CHAPITRE IV

Racinage et Marbrure de la Couverture.


Observations préliminaires.

Le maroquin et le mouton maroquiné, le veau de couleur et le chagrin sont naturellement laissés avec les teintes que le teinturier en peau leur a communiquées. Au contraire, la basane ordinaire est enjolivée de différentes manières, afin de rompre l’uniformité de sa nuance, qui est rarement agréable. Il en est de même du veau non teint.

Les enjolivements se font après que la peau a été appliquée et collée sur les volumes. Ils se composent habituellement d’imitations de marbres ou de racines d’arbres. Quand on imite des marbres, l’opération s’appelle marbrure ; quand on imite des racines, elle prend le nom de racinage. On pourrait, avec les précautions convenables, marbrer et raciner les papiers tout aussi bien que les peaux, mais il est plus simple de se procurer ces derniers par la voie du commerce.

Avant de dire comment on procède dans les cas usuels, nous allons indiquer sommairement de quelle manière on prépare les peaux à recevoir les enjolivements, quelles sont les substances dont on a besoin, enfin quels sont les outils ou instruments nécessaires pour exécuter ce travail.

§ 1. — préparation des peaux

Certaines peaux, plus particulièrement les basanes, sont plus ou moins rebelles à recevoir le racinage et la marbrure. Une longue pratique peut seule permettre de le reconnaître. Quand le cas se présente, on peut remédier à cet inconvénient de la manière suivante :

La veille du jour où vous devez raciner, faites une décoction de 30 à 35 grammes de noix de galle pilée, dans un litre d’eau tiède et ajoutez-y une pincée de sel ammoniac, poussez le lendemain le feu jusqu’à ce que ce bain soit au grand bouillon pendant cinq ou six heures, puis donnez aux basanes une forte couche de cette préparation.

Du papier qui aurait reçu une ou deux couches tièdes de cette liqueur, pourrait être raciné ou marbré comme le veau.

En général, avant de raciner ou de marbrer, la couverture doit être légèrement encollée avec de la colle de farine ou mieux de la colle de parchemin bien limpide. On passe la colle également partout avec une éponge, et l’on marbre ou racine après dessiccation.

§ 2. — préparation des matières.
1. Couleur noire.

On peut préparer le noir d’un grand nombre de manières. En voici quelques-unes :

1o Faire dissoudre à chaud, du sulfate de fer (couperose verte) dans de l’eau pure. La peau étant toujours imprégnée de tannin et d’acide gallique dans le procédé du tannage, l’oxyde de fer contenu dans le sulfate se combine avec le tannin et l’acide gallique et donne le noir.

2o Faire bouillir dans une marmite de fonte de fer, deux litres de vinaigre avec une poignée de vieux clous rouillés, ou 31 grammes de sulfate de fer. On fait bouillir jusqu’à réduction d’un tiers, et l’on a bien soin d’écumer. On conserve ce noir dans le même vase bien bouché. Il prend de la qualité en vieillissant. Pour l’entretenir, on verse de nouveau vinaigre, on fait bouillir et l’on écume.

3o Faire bouillir ensemble deux litres de bière ; deux litres d’eau dans laquelle on a fait bouillir d’avance de la mie de pain, pour la rendre sûre ; un kilogramme de vieux fer, ou de la limaille rouillée, et un litre de vinaigre. On écume comme au no 2, on fait réduire d’un tiers, et l’on conserve dans un vase bouché.

Tous ces noirs s’emploient à froid. Pour empêcher que l’écume qui se forme en trempant plusieurs fois le pinceau dans la liqueur, ne s’attache à celui-ci, on prend un peu d’huile qu’on étend sur la main, et l’on en frotte l’extrémité des brins du chiendent.

2. Couleur violette.

On prend 250 grammes de bois d’Inde ou de bois de Campêche, coupé en éclats ou effilé ; on le fait bouillir à grand feu dans quatre litres d’eau, on y ajoute 31 grammes de bois de Brésil, aussi bien effilé ou en poudre ; on fait réduire à moitié, et l’on tire à clair. Après avoir remis ce liquide sur le feu, on y ajoute 31 grammes d’alun en poudre ou simplement concassé, et 3 grammes de crème de tartre ; et l’on fait bouillir assez de temps pour que ces sels soient dissous.

Cette couleur s’emploie à chaud.

3. Bleu chimique.

Le procédé donné par Pœrner est tout à la fois le plus simple et le meilleur. Il consiste à verser dans un vaisseau de verre 125 grammes d’acide sulfurique à 66°, et 31 grammes d’indigo finement pulvérisé ; à délayer peu à peu la poudre dans l’acide, de manière à former une espèce de bouillie bien homogène ; à chauffer le tout pendant quelques heures, soit au bain de sable, soit au bain-marie, à une température de 30 à 38 degrés centigrades ; à laisser refroidir, et à ajouter alors une partie de bonne potasse du commerce, sèche et réduite en poudre. On agite bien le tout, on laisse reposer vingt-quatre heures ; et l’on met gans une bouteille bouchée pour s’en servir au besoin.

La couleur de cette dissolution est d’un bleu si foncé, qu’il paraît presque noir ; mais on l’amène à telle nuance de bleu que l’on désire, par l’addition d’une quantité d’eau plus ou moins grande.

Quand on veut employer la préparation, on ne doit en prendre que la quantité nécessaire pour le travail, après l’avoir étendue de la quantité d’eau suffisante pour obtenir la nuance voulue. Si après le travail, il reste de la couleur, on doit la mettre dans une bouteille à part pour s’en servir une autre fois ; mais il faut bien se garder de la verser dans la bouteille qui renferme la dissolution première et non étendue : cette addition la gâterait entièrement.

