Manifeste contre Bolivar

PÉROU.

MANIFESTE CONTRE BOLIVAR[1].


Le général Bolivar, après avoir déclaré la guerre au gouvernement péruvien, a publié un manifeste, dans lequel il fait connaître les motifs qui le portent à tourner ses armes contre une nation généreuse qui l’a comblé d’honneurs, et qui malheureusement a eu la faiblesse de lui confier ses destinées. C’est une grande satisfaction pour le gouvernement péruvien et un honneur pour le peuple qu’il gouverne, que les seules raisons présentées dans le manifeste pour pallier cette agression, soient ces injustes et calomnieuses accusations si fréquemment intentées par plusieurs journaux colombiens, mais réfutées de la manière la plus victorieuse par ceux du Pérou, et par le ministre que nous accréditâmes près de la république colombienne.

Les nations de l’Amérique et de l’Europe, qui, jusqu’à présent, n’ont pas vu sans surprise une république naissante réunir une armée sur ses frontières, comme si elle était menacée d’une guerre inévitable, jugeront de la prudence et de la prévoyance qu’a déployées le gouvernement péruvien, en plaçant le pays dans un tel état de défense, qu’il ne peut craindre aucune surprise, ni être soumis de nouveau à la politique perfide et à l’ambition d’un auxiliaire qui l’a déjà tenu dans un honteux esclavage. Le gouvernement péruvien, toujours franc dans sa conduite, en appelle ici au jugement des hommes impartiaux, et à la malheureuse, quoique salutaire expérience, qui, dans le siècle actuel, a imprimé un stigmate de sang sur le front d’un guerrier qui, après avoir asservi sa propre patrie, veut subjuguer encore les nations voisines.

De tous les états du Nouveau-Monde, nul n’a montré plus d’intérêt pour la prospérité de la Colombie, que le Pérou. À peine l’affranchissement d’une partie de son territoire fut-il proclamé, et bien qu’il n’eût pas encore une armée suffisante pour renverser le pouvoir de l’Espagne, le Pérou ne songea pas aux dangers que courait son indépendance, et envoya une forte division qui s’unit aux Colombiens, dans la mémorable bataille de Pichinchina. Cet important secours donné à propos, lorsque le Pérou n’avait en vue que de délivrer la Colombie du péril qui menaçait ses provinces du sud, et de lui fournir les moyens de réparer ses anciennes défaites, imposa au gouvernement colombien le devoir de la réciprocité. Il envoya à son tour, en 1822, une division de ses troupes pour prendre part à la guerre de l’indépendance du Pérou. La conduite impérieuse des officiers qui la commandaient et le déplaisir qu’ils manifestaient de s’allier à nos soldats ; leurs prétentions d’agir seuls, et d’occuper une province éloignée du danger ; et, par-dessus tout, les dures conditions qu’ils imposaient continuellement au gouvernement péruvien, nous obligèrent à les renvoyer comme inutiles et à charge. Les plans de la campagne, formés d’après la supposition que les Colombiens devaient combattre avec nous, furent donc renversés entièrement, et son résultat qui avec leur coopération eût été favorable, et eût anéanti la puissance espagnole, ne servit qu’à aggraver la situation du Pérou, incapable de lever à l’improviste des troupes assez nombreuses pour combler le vide qu’avait produit le départ des Colombiens. C’est avec une conduite aussi déloyale que les chefs de la division envoyée par Bolivar reconnurent les services héroïques et fraternels que le Pérou avait rendus aux Colombiens…

Les Espagnols, vers le même temps, remportèrent une victoire qui aurait dû entraîner après elle la ruine totale de la Colombie, si le gouvernement du Pérou avait disposé de ses troupes en occupant les places que l’ennemi laissait sans défense. Les terribles conséquences de cette calamité furent non-seulement les pertes essuyées par nos soldats, mais encore les convulsions politiques qui éclatèrent dans la république, et nous obligèrent à recevoir une seconde fois comme auxiliaires ceux auxquels nous ne pouvions accorder de confiance, et que nous soupçonnions justement d’être plutôt disposés à nous dominer qu’à contribuer, en leur qualité d’amis, à la liberté de la nation. Des faits ultérieurs ont prouvé que telle était leur fatale mission.

En abordant cette désastreuse période, le gouvernement péruvien peut très-aisément montrer au monde les intrigues et les manœuvres frauduleuses auxquelles eut recours le général colombien, afin d’aggraver le malheureux état du pays, et de le jeter dans l’alternative pénible de se mettre sous la protection d’étrangers qui cherchaient à obtenir, en paix comme en guerre, le commandement suprême sur un peuple opprimé par leurs satellites. Mais la grande victoire que les Colombiens nous aidèrent à gagner à Ayacucho, ayant effacé de notre esprit nos justes motifs de ressentiment, le gouvernement péruvien passera de telles machinations sous silence, et ne parlera dans ce manifeste que des insultes et des outrages sans nombre prodigués à la nation, depuis l’époque où le général Bolivar, bien que le pays fût entièrement évacué par les Espagnols, ne voulut pas lui permettre d’être gouvernée par d’autres lois que celles qu’il dictait, et la plaça dans un état d’abjection et de nullité, où elle n’était jamais tombée, même au moment de ses revers.

