CHAPITRE VI.

Dorure et Gaufrure.


Observations préliminaires.

Il en est de la dorure comme de la marbrure, et à plus forte raison, une pratique constante donne seule le moyen de la faire d’une manière satisfaisante. Voilà pourquoi les relieurs peu occupés, surtout ceux des petites villes, ne sauraient l’aborder avec succès. À peine leur est-il possible de pousser les titres et les ornements les plus simples qui enjolivent les dos ; encore même parviennent-ils rarement à donner à leurs ouvrages la netteté et la régularité indispensables. D’ailleurs, outre l’habileté de main, le doreur véritablement digne de ce nom, doit posséder deux choses qui ne s’acquièrent pas et sont un don de la nature, savoir : un goût irréprochable et un sentiment élevé de l’art.

La dorure pour reliure forme deux branches qui, à Paris, Vienne, Londres, Lyon et autres grandes villes, sont exercées par des ouvriers spéciaux, ce sont :

La dorure sur tranche,

Et la dorure sur le dos et la couverture.

Dans l’une et dans l’autre, on emploie exclusivement l’or au livret, qui est fourni par le batteur d’or. Toutefois pour les reliures à bon marché et surtout pour les emboîtages, on fait un usage constant de feuilles de faux or, c’est-à-dire de laiton, qui sont fabriquées en vue de cette application par les mêmes procédés que celles d’or vrai. Cette dorure au cuivre, comme on l’appelle, a tout le brillant de l’or, au moment où l’on vient de l’exécuter, mais la durée de ce luxe apparent est tout à fait éphémère.

§.1. — dorure sur tranche.

La dorure sur tranche se fait de plusieurs manières :

Sur tranche blanche,
Sur tranche marbrée,
Sur tranche antiquée,
Sur tranche peinte,
Sur tranche damassée, etc.

Avant de dire comment on procède dans chacun de ces divers cas, donnons quelques détails sur les outils nécessaires au doreur sur tranche.

1. Outillage.

L’outillage du doreur sur tranche comprend les objets suivants :

1o Une presse à dorer ; elle se compose de deux pièces de bois parallèles que l’on éloigne ou rapproche l’une de l’autre, en agissant sur deux grosses vis à main. Tout se fait sur cette presse (fig. 67), depuis les opérations préparatoires jusqu’au brunissage, c’est-à-dire depuis le commencement jusqu’à la fin de la dorure. On la place, perpendiculairement aux vis, sur une caisse ouverte, afin que les parcelles d’or qui se détachent toujours ne puissent pas se perdre ;

2o Plusieurs grattoirs  ; chacun de ces instruments consiste en une lame d’acier mince comme un fort ressort de pendule, et qui est arrondie à une extrémité et droite à l’autre. Le côté rond sert pour les gouttières et le côté droit pour les deux bouts. On l’affûte avec un fusil. Quant à sa largeur, elle est en rapport avec celle de la tranche qu’on veut travailler. Aussi, faut-il en avoir de différentes largeurs ;

3o Plusieurs brunissoirs d’agate, les uns larges et arrondis, les autres minces et pointus, mais tous parfaitement polis. Les ouvriers les désignent sous le nom de dents de loup, parce que certains d’entre eux ont à peu près la forme d’une dent de loup ;

4o Un coussinet à placer l’or pour le couper ; il est formé d’une planche rectangulaire, d’environ 30 centimètres sur 20, qui est recouverte d’une peau de veau, le côté chair en dehors ; cette peau est bien unie, fortement tendue et matelassée avec du crin fin ou de la laine ;

5o Un couteau à couper l’or  ; il a la forme d’un couteau de table non fermant, avec cette différence que le tranchant de la lame doit être sur une seule et même ligne droite ; il a le manche court et la lame longue de 23 à 24. centimètres ;

6o Un compas à coucher l’or ; il diffère du compas, ordinaire en ce que ses deux branches sont pliées de manière à former du même côté, une espèce d’angle très-obtus ;

7o Deux boîtes pour contenir, l’une les cahiers d’or, l’autre les fragments qu’on n’a pu employer immédiatement et qui doivent servir plus tard. La première s’ouvre par dessus et par devant, comme les cartons de bureau. La seconde est tapissée intérieurement de papier très-satiné, parce que les morceaux d’or ne peuvent s’attacher au poli de ce papier.

2. Dorure sur tranche blanche.

Le volume étant serré entre deux ais plus épais d’un côté que de l’autre, on prépare la tranche pour recevoir l’or et pour le retenir.

Pour cela, on l’encolle avec de la colle de pâte fraîche, qu’on laisse sécher, puis on la gratte avec un grattoir, et on la brunit en frottant en travers avec la dent, jusqu’à complète siccité.

On passe ensuite sur la tranche une couche de bol d’Arménie, préalablement dissous dans de l’eau additionnée de blanc d’œuf, puis on la brosse pour la faire reluire. C’est alors qu’on applique une couche légère de blanc d’œuf étendu de dix fois son poids d’eau, ce qu’on appelle glairer ; le blanc d’œuf joue ici le rôle d’assiette et retient l’or, qu’on a soin de poser avant qu’il soit sec.

On laisse sécher imparfaitement, puis on fixe l’or au moyen d’un pinceau lisse qu’on promène sur la tranche, sur laquelle on frotte de nouveau avec la dent à brunir. On laisse sécher entièrement, puis on brunit encore une fois sur l’or même.

Pour dorer la gouttière, on commence par la rendre bien plate en appuyant sur les mors des deux côtés et en laissant tomber les cartons par derrière, puis on met le volume en presse entre deux ais.

Pour appliquer l’or, on le coupe de la largeur du volume à dorer avec un couteau de doreur et on le dépose sur le coussinet ; on enlève ensuite l’or avec un morceau de papier non lissé, ou avec une carte dédoublée. La feuille d’or s’attache au duvet de ce papier, ce qui permet de la transporter facilement sur la tranche où elle se fixe ; on l’étend en soufflant dessus et on l’assujettit avec de l’ouate.

On prend aussi quelquefois la feuille d’or avec le compas à longues branches coudées, ou bien avec un de ces pinceaux plats, qu’on nomme palettes.

La gouttière dorée, on dore de la même manière la tête et la queue, après avoir fait descendre les cartons au niveau de la tranche. On incline les volumes dans la presse, du côté du dos ; on les serre chacun entre deux ais qui garantissent les mors.

On laisse sécher la dorure à la presse (il faut six heures environ), après quoi l’on brunit avec une agate en travers du volume ; ce brunissage doit être fait légèrement et avec précaution pour ne pas enlever l’or, et bien également pour ne pas faire de nuances.

Quand le brunissoir a été promené partout, on passe très-légèrement sur la tranche un linge très-fin et enduit d’un peu de cire vierge, après quoi on brunit de nouveau, mais un peu plus fort. On recommence cette opération plusieurs fois, jusqu’à ce qu’on n’aperçoive aucune onde faite par le brunissoir, et que la tranche soit bien unie et bien claire.

Les ébarbures de l’or s’enlèvent avec du coton en rame que l’on jette dans la caisse au-dessus de laquelle se font toutes les opérations de la dorure.

Au lieu de procéder comme ci-dessus, d’autres préfèrent opérer de la manière suivante :

Après avoir serré le volume dans la presse, on le glaire légèrement et on laisse sécher. On donne ensuite une couche très-mince d’une composition obtenue en broyant à sec un mélange de parties égales de bol d’Arménie, de sucre candi et d’une très-petite quantité de blanc d’œuf. Quand cette couche est sèche on gratte et l’on polit, puis, avant d’appliquer l’or, on mouille la tranche avec un peu d’eau pure, et l’on appuie les feuilles d’or comme il a été dit. Enfin, quand celles-ci sont sèches, on polit avec la dent de loup.

Dans le système de Mairet, on procède comme il suit :

« La première opération de la dorure se fait en rognant le volume, sur la tranche duquel on passe, au pinceau, avant de le sortir de la presse, une bonne couche de décoction safranée. Ce liquide, qu’on emploie tiède, se prépare en faisant bouillir dans un verre d’eau une pincée de safran du Gâtinais ; puis en ajoutant à la décoction retirée du feu, gros comme une noisette d’alun de roche pulvérisé, et un peu moins de crème de tartre. On met cette couleur sur chaque côté du livre à mesure qu’on le rogne, et avant de desserrer la presse, afin que la couleur ne pénètre pas trop profondément, ce qui pourrait tacher les marges.

« Quand la tranche est bien sèche, on la serre entre deux ais étroits, dans la presse à endosser, en faisant pencher la gouttière un peu du côté de la queue, et les bouts du côté du dos. Cette précaution est nécessaire pour que la couleur s’écoule de manière à ne rien gâter. Alors on gratte la tranche pour la dresser et l’unir parfaitement, tout en ayant, soin de ne pas la toucher avec les doigts, dans la crainte de la graisser et d’empêcher l’or de tenir.

« On s’occupe ensuite d’une autre opération. On pile dans un vase plusieurs oignons blancs, et l’on en exprime le jus dans une grosse toile. Alors, sur la tranche grattée et brunie à l’agate, on donne successivement trois ou quatre couches de jus d’oignon ; on frotte aussitôt fortement, et jusqu’à siccité, avec une poignée de rognures bien douces, ne cessant que lorsque la tranche fait glace partout et présente un beau brillant.

« C’est alors qu’elle est prête à recevoir le blanc d’œuf appelé mixtion pour attacher l’or, et obtenu en battant un blanc d’œuf dans deux fois son volume d’eau à laquelle on a ajouté huit gouttes d’alcool. Ce mélange doit être battu avec une fourchette de bois jusqu’à consistance d’œufs à la neige, puis reposé et passé à travers un linge très-fin. La liqueur qu’il a produite peut se garder quelques jours, à condition d’être passée à travers un linge chaque fois qu’on veut s’en servir.

« Cette mixtion doit être posée une première fois sur la tranche avec un blaireau plat de poils de rat ou de cheveux. Cette première couche sèche, on frotte légèrement avec des rognures douces, puis on souffle afin qu’il ne reste rien de sali. On donne ensuite une seconde couche, de manière à ce que la mixtion fasse glace partout, puis on pose immédiatement l’or avec la carte. On a dû éviter, en appliquant la mixtion, de passer le blaireau plusieurs fois sur la même place, car cela ferait faire des bulles et lor ne s’attacherait pas sur ces points.

« Le brunissage à l’agate a lieu ensuite après siccité complète. On connaît que la tranche est assez sèche quand lor a pris une teinte uniforme, et brille partout également. On y passe alors à nu, sur toute la surface, le gras de l’avant-bras pour amortir l’or, et faire mieux glisser le brunissoir. On passe l’agate, puis on termine comme précédemment. »

3. Dorure sur tranche après la marbrure.

On choisit une marbrure dont le dessin soit peu confus et qui ait les couleurs les plus saillantes possible.

Le volume étant dans ces conditions, et bien sec, on gratte la tranche et on la brunit ; on y passe ensuite du blanc d’œuf délayé dans l’eau, et l’on dore comme nous l’avons indiqué, puis l’on brunit en travers. Quand le tout est sec, on aperçoit la marbrure à travers l’or.

Cette dorure, fort en vogue autrefois, a été abandonnée depuis ; on y revient de nos jours. La mode la fait reprendre de temps en temps.

