Malte-Brun - la France illustrée/0/5/2/3/11

Jules Rouff (1p. li-lii).
GUERRES DE RELIGION (1560-1590).

La liberté de conscience, qui avait déjà conquis le nord de l’Europe, mais que l’esprit du moyen âge étouffait encore dans le midi, prit enfin pour dernier champ de bataille la France, pays intermédiaire et central dans l’Europe d’alors. Par une étrange fatalité, pendant trente années de cette guerre, la France eut trois rois mineurs ou à peu près, qui furent le jouet des factions. Les premiers des factieux furent les Guises et la reine mère, Catherine de Médicis ; l’une, Italienne, avide de pouvoir, habile pour l’intrigue, mais sans principes ; les autres, rêvant de se mettre à la place des Valois et grands amis de l’Espagne. Il n’y eut dans le gouvernement qu’un honnête homme et un bon citoyen, le chancelier de L’Hospital, « une de ces belles âmes frappées à l’antique marque, un autre Caton le Censeur ; il en avoit du tout l’apparence avec sa grande barbe blanche, son visage pâle, sa façon grave. » Tant qu’il fut là, il y eut encore un peu de raison à la tête des affaires ; lui parti, il n’y eut plus que des passions. « Qu’est-il besoin, disait-il, de tant de bûchers et de tortures ? Garnis de vertus et munis de bonnes mœurs, résistez à l’hérésie. » Ce fut lui qui fit rendre le premier édit favorable aux protestants (janvier 1562). Mais déjà le sang avait coulé à flots à Amboise, et quoique François II n’eût régné qu’un an, les Guises avaient trouvé moyen d’ensanglanter ce règne si court. Bientôt ils continuèrent. Le duc, passant à Vassy, entendit sortir d’une grange quelques chants de psaumes ; cela lui déplut, et les malheureux huguenots furent massacrés. Ce fut le signal de la guerre. La première bataille fut celle de Dreux (1562). Les catholiques la gagnèrent. On avait d’abord annoncé à Catherine qu’elle était perdue : « Eh bien, dit-elle, nous prierons Dieu en français. » Que lui importait la religion, pourvu qu’elle eût le pouvoir ? Après la bataille de Saint-Denis (1567), encore perdue par les huguenots, mais où fut tué le connétable de Montmorency, vaillant et insolent grognard, « grand rabroueur de personnes, n’ayant à la bouche que les mots d’ânes, de vieux sots, » Catherine dit : J’ai deux grandes obligations au ciel : l’une, que le connétable ait vengé le roi de ses ennemis ; l’autre, que les ennemis du roi l’aient vengé du connétable. » Le maréchal de Vieilleville donna à l’impudente étrangère cette leçon : « Votre Majesté n’a point gagné la bataille ; encore moins le prince de Condé, mais le roi d’Espagne ; car il est mort de part et d’autre assez de vaillants capitaines et de braves soldats françois pour conquester la Flandre et tous les Pays-Bas. »

C’est en 1568 que L’Hospital fut disgracié. Toutes les guerres s’étaient faites malgré lui, et tous les traités de paix par son influence. Mais il commençait à gêner la régente, à qui certaines paroles du duc d’Albe étaient restées dans l’esprit : « Mille têtes de grenouilles ne valent pas une tête de saumon. » Le duc d’Albe venait de faire sa pêche ; Catherine avait envie de faire la sienne. Coligny, Condé, Jeanne d’Albret devaient avoir le sort des comtes d’Egmont et de Horn. Ils s’échappèrent à temps. Mais bientôt ils tombèrent dans un nouveau piège. La paix de Saint-Germain (1570) comblait les protestants ; c’était un « véritable coupe-gorge. » Les chefs huguenots sont attirés à Paris et le massacre de la Saint-Barthélemy inonde de sang la capitale et presque toute la France (1572). Le pape et Philippe II applaudirent.

C’était se livrer aux Guises. Bientôt cette famille acquit une puissance formidable par l’organisation de la Ligue, qui reconnut pour chef Henri de Guise. La royauté était entourée de périls ; les gentilshommes huguenots, de leur côté, se regardaient comme les véritables rois. « Celui que vous dites (ils parlaient ainsi de Charles IX) est un petit royat de rien ; nous lui donnerons des verges et lui baillerons un métier pour lui apprendre à gagner sa vie comme les autres. » Et le peuple à son tour, le seul personnage de ce grand drame dont les réclamations fussent conformes au droit naturel, refusait les redevances féodales. « Qu’on nous montre dans la Bible, disait-il, si nous devons payer ou non. Si nos prédécesseurs ont été sots et bêtes, nous n’en voulons point être. » L’Hospital avait déjà quelque part présagé la Révolution française. Pendant ce temps, Charles IX mourait environné des affreuses images de la Saint-Barthélemy. Henri III, l’Héliogabale français, ne se montrait qu’entouré de ses mignons, de ses singes, de ses perroquets et de ses petits chiens ; dépensait 1,200,000 écus aux noces de Joyeuse, son favori, sans plus se soucier de la détresse du trésor public, et laissait sa noblesse se décimer dans ces duels innombrables qui firent périr alors autant de monde qu’une bataille.

L’homme qui devait à la fin demeurer maître du grand champ de bataille de nos guerres de religion apparut enfin. Henri, roi de Navarre, n’avait guère fait encore que l’amour aux dames, quand le duc d’Anjou mourut ; par cette mort, il devint héritier présomptif. « Ces passe-temps ne sont plus de saison, lui écrivit aussitôt Duplessis-Mornay ; il est temps que vous fassiez l’amour à la France. » Aussitôt Henri endosse la cuirasse, entre en campagne et mène la guerre avec sa vivacité béarnaise. Il débute par Coutras. Pendant ce temps, Henri III, bravé dans Paris par le duc de Guise, le fait assassiner à Blois, et soulève les effroyables fureurs de la Ligue, qui se venge par le poignard de Jacques Clément (1589).

Henri de Navarre devient de droit, sinon encore de fait, Henri IV de France. Arques, Ivry, la Satire Ménippée et une petite apostasie lui livrèrent Paris, qui valait bien une messe : « C’estoit le plus rusé et madré prince qu’il fust au monde, » dit d’Aubigné. La Ligue était vaincue sur tous les points ; le combat de Fontaine-Française et plus tard la prise d’Amiens rejetèrent hors de France les Espagnols, qui depuis vingt-cinq ans en étaient le fléau par leurs armes, leur or, et surtout leur fanatisme. Deux grands monuments de paix, conséquence de ces victoires, ouvrent le règne de Henri IV ; l’un était l’édit de Nantes, qui consacra la liberté de conscience et accorda même aux protestants certains avantages qui leur permirent de former un corps et une sorte d’État dans l’État ; l’autre est la paix de Vervins, qui stipula l’expulsion des étrangers (1598).