Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 2/ch. 13

Texte établi par Jacques Alexandre Bixiola librairie agricole (Tome secondp. 145-155).
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Chapitre XIII. — Des plantations de bordure, des vergers agrestes et herbages pantés, et des arbres qui les composent.

Du pommier et du poirier. 
 ib.
De quelques autres arbres ou plantes dont les fruits ou la sève sont propres à donner des liqueurs vineuses, de l’alcool, etc. 
 149
Du châtaignier. 
 151
Du coudrier ou noisetier. 
 153
Des plantations de bordure, des vergers agrestes et herbages plantés en général. 
 ib.

[13.1]

Section Ire. — Du pommier et du poirier.

Parmi les arbres dont le cultivateur peut enrichir ses champs, on doit placer en première ligne, surtout pour les parties septentrionales et centrales de la France, le Pommier et le Poirier ; presque sans dommage pour les cultures herbacées, ils fournissent d’abondans produits en bois, et surtout en fruits dont tout le monde connaît les précieuses qualités, soit pour manger crus ou cuits et préparés de mille manières, soit pour en tirer plusieurs boissons qui, sous le nom de cidre, de poiré, sont fort estimées. Dans la division des Arts agricoles (Tome III), on a donné les développemens convenables sur la préparation de ces boisons et même sur la récolte des fruits destinés à les fabriquer. En traitant de la conservation des produits agricoles (Tome I), nous avons suffisamment indiqué les procédés à la portée de la plupart des cultivateurs, à l’aide desquels ils peuvent prolonger la jouissance des fruits pour la consommation du ménage ou attendre un moment plus opportun de les présenter au marché ; nous n’avons donc plus à nous occuper ici que de la plantation, la culture et l’entretien des pommiers et des poiriers, que nous réunissons à cause de l’analogie complète des soins qu’ils réclament.

Le Poirier (Pyrus ; angl. Pear ; ital., Pero ; all., Birnbaum) appartient à la division des Pomacées de la famille des Rosacées ; c’est un arbre grand, vigoureux et durable, qui peut vivre deux siècles et plus, s’élever au-delà de 60 pieds, et couvrir de ses vastes branches une étendue de terrain à peu près égale à sa hauteur. Sa forme est généralemen élancée et pyramidale, et ses racines sont essentiellement pivotantes.

Le Pommier (Malus ; angl. Apple ; ital., Melo ; all., Apfelbaum) appartient à la même division ; il est moins vigoureux que le poirier, dure un peu moins et est plus délicat. Il ne dépasse guère 30 ou 40 pieds, ne s’élance pas comme le poirier, et souvent au contraire étend fort bas ses longs rameaux. Ses racines ont une disposition analogue, ne s’enfoncent pas, mais sont très-courtes.

§ Ier. — Des variétés et des usages du pommier et du poirier.

Les pommiers et poiriers dont la souche primitive parait originaire de nos bois, ont produit, depuis qu’ils sont cultivés, une multitude infinie de variétés dont la taille, la direction des rameaux, la disposition à fructifier fréquemment ou rarement, abondamment ou avec parcimonie, et surtout le volume et les qualités des fruits, sont très-divers. Ce sérait un beau et utile travail, que de dresser une liste complète de toutes ces variétés avec la synonymie des noms qu’on leur donne dans les différentes contrées de la France et même de l’étranger ; chaque pays ferait alors incontestablement un échange d’espèces auquel il gagnerait beaucoup, puisqu’il pourrait rejeter toutes celles qui seraient reconnues inférieures à d’autres. La Société d’horticulture de Paris avait conçu le projet de ce travail avec l’assistance de M.  Vilmorin ; mais ne possédant point encore un jardin, elle a été forcée de l’ajourner. Dans l’absence de ce travail, il serait parfaitement inutile, ailleurs que dans des statistiques locales, de donner la nomenclature des variétés de pommiers et de poiriers cultivées ou les meilleures, soit en fruits à couteau, soit eu fruits à cidre ; cette liste demeurerait presque partout comme non écrite, faute d’une bonne synonymie, ou obligerait les cultivateurs à se pourvoir d’arbres dans le pays dont on aurait adopté les noms.

Nous nous bornerons donc à dire qu’Olivier de Serres ne comptait de son temps que 86 variétés de pommes et 60 de poires, mais que depuis ce nombre s’est peut-être décuplé, et en tout cas s’accroit de jour en jour ; ainsi, M.  Van-Mons, de Louvain, livre chaque année à l’horticulture de nouvelles variétés de poires fort recommandables ; M.  Alfroy, pépiniériste à Lieusaint (Seineet-Marne), a fait venir récemment d’Amérique plus, de 150 fruits nouveaux, dont plusieurs sont d’un volume fort considérable, mais dont les qualités ne sont pas encore suffisamment appréciées.

M.  de Colleville, qui paraît avoir fait un bon choix des variétés de pommes à cidre considérées comme les meilleures dans le centre de la Normandie, en décrit 56, dont 4 fleurissent en avril, 50 en mai et 2 en juin, auxquelles il en ajoute 4 du canton de Livarot, variétés d’élite et les moins connues. M.  Louis Dubois, auquel on doit plusieurs bons écrits sur le pommier et le cidre, énumère 135 variétés de pommes à pressurer, mais en faisant observer qu’il a dû se borner aux variétés les plus recherchées par les bons cultivateurs, dans les cantons de la Normandie où l’on fabrique les meilleurs cidres. Quant aux poires à pressurer, il en cite, en se bornant aussi aux meilleures et aux plus productives, 31 variétés. — M.  Odolant-Desnon, dans son traité spécial de la culture des pommiers et poirier, n’indique pas moins de 298 espèces de pommes à cidre connues en France, et 89 de poires aussi à cidre, dont il essaie de présenter une nomenclature synonymique ; il énumère 57 pommes précoces mûrissant en septembre, 76 de maturité moyenne que l’on cueille en octobre, 54 tardives qu’on abat en novembre, puis ensuite 67 espèces de pommes les plus productives, et enfin 24 pommiers de haute taille, 13 moyens plus larges que hauts, et 10 petits. Malheureusement ces listes n’offrent d’exactitude que pour la Normandie, elles seraient considérablement accrues et modifiées si l’on pouvait y ajouter les bonnes variétés des autres pays, et par conséquent, dans un ouvrage général comme le nôtre, il y aurait peu d’utilité à les reproduire. — M.  Loudon, dans son Encyclopédie de l’agriculture, se borne à recommander et décrire 38 espèces de pommes à cidre, et ce serait sans doute l’un des plus grands services que pourraient rendre les Sociétés d’agriculture, que de faire, pour chaque département de la France, un choix rigoureux des meilleurs fruits, limité à un nombre de variétés à peu près pareil.

Pour remplir ce but autant qu’il est en notre pouvoir dans l’état actuel de nos connaissances pomologiques, nous joignons ici la liste dressée par MM.  Poiteau et Vilmorin, de quelques pommiers à cidre, réputés les meilleures espèces : — Pommiers précoces ou de première saison : Girard, Lente-augros, Relet, Cocherie flagellée, Doux-veret, Guillot-Roger, Saint-Gilles, Blanc-doux, Haze, Renouvelet, Fausse-Varin, Amer-doux-blanc, Orpolin jaune, Greffe de Monsieur, Blanc-mollet. — 2e Saison : Fréquin, Petit-court, Doux-évêque, Héronet, Amer-doux, Saint-Philibert, Long-Pommier, Cimetière, d’Avoine, Ozanne, Gros-doux, Moussette, Gallot, d’Amelot, Rouget, Cul-noué, Souci, Blanchette, Turbet, Becquet, Doux-ballon, l’Épice, de Rivière, Préaux, de Côte. — 3e Saison : Germaine, Béboi, Marin-Onfroi, Barbarie, Peau-de-vache, Bedan, Bouteille, Petite-Ente, Duret, Haute-bonté, De chenevière, De massue, de Cendres, Fossetta, Ros, Prépetit, Pétas, Doux-belle-heure, Camière, Sauvage, Gros-doux, Sapin, Doux-Martin, Muscadet, Tard-fleuri, A-coup-venant, Jean-Huré.