4. Dorure sur tranches antiquées.

Après que la dorure a été faite comme nous l’avons dit dans le premier procédé, et qu’elle est brunie, avant de sortir le volume de la presse, on passe promptement et avec précaution une couche très-légère de blanc d’œuf délayé dans l’eau, en évitant de passer deux fois sur la même place pour ne pas détacher l’or. On laisse sécher, puis on passe un linge fin légèrement imbibé d’huile d’olive. On applique dessus une feuille d’or d’une autre couleur que la première, on pousse à chaud des fers qui représentent divers sujets, et l’on frotte avec du coton en rame. L’or qui n’a pas été touché par le fer chaud ne tient pas, il est enlevé et il ne reste que les dessins que les fers ont imprimés, ce qui produit un très-joli effet, mais dont la mode est passée.

Les albums photographiques avec tranche bleue, verte, etc., décorée d’ornements en or, se font d’une autre manière. Cette tranche ayant été préparée comme pour la dorure, on la colore en vert avec le vert de Schweinfurt, en bleu avec l’outremer ou le bleu de Prusse, en rouge avec le carmin. Avant d’être appliquées, ces couleurs sont broyées avec du blanc d’œuf. Quand elles sont sèches, on les polit à la dent de loup, et comme elles portent avec elles leur assiette, on dore alors par place et à chaud avec des fers appropriés, qu’on fait chauffer et qu’on applique sur des feuilles d’or préalablement posées sur la tranche.

5. Dorure sur tranches damassées.

Les procédés sont les mêmes que pour la dorure sur tranches unies ; seulement on ne brunit pas, et la tranche étant dorée, on la marbre au baquet à deux couleurs :

1o On jette du bleu beaucoup plus collé au fiel que pour les tranches ordinaires ;

2o On emploie le même bleu, mais encore plus collé, et dans lequel on a mis une goutte d’essence de térébenthine. Ces deux couleurs doivent être imperceptibles sur l’or.

Quand les trois côtés de la tranche sont marbrés, on laisse sécher et l’on brunit avec les précautions accoutumées.

6. Dorure sur tranches à paysages transparents.

Lorsque la tranche est préparée comme pour la marbrure, et qu’elle a été bien grattée et bien polie, on y fait peindre à l’aqua-tinta un sujet quelconque, tel qu’un paysage ; cela fait, on y passe une couche de blanc d’œuf délayé dans l’eau, et l’on dore immédiatement comme à l’ordinaire. Quand le volume est fermé, la dorure couvre le paysage, et on ne le voit pas ; mais lorsqu’on courbe les feuilles, on l’aperçoit facilement et on ne voit pas la dorure.

M. Mairet agit différemment. Il omet le safran qu’ordinairement il préfère, gratte bien la tranche, l’enduit plusieurs fois de jus d’oignon, laisse sécher, frotte avec des rognures douces, retire le livre de la presse et le lie fortement entre deux planchettes de même grandeur que le volume, et de telle sorte que la tranche soit à découvert du côté de la gouttière. En cet état, on y dessine à la mine de plomb un sujet quelconque, puis on le peint avec des couleurs liquides, afin qu’il n’y ait pas d’épaisseur. Les encres de couleur, excepté la gomme-gutte, conviennent pour cet usage.

7. Tranches ciselées.

Les tranches ciselées font aussi partie des travaux de l’art du doreur. Par tranche ciselée, on entend une tranche qui a été dorée, et par-dessus l’or de laquelle on a imprimé ou peint un dessin ou un objet analogue à la matière traitée dans l’ouvrage. Parfois aussi ce sont des arabesques qui s’harmonisent avec le style de la couverture. Le dessin, le sujet ou les arabesques sont découpés en patrons dans des papiers épais taillés exactement de la grandeur de la tranche, et après que cette tranche dorée a été polie, on les imprime en couleur. Si le dessin est peint ou est une vignette, le relieur confie ce travail à un artiste. Toutes ces bizarreries n’ont rien de commun avec l’art de la reliure.

8. Tranches caméléon.

On connaît aussi, sous le nom de tranche caméléon ou tranche grecque, un mode d’ornementation d’ailleurs peu usité, qui consiste, après que le livre a été rogné et couvert, à l’ouvrir, en rabattant le dos de manière que toutes les feuilles qui forment la tranche se dépassent l’une l’autre, et constituent un escalier à degrés très-fins, Alors on met cette tranche en couleur, et lorsque celle-ci est sèche, on renverse le livre sur le plat opposé et l’on opère de même, mais en une autre couleur. Enfin, quand le tout est sec, on ferme le livre à l’état ordinaire ; et on dore la tranche ou bien on la peint en une troisième couleur. De cette façon lorsqu’on ouvre le livre, la tranche paraît tantôt rouge, tantôt bleue ou dorée, ou mélangée de ces couleurs. On fait aussi de cette manière des tranches où les dessins, les paysages, etc., n’apparaissent que lorsqu’on ouvre le livre.

Observations.

On dore quelquefois les tranches avec de l’or impur ou allié, ou bien on les argente. Dans l’un et l’autre cas, on procède comme avec l’or pur ; seulement l’albumine doit être bien plus épaisse, parce que cet or et cet argent ne pouvant être battus aussi mince que l’or pur, seraient cassants si l’assiette n’avait pas plus de force d’adhérence.

§ 2. — dorure sur le dos et la couverture.

Quand on veut dorer la couverture d’un livre, on fait deux opérations, qui consistent, l’une à coucher l’or, l’autre à le fixer. La première est l’ouvrage du coucheur d’or, la seconde celui du doreur proprement dit. L’un et l’autre commencent par le dos, continuent par le dedans des cartons, puis passent au bord sur l’épaisseur de ces derniers, et terminent par les plats.

1o Opérations du coucheur d’or.
1. Outillage.

L’outillage du coucheur d’or, comprend tous les outils et instruments du doreur sur tranche, notamment les boîtes à renfermer l’or, le coussinet pour le poser, le compas, les pinceaux et les tampons de coton pour le transporter, le couteau pour le couper, etc. On y trouve, en outre, les objets suivants :

1o Un huilier (fig. 72) ; c’est une petite boîte en bois ou en fer-blanc, dont un côté A B est élevé, et qui renferme un godet C dans lequel on met de l’huile de noix bien limpide. Il est muni d’un couvercle D que l’on tient constamment fermé lorsqu’on ne travaille pas, afin de garantir l’huile de la poussière ou des ordures qui pourraient la salir. Cette boîte est étroite et longue, sa largeur intérieure est suffisante pour contenir le godet au milieu, et de chaque côté un espace vide d’environ trois centimètres. Sa longueur est assez grande pour renfermer certains outils ;

2o Une éponge ; c’est un morceau d’éponge fine fixé au bout d’un manche de bois que l’on fait plus large du côté où doit être l’éponge que dans tout le reste ;

3o Un bilboquet G (fig. 76) ; c’est une plaque de bois de 1 centimètre et demi de large sur 8 centimètres de long, qui est doublée en drap collé par dessus H, et qui porte au milieu de sa longueur un manche I ;

4o Un couchoir J, en buis ; c’est une planchette longue d’environ 16 centimètres sur 2 millimètres d’épaisseur, dont la section présente à peu près la forme d’un S (fig. 77).

5o Une carte ; ce n’est autre chose qu’un morceau de papier pâte tel que nous l’avons décrit plus haut ;

6o Des pinceaux doux de poils de blaireau ; on en a de plusieurs formes, de ronds et de plats qu’on nomme palettes (fig. 78) ;

7oDeux billots cubiques de même hauteur et de même dimension ; on s’en sert pour étendre les deux couvertures dessus, en faisant tomber, entre les deux, les feuilles du volume. Par ce moyen, on a la facilité de coucher l’or sur les plats sans danger d’enlever les parties déjà couchées (fig. 79) ;

9o Un petit compas (fig. 81) ;

Le bilboquet, le couchoir, la carte et le compas se renferment dans le tiroir de l’huilier.

Il faut beaucoup de propreté dans le travail du coucheur d’or ; son atelier ne doit avoir aucun courant d’air qui s’opposerait aux opérations et ferait perdre beaucoup d’or.

2. Travail du coucheur d’or.

Comme son nom l’indique, le travail du coucheur d’or consiste à découper les feuilles d’or et à les disposer sur les points qu’elles doivent occuper, et qui ont été préalablement apprêtés par le doreur, c’est-à-dire encollés et glairés.

Le coucheur prend un cahier d’or, l’ouvre à l’endroit où se trouve une feuille, passe le couteau par dessous celle-ci, la soulève, la porte sur le coussin, l’y pose, et l’étend parfaitement en dirigeant un léger souffle sur son milieu. Cela fait, après avoir pris avec un petit compas, la largeur et la longueur des places où il doit coucher l’or, il coupe la feuille avec le couteau en tenant celui-ci par le manche, le tranchant sur les points marqués, appuyant d’un doigt de la main gauche sur la pointe de la lame, et enfin en agitant légèrement son outil comme s’il sciait.

Notons, en passant, qu’avant de prendre l’or, on applique sur chaque endroit apprêté, et bien sec, une couche imperceptible d’huile de noix avec l’éponge, ou un pinceau à palette large et doux, ou un pinceau ordinaire selon les emplacements où l’on doit le poser. Très-souvent, on doit se servir de suif, que l’on étend sur un morceau de drap, et qui remplace l’huile avec d’autant plus d’avantage, qu’il tache beaucoup moins. On passe avec le bout du doigt le drap, ainsi apprêté, sur toutes les places où cela est nécessaire. Il est même préférable pour le doreur, de prendre des livres ainsi couchés, plutôt que s’ils étaient préparés avec l’huile, puisqu’il doit comprendre que le cuir est moins imbibé avec le suif qu’avec l’huile.

Après cette préparation, soit avec la carte dédoublée ou le morceau de papier pâte, soit avec le bilboquet, on prend l’or et on le transporte immédiatement, sans hésitation, sans trembler et avec assurance, sur l’endroit que l’on a préparé. Il faut poser l’or juste à la place où il doit rester, car il happe tout de suite, et si l’on voulait le tirer pour le pousser d’un côté ou de l’autre, on le déchirerait et la dorure serait mauvaise.

Avant de prendre l’or, soit avec la carte, soit avec tout autre instrument, on avait soin autrefois de passer légèrement la carte ou l’instrument sur le front à la naissance des cheveux, afin qu’il s’y chargeat d’une humeur onctueuse dont la peau est toujours un peu humectée dans cette partie, ce qui y faisait attacher un peu la feuille d’or. Cette pratique est inutile. Les ouvriers d’aujourd’hui sont même assez adroits pour coucher l’or sur le dos des livres avec le couteau seulement. Pour y parvenir, ils soulèvent la feuille avec la lame de cet instrument, l’enportent avec, la posent sur le dos, puis la fixent avec du coton en laine.

En couchant l’or sur le dos du livre, on le laisse un peu plus long qu’il ne faut, en tête et en queue, afin de pouvoir l’appliquer parfaitement sur les coiffes.

L’or se couche sur la bordure intérieure, soit avec le couchoir, soit encore mieux avec le bilboquet.

Chaque fois qu’on a couché de l’or, on frotte l’instrument dont on s’est servi sur un linge fin et propre, qu’on a sur soi ou à côté de soi.


