Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 8/T3/ch. 2

Texte établi par Jacques Alexandre Bixiola librairie agricole (Tome cinquièmep. 78-87).
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CHAPITRE II. — Pépinières d’arbres fruitiers.

* Sommaire des sections de ce chapitre *
Section I. Considérations générales 
 78
Section II. Conduite des sujets en pépinière 
 80
§ 1. 
Sujets pour haute tige 
 ib.
2. 
Sujets pour pyramides, quenouilles, vases et espaliers 
 81
3. 
Sujets de cognassier pour poirier 
 ib.
4. 
Sujets d’aubépine et de cormier pour poirier 
 82
5. 
Sujets de douçain et de paradis pour pommier 
 ib.
6. 
Sujets d’amandier et de prunier pour pécher 
 ib.
7. 
Sujets de prunier et d’abricotier pour abricotier 
 83
8. 
Sujets de prunier pour prunier 
 84
9. 
Sujets de mérisier et de mahaleb pour cerisier 
 ib.
10. 
De quelques sujets peu employés 
 ib.
A 
Cognassier 
 ib.
B 
Néflier 
 ib.
C 
Cormier 
 ib.
D 
Figuier 
 85
11. 
De quelques arbres fruitiers du midi de la France.
 
A 
Figuier 
 ib.
B 
Oranger 
 85
C 
Grenadier 
 86
D 
Pistachier 
 ib.
E 
Jajubier 
 ib.
F 
Caroubier 
 ib.
G 
Avellinier 
 ib.
H 
Amandier 
 87

Section 1re . — Considérations générales.

Bien qu’il se trouve dans les différentes régions de la France une heureuse diversité de sols et de climats, les arbres à fruits élevés en pépinière sous le climat de Paris conviennent à toute cette partie de son territoire, qui s’étend de la frontière du nord jusqu’à la Loire, et des côtes de la Manche aux montagnes du Jura. Sur toute cette étendue, le poirier et le pommier tiennent le premier rang parmi les arbres à fruits à pépins ; le pêcher et l’abricotier sont les meilleurs des fruits à noyaux ; la vigne, exclue seulement d’une lisière assez étroite au nord et à l’ouest, mais presque partout cultivable en espalier, tient peu de place dans les pépinières, chacun pouvant trop facilement la multiplier de greffe ou de bouture ; le prunier, l’amandier, le cerisier, et de loin en loin, le cognassier, le neflier, le cormier, le mûrier noir et le figuier y sont aussi élevés pour leurs fruits ; puis, de grandes pépinières de noyers et de châtaigniers alimentent les vastes plantations de ces deux arbres, partout où la récolte de leur fruit forme une des principales ressources de la population. Comme on le voit, le cercle des espèces est assez borné, bien que celui des variétés et des sous-variétés soit illimité ; les autres arbres à fruits sont exclusivement réservés à nos départements méridionaux ; ils occupent la seconde classe des pépinières d’arbres fruitiers ; nous les envisagerons séparément.

Nous avons dit que le sol propre à l’élève en pépinière des arbres fruitiers à pépins diffère essentiellement de celui que réclament les arbres fruitiers à noyaux ; en principe, les amendements, surtout la marne, la chaux, les terres calcaires et le plâtre, peuvent corriger le premier de ces deux genres de sol, et le ramener jusqu’à un certain point dans les conditions du second, mais sans réciprocité. Ainsi, dans une pépinière où les poiriers et pommiers prospèrent, on peut disposer un coin propre à l’élève du pêcher, de l’abricotier, du cerisier ; mais, si la nature du terrain est spécialement favorable à ces arbres, il serait inutile d’entreprendre d’y faire prospérer les arbres à fruits à pépins.

