Malte-Brun - la France illustrée/0/5/2/6/10

Jules Rouff (1p. lxxiv-lxxvi).
GOUVERNEMENT DE LA DÉFENSE NATIONALE.

Pendant que la révolution triomphait dans Paris, les Allemands vainqueurs se portaient à marches forcées sur la capitale, dont le gouvernement, sous la présidence du général Trochu, n’avait pas même songé défendre les approches. Aussi l’ennemi n’eut-il pas grand’peine à s’emparer des hauteurs de Châtillon ; position qui lui permit d’investir Paris. Jules Favre, ministre des affaires étrangères, essaya de traiter avec M. de Bismarck, au château de Ferrières, s’appuyant sur cette déclaration du roi de Prusse qu’il n’en voulait qu’à l’empereur Napoléon III ; mais il ne tarda pas à s’apercevoir que c’était bien la France que le vainqueur voulait abaisser et ruiner, et dès lors la lutte dut continuer sans merci. — Paris retrouva son courage héroïque du temps des invasions. Ses forts, ses remparts et sa population armée défiaient les attaques de l’ennemi ; et les revers qui se succédèrent, les capitulations de Toul, de Strasbourg, de Metz, de Verdun, de Thionville et de Montmédy, la prise d’Orléans et de Châteaudun ne purent que le frapper sans l’abattre. Seul, livré à lui-même, enfermé comme dans un cercle de fer, il communiquait avec le reste de la France par des pigeons voyageurs et par les ballons. Un moment troublé dans son œuvre de défense par les anarchistes qui, le 31 octobre, tentèrent de s’emparer du gouvernement par un coup de main, — tentative aussitôt réprimée qu’essayée, — il s’arma d’une vigueur nouvelle, fabriquant des canons, organisant des compagnies de marche et se condamnant à toutes les privations pour prolonger sa résistance.

Cependant, Léon Gambetta, l’un des membres du gouvernement, était parti de Paris en ballon, le 8 octobre, pour organiser la défense dans les départements. Non moins grand orateur que politique habile, il sut en peu de temps improviser une armée qui, sous les ordres du général Aurelle de Paladines, battit les Prussiens à Coulmiers et les chassa d’Orléans.

À la nouvelle de ce premier succès, le général Trochu, jusque-là temporisateur (il avait, disait-il, son plan), crut le moment venu de passer à l’action. Une sortie fut résolue du côté de la Marne ; le 30 novembre, l’armée de Paris, commandée par le général Ducrot, passa cette rivière et, soutenue par les canons des forts et par les batteries d’artillerie dressées sur le plateau d’Avron, livra aux Prussiens la bataille de Champigny. Après une lutte acharnée qui dura jusqu’à la nuit, l’ennemi dut rétrograder. C’était le moment pour les nôtres de marcher en avant et de rompre la ligne de fer qui nous enserrait, afin d’aller donner la main à l’armée de la Loire qui s’avançait vers Paris ; mais on perdit un jour, et les Prussiens en profitèrent pour se renforcer et revenir à la charge le surlendemain avec une vigueur qui nous fit reculer.

Pendant ce temps, l’armée de la Loire soutenait contre les Prussiens, renforcés de l’armée de Metz, commandée par le prince Frédéric-Charles, les combats de Beaune-la-Rolande (28 novembre), de Villeprovost, de Soigny, de Château-Goury, d’Artenay, de Patay, de Brécy et de Boulay, dans les journées des 2, 3, et 4 décembre ; mais, écrasée par le nombre, elle se dispersa pour se rallier sous le général Chanzy qui, par une habile retraite, vint camper sur la Sarthe, et de là sur les hauteurs du pays, où il livra bataille aux Prussiens. Bien qu’affaiblie par des marches forcées et des pertes considérables, notre jeune armée fit des prodiges de valeur, mais la lutte était trop inégale, et Chanzy dut se replier sur la Mayenne.