4. Couleurs rouges.

On emploie trois sortes de rouges : 1o le rouge commun ; 2o le rouge fin ; 3o le rouge écarlate.

A. Rouge commun.

Dans un chaudron de cuivre étamé, on fait bouillir dans trois litres d’eau 250 grammes de bois de Brésil, ou bois de Fernambouc, réduit en poudre, et de 8 grammes de noix de galle blanche concassée. Quand le tout est réduit aux deux tiers, on y jette 31 grammes d’alun et 15 grammes de sel ammoniac, l’un et l’autre en poudre. Enfin, aussitôt que ces sels sont dissous, on retire la décoction du feu et on la passe à travers un tamis. On emploie cette couleur bouillante ; on la fait par conséquent chauffer si elle s’est refroidie.

B. Rouge fin dit écaille.

Dans six litres d’eau, on fait bouillir un demi-kilogramme de bois de Brésil ou de Fernambouc avec trente grammes de noix de galle blanche concassée. On passe au travers du tamis, on remet le clair sur le feu et l’on y ajoute 61 grammes d’alun en poudre, et 30 grammes de sel ammoniac pareillement en poudre. On laisse jeter un bouillon, et lorsque les sels sont dissous, on y verse plus ou moins de la solution d’étain par l’eau régale, connue sous le nom de composition pour l’écarlate, dont nous indiquerons plus bas, page 221, le procédé, après avoir parlé des couleurs. On emploie une plus ou moins grande quantité de cette solution selon la nuance qu’on désire.

Cette couleur s’emploie de la même manière que la précédente, c’est-à-dire bouillante.

C. Rouge écarlate dit belle écaille.

Dans deux litres d’eau bouillante, on jette 31 grammes de noix de galle blanche en poudre, et 31 grammes de cochenille aussi en poudre. Après quelques minutes d’ébullition, on y ajoute 15 grammes de la composition pour l’écarlate, dont nous venons de parler.

Cette couleur s’emploie chaude, comme les deux autres rouges.

5. Couleur orange.

Dans trois litres d’une dissolution de potasse à deux degrés, ou d’une bonne lessive de cendres de bois neuf, bien limpide, on fait bouillir 250 grammes de bois de fustet ; on laisse réduire le liquide à moitié, et l’on y ajoute 31 grammes de bon rocou pilé et broyé avec la lessive. Après quelques bouillons, on ajoute 8 grammes d’alun pulvérisé, et l’on tire à clair.

Cette couleur s’emploie chaude.

6. Jaune, à chaud.

Dans trois litres d’eau, on jette 245 grammes de graines de gaude, et on laisse bouillir. Lorsque la liqueur est réduite à moitié, on passe au travers du tamis, puis on ajoute au clair 61 grammes d’alun en poudre. On fait jeter quelques bouillons.

Cette teinture s’emploie chaude. Elle peut servir également pour le papier et la tranche des livres ; mais il faut la coller soit avec de l’amidon, soit avec de la gomme arabique.

7. Jaune à froid.

On fait macérer du safran du Gatinais dans une suffisante quantité d’esprit de vin ou de bonne eau-de-vie. La couleur est plus ou moins foncée suivant la plus ou moins grande quantité de safran qu’on emploie.

Cette liqueur s’emploie à froid ; elle se conserve dans des flacons bien bouchés. On peut l’employer comme la précédente, pour le papier et pour les tranches des livres, en la collant de la même manière.

8. La couleur fauve.

On fait bouillir dans deux litres d’eau jusqu’à la réduction de moitié, 31 grammes de tan et autant de noix de galle noire, l’un et l’autre on poudre. On obtient ainsi une couleur fauve, qui est bonne pour faire un bon racinage, dont le fond doit être fauve, mais qui ne donne pas l’avantage de pouvoir conserver un fond blanc.

9. Couleur brune.

On peut obtenir de trés-beaux bruns avec le brou de noix bien préparé. Pour cela, au moment où l’on recueille les noix, on l’amasse une quantité suffisante de leur enveloppe verte ; on pile cette matière dans un mortier pour en exprimer le suc ; on l’introduit dans un grand vase capable de contenir trois ou quatre seaux d’eau ; on verse dessus de l’eau suffisamment salée, jusqu’à ce que le vase soit plein ; on remue bien avec un bâton, et on laisse macérer après avoir très-exactement bouché. Après un mois de macération, on passe au travers d’un tamis, et l’on exprime bien le jus, même à la presse. Enfin, on met en bouteilles, dans lesquelles on ajoute du sel de cuisine, et l’on bouche.

Ce liquide qui loin de corroder les peaux, les adoucit, se conserve d’un an à l’autre, et ne produit de bons effets que lorsqu’il commence à prendre la fermentation putride.

10. Eau-forte ou acide nitrique.

Il ne faut pas employer, pour les racinages et les marbrures, cet acide pur ; il ne doit jamais être au degré de concentration où on le trouve dans le commerce, parce qu’il corroderait les peaux et les gâterait absolument. Il est donc indispensable de l’étendre, c’est-à-dire de l’affaiblir. Pour cela, on y ajoute d’abord la moitié de son volume d’eau, sauf à y en ajouter plus tard davantage, selon les circonstances que nous expliquerons.

11. Dissolution d’étain dans l’eau régale
ou composition pour l’écarlate.

L’eau régale, à laquelle on a donné ce nom parce qu’elle dissout l’or, qu’on appelait autrefois le roi des métaux, se compose d’acide nitrique et d’acide chlorhydrique.

Les sels qui contiennent de l’acide chlorhydrique, dissous dans l’acide nitrique, apportent dans cet acide l’acide chlorhydrique nécessaire pour changer sa nature et lui donner la propriété de dissoudre l’or, etc. ; mais, outre l’acide chlorhydrique que contiennent ces sels, tels que le sel ammoniac et le sel de cuisine, ils contiennent encore des alcalis qui donnent au rouge une teinte vineuse.