Voici pareillement la liste des poiriers les meilleurs et les plus productifsde ceux cultivés pour faire du poiré : Moque-friand, rouge et blanc, Robin ou Gris cochon, Greal, Raguenet, un des plus productifs et qui donne le meilleur poiré ; d’Angoisse, Hectot, de Mier, de Chemin, égal au Raguenet ; Grippe, grosse, petite et d’auge, Gros-vert, Carisi, rouge et blanc ; Billou, Binetot, de Branche, une des meilleures et des plus fertiles espèces ; Lantriccotin, Trochet-de-fer, de Roux, Gros-ménil, Sabot, très-productif, bon poiré ; de Maillot ; enfin le Sauger ou Poirier de Sauge, arbre très-vigoureux du Gâtinais : le fruit de ce dernier fournit un excellent cidre, et les pépins produisent des sujets propres à greffer les fruits en plein vent.

Quant aux poires à couteau, c’est-à-dire bonnes à manger crues ou cuites, il y a moins d’incertitude dans la nomenclature et la synonymie des variétés, qui sont cependant aussi fort nombreuses ; mais plusieurs ne mûrissent pas bien en plein vent et doivent être greffées sur coignassier, ce qui exige de les conduire en espalier et par conséquent les fait sortir du domaine de la grande culture. Voici les meilleures parmi celles qui viennent bien eu plein vent : Muscat-Robert, Blanquette, Cuisse-Madame, de Vallée, Petit-Rousselet, d’Angleterre, Crassane, Mouille-bouche ou Verte-longue, Messire-Jean, Martin-sec, Echassery, Franc-Réal, Catillac, de Livre ou Gros-Râteau.

Les pommes à couteau présentent un moindre nombre de variétés que les poires, et sont aussi assez généralement connues sous les noms suivans ; nous ne citons que les meilleures : Calville blanc d’hiver, Postophe d’hiver, Calville rouge d’automne, Châtaignier, Fenouillet gris, Fenouillet jaune ou Drap d’or, Reinette franche, R. d’Angleterre ou Pomme d’or, R. dorée, R. de Hollande, R. de Bretagne, R. de Canada, R. d’Espagne, R. grise, Pigeonnet, Rambour franc ou gros, Rambour d’hiver, Api, Court-pendu ou Capendu. En outre de ces variétés de choix, on peut mettre en réserve, lors du cueillage des fruits à cidre, plusieurs sortes de pommes bonnes surtout à cuire.

Dans les exploitations rurales on ne doit pas considérer le produit des pommiers et des poiriers comme uniquement destiné à fabriquer du cidre ou du poiré ; car, dans les années de grande abondance, cet emploi des fruits n’est pas toujours le plus profitable, à cause des frais assez considérables qu’exigent la préparation et la conservation de cette boisson. Comme les pommes à manger crues ou cuites, surtout lorsqu’on peut les mélanger avec quelques pommes à cidre, peuvent aussi se convertir en un très-bon cidre, nous pensons qu’on doit généralement les faire entrer dans les plantations en proportion assez considérable, afin d’avoir la ressource de les expédier sur les marchés des villes si on le croit dans son intérêt. Au surplus, pour les unes comme pour les autres, lorsque la quantité en est trop considérable, on peut acheter en juin de jeunes cochons qu’on nourrira fort avant dans l’hiver avec ces pommes ou poires ; on peut même les donner aux chevaux, aux vaches, aux moutons (à ces derniers toutefois avec modération), en ayant la précaution de les concasser grossièrement. M.  O. Desnos est d’avis qu’il y a plus de profit, dans ces cas d’abondance, lorsqu’on peut faire les avances nécessaires, à fabriquer du cidre avec ces fruits pour le faire brûler ensuite et eu tirer de l’eau-de-vie qu’on garderait jusqu’au moment opportun pour la vente.

En outre de l’utilité de leurs fruits, le pommier et le poirier fournissent un bois très-bon, soit pour le chauffage, soit pour les ouvrages de menuiserie et d’ébénisterie ; celui du poirier notamment, dont la dureté est encore plus grande, est recherché pour les graveurs sur bois, à défaut du buis ou du cormier ; il est en outre précieux pour les tourneurs et les ouvrages de marqueterie, parce qu’il prend si bien la couleur noire qu’on a souvent de la peine, lorsqu’il en est bien imbibé, à le distinguer de l’ébène.

Dans plusieurs pays où l’on a remarqué l’abondance des fruits des poiriers et des pommiers sauvages, on a le bon esprit de composer les haies avec ces sortes de végétaux, et on se procure ainsi, au moyen d’un arbuste qui remplit bien ses fonctions de défenseur, une boisson peu agréable pour qui n’a pas l’habitude d’en faire usage, mais cependant d’un grand secours lorsque les autres boissons sont rares ou d’un prix élevé. Au surplus, nul doute que plusieurs variétés de pommiers et de poiriers cultivées ne se prêtent parfaitement à la formation des haies, que A. Thouin proposait de rendre meilleures et plus productives en greffant les rameaux les uns sur les autres aux endroits où ils se croisent.

§ II. — De l’éducation et de la plantation.

Dans la culture des champs, les soins qu’on donne à la plantation et à l’entretien des pommiers et des poiriers sont peu considérables, en sorte qu’on peut dire que c’est presque sans frais qu’on se crée pour l’avenir une richesse considérable. Lorsqu’on se trouve dans le voisinage des forêts qui n’en sont point encore dépourvues, on peut y faire choisir et arracher les sauvageons bien venans qui s’y rencontrent, pour en former aussitôt sa plantation ; on les prépare comme les sujets transplantés d’une pépinière pour être mis à demeure, et on n’a plus qu’à les greffer au bout d’une année ou deux, selon la vigueur, la force et la hauteur de l’arbre.

La direction et la hauteur des ramifications doit surtout être prise en grande considération pour les pommiers, qui croissent peu en élévation et étalent souvent leurs branches jusqu’à terre, ce qui fait perdre une grande étendue de terrain. Pour ces arbres, il est donc de première importance de choisir les espèces qui affectent une forme élancée, pyramidale, ou tout au moins soutiennent leurs rameaux à une suffisante distance du sol pour que le soleil y pénètre et que l’air y circule ; par la même raison, il est aussi préférable de retarder la greffe de quelques années, si cela est nécessaire pour que l’arbre porte sa tête à une plus grande élévation.

À cette différence près, et à celle de la profondeur à laquelle pénétrent les racines et qui impose pour le poirier le choix d’un terrain plus profond, la culture du pommier et du poirier est la même ; quoique ce dernier soit généralement plus robuste, qu’il supporte mieux l’exposition à l’ouest et au nord, qu’il craigne moins la grande humidité du terrain et l’évaporation des eaux voisines, leur enfance dans la pépinière, leur transplantation, la manière de les greffer et de les conduire, comme le mode de récolter leurs fruits et l’emploi de leurs produits, sont absolument les mêmes, et ce que nous allons en dire s’appliquera aussi bien à l’un qu’à l’autre.