On couche l’or pour les filets des plats de la même manière, mais il est toujours nécessaire de tirer une ligne droite du côté du mors, car si les trois autres côtés ne présentent aucune difficulté, parce qu’on se trouve fixé par le bord, il n’en est pas de même pour celui-ci. On marque un trait avec le tranchant du plioir que l’on dirige le long d’une règle. Lorsqu’on couche à la main, on tient à pleine main les feuilles du volume de la main gauche, les cartons libres ; celui sur lequel on veut travailler est appuyé sur le pouce de cette main, le dos tourné vers soi. Alors on pose l’or sur le côté de tête ou de queue, qui se trouve du côté du bras gauche ; on fait ensuite pirouetter le volume de manière que la gouttière soit vers le bras gauche, on couche ce côté ; on fait tourner encore le volume pour terminer par l’autre petit côté.

On peut aussi coucher l’or pour les filets sur les plats à la carte ou au bilboquet, sans tenir le livre. Pour cela, on prend les deux billots cubiques, et on les place sur la table l’un à côté de l’autre, à une distance suffisante pour que toutes les feuilles du volume puissent se loger entre eux. Enfin on ouvre les deux cartons et on les fait reposer à plat sur les deux faces des billots. Alors toute la couverture est à plat et le volume pend entre les deux billots. On a ainsi beaucoup de facilité pour coucher uniformément et symétriquement les filets et tout ce qui doit orner les plats.


On ne doit pas glairer, sur un volume en veau, les places qu’on veut laisser sans brillant.

La moire et les autres étoffes de soie ne doivent pas être glairées, lorsqu’on ne veut pas coucher de l’or dessus, parce qu’elles portent avec elles leur brillant naturel. En outre, elles se glairent avec du blanc en poudre ou mieux, avec de la poudre de Lepage.

Quand c’est avec du blanc, on haleine dessus pour le rendre humide ; ensuite on couche l’or, qui happe tout de suite.

2o Opérations du doreur.

Le doreur est l’ouvrier qui, avec des instruments de cuivre gravés en relief par un bout et montés dans un manche de bois par le bout opposé, fixe l’or sur tous les points que touchent les saillies de la gravure. Ces instruments s’appellent fers. Leurs dimensions sont toujours très restreintes. Néanmoins il y en a dont la petitesse est telle qu’on les désigne spécialement sous le nom de petits fers.

C’est le doreur qui applique sur le dos des livres les titres et les ornements ; c’est également lui qui exécute les enjolivements de tout genre qui enrichissent les plats, et, ce que beaucoup de personnes ignorent, il obtient toutes ces merveilles en combinant et ajustant ensemble un nombre infini de menus éléments qui, pris isolément, ne représentent à peu près rien. C’est de lui qu’on veut parler quand on dit que la dorure des livres exige un goût irréprochable et un sentiment élevé de l’art.

Le doreur opère toujours à chaud, c’est-à-dire qu’il n’applique ses fers qu’après les avoir fait chauffer. Quelquefois, au lieu d’un ornement doré, il veut simplement produire une gaufrure. Dans ce cas, on ne couche point l’or. Souvent on fait valoir la gaufrure en y passant quelque encre de couleur. C’est ce genre de travail qu’on appelle très-improprement dorure à froid et dont le nom véritable est tirage en noir ou tirage en couleur, suivant qu’on emploie une encre noire ou une encre de couleur.

1. Outillage du doreur.

L’outillage doit être rangé, sous la main de l’ouvrier, sur une table solide et placée de telle sorte qu’il reçoive directement sur son ouvrage toute la lumière du jour. Outre des collections de modèles et ce qui est nécessaire pour écrire, calquer et dessiner, il comprend les objets que voici :

1o Un fourneau pour chauffer les fers. Il est au-devant du doreur, un peu sur la droite, et se compose de deux parties : le fourneau proprement dit, qui occupe le derrière, et le laboratoire, qui est sur le devant (fig. 82, pl. 4).

Le fourneau proprement dit renferme le corp A, la hotte B et la cheminée C. À peu près à la moitié de sa hauteur intérieure, se trouve une grille en fer sur laquelle on place le charbon. Sur le devant sont pratiquées deux ouvertures qui peuvent être entièrement ouvertes ou fermées, vers le milieu de leur hauteur, par deux portes G et H, qui se meuvent sur des charnières verticales, selon que les parties que l’on a à faire chauffer sont plus ou moins grandes. Au-dessous et sur le devant, est pratiquée une large ouverture E, pour l’introduction de l’air nécessaire à la combustion ; cette ouverture peut être fermée par une porte, qu’on voit à travers les barreaux de la partie antérieure, selon qu’on a besoin d’un tirage plus ou moins fort. Sur le côté, on voit un tiroir D qui sert à recevoir les cendres du charbon, pour s’en débarrasser lorsqu’il est plein. Toutes les parties de ce fourneau sont construites en tôle. La partie antérieure a sa base F en tôle ; tout le reste est construit en petites tringles en fer, comme l’indique la figure ; ces tringles servent à supporter les fers, les palettes et les roulettes dont se sert le doreur ; elles reposent, par leur partie métallique, sur les dents de la crémaillère que l’on aperçoit près du fourneau, et par leur manche, sur les traverses que l’on voit en avant.

Tel est l’ancien fourneau à charbon de bois, qui était adopté par tous les relieurs, avant que le gaz d’éclairage ait été employé au chauffage. Il sert encore dans les petits pays où le gaz n’existe pas, et il rend les mêmes services qu’autrefois ; c’est pourquoi nous le mentionnons ici.

Le nouveau fourneau à gaz (fig. 82 bis) a beaucoup d’analogie avec l’ancien fourneau à charbon de bois. Il se compose d’un petit rectangle en fonte, monté sur quatre pieds également en fonte, et ouvert en partie sur sa face antérieure. Cette face est fermée aux deux tiers par une plaque en fonte et quelquefois en tôle, pourvue à sa partie la plus élevée d’une crémaillère, entre les dents de laquelle l’ouvrier doreur pose ses roulettes, ses palettes ou ses fers à dorer, lorsqu’il veut les chauffer. Au centre de l’appareil et dans sa longueur, existe un tube en fonte percé en dessus de trois rangées de petits trous par lesquels sort le gaz à brûler. Ce brûleur tient au fourneau par ses extrémités au moyen de deux renflements. L’un de ceux-ci est percé et reçoit un tuyau d’un diamètre plus petit que le brûleur ; ce tuyau en laiton est muni d’un robinet d’introduction ou d’arrêt pour le gaz, qui y arrive par un tube en caoutchouc, qu’on y adapte ou qu’on en retire à volonté. Le renflement dans lequel est soudé le tuyau en laiton est percé de trous qui permettent l’introduction de l’air nécessaire à la combustion du gaz.

On approche devant ce fourneau une tôle montée sur quatre pieds, un peu plus basse que la crémaillère ; elle est destinée à recevoir les manches des outils que l’on y place à chauffer. Cette disposition permet de séparer les deux parties de ce fourneau, ce qui le rend moins encombrant que s’il était d’une seule pièce.

2o Un petit vase en terre vernissée ou en faïence, d’une forme oblongue, de 20 à 23 centimètres sur 5 centimètres et demi de large environ ; il est plein d’eau (fig. 83).

3o Deux petits billots en forme de parallélipipède rectangle, contre lesquels on appuie le volume pour pousser les palettes, les lettres et les fleurons sur le dos de ce volume (fig. 84). Deux des faces contiguës sont fortement inclinées, afin que, dans le mouvement circulaire que la main du doreur est obligée de décrire pour poser les fers sur le dos du livre, elle ne soit pas gênée. Ce plan incliné est sur la droite de l’ouvrier, et le volume est appuyé contre le plan à gauche, et repose par sa gouttière sur la table.

Afin d’empêcher les billots de remuer, car ils doivent présenter un point inébranlable à l’effort du doreur qui appuie le livre contre, on a placé deux chevilles en bois à la surface inférieure, lesquelles entrent dans deux trous pratiqués dans le dessus de la table.

Les billots devant être moins épais que la largeur du volume, on en a plusieurs appropriés à chaque format.

Les chevilles sont placées toutes à la même distance, afin de ne pas cribler la table de trous.

Tous les billots sont mobiles. Pour plus de sûreté, on doit en avoir un de 5 à 6 centimètres de hauteur, qui, fixé à demeure sur la table, sert à empêcher les autres de pencher de côté, dans le cas où les chevilles qui les retiennent viendraient à vaciller. Il concourt ainsi à maintenir le volume bien verticalement ;

4o Une brosse plate, rude, comme une brosse à souliers ou à frotter les appartements ; elle est placée près du fourneau et sert à passer les fers dessus pour en nettoyer la gravure (fig. 85) ;

5o Un morceau de veau pour essayer la chaleur des fers ; il est disposé à côté du vase long à l’eau ;

6o De nombreuses roulettes ; ce sont des disques dont la tranche présente différents dessins, et qui tournent sur un axe disposé à l’extrémité d’un manche ou fût. Suivant le besoin, on les monte isolément ou plusieurs ensemble sur le même fût.

La figure 86 représente une roulette ordinaire dans son fût particulier. Ce fût a est en fer, et en forme de fourchette à l’une de ses extrémités pour recevoir la roulette b, qui y est fixée par une cheville qui la traverse ainsi que les branches de la fourchette. Cette cheville est à frottement dur dans les deux branches de la fourchette, et libre dans le trou de la roulette, qui peut tourner facilement sur son axe et contre les deux joues de la fourchette. L’autre extrémité du fût est pointue et s’engage solidement dans le manche c qui, pour plus de solidité, est cerclé en fer. Les roulettes sont gravées sur leur circonférence convexe.

Comme le doreur emploie beaucoup de roulettes différentes, et qu’il était embarrassant de les avoir toutes montées séparément chacune sur un fût particulier, on a imaginé un fût commun qui pût les recevoir toutes avec promptitude et facilité ; alors on conserve toutes les roulettes en garenne dans une boîte, et l’on ne monte sur ce fût que celle dont on a besoin sur-le-champ. C’est un instrument de ce genre que nous représentent les figures 87, 88.

La fig. 87 montre une roulette b montée sur le fût commun a  ; on voit en c une partie du manche.

— La figure 88 indique les détails de cet instrument. La partie inférieure a du fût porte la jumelle b et une traverse c. Ces trois pièces sont invariablement unies ensemble et ne forment qu’un seul corps. La traverse c entre dans une mortaise pratiquée dans le bas de la jumelle d, qui, lorsqu’elle est rapprochée au point nécessaire pour laisser à la roulette la liberté de rouler, est fixée par la petite vis à oreilles e, qui est taraudée dans l’épaisseur de la jumelle d ;

Dans cette construction, l’axe de la roulette entre à frottement dur dans la roulette, qui tourne librement dans les trous des deux jumelles b et d. Il est, par conséquent, nécessaire d’avoir autant d’axes que de roulettes. Cependant il serait facile de n’avoir qu’un seul axe commun, en lui donnant deux oreilles comme à la petite vis e, le faisant entrer à vis dans la jumelle b, faisant tout le reste de la tige cylindrique et uni ; cette partie traverserait librement la roulette, et son extrémité entrerait juste dans le trou de la jumelle d.