Il est donc plus avantageux d’employer l’acide chlorhydrique pur, au lieu de ces sels, et l’on a une bien plus belle couleur. Indiquons le procédé à suivre.

Lorsqu’on s’est bien assuré de la pureté des deux acides chlorhydrique et nitrique, qui doivent servir à composer l’eau régale, et qu’on est certain de leur degré de concentration, qui doit être de 33 degrés pour l’acide nitrique, et de 20 degrés pour l’acide chlorhydrique, on mélange ces deux acides avec les précautions suivantes :

On prend un ballon de verre d’une capacité double de l’acide que l’on veut avoir, en ayant soin de le choisir avec le col très-long ; on le place sur un lit de sable, l’orifice en haut. On y verse une partie d’acide nitrique pur et trois d’acide chlorhydrique. On laisse dégager les premières vapeurs, qu’il serait dangereux de respirer ; après quoi on couvre l’orifice avec une petite fiole à médecine renversée, qui ne joigne pas assez exactement avec le col du ballon pour trop contraindre les vapeurs, qui pourraient causer la rupture du vaisseau, mais qui puisse les retenir, autant que possible, sans faire courir aucun danger. L’eau régale est aussitôt formée. On pèse exactement le ballon qui contient l’eau régale ; on l’avait déjà pesé vide ; on distrait ce premier poids du dernier pour connaître le poids de la combinaison des deux acides sur lesquels on doit opérer. On projette dans cet acide, et par petites parties, le huitième de son poids d’étain.

Supposons que le ballon à moitié plein contienne 4 kilogrammes d’eau régale, on pèse bien exactement un demi-kilogramme d’étain fin en rubans ou on filets. On divise cet étain en trente-deux parties à peu près égales, de 15 grammes chacune ; on projette une de ces portions, et l’on couvre l’orifice du ballon avec la fiole à médecine renversée. L’acide attaque immédiatement l’étain et le dissout. Pendant ce temps, il s’élève beaucoup de vapeurs rougeâtres qui ne sortent pas du ballon, s’il a le col très-long, et qui se trouvent même retenues en grande partie par la fiole à médecine, lorsqu’elles arrivent jusque-là, ce qui est même rare, si l’on a eu la précaution de projeter l’étain par petites quantités. Quand on s’aperçoit que la première portion d’étain est presque entièrement dissoute, l’on en projette une seconde avec les mêmes précautions que pour la première, et l’on opère de même jusqu’à ce que les trente-deux portions aient été employées.

On remarque que les vapeurs rutilantes ou rougeâtres diminuent au fur et à mesure que l’acide se sature d’étain ; qu’il finit par ne plus s’en former, et que même, vers la fin de l’opération, les vapeurs qui remplissaient le ballon ont disparu, soient qu’elles rentrent dans la masse du liquide, soient qu’elles se divisent dans l’atmosphère.

Lorsqu’on emploie l’étain pur, il n’y a point de précipité ; mais comme l’étain n’a pas ordinairement le degré de pureté convenable, on obtient un précipité noir et insoluble, plus ou moins abondant, selon que l’étain est chargé de plus ou moins de parties étrangères. L’étain de Malacca est le plus pur ; il est avantageux de ne pas en employer d’autre.

Aussitôt que l’étain est complétement dissous, et que la liqueur est entièrement refroidie, on la verse dans des flacons fermés avec des bouchons de cristal usés à l’émeri, et on la conserve pour le besoin.

Au moment de l’employer, on en prend une partie qu’on étend du quart de son poids d’eau distillée.

En agissant ainsi, il ne se forme jamais, au fond du vase, le précipité blanc plus ou moins abondant que les teinturiers obtiennent presque toujours par les procédés qu’ils emploient.

Ce précipité blanc n’est autre chose que de l’oxyde d’étain, qui est perdu pour la teinture, puisqu’on se garde bien de s’en servir. La composition contient donc alors moins d’étain en dissolution qu’on ne se proposait de lui en faire contenir, et l’on est surpris, après cela, de trouver des résultats différents en opérant sur les mêmes substances, quoiqu’on en emploie les mêmes quantités.

12. Autre composition pour l’écarlate.

Pour préparer la composition d’étain, beaucoup de petits relieurs emploient le procédé qui suit, bien qu’il soit très-inférieur à celui que nous venons de donner.

Dans un pot de grès suffisamment grand, on jette 62 grammes de sel ammoniac en poudre, et 182 grammes d’étain fin de Malacca en rubans ou en filets : on y verse ensuite 375 grammes d’eau distillée, et on ajoute 500 grammes d’acide nitrique à 33 degrés. On laisse opérer la dissolution. On obtient toujours un précipité blanc, plus ou moins abondant, qui est de l’oxyde d’étain perdu pour l’opération. On laisse reposer, et l’on n’emploie que la partie liquide. Cette dissolution ne peut se conserver que deux ou trois mois ; la première, au contraire, se conserve indéfiniment.

13. Potasse.

On fait dissoudre, dans un litre et demi d’eau, 245 grammes de bonne potasse de Dantzick ou d’Amérique ; on tire à clair, et l’on conserve la liqueur dans une bouteille bouchée.

14. Eau à raciner.

Dans un vase quelconque on verse un ou deux litres d’eau bien limpide, et l’on y ajoute quelques gouttes de la dissolution de potasse, dont nous venons d’indiquer la préparation.

15. Préparation de la glaire d’œuf.

Sur les glaires de douze œufs on met 8 grammes d’esprit-de-vin ; on bat bien le tout avec un moussoir à chocolat, qu’on fait rouler vivement entre les deux mains jusqu’à ce qu’on ait beaucoup de mousse ; on laisse déposer, on enlève la mousse, et c’est le liquide clair qu’on passe avec une éponge fine sur toute la couverture. Il faut passer bien uniment et ne laisser ni globule, ni autre corps étranger.