Dans les circonstances ordinaires, lorsque l’étendue des terrains à planter est encore considérable, il est plus économique de créer une pépinière sur son domaine que de se pourvoir d’arbres chez les marchands ; cela est aussi plus avantageux, parce qu’on peut, avec plus de facilité et de certitude, faire un choix bien combiné des variétés de fruits préférables. Mais il est pour cela indispensable que cette pépinière puisse être sous la surveillance immédiate du propriétaire ; car le fermier, à moins que son bail ne soit à très-long terme, donnera rarement à l’éducation des arbres les soins nécessaires, parce qu’il verra toujours dans un avenir prochain et assuré les soins et les embarras de leur culture, et au contraire, dans un avenir éloigné et incertain pour lui, leurs utiles produits.

Du reste, nous ne nous étendrons pas ici davantage sur la formation et l’entretien d’une pépinière, puisque cette matière a été le sujet d’un article étendu au commencement du 5e livre (Agric. forestière, T. IV) ; comme on peut greffer les arbres à haute tige, soit dans la pépinière, soit après les avoir transplantés à demeure, nous parlerons de la greffe après la plantation.

La transplantation à demeure doit avoir lieu lorsque l’arbre, sauvageon ou greffe, appelé aussi ente, a de 4 à 6 pouces de tour (10 à 14 centimètres). La plantation ne doit pas avoir lieu trop tôt, parce que les arbres n’offriraient pas de résistance ; on ne doit pas non plus la faire trop tard ni avec des sujets trop forts, parce qu’ils occuperaient inutilement la place dans la pépinière, reprendraient plus difficilement, et pousseraient moins bien durant les premières années.

Nous croyons peu utile de rappeler ici les principes fondamentaux des plantations, applicables à toutes sortes d’arbres, comme de planter en octobre ou novembre si le terrain est sec ou sablonneux, et, au contraire, au printemps si le sol a des qualités opposées ; de creuser les trous d’avance afin que le terrain s’améliore et se mûrisse, et de les faire aussi grands que possible ; de placer sous les racines de l’arbre une couche de gazons retournés, de curures de fossés, de bonne terre enfin, sur laquelle on le dispose ; de bien étaler les racines qu’on a conservées aussi entières que possible ; de les recouvrir de bonne terre meuble qu’on insinue avec soin dans tous leurs interstices, et qu’on presse suffisamment pour qu’elles ne puissent plus être ni remuées ni déplacées ; de mettre à la surface la moins bonne terre et de la recouvrir de pierres, si le trou en a fourni et qu’on aura eu le soin de mettre de côté, etc. — L’arbre ne doit être enfoncé que de 2 ou 3 pouces de plus qu’il ne l’était dans la pépinière.

Les arbres plantés dans les champs étant généralement exposés aux atteintes des bestiaux, il est presque toujours nécessaire de les garnir d’épines ; on choisit les rameaux épineux les plus longs, on les fiche en terre par le bas et on les attache à la greffe, au moyen de liens, en plusieurs endroits. M.  L Dubois recommande l’emploi d’un fort tuteur haut de 5 pieds, qu’on incline un peu, et qui est armé de 3 chevilles présentant 6 pointes de 9 à 10 pouces, placées à la hauteur où les animaux pourraient se frotter ; ce tuteur est lié à l’arbre par un hart, et on évite une pression nuisible au moyen d’un peu de mousse placée à l’endroit de la ligature.

Le pommier et le poirier viennent à peu près dans tous les terrains et à toutes les expositions ; cependant ils prospèrent bien mieux dans un sol gras et profond, sain sans être sec, frais sans être humide, et à l’exposition du sud ou du sud-est. Celle de l’ouest est surtout nuisible aux arbres fruitiers, parce que les vents les ébranlent, en brisent les branches, et font tomber au printemps la fleur et à l’automne les fruits qui, jetés bas avant la maturité, sont perdus ou ne donnent que des produits de très mauvaise qualité ; dans les terres maigres et humides, l’arbre ne pousse pas, se couvre de mousse, et ne produit que des fruits chétifs ; dans les sols profonds les racines s’assurent avec solidité, puisent plus de vigueur et de nourriture ; l’arbre est plus beau et donne de meilleurs fruits.

Nous parlerons dans la dernière section de ce chapitre de la distance qui doit séparer les arbres et des particularités relatives aux plantations en bordure ou en vergers.

Lorsqu’on ne veut que des arbres à cidre, et qu’on a fait choix dans la pépinière de sauvageons à feuilles larges, à gros boutons, ce qui annonce de gros fruits, on peut se dispenser d’avoir recours à la greffe ; mais cette opération est indispensable pour s’assurer des variétés déterminées, et cela est préférable sous tous les rapports. Au reste, la greffe des pommiers et poiriers n’offre aucune difficulté et ne cause jamais la perte d’un sujet ; comme elle a lieu sur des individus déjà forts, on emploie presque toujours la greffe en fente qui réussit très bien, et donne des jets vigoureux ; si la greffe vient à manquer ou à être cassée, on en est quitte pour recommencer l’année suivante.

§ III. — De l’entretien des plantations.

Peu d’arbres sont moins exigeans pour les soins de culture que ceux qui nous occupent, et l’on voit des plantations fort belles et fort productives, souvent entièrement abandonnées à la nature. Cependant ce n’est pas là un bon exemple à suivre, et les soins d’entretien, peu dispendieux et fort faciles qu’on ne doit pas négliger de donner, sont toujours grandement récompensés par la belle venue et la fructification des arbres ; c’est surtout durant les premières années de la plantation que les poiriers et les pommiers ont besoin de ne pas être entièrement délaissés à eux-mêmes.

Le pied des arbres doit être labouré chaque année à la surface et même amendé avec des gazons retournés, des curures de fossés, de la bouse de vache, etc. Ce travail est surtout indispensable dans les prairies non labourées. — Il faut avoir soin d’enlever les gourmands du sauvageon, qui poussent souvent au pied de l’arbre ou au-dessous de la greffe, et qui consomment la sève en pure perte. — Plus tard, il faut couper les rameaux trop multipliés ou mal venans, en ne laissant que les mieux placés et les plus vigoureux, afin d’obliger l’arbre à s’élever et à former une belle tête. Lorsque ces rameaux sont rabougris et affectent une disposition inclinée vers le sol ou même horizontale, on obtient souvent de bons résultats en les recépant près de la greffe sur un œil supérieur, lequel donne un beau jet vertical et reforme l’arbre ; il est bon alors d’assurer une végétation plus vigoureuse en labourant le pied de l’arbre et y mettant quelques engrais. Ces soins de taille et de direction sont particulièrement nécessaires pour les pommiers qui, trop souvent laissant retomber leurs branches vers la terre, se trouvent ainsi exposés à la dent des bestiaux et couvrent le sol de manière à le rendre tout-à-fait improductif. — Il arrive souvent que les arbres, après un temps plus ou moins long, se couvrent de mousses, de lichens et de bois mort ; il est indispensable d’extirper les premiers en frottant fortement les branches avec une brosse, par un temps humide ; quant au bois sec, on le coupe à la serpe jusqu’au vif ; on doit aussi détruire avec soin les guis qui infestent quelquefois les pommiers et leur sont très nuisibles. — Sur les vieux arbres l’écorce est quelquefois si épaisse et si gercée qu’elle ne sert plus que de retraite à une multitude d’insectes ; il est bon d’en enlever une partie avec la plane du tourneur ou la serpe, ainsi que les champignons parasites.