La victoire d’Ayacucho ayant mis fin à sa monstrueuse dictature, le général Bolivar convoqua de nouveau le congrès qui lui avait conféré cette autorité. Ici il est nécessaire de remarquer que cette assemblée n’avait pas le moindre pouvoir, 1o parce qu’en présentant la constitution, elle avait rempli le seul objet de sa mission ; et 2o parce que la plupart de ses membres avaient été choisis, tandis que les Espagnols étaient maîtres de la majeure partie du territoire. Le général Bolivar se démit alors du pouvoir dictatorial, assuré d’avance qu’il y serait maintenu. Les scènes les plus honteuses eurent lieu à cette occasion, et le dictateur cacha hypocritement son absolutisme sous le titre doux et affectueux de libérateur. Il déguisa ainsi l’odieuse et exécrable dictature, tolérée et supportée seulement au milieu des dangers d’une situation désespérée.

Investi une fois d’un pouvoir sans bornes, le général Bolivar s’appliqua entièrement à sacrifier à ses intérêts personnels la liberté et l’existence du Pérou. Il convoqua un congrès, dont il empêcha ensuite la réunion, dans la crainte qu’il ne s’opposât à ses projets. Il menaça la capitale de retirer ses troupes, et de la punir de la manière la plus sanguinaire et la plus atroce. Ses agens, en même temps, persuadèrent aux habitans qu’il vaudrait mieux se soumettre que d’éprouver l’horrible vengeance qu’il tirerait de la soi-disant injure qu’on lui avait faite, en ne lui accordant qu’un pouvoir limité, au lieu du pouvoir absolu qu’il exerçait. Le conseil du gouvernement n’étant qu’un fonctionnaire subalterne et obligé d’agir suivant la direction que le dictateur jugeait à propos de lui donner, écrivit à toutes les corporations, pour qu’on sollicitât le plus respectueusement possible le général Bolivar de rester au Pérou, bien que rien n’en dénotât la nécessité, et qu’au contraire on eût tout à craindre de son ambition mal dissimulée.

En suspendant le congrès Bolivar écarta le seul obstacle puissant qui entravait son ambitieuse carrière, et rien ne put alors l’empêcher de mettre à exécution sa politique malfaisante et ses plans antérieurs. Il donna la constitution bolivienne, foulant aux pieds toutes les formes légales, dépréciant la souveraineté du peuple, privant la nation de la faculté de se donner des lois, prérogative essentielle dans laquelle consiste son indépendance ; Bolivar s’établit monarque du Pérou. On lui confia donc à vie les affaires de la république, grâce aux suffrages d’hommes dénués de tout pouvoir et de toute autorité.

Il a été nécessaire de donner cette rapide esquisse des actes politiques du général Bolivar, afin que toutes les nations pussent être convaincues de l’accusation calomnieuse portée centre le peuple péruvien et de l’injuste guerre que la Colombie vient de lui déclarer. Cependant il a conservé et conserve encore pour elle la plus sincère amitié cimentée par l’uniformité des intérêts et fortifiée par les services réciproques que les deux états se sont généreusement rendus pour obtenir leur indépendance. C’est sur de vains et ridicules prétextes que le général Bolivar essaie de fomenter la haine entre la Colombie et le Pérou ; car il voudrait établir à leur préjudice un pouvoir absolu, dont le Pérou s’est enfin délivré…

Nous souffrîmes avec une héroïque patience l’occupation de forces étrangères inutilement coûteuses, qui maintinrent le général Bolivar sur notre territoire sans le consentement de la nation. Le congrès provisoire de l’année 1825 ne demanda pas à la Colombie une armée auxiliaire ; mais il vota seulement la continuation du séjour de Bolivar, espérant, d’après les apparences et la bonne foi qu’on lui croyait, qu’il établirait graduellement un système libéral, qui se terminerait par l’observation complète de la constitution…

Lorsque la puissance des factions et les fureurs de l’anarchie exigèrent la présence du général Bolivar en Colombie, il quitta le Pérou sans amener avec lui, comme il le devait, les troupes auxiliaires. Celles-ci, ayant résolu de ne pas demeurer indifférentes aux dissensions de leur pays, tentèrent un soulèvement qu’excuse l’amour de la patrie, si la discipline militaire le condamne. Des soldats qui avaient versé leur sang pour la liberté et juré de défendre ses institutions, les voyant à la veille d’être détruites chez eux, se laissèrent entraîner à cette impulsion patriotique qui leur avait fait braver tant de périls sur les champs de bataille ; ils suivirent le même exemple que leurs compagnons d’armes en Colombie qui prirent part à une si noble lutte, et opérèrent une révolution que leurs chefs ne purent ni prévoir ni empêcher. Quelles séductions ou quels encouragemens aurait pu employer le Pérou envers des soldats dont le but était l’honneur et la gloire, et qui, en agissant autrement, auraient cru flétrir leurs lauriers et perdre à jamais leur réputation[2] ? L’insurrection des troupes colombiennes dans le Pérou n’eut pas d’autre cause que celle qui amena un mouvement universel en Colombie. Il suffit d’observer le cours des révolutions et la nature du cœur humain, pour convaincre le monde que, dans la rebellion des troupes colombiennes, le Pérou n’a pas pris la part que le général Bolivar lui attribue. Il ne faudra que cette simple exposition pour satisfaire tout homme impartial. Mais la réponse péremptoire à cette méchante accusation est que le général Bolivar s’applique le plus qu’il peut à confondre les dates et les événemens. Le gouvernement actuel ne commandait pas alors ; c’était le général Bolivar qui gouvernait le Pérou, ou qui le faisait gouverner par le conseil de son choix, dont l’obéissance à ses ordres était aveugle. Il ne doit donc s’en prendre qu’à lui, si les résultats de ses mesures n’ont pas répondu à ses espérances, ou bien il peut déplorer de n’avoir pas assez connu l’esprit et les opinions du peuple colombien.