Cette liqueur peut se conserver en bouteille pendant quelque temps.

Quand on glaire plusieurs fois, il faut bien laisser sécher la première couche avant de passer à la seconde, et ainsi de suite.

§ 8. — outillage.

De la célérité que l’on emploie, en racinant ou en marbrant les couvertures des livres, dépend la réussite de cette opération. Il est donc important que tout ce dont on peut avoir besoin soit disposé d’avance et sous la main, afin de pouvoir opérer le plus promptement possible.

Indépendamment des préparations dont nous venons d’indiquer la composition, il faut encore avoir des pinceaux, des éponges de différents degrés de finesse, des tringles en bois et des pattes de lièvre.

Les pinceaux sont faits avec des racines de riz, ou des racines de chiendent. Ils sont gros et ressemblent plutôt à des balais qu’à des pinceaux. Enfin, leurs manches sont d’un bois dur, tel que le houx, ont 3 centim. de diamètre, et sont formés d’une branche de cet arbrisseau. Il faut un pinceau pour chaque couleur et pour chaque ingrédient.

Pour raciner, il faut deux tringles  ; de 8 centim. de large, 4 centim. d’épaisseur, et de 2 mètres à 2 mètres 30 cent. de long. Elles sont creusées en gouttière profonde, dans toute leur longueur. On les fixe l’une à côté de l’autre sur deux blocs de bois, qui les retiennent inclinées du même côté, et dont l’un est plus haut que l’autre de 8 à 11 centimètres. Ces deux tringles sont placées à une distance assez grande pour que toutes les feuilles du volume puissent se loger entre elles. Les deux cartons de la couverture sont étendus sur les tringles.

Une troisième tringle est nécessaire pour couvrir le dos du volume lorsqu’on ne veut pas le raciner ou le marbrer. Cette tringle a 6 centimètres de large, plus ou moins, selon l’épaisseur du volume ; elle est creusée en rond, selon la forme du dos, et sa partie supérieure est creusée en gouttière.

Les pattes de lièvre s’emploient quelquefois en guise de pinceaux. On en coupe carrément, avec des ciseaux, le bout du poil à l’extrémité.

§ 4. — racinage.

raciner, c’est, on l’a vu, imiter avec plus ou moins de fidélité, des racines d’arbres, parfois aussi des arbres entiers, des arbres dépouillés de leurs feuilles. On prétend que ce procédé a été inventé en Allemagne, qu’il a passé en Angleterre, puis est venu en France. Pour le pratiquer, on place les volumes sur les tringles ci-dessus, la tête en haut, tous les feuillets entre les deux tringles, et les deux cartons posés à plat sur les mêmes tringles. On en met huit à dix à la suite l’un de l’autre, autant que les tringles peuvent en contenir. Ainsi que nous venons de le dire, quand on ne veut pas raciner le dos, on le garantit en le couvrant avec la tringle concave. Nous allons expliquer les moyens qu’on peut employer pour obtenir plusieurs sortes de racinages.

1. Bois de noyer.

Selon la direction que l’on veut donner aux racines, on cambre les cartons, soit pour les creuser, soit pour les arrondir. Si l’on voulait par exemple, que les racines partissent du milieu de la couverture, on creuserait les cartons ; on les bomberait au contraire si l’on voulait que les veines se réunissent sur les bords.

Cela fait, et les livres placés sur les tringles, comme nous l’avons dit, avec un des gros pinceaux dont nous avons parlé, on jaspe de l’eau bien également, et à grosses gouttes sur toute la surface de la couverture, et aussitôt qu’on voit les gouttes se réunir, on jaspe du noir en gouttes très-fines avec le pinceau du noir, et partout bien également ; on doit avoir soin de n’en pas trop jeter.

Après avoir jaspé en noir, et selon que la racine est plus ou moins foncée, on donne une teinte rougeâtre en jaspant plus ou moins avec de l’eau de potasse.

On laisse foncer les veines suffisamment, après quoi on essuie à l’éponge et on laisse sécher. Ensuite, on frotte toute la couverture et le dos, à sec, avec un morceau de drap fin, ce que les ouvriers appellent serger ou draper. On ne doit jamais se servir de serge pour cette opération. Cette étoffe serait trop rude ; non seulement elle enlèverait la couleur, elle attaquerait même l’épiderme de la peau. Il ne faut employer qu’un drap fin ou une flanelle ; ils unissent bien la surface et en commencent le polissage.

Quand le racinage est achevé, on noircit les champs et le dedans du carton avec du noir étendu de deux fois son volume d’eau, qu’on passe avec une patte de lièvre. Cette dernière opération se répétant à tous les volumes, nous ne la décrirons plus : nous l’indiquerons seulement lorsqu’on emploiera une autre couleur que le noir.

Observation.

Nous supposons ici que la peau est de sa couleur naturelle, c’est-à-dire fauve ; mais si le volume se trouvait déjà couvert avec une peau teinte d’une couleur quelconque, comme le vert, le bleu clair, etc., il faudrait faire l’inverse, c’est-à-dire qu’après avoir jeté l’eau, on jasperait la potasse, et ensuite le noir. Sans cette précaution, le racinage ne pourrait pas prendre à cause de l’acide qui entre dans la composition de ces couleurs.

Cette observation étant générale et s’appliquant à tous les jaspés, nous ne la répéterons plus.

2. Bois d’acajou.


Ce racinage se fait comme celui du bois de noyer (page 240). La seule différence consiste à laisser un peu plus foncer le noir et, un peu avant qu’il ne soit parfaitement sec, à lui donner, avec la patte de lièvre, deux ou trois couches de rouge bien unies. On laisse bien sécher, puis on frotte avec le drap et l’on termine par noircir les champs et le dedans des cartons.