7o Un billot à dorer les bords (fig. 89) ; il a une face fortement inclinée contre laquelle on appuie le volume. L’ouvrier présente le volume par les bords, tout près de l’angle a, et il appuie la roulette contre cet angle, qui lui sert de règle pour ne pas s’écarter de l’épaisseur du carton ;

8o Une collection aussi nombreuse que possible de fers à dorer ; on a vu qu’on appelle ainsi des instruments de cuivre dont l’un des côtés porte des ornements en relief le côté opposé est muni d’un manche pour qu’on puisse les manier. Il y en a une infinité d’espèces, auxquelles on donne des noms différents. Ceux de dimensions très-restreintes, constituent, on l’a vu, ce qu’on appelle les petits fers. Pour reproduire, surtout sur les plats, avec rapidité et économie, des dessins très-compliqués ou d’une grande étendue, on remplace souvent les fers par des plaques de cuivre également gravées en relief ; mais ce moyen de décoration facile est plus particulièrement à l’usage de la reliure industrielle.

9o Un composteur (fig.90) et sa casse (fig. 91). Le composteur sert à faire sur le dos des volumes les titres et les tomaisons. Il consiste en deux plaques de laiton a disposées parallèlement entre elles et retenues à une distance convenable pour recevoir juste les lettres m dont on compose les mots qu’on doit pousser sur les titres. Ces petites plaques a sont solidement fixées dans une armature b, portant latéralement une vis à oreilles d, qui sert à serrer les lettres afin qu’elles ne ballottent pas. La queue de l’armature est solidement enfoncée dans un manche en bois c, cerclé d’une frette ou virole en fer g. Tout cet instrument est en laiton, ainsi que les lettres.

La casse qui accompagne le composteur et qu’on voit figure 91, est une boîte à compartiments qui renferme dans chacun d’eux 1o toutes les lettres de l’alphabet, et dont chacune est en nombre suffisant pour tous les besoins ; 2o pareillement les caractères des chiffres arabes pour le titre du tome. Cette boîte qui se ferme par un couvercle à coulisse e, est assez grande pour contenir aussi deux composteurs, parce que souvent on en emploie deux à la fois.

Le doreur doit être pourvu de six à sept jeux de lettres variés selon ses besoins, afin d’avoir de gros et de petits caractères, selon que les formats sont plus ou moins grands. Il est fort agréable, dans le même titre, d’avoir deux sortes de grosseurs de lettres, de manière que les mots indispensables soient en gros caractères, et les autres en plus petits.

Le composteur est assez grand pour recevoir la composition de deux ou trois lignes, car on en a rarement un plus grand nombre à pousser.

Le doreur compose la première ligne qu’il place sur le composteur à gauche ; puis il met une espace, ensuite il compose la seconde ligne qu’il place à la suite ; puis une espace, et enfin la troisième ligne qu’il met à la suite. Si le composteur n’est pas assez grand pour y placer le titre en entier, il met le reste sur le second composteur ; mais il doit avoir soin de ne pas couper une ligne par le milieu en en plaçant une partie sur un composteur, et l’autre sur l’autre. Il faut qu’une ligne entière soit sur le même composteur, sans cela il s’exposerait à pousser la ligne d’une manière désagréable ou incorrecte ;

10o Une cloche à l’or (fig. 92) ; c’est un vase en grès fermé, par un couvercle en carton et concave par sa partie supérieure, sur laquelle on dépose les petits chiffons et le coton en rame dont on se sert pendant le travail de la dorure. On y conserve également les mêmes chiffons jusqu’à ce qu’ils soient suffisamment chargés d’or ;

11o Une palette à pousser les coiffes (fig. 93) ; elle est arrondie en forme de segment de cône creux ; de plus elle est gravée en portions de rayon, se dirigeant vers le sommet du cône dont elle serait supposée faire partie ;

12o Des grattoirs, semblables à ceux que nous avons décrits plus haut, et un fusil pour les affûter ;

13o Des brunissoirs d’agate ou dents de loup ;

14o Des chiffons de linge fin et propre, et une serge en laine pour reprendre tout l’or qui n’est pas fixé, et que le linge blanc n’a pas enlevé.

2. Travail du doreur.

Tous les outils dont il vient d’être question sont étalés sur la table et par ordre, afin que l’ouvrier ne soit pas obligé de chercher continuellement celui dont il veut se servir. On n’atteindrait cependant pas ce but, si, après avoir fini d’un fer, on le posait au premier endroit venu il faut, au contraire, avoir le plus grand soin d’en former des tas différents selon leurs usages, afin de les retrouver tout de suite sous la main, lorsqu’on en a besoin tels que les palettes ordinaires, les palettes à queue, les fleurons, les petits fers qui servent à en composer de gros, etc.

Pendant que l’ouvrier disposé sur la table les divers outils qui lui sont nécessaires, on allume un feu de charbon dans le fourneau, afin qu’il puisse commencer à travailler aussitôt que les fers sont chauds.

Le petit billot (figure 84) est placé devant lui. Comme la coiffe du volume serait dans le cas de se détériorer, si l’on ne commençait pas par elle, l’ouvrier prend le volume de la main gauche, le pose en travers, par la queue, sur le billot, la coiffe en dehors, afin qu’elle ne touche à rien, et prenant de la main droite la palette de la coiffe, il l’applique dessus lorsqu’il s’est assuré qu’elle est au degré de chaleur convenable.

Pour connaître si les fers sont suffisamment chauds, il les trempe à plat par le bout, dans le petit vase qui contient l’eau (fig. 83) ; au degré du bouillonnement que fait l’eau, il juge si le fer a le degré de chaleur convenable. Quelques ouvriers font cet essai en touchant le fer avec le bout du doigt mouillé, ce qui est préférable, parce qu’ils ne mettent de l’eau que sur le côté du fer, et ne touchent pas à la gravure. Par là, ils sont assurés qu’il n’entre pas d’humidité dans le dessin, ce qui est d’une grande importance ; car si, après avoir trempé le fer dans l’eau, on n’attendait pas, pour s’en servir, assez de temps pour que cette eau soit évaporée, l’or deviendrait gris, il perdrait son brillant, l’eau ferait tache, ou bien l’or pourrait être enlevé par le fer chaud. On fait la même opération sur tous les fers ; on peut aussi les essayer sur la peau de veau que nous avons dit qu’on plaçait sur la table. Un peu d’exercice et d’habitude rendent maître dans cette partie. Si le fer était trop froid, l’or ne prendrait pas.

Dès que les coiffes sont dorées, c’est-à-dire que le fer a été poussé, et qu’on est alors assuré que l’or est bien fixé, on en enlève l’excédant avec un linge propre qu’on ne fait servir qu’à cet usage, et qu’on jette ensuite, lorsqu’il est suffisamment chargé, dans la cloche à l’or, pour en tirer parti comme nous l’indiquerons plus tard.


On place ensuite le volume contre le billot, la gouttière contre la table, comme le montre la figure 84 ; on pousse les palettes qui doivent marquer les nerfs, en commençant par celle de queue et allant et montant vers la tête. Il faut surtout avoir soin de les placer sur les marques que nous avons indiquées, en faisant bien attention de les pousser toujours bien perpendiculairement au côté du volume.

Lorsqu’on pousse les fleurons sur les entre-nerfs, on doit faire attention de les poser bien au milieu, et qu’ils ne penchent d’aucun côté.

Si le fleuron n’est pas assez grand pour remplir l’espace d’une manière bien agréable, on doit choisir dans les petits fers des sujets qui puissent, en les ajoutant au grand, présenter un ensemble qui plaise. On ne peut fixer aucune règle à ce sujet ; nous donnerons ci-après un exemple qui aidera le relieur intelligent, et pourra faciliter son travail.


Lorsque parmi les fers du relieur, il s’en trouvera qui soient particuliers à la nature de tel ou tel ouvrage, il faut bien se garder de les pousser sur des traités auxquels ils ne se rapporteraient en aucune manière. Si, par exemple, il y en avait qui représentassent des poissons, ou des insectes, ou des fleurs, on aurait soin de ne les pousser que sur des ouvrages qui traiteraient de l’histoire naturelle des poissons, ou de celle des insectes, ou de celle des végétaux ; et on ne les pousserait pas sur des livres de littérature, sur des romans, moins encore sur des livres d’église, comme nous en avons vu des exemples. De pareils défauts dénoteraient le mauvais goût ou l’insouciance de l’ouvrier.


Pour le titre, l’ouvrier le compose dans le composteur. Ce titre doit être aussi court que possible, mais toujours parfaitement clair, et s’il renferme des abréviations, il faut qu’elles soient non-seulement immédiatement intelligibles, mais encore exemptes de tout ce qui pourrait donner lieu à des interprétations inexactes, à plus forte raison ridicules ou absurdes.

Si le volume est un ouvrage de science ou de littérature, la première ligne doit être le nom de l’auteur, avec un trait au-dessous ; le titre proprement dit vient ensuite.

Habituellement, la grosseur des lettres est en rapport avec le format du volume. Toutefois cette règle ne saurait être absolue. On conçoit, en effet, que si un volume in-8o était mince, et qu’on voulût se servir des lettres admises pour ce format, on ne pourrait en employer que quelques-unes, ce qui exposerait à raccourcir le titre au point de le rendre inintelligible. En thèse générale, il faut approprier le caractère non au format, mais à la longueur indispensable du titre pour se faire bien comprendre.


Quand on a à dorer un ouvrage de beaucoup de volumes, parmi lesquels il s’en trouve de différentes épaisseurs, quoique, à la batture, on ait fait tout son possible pour qu’ils soient égaux ; on prend un volume d’une épaisseur moyenne, sur lequel on place le nom de l’auteur en caractères aussi gros que peut le comporter la largeur du dos, au-dessous, après avoir placé un filet droit, on pousse le numéro du volume. Dans t’autre pièce, on place le titre du sujet avec un plus petit caractère, auquel on ajoute par-dessous, en plus petit caractère aussi, le numéro d’ordre des volumes de cette division. Ces divers caractères, une fois adoptés, ne doivent plus varier pour toute la collection.

Lorsqu’on veut pousser le titre, on prend le volume par la tête, à pleine main, de la main gauche, le pouce en l’air, contre le second entre-nerf ; ce pouce sert à diriger le composteur, qu’on présente sur le volume sans l’appuyer. Alors on voit le mot on le place au milieu de la distance, et lorsqu’on est bien fixé sur la place qu’il doit occuper, on appuie suffisamment, et l’on décrit un arc de cercle sur le dos, afin que toutes les lettres appuient sur toute sa rondeur.

Lorsque le volume est très-épais, ou qu’il offre quelque difficulté, comme, par exemple, d’être rempli de cartes, ou de planches, ou de tableaux pliés, on le met dans la presse à tranchefiler, ou mieux dans la presse à gaufrer le dos. Celle-ci se compose de deux vis comme la presse à tranchefiler, avec la seule différence que les jumelles sont épaisses de 11 à 14 centimètres par le bas, et que la partie supérieure est en plan incliné de chaque côté, ne réservant du côté de l’intérieur qu’une épaisseur de quelques millimètres. Cette disposition permet à l’ouvrier de tourner le poignet en arc de cercle, afin de pousser la palette depuis un mors jusqu’à l’autre.