À l’est, Bourbaki, après avoir battu les Prussiens à Villersexel, s’avançait sur Belfort, lorsque, arrêté dans sa marche par des masses ennemies qui occupaient des positions inexpugnables dans ce pays montagneux, il fut contraint de rétrograder jusqu’à Besançon, puis jusqu’à Pontarlier, d’où les débris de son armée se réfugièrent en Suisse.

Au nord, le général Faidherbe, plus heureux, remportait sur les Allemands les victoires de Pont Noyelles (23 décembre) et de Bapaume (3 janvier 1871), et leur livrait, le 19, la bataille de Saint Quentin, où l’avantage resta à l’ennemi, mais avec 5,000 hommes hors de combat.

Ce même jour, Paris, livré à toutes les horreurs du bombardement et voyant que les vivres touchaient à leur fin, tenta un effort désespéré à Montretout et à Buzenval. Dans un élan magnifique, la garde nationale enleva le château de Buzenval ; mais cette dernière attaque, mal soutenue, se termina par une retraite.

Après cet insuccès, le gouvernement entra en pourparlers avec Bismarck, et, le 28 janvier, signa une capitulation par laquelle Paris livrait aux Allemands ses forts avec 1,500 pièces d’artillerie et une armée de plus de 150,000 hommes. Une Assemblée nationale, réunie le 13 février à Bordeaux, nomma M. Thiers chef du pouvoir exécutif, et ratifia le 1er mars les préliminaires de paix dont le traité définitif fut signé à Francfort le 10 mai [1]. Cinq milliards, l’abandon de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, tels étaient les sacrifices qu’il imposait à la France. Au point de vue territorial, nous reculions au delà de 1552.

  1. Le dernier fascicule de l’histoire de la guerre franco-allemande, rédigé par le grand état-major prussien, donne les chiffres que voici :

    Le nombre des soldats allemands qui ont passé la frontière française au mois d’août 1870 a été de 780,723 ; pendant le cours de la guerre, 222,762 hommes ont été envoyés de l’intérieur comme renforts. L’effectif moyen des troupes restées en Allemagne a été de 400,000 hommes.

    À l’expiration de l’armistice, l’armée allemande comptait 936,918 soldats.

    L’armée qui bloquait Paris a eu un effectif moyen de 180,000 hommes.

    Le nombre de combats dans lequel au moins une compagnie, un escadron ou une batterie ont été engagés s’élève à 766. La garnison de Paris comptait 230,000 hommes ; 333,341 prisonniers ont été envoyés en captivité en Allemagne.

    Les trophées conquis consistent en 107 drapeaux, 7,441 pièces de canon et 855,000 armes à feu.

    La perte totale de l’armée allemande s’élève à 129,000 hommes, soit 40,862 morts et 88,838 blessés.

    17,572 Allemands ont été tués à l’ennemi.

    10,710 sont morts des suites de leurs blessures.

    La bataille de Gravelotte a coûté 20,159 hommes ; Mars-la-Tour, 15,790 ; Wœrth, 10,842 ; Sedan, 9,924 ; le siège de Paris, 12,500, et celui de Metz, 5,571.

    Le service sanitaire a compté 46,955 personnes, dont 7,022 médecins ; 295,644 malades et blessés ont été soignés dans 500 ambulances ; 30 médecins ont été tués et 51 blessés. Le service des cultes a été desservi par 295 ecclésiastiques, dont 1 a été tué et 2 blessés.

    Les lignes télégraphiques établies en France ont atteint 10,330 kilomètres ; 44 bureaux de poste ont distribué aux troupes 103 millions de lettres et de journaux et 67 millions d’espèces. La consommation des munitions a été de 362,662 coups de canon de campagne et de 30 millions de cartouches. La consommation la plus forte a été celle du 3e corps, à Mars-la-Tour, dont les 25 bataillons ont usé 720,000 cartouches, et les 15 batteries 10,500 gargousses.