Après la révolte des auxiliaires, la force qui enchaînait la volonté nationale disparut. Le Pérou se prononça avec la plus grande énergie contre la charte octroyée par Bolivar, et entra en pleine jouissance de ses droits. Ce fut une preuve convaincante de l’état d’oppression où se trouvait placée cette contrée, et de la haine qu’elle portait à l’autorité étrangère d’un chef à vie. Le gouvernement péruvien demanda alors à la Colombie d’envoyer un général pour commander les troupes colombiennes, et le Pérou était résolu de les garder aussi long-temps que l’exigeraient la sureté et la tranquillité de cette république. Mais les officiers requirent des bâtimens de transport pour les ramener dans leurs foyers, et le gouvernement, ne jugeant pas prudent d’exposer le pays à une guerre, acquiesça à toutes leurs demandes ; la division quitta notre territoire.

Le général Bolivar suppose très-gratuitement que le Pérou avait formé le projet de s’emparer des trois départemens méridionaux de la Colombie, avec le secours des révoltés, et de les accuser ensuite de la sacrilége tentative de démembrer leur propre patrie.

Que le Pérou ait été d’accord avec cette division auxiliaire, qu’il lui ait donné des facilités pour agir, et qu’elle ait proclamé dans son propre pays l’union avec le Pérou, ou l’indépendance complète de la Colombie, ce sont des accusations qui demandent les preuves les plus authentiques pour qu’on y ajoute foi, et pour qu’elles autorisent le général Bolivar à dire que le Pérou exerçait des hostilités contre la Colombie, au moment même où celle-ci protestait de son amitié à son égard. Mais lorsque toutes ces accusations n’ont pas le moindre fondement raisonnable, et qu’elles sont publiquement démenties par des faits, il est de la plus grande injustice et d’une insigne mauvaise foi de les intenter, et une telle conduite dénote une détermination manifeste de trouver un prétexte quelconque pour déclarer la guerre, quelque odieuse qu’elle puisse être. Les mêmes troupes, que l’on accuse maintenant de la tentative sacrilége de diviser leur pays, furent présentées à leurs compagnons d’armes comme un modèle à suivre, pour leur obéissance aux lois et leur fidélité à la constitution qu’elles avaient jurée. Ces éloges ont été donnés si récemment et avec tant de chaleur par les autorités colombiennes, que nous sommes surpris de voir le général Bolivar les oublier aujourd’hui.

Le Pérou a dû éloigner de son territoire les troupes colombiennes aussitôt qu’elles furent inutiles, parce que ces troupes n’ayant pas un chef nommé par leur gouvernement pour maintenir la discipline, on était porté à craindre qu’elles ne vinssent à se démoraliser et à envelopper le pays dans des séditions militaires. Néanmoins, le gouvernement du Pérou les conserva quelque temps encore, et attendit patiemment l’arrivée du général qu’il avait réclamé de la Colombie. Mais quand les officiers de la division sollicitèrent leur retour, le gouvernement n’était pas assez puissant pour les retenir ; car, si on l’eût tenté, ils se seraient regardés comme opprimés, et nous auraient déclaré la guerre. Telle fut la cause de la promptitude qu’on mit à les équiper complètement, malgré les embarras du trésor. Si le général Bolivar, pour faire jurer sa constitution et se voir reconnu en qualité de président à vie, n’avait pas concentré dans la ville la division auxiliaire ; s’il n’avait pas démantelé la forteresse de Callao et désarmé notre flotte ; en un mot, s’il n’avait pas réduit le Pérou à une nullité qui était nécessaire à sa politique ; on aurait pu supposer que le Pérou conçût les sinistres projets qu’on lui impute. C’est sur le général Bolivar seul que retombe le blâme des malheurs dont la Colombie a pu être affligée depuis l’arrivée de la division auxiliaire ; si toutefois on peut attribuer à cette arrivée les troubles qui éclatèrent alors dans les départemens du sud et dans ceux du nord, et qui compromirent l’existence de la république.

Ainsi, que le général Bolivar seul soit responsable aux yeux de sa nation et du monde entier des calamités qui ont pesé sur la Colombie, et qu’il n’accuse pas la république péruvienne du résultat des événemens qu’il avait préparés, dans le seul but de fortifier son pouvoir absolu ; événemens dont la juste Providence s’est servie pour lui faire sentir les funestes conséquences de sa trahison envers la liberté du Pérou et la cause de l’Amérique.