Aux environs de Paris, bien peu d’arbres à fruits sont cultivés dans la même pépinière depuis leur naissance jusqu’au moment de la vente ; cette besogne se partage d’une manière analogue à ce qui se pratique ailleurs pour l’élève du bétail ; c’est une excellente méthode, en ce qu’elle permet au pépiniériste de rentrer plus vile dans ses avances et de donner plus de soins a la partie de l’élevage dont il est chargé ; l’acheteur n’aurait rien à y perdre si parmi les égrains, ou sujets de pépins, le pépiniériste n’admettait que des sujets de premier choix, ceux que dans le commerce on désigne sous le nom de baliveaux ; mais par une avidité condamnable, beaucoup de pépiniéristes préfèrent acheter à bas prix les égrains de deuxième ou troisième choix, qui devraient être rebutés. A force de soins et de fumier, ils donnent à ces arbres défectueux une assez bonne apparence pour tenter les acheteurs, et peuplent ainsi nos jardins d’arbres débiles qui ne peuvent ni durer, ni récompenser par des récoltes abondantes les travaux du jardinier.

La nécessité de choisir les sujets s’applique également aux doucains, paradis et cognassiers élevés de marcotte ; ceux que fournissent des souches-mères épuisées par une longue production doivent être rejetés. Quant aux sujets obtenus de semis dans la même pépinière où ils doivent achever de croître jusqu’à ce qu’ils soient greffés et mis en place, il faut toujours réserver à part les plus beaux, ceux dont l’apparence extérieure se rapproche le plus des bonnes espèces connues, afin de vérifier leur fruit. Il ne s’agit pas d’attendre quinze ou dix-huit ans un fruit qui peut-être au bout de ce temps n’aurait aucune valeur ; voici comment on procède. Sur un sujet de semis de deux ans, on lève un écusson qu’on transporte sur cognassier si c’est un poirier, et sur paradis si c’est un pommier ; en deux ans, le fruit se montre sur la greffe tel qu’il doit être sur le sujet, lequel n’étant encore âgé que de quatre ans, peut être greffe lui-même s’il est mauvais, et mis en place s’il est bon. Il est bien entendu que les essais de ce genre ne sauraient être pratiqués sur une grande échelle par le pépiniériste marchand ; il peut cependant, comme on le voit, obtenir ainsi, dans un temps assez court, des variétés, soit nouvelles, soit améliorées. Tous les vrais amateurs de l’horticulture déplorent la dégénérescence rapide de nos meilleurs fruits ; elle est telle de nos jours, qu’un homme de trente ans reconnaît à peine dans les deux genres, poirier et prunier principalement, les fruits qu’il a connus dans son enfance. C’est à ceux qu’une position aisée rend indifférents au résultat pécuniaire, qu’il appartient surtout de régénérer nos vergers par les semis ; ce ne sont pas d’ailleurs des essais très dispendieux, ils n’exigent que de la persévérance.

Lorsque, parmi les plants repiqués, quelques-uns paraissent languissants, il ne faut pas hésiter à les sacrifier. Dans les pépinières, où les sujets ont toujours trop peu d’espace, si l’un d’entre eux vient à être enlevé ou à périr, ses voisins s’empressent d’allonger leurs racines pour recueillir sa succession, de sorte que pour peu qu’on tarde à lui donner un remplaçant, les racines faibles de celui-ci ayant à se défendre contre les racines fortes de ses concurrents, ne prennent jamais le dessus ; il vaut mieux en prendre son parti, et laisser subsister un vide, quand par négligence on ne s’y est pas pris à temps pour le remplir.

La greffe est, après les semis, l’opération la plus importante dans la pépinière : nous en avons décrit les divers procédés en indiquant ceux qui, pour les arbres à fruits, nous semblent mériter une préférence exclusive. On greffe le plus jeune possible les sujets destinés à recevoir le pêcher, l’abricotier et le prunier ; beaucoup de sujets sont bons à greffer dès la première année ; tous doivent être greffés à la seconde ; si à cet âge ils n’avaient pas la force de supporter la greffe, ils devraient être rejetés. On greffe aussi très jeunes les poiriers et pommiers qui doivent être conduits en corbeille, en quenouille, en pyramide, ou former des arbres nains, mais on laisse croître jusqu’à l’âge de trois ou quatre ans les sujets destinés à former des arbres en plein vent à haute tige.

Les espèces désignées dans la liste ci-dessous ne réussissent jamais bien sur cognassier, ou du moins, elles n’y sont jamais suffisamment productives ; on ne peut les greffer que sur franc ou sur épine blanche ; la plupart réussiraient également sur néflier ; elles y seraient très durables ; mais cette greffe est peu en usage, à cause de la difficulté de multiplier les sujets de néflier soit de semence, soit de marcotte ; les osselets de néflier ne lèvent que la seconde année, et quelquefois à la troisième ; on peut aussi greffer les poiriers sur des francs de cormier.