Pour pousser des roulettes ou des filets sur le plat, on place le volume entre les deux billots de forme cubique, ainsi que nous l’avons indiqué (page 280) pour coucher l’or, et l’on pousse ainsi la roulette avec facilité, en appuyant le bout du manche sur l’épaule, et tenant l’autre bout de ce même manche à pleine main.

Si lon craint de ne pas aller droit, on peut diriger la roulette contre une règle que l’on tient fixement sur le carton de la main gauche ; on en fait de même pour les pousser dans l’intérieur, mais on appuie la couverture sur un ais qu’on pose sur la table, afin de ne pas gâter le dos.

Il est important de ne pas oublier, avant de se servir de la roulette, de s’assurer si elle tourne librement dans sa chappe, et si elle n’y a pas trop de jeu. Si elle était trop gênée, on lui donnerait la liberté convenable en graissant le trou avec un peu de suif ; si elle avait trop de jeu, on rapprocherait les deux branches de la chappe, ou bien on changerait la goupille.

Si l’on voulait pousser une roulette dans un encadrement, l’on pourrait se servir d’un passe-partout, c’est-à-dire d’une roulette épaisse, qui porte seulement un ou deux filets sur chacun de ses côtés, et dont le milieu est entièrement évidé. Mais le moindre défaut devient très-sensible, en ce qu’il agit sur les deux côtés à la fois : nous préférons faire cette opération en deux fois, afin d’être plus sûr du travail. Voici comment on procède :

On compasse et l’on trace le carré de la dimension qu’on désire, on le glaire et on couche l’or ; ensuite on pousse les filets à la place qu’on a tracée, de sorte qu’à chaque angle il se forme un petit carré, dans le milieu duquel on pousse un fleuron. Aux quatre coins de ce même carré, on pousse un point qui le forme en entier. On essuie entièrement l’or de ce carré, et on le couvre d’un morceau de papier double qu’on tient appliqué par le pouce de la main gauche. Alors on peut pousser la roulette gravée à égale distance des filets, et elle va s’arrêter vers le pouce qui tient le papier, sans faire aucune marque sur la place que ce papier occupe. Moyennant cette précaution la roulette va d’un carré à l’autre sans l’outrepasser.

Les ouvriers qui travaillent sans attention et sans goût, poussent les filets tout au bord du livre, parce que c’est plutôt fait. Il vaut mieux laisser un intervalle entre le bord et le filet, intervalle que l’on remplit agréablement d’une sorte de petite dentelle dorée.

Si la roulette gravée représente une arabesque, il ne faut la pousser que des deux côtés en montant, et en faisant attention que la roulette soit tournée du côté convenable pour que les figures ne soient pas renversées lorsque le volume est debout, la tête en haut. On pousse une autre roulette insignifiante dans le haut et dans le bas.

Pour les bords des cartons, on appuie la couverture sur le plan incliné du billot à dorer les bords ; et, comme on le voit figure 89, l’on pousse la roulette contre le bord supérieur du billot, qui la dirige suffisamment.

Quelquefois on veut seulement pousser de la dorure sur la coiffe et sur les coins. On emploie la palette ordinaire pour la coiffe, et on la termine par un gros point ou une petite ligne. Pour les coins, on prend une palette dans le même genre, mais droite, et qui est ordinairement divisée en deux parties égales par une éminence qui sert de guide, afin de ne pas avancer plus d’un côté que de l’autre, et que les huit côtés soient égaux. Chaque partie de la palette est gravée d’un dessin particulier.


Après avoir doré, l’ouvrier s’aperçoit facilement si son fer a été trop chaud, ou si le volume sur lequel il l’a poussé présentait quelque humidité. Dans ces deux cas, l’or devient gris.

Lorsque le doreur a tout terminé, il enlève l’or superflu en frottant toutes les places avec un linge fin et propre, comme nous l’avons dit pour la coiffe, et il conserve à part ce linge, qu’on nomme drapeau à l’or, jusqu’à ce qu’il soit suffisamment chargé de ce métal ; il le jette alors dans la cloche à l’or (fig. 92), ou bien dans un grand vase, où il le laisse en dépôt jusqu’au moment qu’il aura choisi pour en séparer le métal, comme nous l’indiquerons plus bas.

§ 3. — combinaison des fers.

Savoir combiner entre eux les fers employés dans la dorure sur cuir est un des points les plus importants de l’art du doreur. Il est facile à l’ouvrier intelligent et que le goût dirige, de produire, avec un petit nombre de fers, une série très-nombreuse de fleurons extrêmement agréables et continuellement variés. Un exemple que nous allons prendre au hasard suffira pour donner l’intelligence de ces procédés.

Le grand fleuron, fig. 101 est formé seulement des deux fers fig. 101 x et z. Comme il s’agit non seulement de faire sur le plat de la couverture un joli fleuron dont on a conçu la composition mais encore de le placer d’une manière agréable, et de façon qu’il ne penche ni d’un côté ni de l’autre, pour cela l’ouvrier trace sur le plat, avec le tranchant d’un plioir, deux traits AA, BB, à angles droits, qui partagent la hauteur et la largeur du volume en deux parties égales, et se croisent dans le milieu du plat.

Il pose ensuite son fer, fig. 101 z de manière à ce qu’il remplisse un des angles droits que les deux lignes présentent au milieu ; il pousse une fois ce fleuron. Il en fait autant pour les trois autres angles droits. Cela fait, il a obtenu un grand fleuron désigné par les lettres a, a, a, a. Il ajoute ensuite sur chacune des lignes tracées le fleuron 101 x aux places marquées b, b, b, b, et il a obtenu le grand fleuron qu’il avait déjà conçu dans son imagination.

Si l’emplacement ne lui avait pas permis de placer sur les deux côtés le fleuron fig. 101 z il aurait pu le supprimer, n’y rien mettre, ou bien y pousser un gros point, ou bien un fer à étoile, à grénetis à pointes de diamant, etc. ; le fleuron n’en aurait pas été moins agréable. Il aurait pu également pousser aux points c, c, c, c, c, c, c, c le même fer : le grand fleuron aurait été encore plus orné.

Il serait superflu de multiplier davantage les exemples ; ce que nous venons de dire suffira aux lecteurs intelligents pour concevoir toutes les ressources que le goût peut leur donner, afin de former, avec un petit nombre de fers bien choisis, une infinité d’ornements plus agréables les uns que les autres.

§ 4. — choix des fers.

En parlant des fers, nous avons dit qu’ils doivent être, autant que possible, appropriés à la nature des matières traitées dans les ouvrages. Ce n’est pas tout il est encore indispensable qu’ils soient en rapport avec le style de l’époque où le livre a été imprimé ou est censé l’avoir été. Rien ne serait plus choquant que de voir un roman de nos jours décoré avec des fers du quinzième siècle ou l’un des premiers produits de l’art de Gutenberg avec des fers de 1810 ou de 1830. Malheureusement, il n’est pas rare de rencontrer des relieurs, même parmi ceux qui jouissent d’une grande réputation, manquer entièrement à ces principes, parce qu’ils ignorent l’histoire de leur art.

C’est pour les mettre en mesure de ne plus tomber dans de semblables erreurs que nous avons jugé à propos de joindre à la nouvelle édition de notre manuel quelques spécimens de fers, choisis parmi les monuments les plus authentiques de la reliure du quatorzième siècle à la fin du dix-huitième. Ils ont été exécutés par MM. A. Lofficiau et Munzinger, 40, rue de Buci, à Paris, qui, véritables artistes, sont au premier rang de nos graveurs de fers à dorer. Le dessin de ces spécimens a été fait par M. Munzinger ; ils ont été reproduits en photogravure par M. Michelet, de manière que les dessins ne subissent aucune altération à la gravure.

Quelques mots maintenant sur nos modèles.

Page 299. Fers monastiques. Imitations des ornements dont les premiers imprimeurs enjolivaient leurs livres de piété, ils annoncent la seconde moitié du quinzième siècle et le commencement du seizième. Leur nom vient de ce qu’ils, sont comme la continuation des merveilleuses miniatures dont les moines du moyen âge enrichissaient leurs manuscrits.

On sait que l’imprimerie a été inventée par Gutenberg à la suite d’essais et de tâtonnements sans nombre, dont les premiers eurent lieu à Strasbourg, vers 1436, et les derniers à Mayence vers 1450. On sait aussi que le premier atelier typographique fut établi dans cette dernière ville par l’inventeur lui-même, et que, à partir de 1461 ou 1462, l’art nouveau se répandit si promptement qu’en une dizaine d’années il se trouva établi dans toutes les contrées de l’Europe.

Les premiers imprimeurs s’appliquèrent à imiter les manuscrits, et ces imitations furent quelquefois si parfaites que certains d’entre eux purent faire passer les ouvrages sortis de leurs presses pour des œuvres de calligraphie, et les vendre comme telles. Cette supercherie ne cessa réellement que lorsque le caractère romain, créé à Rome, en 1466, par Swenheym et Pannartz, eût été généralement adopté.

C’est à cause de l’usage dont il vient d’être question, que les plus anciens livres imprimés ont leurs caractères en gothique, c’est-à-dire semblables à l’écriture du temps, et qu’en outre ils présentent des vignettes et des encadrements qui se rapprochent plus ou moins des vignettes et des encadrements, des manuscrits véritables, et, pour rendre la ressemblance encore plus frappante, on y faisait souvent exécuter, après l’impression, des enjolivements à la main par les plus habiles calligraphes.

I. — FERS MONASTIQUES
(XIVe ET XVe SIÈCLES).

Page 301. Fers italiens. Empruntés, comme les précédents, aux monuments de la typographie, plus particulièrement à ceux d’origine italienne. On les appelle aussi aldins, parce que les éditions des Alde, célèbres imprimeurs de Venise, en ont fourni de nombreux motifs. Ils caractérisent également la fin du quinzième siècle et, en outre, le commencement du siècle suivant. Ils furent d’abord pleins ; mais si, tirés en noir dans l’intérieur des livres, ils faisaient un bel effet, on trouva bientôt qu’ils étaient lourds sur la couverture, parce qu’ils donnaient en or des masses trop grandes, et l’on chercha à les rendre plus légers. Leurs contours furent respectés, mais on les allégit en les remplissant de fines hachures. Cette innovation produisit les fers azurés, qui abondent dans les reliures contemporaines de Grolier, dont ils sont une des marques distinctives. À la même époque, d’autres artistes, ne la trouvant pas suffisante, évidèrent complétement les fers, de manière à n’en plus laisser que les contours. Ces nouveaux fers reçurent le nom de fers à filets, et ils partagèrent avec les précédents, la faveur des bibliophiles.

C’est en Italie, à la fin du XVe siècle, c’est-à-dire : dès les premiers développements de l’imprimerie, qu’est née la reliure moderne. Nos bibliophiles en durent la connaissance aux grandes guerres de Charles VIII, Louis XII et François Ier. Jean Grollier, de Lyon, celui d’entre eux qui contribua le plus à en répandre le goût en France, était trésorier des guerres et intendant de l’armée du Milanais à l’époque de ce dernier prince, et il profita de son séjour à Milan pour commencer la formation de sa célèbre bibliothèque.