Un très grand nombre d’insectes attaquent les arbres qui nous occupent ; nous en parlerons dans la 5e section.

Il est impossible d’assigner avec quelque exactitude la quantité des produits qu’on peut raisonnablement espérer d’une plantation de pommiers ou de poiriers. Lorsqu’on a planté de beaux arbres dans un sol convenable, et qu’on n’a pas négligé les soins d’entretien, on commence à obtenir quelques produits au bout de 5 ans ; au bout de 10, ils méritent déjà l’attention, et on peut regarder les arbres comme en plein rapport à 20 ans. — La quantité de fruits que porte un bel arbre est souvent énorme, mais souvent aussi il n’en rapporte que quelques-uns ou même pas du tout ; généralement, même les bons arbres ne produisent une abondante récolte que tous les deux ou trois ans. — On voit souvent des plantations fort belles ne jamais fleurir, ou les fleurs avorter constamment ; cela parait dépendre du choix des variétés plus ou moins fructifères en raison des circonstances locales ; ce sujet n’a pas encore été suffisamment étudié, malgré son importance.

[13.2]

Section II. — De quelques autres arbres ou plantes dont les fruits ou la sève sont propres à donner des liqueurs vineuses, de l’alcool, etc.

Dans la grande famille des Rosacées, les sections des Amygdalées et des Pomacées sont celles qui fournissent le plus de produits vineux ou alcooliques. Après le Pommier et le Poirier, dont il vient d’être traité en particulier à cause de leur importance, il faut mentionner, parmi les Pomacées, les fruits des Alisiers, des Néfliers, des Cormiers, des Sorbiers, dont les habitans des campagnes emploient les différentes espèces pour préparer des piquettes ; mais, avec plus de soin et de méthode, les alises, les nèfles, les cormes et les sorbes pourraient servir à faire une sorte de cidre, et celui de cormes surtout, qui se prépare dans quelques cantons voisins des forêts où les cormiers sont communs, a beaucoup d’analogie avec celui qui se fait avec des poires. Tous ces cidres donnent plus ou moins d’alcool à la distillation, et si on les fait au contraire passer à la fermentation acéteuse, ils peuvent être convertis en vinaigre. C’est principalement dans les pays du nord qui sont privés de la vigne, que ces différens fruits sont employés pour en retirer de l’eau-de-vie.

Les fruits des Amygdalées jouissent des mêmes propriétés que ceux des Pomacées, et les produits qu’on en retire sont même beaucoup plus agréables, et pour cette raison plus usités. Sous ce rapport, le kirschemcasser et le marasquin méritent d’être indiqués d’une manière particulière. — Le kirschenwasser est une liqueur spiritueuse, une sorte d’eau de-vie très forte, qu’on obtient par la distillation des fruits du Merisier, après les avoir fait convenablement fermenter, et qui est aussi claire et aussi transparente que l’eau la plus limpide. C’est dans les montagnes des anciennes provinces d’Alsace, de Lorraine et de Franche-Comté en France, dans les cantons de Berne et de Bâle en Suisse, et dans la Souabe qu’on en distille le plus ; de là cette liqueur est transportée dans toute l’Europe. La merise noire sauvage donne le meilleur kirschenwasser, après elle les merises rouges, et enfin les guignes. La liqueur alcoolique qu’on relire des cerises acides est toujours d’une qualité inférieure. Le degré moyen de la pesanteur du kirschenwasser est entre 22 et 26 degrés de l’aréomètre de Beaumé.

Le marasquin est une autre liqueur alcoolique, faite avec une petite cerise nommée marasca en Italie. Cette liqueur est beaucoup plus douce et plus agréable, au goût de bien des personnes, que le kirschenwasser. C’est de Venise, de Trieste, et surtout de Zara en Dalmatie qu’on tire la meilleure et la plus estimée. On a ignoré pendant longtemps en France les procédés de sa préparation ; mais on sait aujourd’hui que c’est en écrasant les fruits, en les faisant fermenter, et en les distillant lorsque la fermentation vineuse est convenablement développée. Ensuite le produit de la première distillation se rectifie au bain-marie, jusqu’à ce que le liquide soit dépouillé de tout corps hétérogène ; ce qu’on reconnaît à l’odeur et à la saveur agréables de la liqueur. On fait enfin fondre du sucre blanc dans une suffisante quantité d’eau simple ; on le mêle avec l’alcool, et on laisse vieillir le mélange. La cerise marasque est cultivée au Jardin-du-Roi et chez quelques pépiniéristes ; mais il n’est pas à notre connaissance qu’on ait encore essayé de faire du marasquin en France. En général, nous croyons que les produits alcooliques qu’on pourrait retirer de plusieurs variétés de cerises sont trop négligés.

Les Prunes sont au nombre des fruits que les Hongrois mettent fermenter avec les pommes, pour obtenir le raki, boisson moins spiritueuse que l’eau-de-vie, mais qui passe pour être plus saine. Dans plusieurs provinces d’Allemagne, en Suisse, et dans quelques parties de la France sur les bords du Rhin, on fait un vin de prunes et on retire de celui ci une liqueur alcoolique appelée zwetschenwasser, du nom de l’espèce avec laquelle on la fabrique le plus souvent.

Lorsque Bosc était dans les États-Unis d’Amérique, il y a une quarantaine d’années, les colons, habitant sur les derrières des Ârolines, plantaient beaucoup de Pêchers, uniquement pour convertir leurs fruits en eau-de-vie ; les pêches employées de cette manière y étaient l’objet d’un produit annuel très considérable, parce que l’eau-de-vie qu’on en retirait servait de boisson. toute la population de l’intérieur des terres qui en faisait une grande consommation. M.  A. Michaux dit aussi qu’on récolte dans le Kentucky une immense quantité de pêches qui est convertie en eau-de-vie. C’est une industrie que nous croyons tout-à-fait inconnue en France.

En écrasant les Framboises et en les faisant fermenter, on en obtient une sorte de vin qui est très-fort, assez agréable, et dont on peut retirer, par la distillation, de l’eau-de-vie très-spiritueuse. Dans plusieurs parties de la Pologne, ce vin remplace, pour le peuple, le vin ordinaire. En France, dans quelques cantons, les pauvres des campagnes font avec les fruits de la Ronce des haies et de quelques autres espèces, un vin qui, dit-on, est peu inférieur à celui fait avec du raisin, et qui fournit de l’alcool à la distillation.

En Égypte et dans quelques contrées du Levant, on prépare une liqueur vineuse en faisant fermenter dans l’eau les fruits du Caroubier, et par la distillation on en obtient de l’eau-de-vie. Le caroubier croît naturellement en France, dans les parties les plus chaudes du littoral de la Méditerranée.

Les Tartares de la Crimée savent distiller les baies du Sureau pour en retirer de l’eau-de-vie, et M.  Aloys-Werle, de Vienne en Autriche, a trouvé, par des essais faits avec ces baies, qu’à quantités égales, elles donnent plus d’alcool que le meilleur froment ; il y est parvenu en en traitant le jus comme le moût de raisin, et en le distillant.

Le fruit de l’Arbousier fournit une eau-de-vie de bonne qualité, qui a un goût agréable, et qui n’a pas la moindre odeur empyreumatique quand elle a été bien préparée ; de sorte qu’elle peut très-bien être employée à la confection des liqueurs fines. Mille livres de ce fruit donnent ordinairement une barrique d’eau-de-vie à 16 degrés. En 1817, on a distillé sur les côtes de Dalmatie, plus de 1000 barils de cette eau-de-vie. Selon M.  Prechtl, devienne en Autriche, les arbouses, quand elles ont bien fermenté, fournissent le quart de leur poids en eau-de-vie. Les arbousiers sont communs dans les terrains stériles de nos départemens du Midi ; pourquoi laisse-t on perdre leurs fruits, au lieu d’en retirer l’alcool qu’ils paraissent contenir en si grande quantité ?