Poires à cuire 
Catillac (ou cotillard).
Poire d’une livre.
Poire de tonneau.
Impériale.
Poires à manger crues 
Royale d’hiver.
Grande Bretagne.
Roussette d’Anjou.
Poire d’épargne.
Poire de la Madelaine.
Beurré gris.

D’autres variétés, quoique suffisamment productives sur cognassier, se greffent mieux sur franc, quand on n’est pas trop pressé de les mettre à fruit. parce qu’elles ont une tendance prononcée à former des arbres très grands et très durables, tendance neutralisée par la nature du cognassier ; ce sont principalement les suivantes :

Poires à manger crues 
Virgouleuse.
Bon-chrétien d’hiver.
Crassane (ou crésane).
Poire de Colmar.
Combien ne serait-il pas préférable de ne jamais greffer ni le poirier ni le pommier, de peupler exclusivement nos vergers d’arbres francs de pied, obtenus soit de semis, soit de boutures ? On néglige totalement ce dernier mode de multiplication pour les arbres à fruits, tandis qu’on le perfectionne de mille manières pour les arbres et arbustes d’ornement. Nous sommes convaincus qu’on trouverait autant de facilité que d’avantages à bouturer le pommier et le poirier, si l’on voulait s’en occuper sérieusement. D’après quelques essais encore trop récents pour offrir des résultats certains, nous sommes portés à croire que les boutures de poirier et de pommier pratiquées avec des bourgeons de l’année en costière, garnie de terreau, bien exposée, mais ombragée, reprendraient aisément ; transplanté en automne en pépinière, ce plant serait ensuite conduit comme le plant de semis, sauf la greffe, dont il n’aurait pas besoin.

Le procédé de bouture à l’étouffée, usité dans les serres pour la multiplication des arbustes d’ornement, réussirait, sans aucun doute, pour la multiplication des arbres à fruit, comme le prouvent les expériences de M. Bénin (de Versailles) sur les boutures de poirier ; mais il exige tant de frais et des soins si minutieux, qu’il lui faudrait recevoir de grandes modifications avant qu’il pût faire concurrence aux procédés plus simples actuellement en possession d’alimenter nos pépinières.

Section II. — Conduite des sujets en pépinière.

Pendant les deux premières années, le plant ne veut que des sarclages et binages assez fréquents pour que le sol soit tenu constamment propre ; il ne faut arroser qu’en cas d’excessive sécheresse, quand on peut craindre qu’il n’en résulte la perte des sujets ; à moins d’un été exceptionnel, ce danger ne se présentera pas si la surface de la terre est ameublie par des binages réitérés ; il faut que la terre puisse absorber et transmettre aux racines des jeunes arbres la rosée de la nuit, qui ne leur parvient jamais quand on a laissé se former à sa surface une croûte imperméable. Il faut avoir pratiqué l’horticulture dans le midi, sur des pentes où il ne pleut jamais en été, où l’eau ne pourrait arriver que par un déluge universel, pour se faire une idée des ressources que peut offrir le binage comme moyen de combattre les effets de la sécheresse. Au second printemps qui suit le repiquage du plant en pépinière, on ne doit pas attendre que la sève soit en mouvement pour donner à la totalité des sujets leur première taille ; elle consiste à les recéper au niveau du sol qui reçoit en même temps un labour superficiel. Cette opération détruit l’équilibre entre les racines restées entières et la tige, momentanément réduite à rien. Aussitôt que la sève commence à monter, toute l’énergie vitale de l’arbre est employée à rétablir promptement l’équilibre ; les tiges nouvelles, dont on a provoqué par là le développement, sont plus belles, plus élancées, plus vivaces que celles qu’elles remplacent. Chaque pied en fournit toujours plusieurs ; on choisit la plus vigoureuse et l’on supprime les autres au mois de juin.

§ 1er . — Sujets pour haute tige.