II. — FERS ITALIENS
(XVIe SIÈCLE).

Page 303. Fanfares, fers de Legascon. À partir du règne de Henri II, en France, la gravure des fers ne s’inspire plus de l’imprimerie ; elle demande ses motifs aux plus habiles dessinateurs. Alors paraissent les fanfares (moitié supérieure de la planche), fers de petites dimensions dont la combinaison formait des dessins de l’effet le plus heureux, et qui doivent leur nom, tout moderne, à un volume de Charles Nodier, appelé Fanfare, sur lequel Thouvenin avait reproduit un dessin de ce genre.

Au commencement du dix-septième siècle, Legascon, en inventant ou plutôt en généralisant l’emploi des fers pointillés (moitié inférieure de la planche), créa une ornementation d’une élégance infinie malgré la prodigieuse abondance des détails. « Bien qu’il se soit servi d’un canevas ancien, dit excellemment M. Marius, l’aspect de ses reliures est tellement changé, si nouveau par l’invention, ou, pour mieux dire, par l’application des fers pointillés, que Legascon restera pour toujours maître, et un maître qui est à la hauteur de ceux du XVIe siècle. Science solide dans l’ensemble, richesse, élégance, abondance, sans lourdeur dans les détails, il réunit toutes les qualités du décorateur. » Notons, en passant, que c’est Legascon qui a fait le premier usage, sur une grande échelle, des petits fers.

III. — FERS FANFARE. (XVIIe SIÈCLE).


IV. — FERS LEGASCON. (XVIIe SIÈCLE).

Page 305. Fers à tortillons. Ils caractérisent le dix-septième siècle. C’est également à cette époque que l’usage des riches dentelles a commencé à devenir général.

« Le plus grand mérite de Legascon est d’avoir su garder, au milieu de sa prodigieuse richesse de détails, les savantes qualités d’ensemble des maîtres. Au dix-septième siècle, on procède d’une autre manière c’est par la répétition des mêmes motifs, dans des positions différentes, que l’on arrive à un ensemble. Les belles reliures auxquelles Du Seuil a donné son nom, ces reliures à filets, soit droits et courbes, avec coins et milieux richement ornés, procèdent de cette manière. À la même époque, les armoiries jouent aussi un grand rôle dans la décoration du livre. On les trouve soit seules, soit accompagnées d’une marque, d’un emblème placé aux angles. Il y eut des bibliothèques dont tous les volumes étaient ornés de cette seule marque de leur propriétaire (M. Marius). »

Nous venons de nommer Du Seuil. Il s’appelait Augustin et était né aux environs de Marseille, vers 1673. Après avoir travaillé chez Philippe Padeloup, dont il épousa la fille, il devint, quelque temps avant 1714, relieur du duc et de la duchesse de Berry.

V. — FERS À TORTILLONS.
(XVIIe SIÈCLE).

Page 307. Fers de la transition, fers mosaïques. Ils marquent la fin du dix-septième siècle et le commencement du dix-huitième. L’ornementation est un peu moins élégante qu’à l’époque précédente. Les fleurs, les oiseaux, etc., se montrent au milieu des rinceaux les plus délicats.

Au commencement du dix-huitième siècle, les doreurs procèdent comme ceux du dix-septième ; mais les fers ont déjà subi des transformations importantes par l’introduction, comme il vient d’être dit, de fleurs, d’oiseaux, etc., au milieu de leurs rinceaux. En outre, à mesure qu’on avance, la décadence s’accentue de plus en plus.

Les reliures dites de Padeloup, appartiennent à cette époque ; elles doivent leurs « qualités décoratives plutôt à l’heureux emploi des maroquins de différentes couleurs qu’au mérite du dessin ou de l’exécution. » On compte treize relieurs portant le même nom de Padeloup, et appartenant à la même famille. Le plus ancien, Antoine, était établi bien avant 1650. Celui dont les œuvres sont devenues célèbres, est probablement Antoine-Michel, né en 1685, qui fut nommé relieur du roi en 1733, et qui le devint peut-être aussi de madame de Pompadour ; il mourut en 1758. Jean, un de ses fils, dut continuer les bonnes traditions de son père, car il fut nommé relieur du roi de Portugal.

VI. — FERS DE LA TRANSITION.
(XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES).

Page 309. Fers du XVIIIe siècle. La gravure des fers est en pleine décadence. Elle emprunte la plupart de ses motifs aux imprimeries de bas étage et ne produit, sauf de très-rares exceptions, que des ornements pâteux et sans caractère. Les reliures de De Rome, qui sont les plus sérieuses de l’époque, n’approchent pas, sous ce rapport, de celles de la période antérieure. Nous allons faire, pour la famille de ces artistes, ce que nous avons fait pour celle des Padeloups.

Il y a eu quatorze De Rome, et non Derome, comme on écrit souvent ce mot, tous relieurs et de la même famille, depuis le milieu du dix-septième siècle jusqu’à la fin du dix-huitième. Quel est le célèbre, celui dont on veut parler quand, dans un Catalogue de vente, un livre est signalé comme relié par De Rome ? On n’en sait positivement rien ; mais on suppose que ce doit être Jacques-Antoine, né vers 1696, et mort le 22 novembre 1761 : il est qualifié, dans son acte mortuaire, de « maître relieur et doreur de livres, ancien garde de sa communauté. »

VII. — FERS DU XVIIIe SIÈCLE.

Page 311. Petits fers. On a vu ailleurs ce qu’on entend par là. L’emploi de ces outils minuscules paraît remonter au seizième siècle, et c’est en les répétant des milliers de fois sur le plat des livres qu’on exécute ces compositions si gracieuses qui font l’admiration des amateurs. D’après Marius Michel, le doreur le plus renommé de notre époque, l’usage de donner à ce genre le nom de dorure à petits fers, a pris naissance du vivant de Legascon.


Nous arrêterons ici le nombre de nos modèles, ceux que nous donnons nous paraissant suffire pour guider, dans son choix, un ouvrier intelligent. Plus tard, quand nous réimprimerons notre volume, nous compléterons ce travail en offrant au lecteur une collection de reliures entières, plats et dos. Nous en trouverons des originaux, dont elles seront des spécimens fidèles, dans les collections publiques les plus riches et les cabinets particuliers les plus renommés.

VIII. — PETITS FERS.
§ 5. — observations diverses
1o Dorure de la Soie.

Nous n’avons parlé, à la page 280, de la manière de dorer la soie que comme d’un procédé commun à toutes les autres substances, parce qu’effectivement nous savons, par expérience, que le procédé qu’on suit pour appliquer l’or sur les peaux peut être également employé avec succès sur la soie. Quelques détails sur ce procédé nous paraissent indispensables.

On fait parfaitement dessécher le blanc d’œuf, afin de pouvoir le piler et le réduire en une poussière impalpable qu’on passe au tamis de soie. On met cette poudre dans une petite fiole qu’on coiffe d’un parchemin mouillé et bien tendu, comme les bouteilles dans lesquelles on renferme de la sandaraque en poudre pour l’usage des bureaux. On perce avec une épingle, quelques trous dans ce parchemin lorsqu’il est sec, et c’est de cette poussière de blanc d’œuf qu’on se sert pour l’assiette de l’or. On saupoudre ce blanc d’œuf sur toutes les places où l’on veut poser l’or ; on peut même se servir de sandaraque, cela est plus usité, surtout en Angleterre. Ensuite on prend une roulette d’un diamètre tel que sa circonférence convexe soit d’une étendue plus grande que la longueur du filet que l’on veut poser ; c’est avec cette roulette que l’on prend la feuille d’or laquelle a été coupée d’avance de la largeur convenable.

Il est facile de concevoir que si la roulette ne présentait pas une circonférence assez longue pour contenir, sans la doubler, une seule épaisseur d’or, le premier bout de la bande qu’on aurait pris, et qui se serait attaché à la roulette, serait recouvert par la fin de la bande ; il y aurait à ce point deux épaisseurs qu’on ne pourrait pas détacher : il est donc important que la roulette soit assez grande pour qu’on n’ait qu’une seule épaisseur.

Tout cela ainsi disposé, et après avoir fait chauffer la roulette plus fortement que pour le cuir et le maroquin, on passe dessus un peu d’huile avec le bout du doigt, on enlève avec elle l’or de dessus le coussin, et on le pose tout de suite sur la place où l’on a mis la poudre. On termine la dorure comme à l’ordinaire.

Lorsqu’on veut coucher l’or sur la soie après le glairage, en suivant le procédé indiqué page 280, on doit humecter les places glairées en dirigeant fortement l’haleine dessus, afin de donner au blanc d’œuf une certaine moiteur, et l’on pose l’or aussitôt. On pourrait le coucher à l’huile, en usant des précautions nécessaires pour ne pas tacher l’étoffe ; mais pour le velours, par exemple, rien ne vaut le blanc d’œuf en poudre et surtout la poudre de Lepage.

Quelques relieurs tracent d’abord l’ornementation, puis saupoudrent la soie avec de la poudre de Lepage et prennent l’or avec l’ornement dont ils se servent pour dorer. Le graissage de ce fer doit être très léger : une simple passe dans les cheveux suffit.

2o Dorure des milieux sur les plats.

Qu’on veuille pousser, sur le plat des volumes, des armoiries, des coins, des fleurons, il faut faire attention si tous les ornements doivent conserver ou non des portions mates. On glaire avec le blanc d’œuf et avec un pinceau, toutes les parties qui ne doivent pas être mates ; puis, sans attendre que ce glairage soit entièrement sec, car il doit conserver une légère humidité, on couche l’or. Pour cela, on ouvre la cou verture du volume, on place le carton sur le billot qu’on a déjà mis sur la presse, exactement au-dessous de la vis, le restant du volume tombant en dehors. L’or étant couché, on pose par dessus la plaque gravée, chaude au point de pouvoir à peine la tenir dans la main, lorsque la couverture est en veau, et moins chaude pour le maroquin. Cela fait, on serre la presse fortement, comme par un coup de balancier, et l’on desserre sur-le-champ.

L’ouvrier ne saurait porter une trop grande attention dans la manière dont il place les plaques sur la couverture en les mettant à la presse. Comme rien ne serait plus ridicule et plus désagréable à la vue qu’une plaque mal disposée, il doit prendre les précautions suivantes Il doit se servir de l’équerre, d’un compas et de la règle, mesurer bien les distances, afin que les armoiries ou les fleurons soient bien au milieu du plat, que les distances aux quatre bords soient bien égales entre elles, si la plaque le permet, ou au moins que les champs du haut et du bas soient parfaitement égaux entre eux, ainsi que les champs de côté. Il faut de plus que le fleuron, quel qu’il soit, ne penche ni d’un côté ni de l’autre. Rien ne prouve plus l’ignorance ou la négligence de l’ouvrier, que l’aspect d’un ornement mal disposé sur la couverture d’un livre ; il vaudrait beaucoup mieux qu’il n’y en eût pas.

Le meilleur guide est celui que l’on confectionne soi-même en coupant un papier du format du volume. On le plie en quatre pour avoir exactement le milieu ; les plis prolongent la mesure dans les deux sens ; en multipliant ces plis, on obtient des points de repère sur toute la surface.