On peut aussi faire une sorte de vin ou retirer de l’alcool de plusieurs fruits à baie, comme le Myrtille, l’Airelle rouge, la Canneberge, etc.

Beaucoup d’autres fruits encore, comme les Dattes, les Figues, les Châtaignes, etc., sont susceptibles, étant écrasés dans l’eau, de passer à la fermentation vineuse, et de donner de l’alcool si on les soumet à la distillation en temps convenable, ou d’être convertis en vinaigre si, prolongeant la fermentation vineuse, on la fait passer à l’état acéteux ; mais il y a plus, toutes les parties des végétaux qui contiennent plus ou moins de sucre sont pour cette raison susceptibles de donner ces mêmes produits vineux, acéteux ou alcooliques, selon qu’on les prépare étendus dans une suffisante quantité d’eau et à une température convenable : tels sont le Maïs, le Sorgho, les racines de Chiendent, les Carottes, les Panais, le Chervi, le Navet. la Réglisse, etc. La racine même de Gentiane, si amère qu’on n’y soupçonnerait pas la présence du sucre, en contient cependant assez pour qu’il soit possible d’en retirer de l’eau-de-vie, et c’est ce qu’on fait dans les pays montagneux où cette plante est abondante.

La sève de beaucoup d’arbres et de plantes est naturellement assez sucrée pour que, par le moyen d’incisions faites à l’écorce ou autrement, à la fin de l’hiver ou au commencement du printemps, on en obtienne une liqueur qui, en peu de temps, passe facilement à la fermentation vineuse et peut se convertir en une sorte de vin. Parmi les arbres, nous citerons d’abord la sève de plusieurs Bouleaux qui, en Suède et dans l’Amérique du nord, est ainsi employée en guise de vin. Ensuite la sève des Érables contient également beaucoup de sucre, et principalement celui que cette circonstance a fait nommer Érable à sucre, dont la sève est exploitée dans plusieurs parties des États-Unis d’Amérique pour être convertie en véritable sucre. Après cette espèce, l’Érable sycomore, l’Érable rouge, etc… contiennent aussi une assez grande quantité de sucre dans leur sève, pour que, par les préparations qu’on fait subir à celle-ci, on puisse ou la convertir en une sorte de vin, ou en extraire du sucre cristallisé. On a vu à l’article Noyer que cet arbre donne une sève sucrée, et que par conséquent on pourrait en faire une espèce de vin.

En général, toutes les liqueurs vineuses qui sont le produit de la sève des arbres que nous venons d’indiquer sommairement, ne se gardent que peu de temps ; elles deviennent promptement aigres et forment alors une sorte de vinaigre. Si on les distille en temps convenable, elles donnent de l’alcool.

Quoique le Palmier dattier soit rare dans le midi de la France, nous ne croyons pas cependant devoir laisser ignorer que les Arabes de la côte de Barbarie et de plusieurs contrées du Levant retirent de cet arbre un vin fort capiteux, qui est le produit de la fermentation qu’on fait subir à la sève retirée par l’incision du bourgeon terminal.

Si on coupe la tige de l’Agavé d’Amérique au moment où elle commence à se développer, la sève qui en découle fournit, au Mexique, selon M.  de Humboldt, environ 4 pintes par jour et pendant 2 à 3 mois, d’une liqueur susceptible de fermentation, et qui, après 3 à 4 jours, devient une boisson semblable au cidre pour la couleur. L’agavé d’Amérique est acclimaté dans tout le midi de l’Europe, principalement sur le littoral de la Méditerranée ; nous en avons vu de très-beaux pieds aux environs de Cannes et d’Antibes en Provence ; il serait curieux d’essayer si cette plante donnerait chez nous les mêmes produits qu’en Amérique.

Il suffira ici d’avoir indiqué sommairement les différens produits vineux, acéteux ou alcooliques qu’on peut retirer de certains végétaux qui ne sont pas, sous ce rapport, d’un usage général. Pour les procédés de préparation et de fabrication, nous devons renvoyer à la division des Arts agricoles (Tom. III).

[13.3]

Section III. — Du Châtaignier.

On ne trouve nulle part toutes les espèces de châtaigniers réunies dans un seul domaine. Chacun cultive de préférence celles qui réussissent le mieux chez lui, ou les plus précoces pour les vendre fraîches. Quelques-unes ne diffèrent que parce qu’elles ont été transportées d’un sommet aride au fond d’un vallon arrosé. On peut en énumérer une 30e de variétés cultivées dans les Cévennes, et qui ne sont désignées que par des noms du pays ; c’est celle nommée daoufinenco, l’une des meilleures et des plus grosses, et qui paraît originaire du Dauphiné, dont le fruit est connu sous le nom de marron de Lyon.

Le châtaignier est certainement indigène aux Cévennes et à quelques autres contrées de la France. Des forêts de cet arbre sont provenus les taillis exploités actuellement en coupes réglées, et sans doute aussi la culture et la greffe en changèrent d’autres en châtaigneraies dont les Cévennols apprécient bien les avantages et auxquelles ils consacrent tous leurs soins.

Les châtaigniers cultivés doivent être émondés tous les 2 ou 3 ans, dans les mois de mars et de septembre. On coupe le bois mort, les branches intérieures qui fatiguent les arbres inutilement, et les drageons qui poussent à leur pied. Quand l’arbre, déjà vieux, paraît décliner, on laisse un ou deux de ces jets pour lui succéder, et on le coupe par un temps favorable, comme bois de service s’il est sain, et pour le feu s’il est creux ou fendu. Tous les vieux arbres ne se renouvelant pas ainsi par des drageons, il faut chaque année, pour entretenir une châtaigneraie, faire quelques plantations nouvelles.

Pour faire une pépinière, on choisit des châtaignes saines et grosses, de l’espèce la plus productive, quoique cela ne dispense pas de greffer les arbres. Comme on ne les sème qu’après l’hiver, pour les conserver on fait, dans un lieu sec et au soleil, un trou que l’on remplit alternativement d’un lit de feuilles de châtaignier ou de pousses (enveloppes des châtaignes), et d’un lit de châtaignes. On achève de le combler d’environ 3 décimètres de terre battue, pour que la gelée n’y pénètre pas. Dans le courant de février, on retire les châtaignes de ce trou, appelé soutieire ; on les sème en raies à environ 8 décimètres l’une de l’autre, et à un décimètre de profondeur, le germe en haut. Il faut avoir soin de sarcler les mauvaises herbes ; d’arroser s’il survient de fortes sécheresses ; de travailler la terre au moins en mars et en août ; de dégager la tige principale des petites branches qui poussent autour, etc. Au bout de 4 ans, on a des arbres d’environ 2 mètres de haut et de 3 ou 4 centimètres de diamètre près des racines, les quels peuvent être arrachés pour être plantés à demeure.

Les châtaigniers se plantent comme tous les arbres fruitiers, on ne met pas de fumier. On est dans l’usage de couper le pivot. On coupe aussi la tête de l’arbre, afin que les branches ne fatiguent pas la tige ; il prend plus tôt racine et pousse des jets qu’on peut greffer deux ans après. En greffant, on doit faire attention que tel châtaignier se plaît mieux sur les hauteurs, tel autre auprès des ruisseaux.