Le vaisseau de guerre qui escortait les bâtimens de transport, avait l’ordre de mettre la division à bord du premier navire de guerre colombien qu’il rencontrerait dans la traversée, et de s’éloigner de la côte de Guayaquil aussitôt que les troupes auraient débarqué. Ces ordres furent exécutés, et les vaisseaux ne restèrent devant aucun port pour attendre le résultat, comme le général Bolivar l’a faussement déclaré. Et quel résultat pouvaient-ils attendre, lorsque l’objet pour lequel on les avait envoyés était rempli ?…

Le départ de la division auxiliaire laissa le Pérou maître de songer à son bien-être, sans éprouver la crainte de voir sa tranquillité troublée, et le gouvernement s’occupa de cicatriser les blessures que lui avait faites le général Bolivar, de recruter ses forces qu’il avait diminuées considérablement, et d’arracher le pays à l’état de dégradation où il était tombé, pour lui rendre la position respectable et l’influence d’une nation libre. Mais des appréhensions nouvelles et bien fondées vinrent troubler la paix. Le général Sucre[3] essaya de démembrer nos départemens méridionaux, en suggérant aux chefs qui les commandaient de les constituer en république indépendante, et de coopérer avec le Bolivia.

Le gouvernement eut les yeux fixés incessamment sur les opérations secrètes du général, et conjecturant qu’il se tramait quelques nouvelles machinations, après l’échec de la première, il découvrit qu’il avait des communications avec l’agent de la Colombie dans cette capitale, et qu’il lui avait remis des fonds destinés à un tout autre usage qu’on ne le supposait généralement. Le gouvernement fut alors convaincu qu’il serait dangereux de tolérer le séjour de ce ministre soupçonné de conspirer contre le nouvel ordre de choses, et connu pour son influence sous l’absolutisme de Bolivar qu’il avait intérêt à soutenir et à rétablir. Le gouvernement péruvien se vit donc dans la nécessité d’user du droit commun à toutes les nations, c’est-à-dire d’expulser un ministre étranger qui faisait planer sur lui des soupçons fondés, et, en conséquence, il lui ordonna de quitter le territoire.

Armero, ancien agent de Bolivar et son confident intime, ne pouvait et ne devait pas avoir la permission de rester dans le pays après que la Providence avait accordé au Pérou le pouvoir de briser le joug de l’oppression. Ce fut plutôt un excès de considération que le Pérou manifesta pour la Colombie, en respectant le caractère de son représentant dans la personne de celui qui n’était rien moins que l’agent dévoué de Bolivar : et on peut même le taxer de faiblesse et d’imprudence pour avoir toléré un seul jour après le 26 janvier, sur le sol national, un homme qui se préparait à rendre le plus important service à Bolivar, celui de livrer le Pérou à l’anarchie. Le départ de cet agent turbulent fut d’autant plus nécessaire qu’il mettait une extrême activité dans ses intrigues. Il eût été de la plus grande imprudence de laisser écouler un seul jour qui aurait pu éclairer notre ruine, afin d’observer rigoureusement ces formalité pleines de lenteur qui ne sont bonnes que dans des occasions ordinaires. Le gouvernement du Pérou fut si loin de poursuivre cet agent avec dureté, qu’il compromit au contraire, ainsi qu’il vient de le déclarer, la tranquillité publique, par sa modération et sa circonspection excessives. Quel est donc l’outrage fait à la Colombie dans la personne de son agent ? Où est donc l’horrible violation du droit des gens ?

Quand les discussions du sud de la Colombie furent terminées par le triomphe de l’un des partis, les chefs et officiers de la division auxiliaire, qui ne s’étaient pas remis aux vainqueurs, se réfugièrent au Pérou, et le gouvernement, ne voyant en eux que des Colombiens infortunés, leur offrit cette hospitalité qu’il n’eût pas refusée aux membres du parti contraire, s’ils s’étaient trouvés dans de semblables circonstances. Le gouvernement péruvien dut les recevoir sur son territoire avec la certitude qu’il ne lésait pas les intérêts de la Colombie, attendu, surtout, que le gouvernement de cette république avait renoncé aux stipulations adoptées par son ministre plénipotentiaire et celui du département des affaires étrangères du Pérou, concernant l’extradition des traitres ou criminels de chaque république. Il eût été aussi scandaleux de leur refuser l’entrée de la république, qu’il eût été pernicieux de les conserver lorsqu’ils insultaient les particuliers, soufflaient la discorde partout où ils résidaient, et commettaient des excès que le Pérou eût sévèrement punis si les coupables avaient été ses propres enfans…

Le gouvernement du Pérou, établi sur des principes libéraux, a un respect religieux pour la liberté de la presse, et il ne peut restreindre ce précieux droit, réglé déjà par un code spécial. Dans toute la république, chacun a la faculté de publier ses opinions, et quiconque abuse de cette prérogative ne saurait être puni que par les autorités compétentes, et d’après la loi. C’eût été un acte monstrueux du pouvoir arbitraire, une abominable imitation des gouvernemens dictatoriaux, que d’empêcher la presse périodique d’accorder des éloges à la division auxiliaire. D’ailleurs, parmi ces louanges, quelle est donc celle qui mérite d’être censurée, et justifie, en quelque sorte, les plaintes du général Bolivar ?