Il faut bien faire attention, quand on applique une dorure au balancier, de ne pas frapper avec celui-ci des coups trop violents qui ont l’inconvénient, quand la peau ou le maroquin sont trop épais, de donner une dorure baveuse et où la délicatesse des lignes est gravement compromise par une pression trop forte. Le goût du relieur doit le guider ici comme dans toutes les autres parties de son art.

3o Observations Rebec.

Un habile relieur et doreur, M. A. Rebec, a publié dans le Technologiste, une notice dans laquelle il a décrit sommairement les procédés qu’il a eu l’occasion de recueillir ou de pratiquer dans l’art de dorer les livres, les albums, les portefeuilles, le cuir, la toile, le papier, le parchemin, le velours et la soie. On nous saura gré de reproduire une partie de sa notice. « De l’assiette en général pour cuir et papier Une des manipulations principales de la dorure est l’établissement de l’assiette qu’on néglige cependant assez souvent. Les éléments de l’assiette sont, 1o la dissolution de gélatine, 2o le blanc d’œuf.

« 1o Dissolution de gélatine. On prend un pot qui puisse aller au feu, et on découpe en petits morceaux du parchemin fait avec de la peau de cochon (et non pas avec de la peau de mouton). On introduit dans le pot, on fait bouillir jusqu’à évaporation de la moitié du liquide, et la dissolution est prête. La proportion des ingrédients est d’environ une partie en poids de parchemin pour trois parties d’eau.

« 2o Blanc d’œuf. Beaucoup de relieurs étendent leur glairage avec de l’eau et du vinaigre, mais je préfère beaucoup laisser le blanc d’œuf d’abord entier et sans le battre, et verser dessus pour chaque œuf, trois gouttes d’amoniaque puis battre avec soin.

« J’indiquerai à chaque article la manière de se servir de ces deux ingrédients.

« I. Cuir marbré ou à une seule teinte foncée. La couverture en cuir ayant été appliquée au volume, on la frotte avec de bonne huile de noix, on polit au brunissoir, ou dent, on étend un peu de colle de farine, on lave le tout avec de l’urine et on laisse sécher. Alors on fait chauffer la dissolution de gélatine, on en enduit une fois la couverture ; on laisse sécher, et enfin on glaire deux fois le tour au blanc d’œuf.

« Lorsque cette assiette est sèche au point de pouvoir passer impunément la main dessus, on la polit au brunissoir, comme à l’ordinaire, mais non pas aussi chaud, et l’on dore à l’huile de noix.

« La chaleur pour la dorure de l’écusson et des filets doit être modérée.

« II. Cuir apprêté anglais et allemand. Quand on veut dorer ces sortes de cuir avec beaucoup de propreté, il faut procéder avec un soin extrême. parce que autrement ils perdent toute leur beauté et leur mérite. Le volume ayant été couvert, on y imprime aisément le dessin à une chaleur modérée, on frotte à l’huile de noix, on étend un peu de colle de farine très-fluide, et on lave largement à l’eau seconde étendue. Enfin le dessin imprimé est glairé à deux reprises différentes avec un pinceau doux, et on dore à l’huile de noix. La chaleur pour la dorure est modérée pour le noir, le vert, le violet et le rouge, et un peu plus élevée, pour le brun.

« III. Chagrin gros grain et Chagrin. Ces deux sortes de cuirs exigent une attention et une propreté toutes particulières, attendu qu’elles acquièrent facilement des taches luisantes et graisseuses qu’il est difficile et même impossible d’enlever.

« Ces cuirs sont particulièrement propres aux impressions en noir et en or, et peuvent fournir de fort beaux produits. Le dessin doit être préalablement imprimé. On le décore en or ou en noir.

« Pour imprimer en or, on donne une seule couche au blanc d’œuf pur ou deux couches en coupant le blanc d’œuf ; il ne faut jamais en donner trois, ces couches superposées formant trop d’épaisseur, ce qui donne au cuir une teinte grise et sale.

« On doit huiler avec grand soin, autrement le cuir prend des taches qui ne disparaissent plus, et la dorure s’altère quand on veut les faire disparaître par le lavage. Lorsque le dessin est doré, on procède à l’impression en noir qui s’exécute à la cire blanche. La cire est étendue sur un petit morceau de peau sur lequel on applique le fer qu’on imprime aussitôt, puis on pinceaute avec le vernis des relieurs pour qu’elle prenne un beau noir et de l’éclat.

« La chaleur à la dorure et à l’impression en noir doit toujours être modérée.

« IV. Gros grain ou marocain. Les apprêts anglais ne sont pas bons ; il faut employer ceux des allemands.

« V. Encollage du veau. Quand le volume est recouvert de la peau, on mouille celle-ci avec de l’eau au moyen d’une éponge propre, pour n’avoir pas de taches. Quand elle est sèche, on l’enduit à deux couches avec de la gélatine claire ou de la colle d’amidon. ou encore de trois couches avec du blanc d’œuf pur. La chaleur doit être assez forte.

« Le veau ou la basane ne peuvent supporter l’huile avant l’encollage. On doit éviter d’employer les acides qui détruisent la peau, le vinaigre excepté.

« VI. Dorer mat le veau à la main. La peau sur le volume étant lavée et bien séchée, on y trace le dessin, on encolle une fois avec de l’eau de colle de pâte, une fois avec du lait, une fois avec la dissolution de gélatine, et deux ou trois fois avec le blanc d’œuf. Pour huiler avant de dorer, il faut procéder avec beaucoup de précaution pour ne pas faire des taches, qui ne disparaîtraient plus. L’assiette, lors de l’impression, doit être encore un peu humide, Dans cette opération, les fers doivent être très-chauds.

« VII. Imprimer le veau à la presse. Tout étant disposé, on imprime à la presse son fer à froid ; on enduit une fois avec du lait, puis deux à trois fois avec le blanc d’œuf. Dans cette dorure on laisse bien sécher l’assiette, afin que les dégradations ou nuances du fer se détachent et soient bien pures. L’or s’applique sans huile, et on le fixe en le pressant avec force avec du coton fin.

« VIII. Dorer le veau en couleur à la presse. Le travail étant imprimé, il faut découper des papiers un peu plus grands que le champ du fer ou de la plaque, les coller sur les bords en trois ou quatre doubles et imprimer simultanément ceux-ci. Alors on prend un couteau pointu et l’on pratique des découpures en parties distinctes, suivant le goût ou le besoin. Ce découpage terminé, on en colle les diverses parties à la colle de pâte, on laisse bien sécher le papier, on l’imprime une seconde fois, puis on enlève celui qui est encore sur le dessin, On enduit une fois avec du lait, deux fois avec le blanc d’œuf ; on laisse bien sécher, et enfin on imprime à une chaleur tiède, mais vivement.

« On dore comme précédemment. Bien entendu que le papier fin satiné est ce qu’il y a de meilleur pour cet objet.

« IX. Dorure sur cuir de Russie. On imprime le cuir lorsqu’il est sec ; on y passe un pinceau chargé de dissolution de gélatine, et on glaire deux fois. On applique l’or à l’huile avec précaution. La chaleur pour la dorure, doit être modérée.

« X. Velours. Quand on veut dorer sur velours, il faut doubler cette étoffe avec du papier : autrement l’or se détacherait promptement. Pour doubler, on se sert indistinctement de colle de gélatine ou de pâte, ou de gomme arabique dissoute dans de l’eau. Cette dernière est ce qu’il y a de mieux. Lorsqu’on a préparé son volume ou tout autre objet, on imprime assez chaud le dessin avec le fer, afin de rabattre le poil du velours, puis on saupoudre, sur une assez forte épaisseur, le dessin avec de la gomme-gutte réduite en poudre très-fine ; on prend l’or avec le fer et l’on applique une chaleur modérée et telle que la main puisse aisément la supporter, mais d’une manière vive et en passant partout également, seul moyen de relever le fer parfaitement net.

« La gomme-gutte pulvérisée finement est introduite dans un cylindre de carton fermé d’un bout et sur l’autre extrémité duquel on colle un morceau d’étoffe de soie ou de gaze, et qu’on frappe avec le plioir. Toute la portion fine se tamise ainsi, et l’on broie de nouveau le reste. « Le velours doit être constamment net et propre, attendu que la moindre malpropreté enlève l’or de dessus le velours.

« Quand l’or s’attache au fer, on frotte celui-ci avec un peu d’huile de noix qu’on verse sur un peu de coton.

« XI. Dorure sur soie. Il faut infiniment d’attention pour dorer sur étoffes de soie, à cause de leur faible épaisseur. Du reste, on procède absolument comme pour le velours, sinon que la pression n’a pas besoin d’être aussi considérable.

« XII. Dorure sur paper blanc et sur papier marbré. On procède sur papier comme au n° VI.

« XIlI. Dorure et argenture des cartes de visite. D’abord on fait une petite matrice en carton, puis on y pratique un léger rebord de la même substance, de manière à maintenir fermement les cartes pendant limpression. Quand tout a été imprimé ainsi, on enduit le fer à deux reprises différentes avec du blanc d’œuf épais, et l’on sèche jusqu’à ce qu’il n’y ait presque plus d’humidité. On pose alors sur ce fer l’or ou l’argent ; on l’y prese puis on donne au tout un coup de presse seulement. Le fer ne doit pas être trop chaud, mais imprimé presque à froid. Cela fait, on enlève l’excédent d’or avec du coton.

« XIV. Papier maroquiné. — Le papier maroquiné doit être glairé à deux reprises ; cette opération se fait à une chaleur modérée.

« XV. Titres sur papier. On procède comme pour le papier maroquiné.

« XVI. Dorure sur toiles anglaises. Ces toiles sont enduites de colle-forte, bien séchées, puis chargées, en une seule fois, d’une forte dissolution de gélatine et parfaitement séchées. De cette manière on parvient très-bien à les dorer. Cependant on peut, si on le veut, les glairer une fois. On peut aussi employer très-bien pour cet objet la pommade à dorer, mais alors il ne faut pas de blanc d’œuf.

« XVII. Dorure sur parchemin blanc. Le parchemin ayant été lavé à l’urine, le dorer à la graisse de porc et imprimer tiède et presque froid.

« XVIII. Autre manière. On prend du parchemin lavé comme ci-dessus, on le découpe en morceaux, on le fait bouillir pour en faire une colle et l’on enduit son parchemin en une seule fois, puis on glaire deux fois avec du blanc d’œuf frais et bien pur. Alors on dore à la graisse de porc et à une chaleur très-basse.

« Le parchemin coloré et mat peut être imprimé à la gomme-gutte et à une chaleur très-modérée.

XIX. Pommade à dorer. Il vient d’être question de la pommade dite à dorer. Pour faire cette composition, on prend :

Axonge…………………………. 90 gram.
Graisse de cerf………………… 30
Le blanc d’un œuf.
Sucs d’oignons de seille………. 3 gouttes.
Huile de noix…………………… 15 gram.

« On fait fondre l’axonge et la graisse de cerf dans un pot, on bat les trois autres ingrédients ensemble et avec soin, puis on les verse dans les matières grasses, lorsque celles-ci sont légèrement figées. Alors on bat vigoureusement ce mélange jusqu’à ce qu’il n’adhère plus aux parois du pot. »

On prépare la pommade à dorer de bien d’autres manières qu’on a tenues secrètes, mais on en fait actuellement moins d’usage. Voici toutefois une formule plus simple et qui réussit très-bien :

Axonge………………………… 125 gram.
Suc de scille maritime………… 30
Pommade à la rose…………… 30
Le blanc de 3 œufs

« On bat ensemble les blancs d’œufs et le suc de scille jusqu’à les convertir en mousse, puis sur un plat on manipule cette mousse avec la matière grasse jusqu’à ce que le tout soit parfaitement incorporé. »

§ 6. — du moyen de séparer l’or des chiffons qui ont servi à la dorure.