Au commencement d’avril on greffe tous les arbres plantés 2 ans auparavant, ceux qui ont manqué les années précédentes, et les rejetons des vieux arbres. On doit avoir toujours dans sa propriété deux ou trois arbres greffés des meilleures espèces, dont on recèpe les branches tous les 2 ans, dans les premiers jours d’avril ; ces jets sont uniquement destinés à fournir des greffes. Les autres sortes réussissent aussi ; cependant c’est la greffe en flûte (voir l’art. Mûrier ci-devant) qu’on préfère, et elle est immanquable si l’on a l’attention, un mois après, de visiter chaque greffe et d’enlever avec la main les pousses du sauvageon qui l’affament et l’étouffent.

On continue ensuite à soigner l’arbre tant qu’il est jeune, comme on l’a fait depuis qu’il est planté. Il faut le fossoyer en juin, ménager un petit creux autour pour recevoir les eaux pluviales, élaguer les pousses qui sortent de la tige, entourer celle-ci de paille en été pour la défendre du soleil, et surtout la garnir d’épines si l’on a des chèvres. Quand les arbres deviennent plus forts, il faut émonder les branches mortes, supprimer les gourmands, raccourcir les branches qui nuisent au développement des autres. Ce n’est guère qu’au bout de 10 ans que les châtaigniers greffés donnent des fruits en assez grande abondance pour que la récolte mérite d’être comptée. — Les plantations de châtaigniers ne doivent être établies que dans les terrains sablonneux, granitiques ou argileux ; ces arbres ne prospèrent point dans les sols calcaires ou marécageux.

Nous ne rapporterons pas ici les divers usages des fruits et du bois de châtaignier (voir Agric. forestière, T. IV), ni les diverses manières d’apprêter les châtaignes : dans les Cévennes, on s’en sert pour engraisser les bestiaux et la volaille, elles constituent la nourriture habituelle des pauvres habitans, elles figurent aussi sur les meilleures tables. Enfin elles constituent un commerce d’exportation assez important : on sait qu’à Paris et dans les grandes villes la consommation qui s’en fait est fort considérable. Les Limousins en fabriquent une espèce de pain, en Corse on en fait des galettes ou biscuits épais et lourds, et dans les Cévennes de la farine, mais pour la nourriture des cochons, en en mélangeant quelques poignées avec les fruits et les herbes qu’on leur donne. Les chimistes modernes en ont retiré du sucre ; concassées et torréfiées, elles ont été proposées pour remplacer le café.

La récolte des châtaignes varie beaucoup d’une année à l’autre. Elle sera mauvaise s’il vient à pleuvoir lorsque les chatons sont en fleurs, s’il fait de grands vents lorsque les hérissons se forment, si l’été trop chaud les dessèche et les fait avorter. Pour la cueillette, les ramasseuses se servent d’un bâton fourchu pour ratisser les feuilles qui couvrent les châtaignes dans les creux, entre les pierres, et pour frapper et ouvrir les hérissons tombés avec le fruit. Quand leurs paniers sont pleins, elles les vident dans de grands sacs qu’on transporte au séchoir.

Pour conserver les châtaignes fraîches après la récolte, on emploie la dessiccation et le battage. Le bâtiment destiné à les faire sécher est un carré long, d’une hauteur de 5 à 6 mètres, d’une largeur et d’une longueur proportionnées à la récolte annuelle. Un rang de poutres, portant des claies formées de baguettes, le partage en deux étages, la porte du second est à 5 décimètres au-dessus des poutres. Les fenêtres, s’il y en a, doivent être fermées, quand les châtaignes y sont ; on pratique seulement quelques trous au haut des murs, pour laisser échapper la fumée.

L’homme qui est particulièrement chargé de ce bâtiment ou cledo, y entretient les feux, les visite le jour et la nuit pour les tenir au point nécessaire ; trop faibles, ils brûleraient inutilement ; trop vifs, ils donneraient aux châtaignes les plus basses une couleur rousse et un goût de brûlé. Cet homme doit avoir à sa portée une cuve pleine d’eau, pour éteindre immédiatement l’étincelle qui s’attacherait au plancher, en y portant un vieux linge qui, placé au bout d’un bâton, trempe toujours, à cet effet, dans la cuve. Quand il y a une couche de châtaignes sur toute la surface du plancher, on commence à allumer, pour les faire suer, un 1er feu dans la partie inférieure du séchoir, et puis, à mesure que la récolte avance, on en fait 2, 3 ou 4 selon la grandeur du bâtiment, pour chauffer également toute l’étendue des claies. On ne brûle que du bois qui donne peu de flamme et beaucoup de fumée, et, pour en produire davantage, on couvre les feux avec les pousses de l’année précédente, qu’on garde à cet effet. — On ferait des séchoirs plus parfaits que ceux-là, mais ils seraient plus coûteux. — C’est dans la partie inférieure du clédo que l’on blanchit les châtaignes ; elle sert ensuite d’étable ou de bergerie ; on serre alors sur le plancher les feuilles et les fagots de ramée qui doivent servir, en hiver, de litière et de nourriture aux chèvres ; au printemps on enlève les claies du plancher, et on y établit l’atelier des vers-à-soie. — À mesure qu’on apporte de nouvelles châtaignes au séchoir, on les étend au-dessus de celles qui s’y trouvent déjà ; leur dessiccation est ainsi graduée, quoique le feu soit le même, chacune des couches étant d’autant plus chauffée qu’elle est plus basse, en sorte que les premières récoltées sont presque sèches, lorsque les plus hautes commencent à suer. C’est 3 ou 4 jours après qu’on a fini de ramasser les châtaignes, qu’on les retourne ; pour cela, deux hommes avec des pelles de bois font une tranchée dans les châtaignes, contre l’un des petits côtés du séchoir, la remplissent des châtaignes de la couche supérieure, qu’ils recouvrent avec celles du fond d’une nouvelle tranchée parallèle à la première ; ils jettent dans celle-ci des châtaignes de dessus, et continuent jusqu’à ce que tout soit retourné. On ne fait alors qu’un seul feu que l’on change plusieurs fois de place pendant 8 jours. Après ce temps, les châtaignes sont prêtes à être blanchies, ce que l’on reconnaît si la châtaigne est dure sous la dent, et si l’enveloppe se brise bien en la froissant entre les doigts. Jamais on n’en garde de sèches dans l’enveloppe.