Les feuilles publiques, sans déprécier ou blesser les sentimens de la Colombie, attaquèrent d’un commun accord ceux qui voulaient asservir le Pérou, et exaltèrent la noble conduite que la division colombienne avait tenue, en se prononçant en faveur de la constitution et des lois de son pays, et en déclarant qu’elle ne servirait plus d’instrument à l’esclavage. Si les mots de trahison, de conduite infâme et perverse se rapportent à ceux qui restent fidèles à des sermens solennels, qui refusent d’exécuter des plans despotiques, et qui volent pour défendre les institutions de leur pays lacérées par une faction, le général Bolivar a révélé au monde une moralité qui détruit tout d’un coup les fondemens de la société, qui sanctionne le droit du plus fort, et condamne l’aide que les bons citoyens doivent donner à leur patrie, lorsqu’elle est opprimée et affligée.

D’après une politique fondée sur de tels principes, le gouvernement péruvien est accusé des erreurs commises par les deux envoyés de la Colombie qui arrivèrent au Pérou. L’aide-de-camp du vice-président de cette première république, qui fut chargé de présenter au président du Bolivia l’épée qui lui avait été décernée par le congrès[4], arriva à Callao dans un moment où l’ordre avait été donné qu’aucun passager ne débarquât, sans en avoir préalablement obtenu la permission du gouvernement. Cependant il lui fut permis d’entrer à Lima aussitôt que son arrivée fut connue ; il y jouissait d’une pleine liberté ; on lui prodigua les plus grands égards, et s’il refusa de confiner sa route, soit par terre, soit par mer, il est ridicule d’imputer son retour au gouvernement péruvien.

On assurait que la goëlette la Syrène avait à bord une précieuse cargaison de contrebande. Le gouverneur du port d’Huacho, où elle mouilla, l’obligea de se diriger vers Callao pour se justifier de cette accusation. Un officier colombien, qui était au nombre des passagers, portait des dépêches au gouvernement du Bolivia ; il les jeta dans la mer, probablement d’après les instructions qu’il avait reçues. Cet acte est inscrit aujourd’hui sur la liste des prétendues injures dont se plaint le général Bolivar. Se peut-il qu’on rende le Pérou responsable d’une action commise par l’agent de la Colombie, soit par précipitation, soit par imprudence, ou parce que, selon les instructions particulières que son chef lui avait données, il savait que les dépêches contenaient des plans hostiles contre le Pérou, et qu’il était de son devoir de les jeter à la mer ? Le gouvernement péruvien ne s’est porté à aucune violence qui pût le faire accuser de l’offense impardonnable d’avoir voulu violer la correspondance entre deux nations, et c’est la plus atroce calomnie que de lui reprocher d’avoir exigé que l’officier lui livrât ses dépêches.

Cet incident augmenta nos justes soupçons à l’égard de Bolivar. Il parut évident qu’il n’avait d’autre but que d’allumer une guerre, à laquelle il excitait de tout son pouvoir le peuple colombien dans les journaux qu’il stipendiait. Ces soupçons furent bientôt après confirmés. Le général Bolivar manifesta officiellement au congrès de la Colombie son inimitié contre le Pérou, et la nécessité de ne pas réduire l’armée que la Colombie avait sur pied. Le gouvernement du Pérou se vit par là forcé de rassembler des troupes sur ses frontières, afin d’empêcher une agression, et de s’opposer aux plans hostiles qui (on ne peut plus en douter maintenant) devaient être tentés contre lui. Il agit, il est vrai, avec autant d’activité que si la campagne devait s’ouvrir incessamment ; mais on ne saurait nier aussi que, pendant le long espace de temps qui s’est écoulé, nos troupes ne sont pas entrées sur le territoire colombien, malgré leur supériorité en nombre, en valeur et en discipline. Si le Pérou avait été animé, comme on le suppose gratuitement, de l’exécrable désir des conquêtes, est-il croyable qu’il aurait inutilement épuisé ses ressources en immenses préparatifs, donnant ainsi au général Bolivar tout le temps de lever de nouvelles forces, de réunir celles qui étaient dispersées et d’opprimer la Colombie ; de telle sorte qu’il put faire regarder comme une guerre nationale celle qu’il provoquait dans l’unique but de satisfaire son ambition. Le gouvernement péruvien avait des raisons plus que suffisantes pour attaquer la Colombie, et toutes les nations n’y auraient vu qu’un acte de légitime défense ; mais le Pérou ne voulut pas oublier son ancienne et intime amitié pour cette république, ni le respect dû aux droits d’un peuple libre, sur lequel on ne peut, sans injustice et cruauté, faire retomber les funestes conséquences d’une guerre crée et allumée par un seul homme, qui, en ce moment, est la calamité de son propre pays, et menace sans cesse toutes les républiques.

Le désir de prévenir de grandes infortunes, de conserver la paix, et d’éviter le scandale qu’eussent causé deux républiques en versant avec impiété le sang de leurs fils, engagea le gouvernement péruvien à députer un envoyé extraordinaire à la Colombie, dans le seul désir de fortifier l’union des deux pays. Quoique le Pérou eût été gravement offensé par Bolivar, il s’abstint d’exiger une réparation, et se contenta de demander qu’on ne troublât pas la tranquillité que ses nouvelles institutions lui promettaient. Le président de la Colombie avait proclamé, peu de temps auparavant, que le Pérou avait donné des preuves multipliées de ses intentions hostiles contre la Colombie, et lorsqu’il dut les énumérer officiellement, il garda un silence froid et dédaigneux, marque non équivoque de la fausseté de ces reproches, et de son profond mépris pour la nation péruvienne.