Nous avons dit (page 266) que le doreur opère toujours sur une caisse, afin d’y recueillir toutes les parcelles d’or qui se détachent pendant son travail ; et qu’il jette dans cette caisse tous les chiffons et le coton en rame dont il se sert pour enlever l’or superflu, lorsque ces chiffons en sont suffisamment chargés, jusqu’à ce qu’il en ait une assez grande quantité pour en extraire le métal précieux.

Nous avons ajouté qu’il jette et qu’il conserve dans la cloche à l’or (fig. 92) les chiffons et le coton pendant le travail et jusqu’à ce qu’ils soient assez chargés d’or ; il les jette alors dans la caisse. Voici comment on s’y prend pour en séparer l’or et le recueillir en entier. On met les chiffons dans une terrine de grès ; on introduit le tout dans un poêle, ou bien on place cette terrine sur un feu doux pour bien dessécher les chiffons ; on y met ensuite le feu et on laisse brûler, en ajoutant de nouveaux chiffons au fur et à mesure qu’ils se brûlent. Lorsque le tout est bien réduit en cendre, ou y mêle une quantité suffisante de borax en poudre, selon la quantité de cendres qu’on a et l’on plie le tout dans une feuille de papier qu’on lie avec une ficelle. Pendant ce temps, on prépare un bon creuset qu’on met dans un fourneau au milieu des charbons ardents ; on fait rougir le creuset ; ensuite on y jette le paquet de cendre tel qu’il est arrangé, on couvre le creuset, et on pousse le feu jusqu’à rougir le creuset à blanc. Le métal se fond et se rassemble en culot au fond du creuset. Lorsque le tout est froid on retire le métal.

Les laveurs de cendres agissent autrement. Dans un petit moulin en pierre dure, de la forme de ceux dans lesquels on broie l’indigo, on met les cendres avec du mercure coulant et pur, on tourne la meule supérieure, et l’on broie fortement. Le mercure s’empare de tout l’or, et laisse les cendres à nu. Alors on lave bien les cendres, l’amalgame de mercure et d’or se précipite, et lorsque les cendres ont entièrement disparu, le laveur met l’amalgame dans une cornue dont le bec recourbé plonge dans un vase plein d’eau. Après avoir ainsi préparé la cornue, et qu’elle a été posée sur un fourneau, au bain de sable, on allume le feu, qui n’a pas besoin d’ètre bien actif. Aux premiers degrés de chaleur le mercure se volatilise, et se dirigeant par le bec de la cornue dans l’eau, il s’y condense et reparaît sous la forme et le brillant métalliques, d’où on le retire pour servir dans une autre opération. On trouve l’or en poudre dans le fond de la cornue.

Si l’on a employé du mercure pur, comme nous l’avons prescrit, l’or se trouve aussi dans la cornue à l’état de pureté. On le fond dans un creuset avec du borax, comme dans le premier procédé ; mais l’on n’a pas besoin d’un creuset aussi grand et par conséquent d’une aussi grande quantité proportionnelle de charbon. Si l’or est allié, il faut en faire le départ. Cette opération n’est pas dans les attributions du relieur, ni dans celles du doreur.

§ 7. — gaufrure.

La gaufrure est une sorte d’ornement qu’on emploie beaucoup aujourd’hui sur les plats et sur le dos des volumes. On suppose qu’elle a été inventée par Courteval, au siècle dernier. Dans tous les cas, elle se fait avec des fers et des plaques comme la dorure, mais sans y appliquer de l’or. On peut aussi gaufrer avec des roulettes représentant divers dessins en damier ou en mosaïque, mais cela ne se pratique guère à raison de la lenteur et des difficultés. Entremêlée assez avec de l’or, elle produit de forts jolis effets. Enfin, elle fait partie de la dorure, et entre dans les attributions du doreur sur cuir. C’est elle qu’on désigne, comme nous l’avons déjà dit, sous le nom tout-à-fait impropre de dorure à froid.

Gaufrer, c’est graver profondément en relief des dessins plus ou moins compliqués. Lorsque ces derniers sont petits, ils sont poussés à la main avec des fers et des roulettes semblables à ceux du doreur. Quand ils sont grands, ils sont gravés sur des plaques de cuivre doublées de plusieurs cartons laminés, durs, collés ensemble, et ne formant qu’une égale épaisseur, comme pour la dorure, et alors ils se poussent à la presse.

Une presse, dans le genre de celles que représentent les figures 25 et 30, est très-bonne pour cela. Nous décrirons plus loin quelques-uns des appareils puissants, balanciers et autres, au moyen desquels on pousse les gaufrures dans les grands ateliers.

En faisant son travail, le gaufreur doit prendre certaines précautions que nous allons énumérer.

1o Si la gaufrure doit rester mate, et que le glairage se soit extravasé sur des places qui ne doivent pas avoir d’or, et qui ne doivent pas rester brillantes, il faut les laver proprement avec le bout du doigt enveloppé d’un linge fin et mouillé, afin d’enlever le blanc d’œuf.

2o Les fers à gaufrer doivent être seulement tièdes, surtout pour le maroquin. Sans cela, le trop de chaleur ferait brunir et même noircir la peau dans les endroits de la pression.

3o Les coins, les milieux des plats, et surtout les plaques doivent être poussés à la presse, comme pour la dorure ; mais les petits fers se poussent à la main.

Lorsqu’on veut, sur les plats, pousser des raies noires, droites, plus ou moins larges, ce qui fait très-bien, on se sert de plumes en fer, ou mieux de grosses plumes de cigne dont le bec est de la largeur nécessaire ; on les trace à l’aide d’une règle et en employant une de ces encres spéciales qu’on trouve, dans le commerce, toutes prêtes à être employées. S’il était impossible de se procurer un de ces liquides, on pourrait y suppléer en préparant une de ces compositions pour la teinture en noir dont le nombre est si grand, et, par exemple, celle dont voici la recette :

On met à tremper dans l’acide pyroligneux trés-fort, et pendant un temps suffisant, une certaine quantité de clous neufs, jusqu’à ce que le liquide soit chargé d’une bonne quantité de rouille (oxyde de fer) et que l’acide soit d’un jaune foncé. On y mêle une quantité de gomme arabique en poudre pour neutraliser une partie de l’action da l’acide et former une bouillie claire. Alors on passe cette bouillie sur la peau avec la plume, et en séchant, le trait noircit et acquiert une certaine épaisseur. On peut se servir avec avantage d’un tire-ligne qui donne la facilité de faire le trait de la grosseur qu’on désire.

Pour faire ces filets noirs sur le dos du maroquin, on se sert des palettes à filets en fer (on ne doit employer ni le cuivre, ni le laiton). On encre ces palettes ou bien, suivant l’usage ancien, on les charge à la chandelle de noir de fumée qui se dépose ensuite sur le cuir et s’y fixe.

On peut aussi pousser sur le dos un fleuron ou des palettes gaufrées ; mais il faut, avant de rien commencer pour la gaufrure, que le dos soit humide également ; ensuite on a un morceau de drap imbibé de suif, on fait chauffer le filet, on le pose sur le drap suiffé, et puis sur le dos du volume, à la place que l’on a compassée ou tracée ; on recommence plusieurs fois jusqu’à ce que ce filet soit bien noir et bien marqué. Le fleuron se fait de même, et c’est toujours un malheur lorsqu’on est obligé d’y revenir à plusieurs fois, car on court le risque de doubler le dessin.

Il faut une grande habitude pour apprécier la chaleur que doivent avoir les fers, et beaucoup d’exercice dans l’exécution. Si la peau est d’une couleur claire, et qu’on veuille que le dessin paraisse noir, c’est à la flamme d’une chandelle que l’on noircit très-également un fer bien évidé et d’un dessin assez délicat. Une fois ceci terminé, on prépare, avec des petits pinceaux à plume, les places où il doit y avoir de l’or. On peut aussi se servir de l’encre dont nous avons parlé à la page précédente.

La gaufrure exige donc les mêmes manipulations que la dorure à la seule différence près que, pour la gaufrure proprement dite, on n’emploie pas d’or.

§ 8. — emploi dans la reliure des percalines grenées ou gaufrées.

On fait actuellement beaucoup de reliures et surtout de cartonnages de livres courants en toiles gaufrées à l’avance, que le relieur n’a plus qu’à appliquer sur les volumes. Le gaufrage des toiles a même pris un développement si étendu qu’il est aujourd’hui l’objet d’une industrie particulière dont les produits sont infiniment variés et élégants. Les toiles gaufrées imitent, en effet ; le chagrin, le galuchat, la peau de truie, le maroquin, et peuvent recevoir une infinité de dessins et de couleurs qui en rendent l’emploi très-étendu et procurent à un prix modéré des reliures élégantes et légères.

L’emploi de la toile percaline a été d’abord indiqué par l’industrie anglaise pour la reliure des livres ; aujourd’hui elle est préparée, pour le même objet, avec un grand perfectionnement en France.

Cette toile, après avoir été vernie, peut recevoir la dorure sans les préparations qu’exige ordinairement la dorure sur cuir. Elle offre donc, au point de vue économique, un grand avantage sur la peau, dont le prix est toujours plus élevé.

Nous allons décrire, d’après M. Berthe, les préparations qu’on lui fait subir pour la grener et pour la rendre propre à être employée dans la reliure et dans le cartonnage.

On commence par préparer une colle composée de pieds de mouton, qu’on fait bouillir pendant huit heures dans de l’eau de rivière (1 demi-kilogramme de pieds pour 4 litres d’eau), et auxquels on ajoute peu à peu 9 décagrammes d’alun en poudre, en ayant soin de bien remuer le mélange.

Pour les couleurs tendres ou faciles à se détériorer, on remplace les pieds de mouton par de la colle de peau et de la gomme arabique.

Ces préparations sont passées au tamis fin et tenues constamment à un degré de chaleur convenable ; on les applique sur les étoffes avec une éponge, une brosse ou un pinceau. Lorsque l’apprêt est sec, on le lisse par les mêmes procédés que ceux qu’on emploie pour lisser le papier, ce qui lui donne le lustre nécessaire. Au moment de grener ou gaufrer les toiles, on les humecte au moyen d’une dissolution de gomme.

Le gaufrage s’opère, soit à l’aide d’une plaque de cuivre grenée ou gravée, qu’on applique sur le tissu et qu’on soumet ensuite à une forte pression, soit avec un rouleau ciselé, guilloché ou grené, selon le genre de dessin qu’on veut produire.

Les étoffes ainsi préparées se collent avec de la colle de Flandre, de la gomme ou de l’empois fort sur carton, bois, etc., pour recouvrir tous objets de reliure, de cartonnage et autres, en remplacement du papier et de la peau.


Nous terminons par ce chapitre les principales opérations de la reliure qui sont exécutées à la main ; nous allons nous occuper maintenant du travail fait au moyen des machines.