En employant le même procédé, on peut faire des racines de toutes couleurs ; il suffit pour cela de donner une teinte unie. Le bleu s’emploie étendu dans la moitié de son volume d’eau, ou moins, suivant la nuance qu’on désire.


3. Bois de citronnier.

Lorsque le racinage est fait, comme pour le bois de noyer, mais le noir moins foncé, et un peu avant qu’il ne soit parfaitement sec, on appuie légèrement avec une petite éponge commune et à gros trous, trempée dans la couleur orange (no 5, page 232), et l’on imprime sur différentes places de la couverture et du dos, de petites taches en forme de nuages très-éloignés les uns des autres. Aussitôt après, avec une autre éponge semblable, on prend du rouge fin (no 4, page 232), et l’on répète la même opération, et presque sur les mêmes places. On laisse sécher, et l’on donne ensuite deux ou trois couches de jaune (no 7, page 232). On laisse sécher de nouveau et l’on frotte avec le drap. Cette teinte jaune doit être donnée avec la patte de lièvre, et de plus être abondante elle doit couler sur la couverture, sans cela elle ne pénétrerait pas dans le veau, et ne serait pas unie.

4. Loupe de buis.

Pour bien imiter les veines contournées de la loupe de buis, on cambre les cartons en cinq ou six endroits différents et en divers sens, puis on place le volume entre les tringles. Cela fait on jaspe de l’eau à petites gouttes, en procédant comme pour le bois de noyer (page 240) ; et on laisse sécher. On remet le volume entre les tringles, on jaspe de l’eau à grosses gouttes, et dès qu’elle coule, on jaspe par petites gouttes du bleu étendu dans un volume d’eau égal au sien. On fait en sorte de faire tomber les gouttes vers le dos, et pour cela on se sert de la barbe d’une plume. Ces gouttes se mêlent avec l’eau et coulent sur le plat sous forme de veines déliées, irrégulières et écartées les unes des autres. On laisse sécher et l’on essuie avec une éponge humide. Ensuite avec le rouge écarlate (no 4, page 232), on fait sur différents endroits des plats et du dos, comme on l’a fait pour le bois de citronnier. On laisse sécher, après quoi on donne deux ou trois couches, avec la patte de lièvre, de la couleur orange (no 5, page 232) ; on laisse sécher et l’on frotte avec le drap.

§ 5. — marbrure.

Appliquée à la couverture des livres, la marbrure est une simple variété de racinage. Elle donne le moyen d’imiter assez bien la plupart des marbres proprement dits et des autres matières minérales auxquelles on donne vulgairement le même nom. Nous allons indiquer quelques-uns des procédés qu’on emploie.

1. Marbre imitant la pierre du Levant.

On jaspe à gouttes larges, sur toute la surface de la couverture, du noir affaibli par environ neuf fois son volume d’eau. Lorsqu’on voit les gouttes se réunir, on jette sur le dos de la potasse avec les barbes de deux plumes réunies, et par intervalles de 3 à 4 centimètres, et tout près des mors, afin qu’elle coule sur les plats et qu’elle se réunisse au noir.

Pendant que la potasse coule, on jette de la même manière, et près de la potasse, de la composition d’écarlate ; elles coulent ensemble en se réunissant sur leurs bords, et forment chacune des veines séparées qui se fondent entre elles. Cela imite parfaitement les veines qu’on aperçoit sur la pierre du Levant. On laisse sécher le marbre, on le lave à l’éponge, on laisse bien sécher de nouveau, et l’on frotte avec le drap.

Faisons remarquer, en passant, que pour faire tous les marbres, on doit jeter le noir le premier ; sans cette précaution, il ne prendrait pas sur les autres couleurs.

2. Marbre imitant l’agate verte.

On opère comme pour le no 1 ; la seule différence consiste à remplacer la potasse par le vert, qu’on prépare à l’avance en mêlant du bleu avec du jaune en plus ou en moins grande quantité, selon qu’on veut la nuance plus ou moins foncée.

3. Marbre imitant l’agate bleue.

Le procédé est le même que pour le no 1 ; on remplace seulement la potasse par du bleu (page 230), plus ou moins étendu d’eau, selon la nuance qu’on veut avoir.

4. Marbre imitant l’agatine.

On opère encore ici comme pour le no 1. Seulement, après avoir jeté la composition d’écarlate (page 232) sur toute la couverture, on jaspe du bleu étendu dans quatre fois son volume d’eau, à petites gouttes écartées l’une de l’autre ; on laisse sécher, on lave à l’éponge ; on laisse bien sécher encore, puis on frotte avec le drap.

5. Marbre imitant l’agate blonde.

On commence par jasper du noir à petites gouttes très-écartées, ensuite on jaspe sur toute la couverture, à grosses gouttes, de la potasse étendue dans deux fois son volume d’eau ; enfin, on opère pour le reste comme au no 1.

On peut aussi, par un procédé analogue, imiter l’écaille, mais cela n’est plus guère usité.

6. Marbre imitant le cailloutage.

On jaspe à grosses gouttes du noir étendu dans dix fois son volume d’eau, sur toute la couverture ; on laisse sécher à demi, ensuite on jaspe de même de la potasse étendue dans deux fois son volume d’eau, et on laisse sécher. On reprend le volume, et l’on jaspe bien également, et par petites gouttes, du rouge écarlate (page 232), et on laisse sécher de nouveau. Enfin, on jaspe de même de la composition d’écarlate ; on laisse sécher et l’on frotte avec le drap.