Le gouvernement du Pérou pensait que le général Bolivar aurait renoncé à la guerre et entamé des négociations d’où aurait jailli la vérité, et qui eussent prouvé à la Colombie l’amitié et la bonne harmonie que nous voulions maintenir. Mais le Pérou ignorait qu’il traitait avec un homme incapable de rétrograder dans ses projets de conquêtes ; il savait encore moins que la même générosité et la franchise de ses procédés devaient fournir au général des armes pour l’offenser et le calomnier, en publiant que le Pérou voulait endormir la vigilance de la Colombie, et qu’à cet effet il lui envoyait un ministre plénipotentiaire sans instructions ni pouvoirs. Si rien ne fut signé, la faute en fut au général Bolivar, qui, implacable envers les patriotes du Pérou, agit de la façon la plus déloyale comme président de la Colombie, et prit à leur égard le ton le plus outrageant.

Les premières communications adressées par le ministre de Bolivar à l’envoyé du Pérou, contenaient des conditions de paix inadmissibles, avec la menace d’une prochaine déclaration de guerre, si ces conditions n’étaient pas acceptées. Le général Bolivar ne voulut entendre aucune explication… C’est ainsi qu’il manifestait ses désirs de paix et de conciliation.

L’époque du paiement de la dette contractée par le Pérou envers la Colombie n’était pas arrivée. Il avait été stipule par le traité d’union et de confédération des deux républiques, que les frais des secours envoyés par chaque nation pendant la guerre seraient liquidés par des assemblés séparées, sans que les deux gouvernemens y prissent une part spéciale. Pour être convaincu que les sommes dont il s’agit rentrent dans cette catégorie, il suffit d’observer que les troupes auxiliaires firent voile pour le Pérou avant que le gouvernement ne les eût appelées. La demande relative à la province de Jaen et à une partie de Maynas n’était non plus ni juste ni raisonnable, puisqu’elle était faite avant qu’on n’eût discuté et déterminé les limites de chaque république par une convention spéciale, comme il avait été stipulé expressément. C’est ainsi seulement que la Colombie aurait prouvé ses droits sur des provinces qui font partie du territoire péruvien, et dont elle s’engagea à ne pas réclamer la possession, au moins jusqu’à ce que les limites communes eussent été fixées[5]. En conséquence, le ministre du Pérou ne pouvait avoir des instructions pour traiter de ces deux objets, et Bolivar, en les exigeant, transgressait ouvertement les anciens pactes.

Conformément à ces principes, ce général réclama l’accomplissement d’un traité qu’il n’osa pas lui-même présenter aux yeux du public, et dont il n’a jamais sollicité la ratification. Tel est l’acte que désavoua le ministre du Pérou, acte par lequel le dictateur forçait le Pérou à envoyer en Colombie autant de Péruviens qu’il mourrait de Colombiens au Pérou. Il le conclut à cette époque avec le prétendu président de la république péruvienne, lequel n’avait pas le pouvoir de signer une négociation aussi extraordinaire et aussi inhumaine…

Le langage dur et arrogant employé par le ministre du général Bolivar montra à l’envoyé péruvien qu’il ne devait pas agir avec faiblesse et soumission, mais répondre avec la fermeté et la modération qui conviennent au représentant d’une nation indépendante, prêt à terminer avec amitié, mais sans déshonneur, des différens vrais ou supposés. Toutefois Bolivar parut grandement blessé de voir que notre ministre n’était pas intimidé, et il l’accusa du crime d’avoir injurié le gouvernement, les généraux colombiens, leurs troupes, et toute la nation…… Il ne fut pas reçu en public, et ne put obtenir une audience du général, qui s’excusa sur le jour fixé par son ministre ; les seuls moyens qu’on lui donna d’accomplir sa mission se bornèrent à une correspondance particulière ; enfin, des doutes furent élevés sur la validité de ses pouvoirs, lorsqu’il proposa la base d’un arrangement ; et, quand il lui fallut retourner au Pérou, on lui envoya un passeport comme pour un simple particulier, en lui indiquant la route qu’il était obligé de suivre. Par ces actes, Bolivar a refusé de reconnaître la souveraineté du Pérou et la légitimité de son gouvernement ; il a traité son plénipotentiaire comme un homme suspect ; il a violé les lois les plus fondamentales des nations, et a porté nos maux à leur comble en fermant toutes les voies de réconciliation.

Pendant cette mission, le Pérou eut à subir de nouveaux outrages de la part du chef qui commandait dans le Bolivia les troupes colombiennes, dont le passage sur le territoire péruvien avait été requis par le président de cette république, le général Sucre, Colombien de naissance. Le gouvernement du Pérou leur permit de s’embarquer à Arica, bien qu’il pût les regarder comme ennemies, d’après la manière dont leur commandant les avait haranguées, et la demande qu’il nous avait faite de s’embarquer dans ce pays, lorsqu’il pouvait trouver un port dans le Bolivia[6]. À la même époque, un bataillon colombien, stationné à La Paz, se révolta. Le général Bolivar impute cette insurrection aux généraux péruviens, et au retard qu’avait mis le congrès du Pérou à permettre aux troupes de passer sur son territoire ; comme si, avant ce temps, il n’y avait pas eu des exemples sans nombre de désobéissance parmi les troupes colombiennes dans leur propre pays, et partout où elles furent obligées de servir en qualité d’oppresseurs du peuple ; comme si les généraux péruviens pouvaient exercer quelque influence sur des commandans étrangers postés à une aussi grande distance.