Il y a différentes manières de battre les châtaignes : 1° Dans les sacs. Ces sacs sont ouverts aux 2 bouts ; ils ont 85 centimètres de tour sur un mètre de large. On met dans le milieu de ce sac environ demi-décalitre de châtaignes. Deux hommes debout l’un vis-à-vis de l’autre, tenant le sac à 2 mains, relèvent ensemble et frappent sur un billot de 70 centimètres de haut placé entre eux. Après une 30e de coups, l’un des batteurs va prendre une autre mesure au tas, et l’autre verse les châtaignes dans un van qu’un homme tient à côté d’eux. Lorsque le sac commence à se percer, on fait coudre les 2 ouvertures ensemble, et on le coupe au milieu qui devient alors les extrémités. L’homme qui vanne suffit pour 2 paires de batteurs, et nettoie 2 mesures à la fois. Après le 1er battage toutes les châtaignes ne sont pas parfaitement blanches ; pour détacher cette pellicule rougeâtre, que la plupart conservent, on recommence l’opération, mais l’on bat moins fort et moins de coups. Les châtaignes nettoyées sont mesurées et portées au logis, où elles sont triées, durant les jours de pluie, pour être vendues ensuite. — 2° Pour les petites récoltes on se sert des soles qui brisent moins les châtaignes. Ce sont de gros souliers ou patins (fig. 68), dont la semelle


de bois a 5 centimètres d’épaisseur, et est entourée d’une lame de fer découpée en scie par-dessous. 13 dents pointues, de 8 centim. de long sur 15 millim. en carré à leur base, entaillées sur les arêtes, sont implantées dans cette semelle. 4 hommes chaussés de soles entrent dans une espèce de coffre de 2 décimèt. et demi de long sur 7 décimèt. de large, rempli aux 3/4 de châtaignes, qu’ils font passer et frotter sous leurs soles. Au bout de 10 minutes ou d’un quart-d’heure au plus, ils les ont rompues. 2 hommes les vannent pendant qu’on en prépare d’autres. ; — 3° Pour blanchir les châtaignes on se sert encore de la masse à battre les châtaignes (fig. 69 ) ; c’est un plateau d’environ 4 décimètres de diamètre et d’un décimètre d’épaisseur, au-dessus et au centre duquel est un manche de 2 décimètres de long, garni par-dessous de dents carrées, en bois dur, taillées en pyramide et de 3 décimètres de côté. Les châtaignes sont amoncelées au milieu du séchoir ; 6 ou 8 hommes, armés de masses, font le tour de ce tas, marchent sur les châtaignes du bord, en les frappant ; un homme, qui les suit, éloigne avec une pelle de bois les châtaignes dont l’enveloppe est brisée. Une fois que toutes les châtaignes sont rompues, on les vanne et on les repise avec des sacs.

[13.4]

Section IV. — Du Coudrier, ou Noisetier.

Le Coudrier ou Noisetier (en angl., Hazeltree ou Filberdtree ; en ital., Noccilano, Avellano ; en allem., Hafelstrauch), dont le fruit était désigné sous le nom de nux pontica par les Romains, comprend plusieurs espèces dont quelques-unes sont indigènes et très-communes dans nos bois, et dont quelques variétés ont été améliorées par la culture. Il est très-utile de les multiplier dans les plantations forestières, soit pour le bois qui donne un produit assez faible, mais qui peut servir à faire des cercles de tonneaux, soit pour faire les harts qui servent à lier les fagots et les bourrées.

Une espèce, l’Avellinier (Corylus avellana fig. 70), cultivée d’abord dans les environs


d’Avellino (royaume de Naples) et importée ensuite en Espagne, forme chez nous un article assez important du commerce ; les fruits portent le nom d’Avelines. Les Espagnols ont été longtemps seuls en possession de fournir d’avelines tous les marchés de l’Europe ; mais, depuis quelque temps, on en cultive une certaine quantité dans les environs de Lyon. Il y a plus d’un siècle que les cultivateurs du comté de Kent mettent alternativement sur le même champ une rangée de pieds de houblon et une rangée d’aveliniers, et il n’est pas rare que le produit de cette dernière plante donne plus de bénéfices que le houblon.

Le noisetier peut donc être dans quelques cas l’objet d’une culture très-lucrative ; mais le traitement de cet arbrisseau diffère : suivant le but qu’on se propose. Si on l’élève pour faire des harts, pour cerclières, pour la boissellerie, ou la vannerie, on doit entretenir les touffes bien épaisses, et tenir les jets dégarnis de branches jusqu’à une grande hauteur, afin qu’il ne se forme pas dans l’intérieur du bois des nœuds qui en diminuent la flexibilité. On doit alors le cultiver comme une oseraie, le placer à l’ombre et dans un endroit frais.

Si au contraire on cultive le noisetier pour son fruit, il faut lui donner un terrain frais à la vérité, mais ne pas lui donner trop d’ombrage. On a remarqué que dans les années et les localités où la pluie et la rosée ne peuvent s’évaporer promptement, les noisettes pourrissent facilement. — Pour faire la récolte ; il ne faut pas cueillir les fruits, mais secouer les branches, et ramasser ceux qui tombent ; ceux qui restent ne sont pas assez mûrs. — L’aveline se conserve dans du sable, du son ou de la sciure de bois. Ces substances empêchent l’accès de l’air qui ferait rancir l’huile qu’elle contient en assez grande abondance. Cette huile est d’excellente qualité pour les apprêts culinaires ; on la conseille dans les toux opiniâtres ; les Chinois en mettent dans leur thé, et regardent ce mélange comme une boisson recherchée. — Pour conserver l’aveline avec toute la saveur qu’elle a lorsqu’elle est fraîche, on l’introduit dans des bouteilles de grès ou de verre, dont on scelle le bouchon avec un enduit imperméable, et on les descend dans un puits.

Les coudriers fleurissent en février ou en mars ; les abeilles butinent sur les chatons mâles ; on fera bien d’en planter quelques pieds dans les alentours du rucher.

On multiplie ces arbrisseaux par semis, par marcottes, par boutures et par greffes : Le premier moyen donne des arbres qui dégénèrent, et fait attendre longtemps les produits ; le second est le plus facile et le plus expéditif ; le 3e ne donne que des individus chétifs, et le dernier ne doit être employé que pour propager des espèces rares.

[13.5]

Section V. — Des plantations de bordure, des vergers agrestes et herbages plantés en général.

Dans l’Économie rurale, la destination principale des arbres dont nous venons de faire connaître la culture spéciale dans les articles précédens, c’est de former des plantations en bordereau des vergers agrestes.

Les Plantations en bordure faites le long des chemins, et sur la lisière des horles ou des cours d’eau qui séparent souvent les héritages, surtout à l’exposition du sud, c’est-à-dire sur le côté nord de la pièce de terre, n’offrent, sans contredit, que des avantages sans aucun inconvénient. Car on obtient ainsi, avec très-peu de dépenses, des produits souvent considérables, sans que les arbres qui les fournissent gênent la culture diminuent l’étendue du sol cultivable, ou que leur ombre porte préjudice aux plantes qui l’occuperont annuellement. On ne devrait donc jamais négliger de planter dans ces situations.

Mais la richesse des herbages plantés de la Normandie, des vergers agrestes des environs des villes, de ceux de la Belgique et de l’Angleterre, prouve bien qu’il est avantageux, en prenant les précautions qui ont été signalées, de ne pas s’en tenir aux plantations en bordure, et que très-souvent on enrichit considérablement son domaine en le couvrant d’arbres fruitiers. — Il est essentiel de disposer alors ces plantations en quinconce, d’espacer beaucoup les arbres, comme de 30 à 36 pieds (10 à 12 mèt.) en tout sens, de les choisir élevés et élancés et de les maintenir dans cette direclion, de ne faire ces plantations que dans un bon sol. Quelques agronomes, qui proscrivent généralement les plantations en plein, préfèrent celles en ceinture sur deux rangs. — Dans la plantation d’un verger, on doit placer au nord et à l’ouest les espèces et les variétés qui s’élèvent le plus, afin qu’elles protègent les autres arbres. Si le verger offre diverses pentes, on doit aussi mettre au nord les variétés à fruits précoces, qui arriveront encore à maturité à temps, ou avec les autres arbres mieux situés, mais plus tardifs.

L’établissement des vergers agrestes et des plantations d’arbres à fruits doit être considéré comme l’une des plus importantes améliorations d’un domaine et l’une de celles dont il convient de s’occuper le plus tôt. On ne peut guère compter sur le fermier, qui n’occupe la terre que temporairement, pour ce genre d’amélioration, à moins qu’il ne reçoive du propriétaire des encouragemens extraordinaires.