Les sujets à haute tige se forment pour ainsi dire tout seuls ; il n’y a qu’à laisser leur bourgeon terminal s’élancer verticalement, former sa flèche, comme disent les pépiniéristes. Le seul soin à prendre, c’est de pincer de très bonne heure les bourgeons latéraux, afin qu’ils ne détournent pas à leur profit une part de la nourriture qu’on a intérêt à diriger de préférence sur la flèche. D’ailleurs, les bourgeons latéraux, lorsqu’on retarde leur suppression, grossissent très vite ; quand il faut les retrancher plus tard, il en résulte sur le tronc du sujet des plaies nuisibles à la croissance et désagréables à l’œil. En supprimant les bourgeons pincés, ce qui doit se faire en octobre, à la chute des feuilles, il faut éviter de tailler trop près du tronc ; il importe surtout de couper bien parallèlement à l’axe du tronc, pour que l’écorce recouvre facilement et également les cicatrices. L’effet naturel de cette taille continuée tous les ans est de donner à la flèche une force telle qu’elle fait dessécher et périr les branches laissées à dessein de distance en distance vers le bas de la tige, dans le but de la faire grossir en y appelant la sève. A mesure qu’on les voit dépérir, on les rabat d’abord à 0,m 10, puis on les supprime tout-à-fait. Si ces divers soins ont été donnés en temps opportun et avec intelligence, les arbres livrés au commerce n’offrent ni nœuds ni défauts ; leur tronc droit, recouvert d’une écorce lisse, atteste leur santé vigoureuse.

Cette manière d’élever les égrains en pépinière s’applique également aux pommiers et aux poiriers à haute tige ; seulement, comme le tronc de poirier n’a pas la même tendance que celui du pommier à prendre du corps, on lui laisse un plus grand nombre de branches latérales ou brindilles, afin de favoriser son grossissement. Dans un sol convenable, les égrains sont bons à vendre au bout de quatre ans ; ils peuvent encore attendre deux ans dans la pépinière sans beaucoup souffrir ; passé la septième année, s’ils ne sont pas enlevés, ils dépérissent. Les égrains ne sont pas ordinairement greffés en pépinière ; on les met en place, Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/93 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/94 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/95 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/96 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/97 Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/98 pépiniéristes du midi qui depuis quelques années lui consacrent de grands espaces. On le multiplie exclusivement, au moyen de ses drageons toujours très nombreux. Us s’élèvent presque seuls en pépinière ; ils craignent seulement, durant leurs premières années, l’excès delà sécheresse qu’ils bravent quand ils ont pris le dessus ; on les greffe en flûte ou en fente, en pépinière, à 2 ou 3 ans ; ils peuvent être mis en place l’année qui suit celle où ils ont reçu la greffe.

H. — Amandier.

Les sujets d’amandier à fruit doux, à coque dure et à coque tendre, connu sous le nom d’amande princesse, disparaissent des pépinières de nos départements méridionaux. Quoique le climat ne paraisse pas avoir sensiblement changé, l’amandier en Provence a pour ainsi dire cessé d’être productif. Le proverbe dit : Amandier fleuri en février, se récolte sans panier. Ce n’est plus maintenant en février, c’est dès la fin de janvier que l’amandier fleurit en Provence, et quoiqu’il y gèle à peine sur le littoral, le vent sec et froid du nord-ouest (mistral), qui règne en cette saison, permet rarement à la fleur de nouer. On a proposé de considérer désormais l’amandier comme arbre forestier et de le soumettre tous les trois ou quatre ans à la taille, pour provoquer l’émission de branches propres à faire des fagots, comme le saule et les têtards do peuplier. Le peu de fruit qu’on pourrait avoir accidentellement dans l’intervalle ne coûterait rien, la rente du sol étant payée par les fagots. Nous ne mentionnons ici cet arbre que pour engager les pépiniéristes du midi, jaloux de se distinguer dans leur profession, à essayer par les croisements hybrides de créer une variété qui fleurisse seulement 15 ou 20 jours plus tard. Celui qui pourrait doter la Provence d’un amandier tardif aurait bien mérité de nos contrées méridionales, où l’on renonce généralement à la culture d’un arbre qui ne rapporte plus que par hasard.