Le gouvernement du Pérou ressentit une vive satisfaction de cet événement, qui devait entraîner l’entière délivrance du Bolivia ; mais il est faux qu’il fit préconiser les actes des révoltés dans son journal officiel (dont la publication était alors arrêtée par accident), et c’est également un mensonge insigne de dire qu’il reçut avec honneur et traita avec la plus grande considération à Lima le sergent qui fut le principal instigateur de la mutinerie ; car l’arrivée de cet officier subalterne fut presque ignorée, et il resta dans l’obscurité, sans être l’objet de la moindre distinction. Mais ces calomnies n’ont rien d’étrange, de la part d’un homme dont la politique a toujours consisté à être libéral en paroles, et despote en actions.

Le gouvernement péruvien ne put obtenir du président du Bolivia aucune explication sur les discours injurieux pour le Pérou, que le général colombien avait adressés aux troupes placées sous ses ordres. Ce silence seul nous donne une preuve nouvelle des sentimens hostiles du gouvernement de Bolivia à notre égard, et nous acquîmes bientôt la certitude que Bolivar avait écrit d’Ocana au général Sucre, qu’il lui transmettrait ses ordres de Bogota, où il se dirigeait avec toute la promptitude possible. Le gouvernement du Pérou se pénétra alors de l’idée pénible qu’une guerre avec le Bolivia était inévitable, pour assurer le repos de la république contre l’agression concertée entre ces deux généraux.

Mais nous fûmes prévenus par tout le haut Pérou, qui se déclara ouvertement contre ses oppresseurs, et sollicita notre assistance. Appelé par le vœu du peuple, le général péruvien fit marcher son armée vers cette république, déclarant qu’il n’avait rien à démêler avec le gouvernement qu’elle pouvait se donner, et que les troupes colombiennes ne devaient prendre aucune part dans la lutte, mais rester fidèles à leur devoir et aux principes reconnus et jurés par elles en Colombie. Heureusement, la fin de cette entreprise dément les calomnies du général Bolivar et montre que le Pérou n’y portait pas la guerre, mais l’indépendance ; non la conquête et l’oppression, mais la liberté et la paix. Le peuple, qui se constitua alors, ne vit pas d’étranger en face de lui pour entraver sa marche, et de la tutelle la plus honteuse, de l’abjection la plus humiliante, il s’éleva au rang des républiques du Nouveau-Monde. De son côté, l’armée péruvienne se retira au milieu des bénédictions d’une nation qui, avec son aide, avait reconquis ses droits, et foulé aux pieds le despotisme étranger.

Si le Pérou avait voulu la guerre, l’armée péruvienne serait entrée depuis long-temps sur le territoire colombien, pour tirer vengeance des insultes que nous avons reçues, et prévenir l’agression dont nous menaçait le dictateur subalterne des départemens méridionaux de cette république. Mais le gouvernement a manifesté une patience poussée même à l’excès, en tolérant de nouveaux outrages sans entreprendre, comme il le devait, une attaque sur la côte de Colombie, ou sans franchir ses frontières. La flotte du Pérou garda ses positions, et, jusqu’au moment où elle fut attaquée avec une insigne perfidie, elle respecta les vaisseaux qui portaient le pavillon colombien. L’armée s’est tenue tranquille, sans prendre l’offensive, et ses commandans ne publièrent de proclamations que lorsqu’ils y furent entrainés par les insolentes adresses des généraux ennemis.

Le Pérou ne commença pas les hostilités ; il ne compléta ses préparatifs maritimes et militaires qu’au moment où le général Bolivar eut déclaré que l’heure de la vengeance approchait, et que sa présence serait le signal du combat. Quelles furent alors les expéditions militaires du Pérou ? Quelles hostilités commença-t-il contre le Bolivia et la Colombie, avant d’être provoqué par le général Bolivar et ses lieutenans ?…

Le gouvernement du Pérou pourrait opposer les injures réelles qu’il a essuyées aux injures chimériques sur lesquelles Bolivar fonde sa déclaration de guerre. Mais aujourd’hui que cette guerre est inévitable, et que celui-ci a tout sacrifié à l’espoir de rétablir sa funeste dictature, le gouvernement se borne à dire qu’il soutiendra avec honneur une lutte dans laquelle le triomphe de la justice sera acheté au prix douloureux du sang de ses frères de Colombie et de ses propres enfans. Mais on ne laisse aux citoyens du Pérou d’autre alternative que celle de se défendre contre l’esclavage, et d’empêcher que leur existence et leurs biens ne deviennent la proie d’un ravisseur étranger. Ils ne peuvent obtenir la paix qu’au poids de l’or ; il faut qu’ils voient exporter leur jeunesse au climat pestiféré de la Colombie… Une pareille situation est intolérable.