Nous ne devons pas omettre de citer ici une forêt fruitière, fait qui mériterait peut-être de trouver des imitateurs. M.  Guyon de Saint-Victor possédait dans l’arrondissement de Toul (Meurthe) un bois, dit le Bois-Monsieur, dans lequel il existait un nombre très-considérable d’essences fruitières, principalement Pommiers, Poiriers, Koetschiers et Noyers ; il conçut le projet, tout en conservant le taillis en nature de bois, de convertir la futaie en verger, et, quoique les 600 mille pieds d’arbres qui s’y trouvaient excédassent de beaucoup le nombre qui devait couvrir le terrain, il ne les greffa pas moins dans le dessein de les vendre comme plants de pépinières. Il a fait connaître (Annales de la Société d’horticulture de Paris, mai 1830) que plusieurs agriculteurs ont préféré ces plants comme plus robustes que ceux sortant des pépinières ; quant aux arbres destinés à porter fruit, il annonce que leur venue était alors en général aussi belle et aussi forte que dans les vergers ordinaires ; que cette position abritée semble plus favorable à la fructification ; que les arbres y souffrent moins des sécheresses et des chaleurs, et que si les pommes, les poires, au moment de la cueillette, sont moins succulentes, elles acquièrent bientôt un plus haut degré de qualité, sont plus saines, plus de garde, plus fermes, et, par conséquent, supportent mieux le transport et se conservent plus longtemps.

À part les considérations de sol et d’exposition qui doivent être consultées d’abord pour le choix des arbres destinés à composer les vergers agrestes et les plantations de bordure, leur produit principal est ce qui doit ensuite diriger, et on doit, à cet effet, tenir compte de la situation, des usages, des ressources et des débouchés du pays.

Sous le rapport de leurs produits, les plantations de bordure peuvent se partager en trois classes : 1o celles productives de bois qui offrent souvent de grands avantages dans les pays où le bois n’est pas commun, sur les bords des rivières et ruisseaux et dans les terrains humides ou inondés, autour des herbages fréquentés par les bestiaux, sur les lisières des terres qui, naturellement très-sablonneuses, se dessécheraient trop, si l’ombre de ces plantations ne diminuait l’ardeur du soleil : c’est ce qui se voit dans le pays de Vaes en Belgique et ailleurs. Ces bordures peuvent former ou des haies. (Voy. tome I) ou des oseraies (Voy. l’art. Saule, tome IV), ou des taillis (Voy. Agric. forest. tome IV, ou enfin des têtards : ce sont des arbres qu’on étête à une plus ou moins grande hauteur de la surface du sol, et dont les rejets sont coupés rez tronc tous les 3, 4 ou 5 ans, pour faire des échalas, etc. ; les saules, les peupliers, les frênes, pour les lieux humides, les ormes, les chênes et bien d’autres qui ont été indiqués à leur article spécial, reçoivent cette utile destination.

2o Les bordures productives de fourrages ; les arbres qui donnent les meilleurs produits de ce genre ont été indiqués dans le chap. des Végétaux à fourrages (tome I). On peut y ajouter le Mûrier (V. ci-devant).

3" Les Plantations productives de fruits sont les plus importantes ; elles comprennent en 1re ligne les Pommiers, les Poiriers, les Noyers ; et en 2e ligne, ou pour certaines contrées seulement, les Cerisiers, les Pruniers, les Noisetiers, les Châtaigniers, les Amandiers, les Figuiers, les Oliviers, etc., dont la culture n’offre rien de spécial, ou dont il a été traité dans les articles précédens.

Les soins de formation et d’entretien d’un verger agreste varient selon les arbres qui le composent. Il en est de généraux qu’on doit appliquer à toutes ces plantations ; la sagacité du lecteur les discernera facilement dans les principaux articles qui précèdent, et où il était plus essentiel de ne pas les omettre. Il ne reste plus ici qu’à parler des insectes les plus nuisibles dans les vergers, et à indiquer les principaux moyens de les détruire.

Les insectes nuisibles dans les vergers sont très-nombreux ; mais c’est surtout à l’état de chenilles qu’ils exercent les plus grands ravages. L’une des plus désastreuses est celle du Bombyce commun (Bombyx chrysorrhoea, L.), longue de plus d’un pouce, qui désole presque tous les arbres, surtout les poiriers et pommiers ; elle se réunit en communauté dans des coques où elle passe l’hiver ; il faut donc écheniller avant qu’elle les quitte, entre février et mars, et par un temps froid et pluvieux qui force les chenilles à se tenir rassemblées. La chenille de l’hyémale (Phalæna brumata, L.) cause aussi d’extrêmes dégâts, certaines années, aux pommiers : on peut, ainsi que d’autres espèces, la faire tomber des branches en les frappant de coups secs et redoublés ; la fumée de paille mouillée qu’où brûle en y ajoutant des pincées de fleur de soufre, suffoque aussi cet insecte. La Noctuelle, les Chenilles Arpenteuses ou Géomètres, les Bombyces processionnaires, etc., sont encore fort nuisibles. — Beaucoup d’insectes Coléoptères, surtout des Charançons, Becmares, Rhynchènes, Attelabes, etc., exercent des ravages également redoutables sur les fruits de nos vergers, qu’il est fort difficile de préserver de leurs atteintes.

Mais le plus redoutable des insectes, surtout pour les pépinières et les jeunes plantations de pommiers, c’est le Puceron lanigère (Mioxilus mali, Blot.), qui parait originaire d’Amérique, d’où il est passé en Angleterre et ensuite en France. Cet insecte est recouvert d’une espèce de duvet blanc qui donne aux jeunes rameaux et aux écorces tendres, auxquels il s’attache de préférence, l’apparence qu’ils sont couverts de givre. Il les suce, fait naître des bosses ou exostoses, qui altèrent l’organisation végétale, arrêtent la marche de la sève, et occasionnent souvent la perte des arbres et la ruine complète des pépinières. Parmi les nombreux moyens indiqués pour le détruire, le moins coûteux et l’un des meilleurs est de laver les arbres attaqués avec de la lessive, dont on imbibe et frotte avec un linge ou une éponge les parties malades ; le lait de chaux vive fait aussi périr ce puceron, mais l’application, qui doit en être faite avec une brosse, est moins facile. Le moyen indiqué comme préférable par la commission de la Société d’horticulture de Paris, consiste à faire des lotions d’huile essentielle ou volatile du goudron de houille, qu’on peut se procurer à bon marché chez les droguistes et chez les fabricans de goudron.

On sait que toutes les huiles sont mortelles pour les insectes, parce qu’elles bouchent les trachées par lesquelles ces animaux respirent. Le nettoiement des écorces et l’enlèvement des mousses pendant l’hiver, détruisent une grande partie de la génération future de nombreux insectes : c’est donc un des meilleurs moyens pour en empêcher la propagation ; les arbres offrent alors aussi moins de lieux de retraite pour attirer et retenir ces animaux nuisibles.

Nous ne devons pas nous étendre ici davantage sur ce sujet, et nous renverrons au dernier Chap. du T. I. pour de plus amples détails, comme pour tout ce qui est relatif aux Hannetons et à leurs larves, les vers blancs ou mans. Quant aux chenilles qui composent la classe entomologique la plus redoutable dans les vergers, nous recommanderons de nouveau avec instance l’échenillage, soit avec la serpe, soit plutôt avec les diverses sortes d’échenilloirs qui permettent d’abattre les paquets de chenilles très-promptement et sans monter sur les arbres.