7. Marbre imitant le porphyre veiné.

On jaspe bien également, et en grosses gouttes, du noir étendu dans deux fois son volume d’eau. Après avoir laissé sécher à demi, on jaspe de même de la potasse étendue dans une fois son volume d’eau, et on laisse sécher. On jaspe ensuite du rouge écarlate de la même manière, et on laisse encore sécher ; on jaspe ensuite du jaune presque bouillant et à grosses gouttes. Pendant que ces gouttes cherchent à se réunir, on jaspe du bleu étendu dans trois fois son volume d’eau, et tout de suite on jaspe la composition d’écarlate contre le bleu. Ces trois couleurs coulent alors ensemble sur les plats de la couverture, et forment des veines bien distinctes. On Iaisse sécher, et l’on frotte avec le drap.

8. Marbre imitant le porphyre œil de perdrix.

On jaspe sur toute la couverture du noir étendu dans huit fois son volume d’eau ; les gouttes doivent être petites, mais très-rapprochées, sans se confondre cependant. Dès que le noir commence à couler, on jaspe, sur le dos, de la potasse étendue dans deux fois son volume d’eau. On la jette près des mors, afin qu’en coulant sur les plats elle se mêle avec le noir qu’elle entraîne. On laisse sécher, ensuite on lave à l’éponge, et avant que le tout ne soit sec, on passe deux ou trois couches de rouge fin ; on laisse sécher et l’on frotte avec le drap. Enfin, on jaspe sur toute la surface avec la composition d’écarlate, en grosses gouttes également distribuées ; on laisse sécher et l’on frotte avec le drap.

9. Autre porphyre œil de perdrix ou à petites gouttes.

Avec la patte de lièvre, on passe la couverture en entier en rouge, ou en jaune, ou en bleu, ou en vert, bien uniformément ; sur l’une de ces couleurs, et lorsqu’elle est sèche, on passe de même du noir, étendu dans six ou huit fois son volume d’eau, et on laisse sécher ; ensuite, avec la composition pour l’écarlate, on jaspe par dessus des gouttes plus ou moins grosses, selon le goût du relieur. On obtient par ce moyen de petites taches plus ou moins grandes, rouges, jaunes, bleues ou vertes, selon qu’on a employé d’abord l’une ou l’autre de ces couleurs ; on laisse bien sécher et l’on drape, c’est-à-dire qu’on frotte avec le drap fin. L’œil de perdrix, proprement dit, est formé du bleu qu’on jaspe sur du noir étendu d’eau ; et, lorsqu’il est sec, on y jaspe de la composition d’écarlate.

10. Marbre imitant le porphyre rouge.

On commence par jasper sur toute la couverture, du noir étendu dans huit fois son volume d’eau, bien également et à petites gouttes ; on laisse sécher et l’on drape. On glaire ensuite (voyez no 15, p. 238) et l’on donne, avec une patte de lièvre, deux couches de rouge fin ; puis une de rouge écarlate, et on laisse sécher. Enfin, on jaspe, à petites gouttes, et le plus également qu’on le peut, de la composition d’écarlate ; on laisse sécher et l’on drape.

11. Marbre imitant le granit.

On jaspe sur la couverture, à points très-fins, du noir étendu dans vingt-cinq à cinquante fois son volume d’eau selon qu’on veut, une teinte plus ou moins foncée. On laisse sécher, et l’on réitère cette opération cinq à six fois ; on laisse sécher à demi, et l’on jaspe par dessus de la potasse à petits points également répandus ; on laisse sécher, on drape, ensuite on glaire (n 15 page 238) légèrement. Enfin, on jaspe avec la composition d’écarlate, comme on a jaspé avec la potasse ; on laisse parfaitement sécher, et l’on drape.

12. Autre marbre caillouté imitant le granit.

On doit ce procédé à Courteval. Trempez le pinceau à jasper dans le noir ; plongez-le ensuite dans 6 litres d’eau environ, selon ce que vous voulez marbrer. Secouez le pinceau sur une cheville de fer, jusqu’à ce que rien n’en tombe. Jaspez alors le livre. Quand il est bien couvert de taches imperceptibles, laissez bien sécher, puis jaspez légèrement çà et là avec une solution de sel de tartre. Laissez bien sécher de nouveau, sergez, glairez avec légèreté, puis, si vous le jugez à propos, jaspez encore avec de l’eau-forte affaiblie qui forme de petites taches blanchâtres. Le tout produit un cailloutage charmant.

13. Marbre imitant le porphyre vert.

Sur le volume encollé avec la colle de peau ou de la colle de parchemin, on forme un vert avec du bleu chimique (no 3, page 230) et du jaune de graine d’Avignon (p. 164), qu’on mélange en plus ou moins grande quantité, selon la nuance qu’on veut avoir. On jaspe à très-petites gouttes, et on laisse sécher ; on recommence à jasper de même jusqu’à trois fois ; on laisse bien sécher, et l’on frotte avec le drap. Pour avoir un porphyre plus élégant, on jaspe du noir, on laisse sécher ; ensuite on jaspe du vert dont nous venons de parler, et, après que le tout est sec, on jaspe du rouge fin nommé écaille (no 4, page 328) ; mais comme ce rouge ne pourrait pas mordre assez si l’on ne prenait que le clair, on y mêle un peu de son marc, et l’on y ajoute un peu de composition d’écarlate, qui sert de mordant. L’on jaspe avec cette liqueur, on laisse sécher et l’on drape.

14. Marbrures arborescentes.

Ce genre de marbrure, fait pour la première fois en Allemagne, puis très-usité en Angleterre, est exécuté comme il suit. On courbe les plats de la couverture en forme de gouttière, puis on applique les couleurs liquides sur les bords du côté du dos et du côté de la gouttière, de sorte qu’en coulant vers le milieu, où elles se réunissent, elles forment des ramifications semblables à des branches d’arbres.