Puissent donc les funestes conséquences d’une résistance aussi juste, et l’exécration de toute l’Amérique, retomber sur ceux qui nous entraînent à une extrémité si rigoureuse !…

La seule et véritable cause de la guerre paraît donc maintenant au grand jour. Quand Bolivar, pour la première fois mettant le pied sur nos rivages, en put apprécier les richesses inépuisables, il sentit que le temps était venu de réaliser ses anciens projets de domination et d’agrandissement. Dépouillant le masque, il proclama la fameuse charte, appelée sa fille bien-aimée, qui fut conçue dans le délire de l’ambition, et imposée au peuple par la force et les moyens les plus vils, comme l’ont prouvé au monde des documens officiels imprimés au Pérou et dans la Colombie, et réimprimés plus tard dans plusieurs écrits périodiques de l’Europe.

Cependant, à peine le Pérou se vit-il affranchi de la tyrannie du dictateur, qu’il releva sa tête humiliée et recouvra sa dignité. Ce peuple généreux fut le premier qui déchira et foula aux pieds avec indignation son ignominieuse charte, plus illibérale, plus monstrueuse que les constitutions impériales que nous avons vues sur l’ancien continent, ou même dans l’île africaine de notre hémisphère.

On sait quelle fureur fit naître dans le cœur de Bolivar cette noble action ; on sait également qu’il jura de venger ce qu’il appelait un outrage, parce qu’on lui arrachait des mains la verge de fer avec laquelle il se préparait à nous gouverner.

À partir de ce moment, nous dûmes pourvoir à notre défense. Sans cette précaution indispensable (que Bolivar qualifie de perfidie), nous connaissions le sort qui était réservé au Pérou. Bolivar avait désolé le pays, lorsqu’il s’en disait l’ami : que devait-on attendre s’il y revenait en vainqueur ? Le Pérou était déjà opprimé, lorsque Bolivar le choisissait pour y élever le trône de sa gloire et de ses anciennes espérances ; quel eût été son sort lorsqu’il serait devenu le théâtre de sa vengeance ?…

Nations de l’Europe, princes qui les gouvernez, républiques naissantes de l’Amérique, libéraux qui soutenez leur cause, voisins et alliés, vous tous qui avez échangé l’esclavage contre la liberté, il n’a jamais été porté au tribunal de votre jugement des preuves plus convaincantes de la brutale ambition d’un homme, des projets iniques qu’il médite, et de la justice avec laquelle se prépare à lui résister une nation, qui, au lieu d’user de représailles, a essayé tous les moyens de réconciliation et de paix.

La guerre ! tel est le cri de Bolivar, et la guerre ! doit être la réponse du Pérou. Plaise à Dieu que, jetant un regard avant l’heure du combat sur les véritables intérêts de la Colombie, le général Bolivar propose des négociations de paix, que ne refusera jamais le Pérou ; car il n’est armé en ce moment que pour maintenir son intégralité et conserver les biens, le sang, le repos de ses fils, l’indépendance nationale et la liberté[7] !


(El Telegrafo de Lima.)


  1. Voici une pièce officielle qui jettera un nouveau jour sur les dissentions funestes qui ont éclaté entre le Pérou et la Colombie. Cependant, si l’on doit ajouter foi aux dernières nouvelles, les hostilités auraient cessé. Une contre-révolution a éclaté à Lima. Le grand-maréchal Gamarra et le général Fuente, partisans, dit-on, de Bolivar, se sont emparés du gouvernement, après avoir déposé et banni le président de la république, le général Lamar. Une proclamation de Gamarra, insérée dans l’édition extraordinaire du Mercure péruvien du 22 juin 1829, annonce aux habitans de Lima que « le gouvernement péruvien qui n’est plus n’avait rien fait depuis quinze mois pour le bonheur du pays. » Il leur demande quelle différence ils ont trouvée entre la dernière administration et l’ancienne administration des étrangers. Il jure de mourir, ou d’arracher à l’ennemi une paix glorieuse, etc. » En effet, on assure que des préliminaires de paix ont été signés bientôt après ; mais les conditions n’en paraîtraient pas favorables au Pérou ; il abandonnerait la province de Guayaquil. Nous pensons qu’il faut attendre des renseignemens ultérieurs. Quoi qu’il arrive, le manifeste du gouvernement péruvien contre Bolivar, restera comme un document indispensable pour l’intelligence de l’histoire des nouvelles républiques américaines.
  2. Les phrases en caractères italiques indiquent les passages extraits du manifeste de Bolivar.
  3. Président de la nouvelle république de Bolivia (qui se compose des provinces du Haut-Pérou).
  4. En mémoire de la bataille d’Ayacucho.
  5. La possession disputée de ces deux provinces, ainsi que celle de Guayaquil, a été, en effet, l’une des principales causes de la guerre.
  6. Le Bolivia touche à l’Océan Pacifique par la province d’Atacama.
  7. Nous espérons pouvoir bientôt offrir à nos lecteurs un exposé de la situation politique du Pérou, de la Colombie et de la république de Bolivia, depuis leur séparation de la métropole. Cet exposé, rédigé d’après des renseignemens authentiques, donnera l’explication de quelques événemens présentés d’une manière encore obscure dans le manifeste du dernier gouvernement péruvien.