perfectionnements que ce manuel a été rédigé, et nous espérons qu’il contribuera encore à former de nouveaux artistes recommandables par l’élégance, la grâce et la solidité de leurs œuvres.
La nouvelle édition du Manuel du Relieur, que nous publions aujourdhui, a été corrigée dans ses plus petits détails et augmentée des nouveaux procédés que l’ancienne ne contenait pas. Afin de ne pas trop grossir notre volume nous avons supprimé, quelquefois bien à regret, les anciens procédés qui ne sont plus en usage dans les grands ateliers de Paris. Si quelques-uns de nos lecteurs voulaient y revenir pour un motif quelconque, ils devraient recourir à l’édition de 1867, dans laquelle ils les retrouveraient. En effet, il arrive souvent, dans l’industrie, que des méthodes abandonnées servent de point de départ à des procédés nouveaux, par suite de modifications et de tours de main perfectionnés.
Quoique notre volume traite spécialement de l’Art de la Reliure, nous avons jugé utile de conserver, avec quelques modifications, la description des Arts qui s’y rattachent si intimement qu’aucun relieur voulant connaître à fond son métier, ne peut les ignorer. Tels sont l’Assemblage, le Brochage et le Cartonnage, industries exploitées dans les grands centres industriels, comme Paris, par des ouvriers spéciaux, mais que les petites maisons de reliure exercent journellement. Ces industries sont réunies dans la première partie de notre ouvrage.
La seconde partie traite spécialement de la Reliure ; elle renferme la marbrure et la dorure des tranches, ainsi que l’ornementation des dos et des plats ; industries qui emploient souvent des ouvriers spéciaux et des artistes d’un mérite incontestable. C’est cette partie de notre ouvrage qui a subi les modifications les plus importantes. Nous avons dû y introduire les méthodes nouvelles employées dans les principaux ateliers, et surtout les machines récentes qui ont si profondément changé l’art de la Reliure.
Pour ne parler que d’un détail, nous avons fait représenter les petits fers, qui servent à l’ornementation des reliures riches, et nous les avons classés par styles, en n’admettant que ceux d’une authenticité incontestable. Ces gravures seront de la plus grande utilité aux industriels qui sont éloignés des centres où ils peuvent recourir aux artistes en renom, et qui sont obligés d’exécuter par eux-mêmes des travaux qu’ils ne connaissent pas ou desquels ils n’ont qu’une idée imparfaite. De là ces erreurs grossières que l’on rencontre trop souvent sur des reliures coûteuses, peu en rapport avec les ouvrages qu’elles habillent. Nous espérons que nos lecteurs ne tomberont plus à l’avenir dans ce défaut.
Nous publions donc aujourd’hui avec confiance cette nouvelle édition d’un ouvrage déjà estimé, persuadé que nous sommes que le public nous saura gré des efforts que nous avons faits pour l’améliorer et le rendre digne de la faveur dont il a joui jusqu’à ce jour.