Observation générale.

Les exemples que nous venons de donner sont plus que suffisants pour diriger celui qui se livre à la reliure ; il ne faut que du goût et l’amour de son état. À l’aide des couleurs que nous avons décrites, et des procédés que nous avons Indiqués, il est facile de varier à l’infini les marbres sur les couvertures des volumes. En voici un exemple pris au hasard sur le marbre imitant la pierre du Levant.

Il est facile de comprendre qu’avec un peu de goût, l’ouvrier peut varier cette sorte de marbre de mille manières différentes, en combinant deux à deux, trois à trois, quatre à quatre, cinq il cinq, six à six, les six couleurs qu’il a à sa disposition : 1o la couleur de racine posée du dos à la gouttière ; 2o la potasse forte ou faible ; 3o le vert plus ou moins foncé ; le bleu pur ou affaibli ; 4o le rouge plus ou moins intense ; 5o la composition écarlate. Il serait superflu d’entrer dans de plus grands détails sur cet objet ; passons aux teintes unies ou rehaussées d’or.

§ 6. — teintes unies ou rehaussées d’or.

Nous avons dit que pour les jaspés et pour les marbres, il faut toujours commencer par encoller les couvertures avec de la colle de parchemin bien limpide ; il en est de même pour les teintes unies ; ainsi nous ne le répèterons pas à chaque article.

1. Couleur terre d’Égypte.

Avec la patte de lièvre, on passe également de l’eau de javelle sur toute la surface du veau encollé, jusqu’aux mors. On passe plus ou moins de fois, selon qu’on désire une nuance plus ou moins foncée. Il est bon d’observer que les teintes noircissent toujours par les opérations subséquentes, telles que l’encollage, qui est indispensable pour les veaux unis, le glairage et la polissure ; par conséquent on doit les laisser plus claires qu’on ne veut les avoir. Il en est de même sur la basane, mais les nuances ne sont pas aussi belles.

2. Couleur raisin de Corinthe.

Après l’encollage, on donne, avec la patte de lièvre, une couche de noir étendu dans vingt ou vingt-cinq parties d’eau, selon la nuance. On fait en sorte que cette couche soit bien uniforme et sans nuages ; lorsqu’elle est à moitié sèche, on passe de même, et bien également, une couche de potasse étendue de partie égale d’eau ; on laisse sécher, on frotte avec le drap, ensuite on glaire, et l’on donne deux ou trois couches de rouge fin (no 4, page 232) ; on laisse bien sécher et l’on frotte avec le drap.

3. Couleur verte.

Après avoir glairé légèrement sur l’encollage sec, on donne, avec la patte de lièvre, trois ou quatre couches de vert qu’on a préparé d’avance comme pour le porphyre vert (page 247). On laisse sécher, puis on lave avec de l’eau-forte étendue dans trente fois son volume d’eau, de manière à présenter au goût l’acidité du vinaigre. On peut y suppléer par du bon acide pyroligneux étendu dans six fois son volume d’eau ; on laisse bien sécher et l’on drape.

4. Couleur bleue.

On glaire légèrement ; ensuite avec la patte de lièvre, on passe quatre ou cinq couches de bleu chimique (no 3, page 230), étendu dans une plus ou moins grande quantité d’eau selon la nuance qu’on désire. Cette couleur tire un peu sur le vert, à cause de la couleur jaune du veau, qui lui donne ce reflet ; mais on la ravive en lavant la couverture avec de la composition d’écarlate étendue dans trois ou quatre fois son volume d’eau ; on laisse bien sécher, et l’on drape.

5. Couleur brune.

On donne trois ou quatre couches parfaitement égales de noir étendu dans trois ou quatre parties d’eau, en prenant bien soin que ces couches soient parfaitement unies et sans nuages. Lorsque la couverture est à demi-sèche, on donne une couche de potasse qui fait prendre au noir une teinte roussâtre. On peut varier cette couleur à l’infini, en étendant le noir, ainsi que la potasse, dans une plus ou moins grande quantité d’eau. On peut encore obtenir des couleurs brunes unies, très-belles et agréables, par l’emploi du brou de noix, dont on donne deux ou trois couches, toujours avec la patte de lièvre. On étend le brou dans une plus ou moins grande quantité d’eau, selon la nuance désirée. Dans ce dernier cas, on laisse bien sécher ; puis on drape.

6. Couleur Tête-de-Nègre.

La tête-de-nègre est une couleur noire tirant sur le bleu, avec un reflet rougeâtre ; pour l’imiter, on donne trois couches de noir étendu dans un volume d’eau égal au sien ; on laisse sécher, on glaire, et l’on donne deux ou trois couches de rouge commun (lettre A p. 231) ; on laisse sécher et l’on drape.

7. Couleur gris-de-perle.

Cette couleur est la plus difficile à obtenir dans tout son éclat, bien unie et sans nuages. Pour y parvenir, on mouille d’abord bien également, avec une éponge, la peau dans toute son étendue, ensuite on donne plusieurs couches d’eau dans laquelle on a délayé quelques gouttes de noir, pour former un gris très — pâle. Plus ce gris est faible, mieux on réussit ; plus on passe de couches, plus on rend le gris foncé. Lorsqu’on a atteint la nuance qu’on désire, on passe une légère couche de rouge fin, écaille (no 4, p. 232), étendu dans beaucoup d’eau, pour donner un léger reflet rougeâtre ; il faut que ce rouge puisse à peine être distingué.

On peut obtenir un gris clair très-agréable, en passant, au lieu de rouge, une couche de potasse étendue dans beaucoup d’eau.

8. Couleur de lapis-lazuli.

Tout le monde sait que le lapis-lazuli est une matière minérale bleu clair, veinée d’or. L’imitation de ses veines et de tous ses accidents n’est pas aisée, il faut connaître un peu l’art de la peinture, et savoir assez habilement manier le pinceau, pour bien imiter la nature. Aussi ne fait-on cette couleur que sur des ouvrages précieux et pour lesquels on est dédommagé des soins qu’on se donne.

Après l’encollage on place le volume entre les tringles à raciner, et, avec une éponge qui présente de grands trous, et qu’on a trempée dans du bleu chimique étendu dans dix fois son volume d’eau, on fait des taches légères sur toute la couverture, à des distances irrégulières ; ces taches sont comme de légers nuages. On ajoute un quart de partie de bleu de Prusse, et après l’avoir bien mêlé, on imprime de nouveaux nuages un peu plus foncés. On répète cinq ou six fois cette opération, en ajoutant à chaque fois un quart de partie de bleu. Toutes ces couches doivent former des nuances qui se dégradent comme dans la nature, et il serait bon d’avoir un modèle artistement peint, afin d’en approcher le plus possible. On laisse bien sécher, ensuite on drape.

On ne doit poser les veines d’or que lorsque la couverture est dorée, les gardes collées, en un mot, quand le livre est prêt à être poli.

L’on veine en or avec de l’or en coquille ; le mordant dont on se sert pour le faire prendre et tenir solidement, se prépare avec une partie de blanc d’œuf auquel on ajoute une partie d’esprit-de-vin et deux parties d’eau bien claire ; on bat le tout ensemble, et l’on tire à clair. On humecte une petite quantité de poudre d’or avec ce liquide, et on l’applique avec un de ces très-petits pinceaux dont se servent les peintres en miniature. Avec le doigt on masse l’or et on le fond en différents endroits pour imiter la nature : on ne peut donner aucune règle à cet égard ; le goût seul doit diriger l’ouvrier. Lorsque celle opération délicate est terminée, on laisse bien sécher, et l’on polit avec un fer à polir à peine chaud. C’est une des plus belles reliures de luxe qu’on puisse exécuter.

9. Marbre en or.

On peut l’exécuter sur toutes sortes de fonds unis. On prend un morceau de drap fin, plus grand qu’un côté de la couverture, on le plie par la moitié de sa longueur ; on pose ce drap ainsi plié, sur un carton, et on le déplie, en laissant retomber la moitié sur le carton. On étend sur cette moitié du drap, à gauche, la moitié d’une feuille d’or battu, en faisant attention de ne pas dépasser la grandeur de la couverture, après en avoir distrait quelques lignes pour la place de la roulette que l’on se propose d’y pousser ; cette précaution est nécessaire pour ne pas employer de l’or en pure perte.

Ces préparatifs terminés, on replie le drap sur l’or, et on passe la main dessus en appuyant fortement, sans laisser glisser le drap. Cette compression divise la feuille d’or en une infinité de petits points, qu’on écarte même entre eux, avec la pointe d’un couteau, dans le cas où ils ne le seraient pas assez. L’or étant ainsi préparé, on passe sur un côté du volume du blanc d’œuf délayé dans son volume d’eau, et l’on applique ce côté de la couverture sur le drap couvert d’or, en appuyant fortement avec la main. Alors, en ayant bien soin de ne pas déranger le volume de place, et de ne pas le laisser glisser, on soulève avec précaution, et tout à la fois le volume, le drap et le carton ; on retourne le tout sens dessus dessous, on enlève le carton, on le remplace par une feuille de papier sur laquelle on passe fortement la main afin de bien appliquer l’or sur la couverture. Après avoir ôté le papier, on enlève proprement le drap, et tout l’or reste fixé sur ce côté de la couverture, en y plaçant une feuille de papier et frottant dessus avec la paume de la main.

Quelque soin que l’on ait pris pour ne pas laisser passer l’or sur l’endroit que l’on a voulu réserver pour la roulette, il est rare qu’il ne s’en écarte pas. Dans ce cas, on mouille le bout du pouce, on le pose sur la seconde phalange de l’index plié à angle droit ; cela forme une espèce d’équerre, de manière que le pouce déborde de toute la largeur du dessin de la roulette qu’on a choisie : on fait glisser l’index plié contre le bord du carton, et le pouce, en frottant sur le plat de la couverture, enlève avec facilité l’or qui est parvenu de ce côté puisque le blanc d’œuf n’est pas encore sec. Ce procédé est prompt et peu dispendieux.

Observations genérales sur le contenu
de ce dernier paragraphe.

Il serait superflu de s’étendre davantage sur les moyens de donner aux couvertures toute l’élégance dont elles peuvent être susceptibles. Il eût été facile de multiplier les procédés en en combinant plusieurs ensemble ; mais c’eût été fatiguer le lecteur par des redites continuelles. Nous avons préféré laisser au goût et à la sagacité de l’ouvrier le soin d’en inventer de nouveaux.

§ 7. — opérations complémentaires.

Aussitôt que le livre est sec, après qu’il a été raciné ou marbré, on le met en presse entre deux ais bien propres, et que l’on a soin de placer bien juste aux mors. On serre fortement, afin de bien unir les plats, et pendant qu’il est ainsi serré, on efface sur le dos, à petits coups de marteau, quelques petites éminences que l’humidité a occasionnées sur la peau pendant le racinage et la marbrure. On doit surtout frapper en tête et en queue, pour abaisser ces deux extrémités, qui ont toujours de la tendance à s’élever, ce qui rend le dos creux dans sa longueur, tandis qu’au contraire il doit présenter une ligne droite bien parallèle à la gouttière.

Il suffit de laisser le volume en presse pendant une heure. On peut le sortir au bout de ce temps. Néanmoins, si la presse est libre, il ne peut que gagner à y rester davantage.